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La mosquée et le cimetière. Espaces du sacré et pouvoir symbolique à Constantine en 1936*

Insaniyat N°39-40 | 2008 | Regards sur le passé et enjeux de la mémoire, aujourd’hui | p.47-63 | Texte intégral


The Mosque and the Burial ground. Places of sacredness and symbolic power at Constantine in 1936

Abstract: This article proposes studying the signification of a moment and a space, towards the late thirties in Constantine. Two episodes of conflict between actors of Constantine society about community gatherings during religious events (pilgrims returning, commemorating the Grande Mosque in April 1936, and the Zarda called “Sidi Aty”, celebrated in October in the town cemetery), clearly bring out a set of stakes and conflicts within the  city society, at a turning point in Algerian history. Analysing these two events in key places of the city shows us the outlines of an important moment of conflict between the holders of different positions of social authority, conflicts which develop with the creation of new public spaces about the hold of new forms of symbolic power It’s a question especially, of making new ways to assemble the community, of “staging” them in places of strong symbolic connotation, of being able to speak to it and for it.

Keywords: Constantine - public space - ‘ulama - leading citizens - ritual -symbolic power.


 James McDOUGALL : Assistant Professor, Department of History, Princeton University


Parmi les villes-symboles pour l’histoire de la culture, du sacré, de la production et de l’exercice du pouvoir symbolique en Algérie -l’on peut penser aussi à Tlemcen, à Mostaganem, à Bejaïa... -Constantine occupe une place toute particulière. Il n’est pas besoin d’affirmer la place éminente qu’occupe la ville dans la construction et l’affirmation de la culture algérienne, qu’elle soit littéraire ou musicale, mais surtout religieuse, contemporaine. Pourtant, si une histoire nationale habituelle, qui compte bien évidemment ‘Abd al-Hamid Ben Badis parmi ses pères fondateurs, donne à Constantine une place de choix dans la généalogie de la nation, il n’en reste pas moins que l’histoire sociale et culturelle de la ville elle-même en ressort en quelque sorte amoindrie. L’histoire de ‘Constantine berceau de l’islah’, foyer du réveil d’une culture nationale arabe et musulmane, s’est construite en récit fortement déterminé –comme c’est le cas, d’ailleurs, pour toute l’histoire du pays pendant la période coloniale – par l’histoire ultérieure du mouvement national et par une lecture de l’histoire des dix-neuvième et vingtième siècles comme une trajectoire linéaire de déclin et de renaissance. C’est là un schéma qui relève d’une mise en intrigue surdéterminée de l’histoire, plutôt que d’en offrir une lecture critique. L’on pourrait revoir les événements du champ culturel constantinois (comme de l’Algérie plus largement) de cette époque dans une optique qui leur rendrait leur autonomie du moment et dont la suite ne serait pas encore connue. Si la tâche de l’histoire critique et de comprendre le devenir de mouvements sociaux et culturels dans la durée plus ou moins longue, il importe également de saisir les moments de changement, de lutte ou de restructuration sociale et culturelle dans leur propre spécificité.

Cet essai se veut un effort de lecture de la signification d’un moment et d’un espace, vers la fin des années trente à Constantine. Il s’agit d’un moment d’affrontement de positions sociales et de la création de nouveaux espaces publics ; de tentatives de maintenir une influence et une autorité sociale d’une part, et de contestation doctrinale voire de fondation de nouveaux projets de socialisation culturelle d’autre part. Il s’agit, surtout, de la construction de nouvelles façons de rassembler la communauté, de la ‘mettre en scène’, de pouvoir parler à son adresse et en son nom. L’effet du croisement de ces dynamiques était de produire, non pas simplement les fondements d’une idéologie nationale pleinement partagée, ni un affrontement entre les guides du peuple et le colonialisme ennemi, mais une histoire culturelle de transformation et de redistribution de pouvoirs symboliques à l’intérieur de la société algérienne elle-même. C’est l’histoire d’une série de luttes corps à corps, au sein de la société constantinoise, société dont les structures d’autorité étaient en pleine mutation et qui s’inventait de nouvelles manières de se concevoir et de se manifester.       

Les années chargées de l’entre-deux-guerres ont vu, à Constantine, une suite de luttes pour définir les limites de la compétence de différents groupes et individus, chacun voulant s’arroger un droit de parole et de présence dans les domaines du champ religieux et de l’autorité culturelle. Ces dynamiques, conditionnées bien évidemment par le contexte de revendications et de mobilisation croissante contre l’ordre colonial, n’en étaient pourtant pas qu’un simple aspect ou effet secondaire d’une histoire politique et révolutionnaire encore à créer. Ce sont plutôt des incidents à travers lesquels on peut cerner un certain nombre de développements plus subtils, qui révèlent en relief les effets profonds d’une transformation de la production sociale du sacré, de l’autorité culturelle et de la signification de leur croisement, à travers la mise en scène de la communauté, dans les espaces publics de la ville.

Le récit qui suit tente une lecture de deux moments dans le déroulement de l’année—emblématique entre toutes des tensions de cette période—1936. L’enjeu dans les deux cas semble relever de questions purement religieuses. Il s’agit d’une part de l’accès à la grande mosquée et d’une dispute à la fois de doctrine et d’influence autour de la façon de célébrer le hadj ; et d’autre part de la coutume de la zarda et du rassemblement rituel au cimetière de la ville. Dans les deux cas, pourtant, ces disputes montrent bien des dynamiques de pouvoir symbolique contesté et en construction, et les anxiétés sociales d’une image de soi en cours de transformation. À travers ces deux épisodes, ce qui ressort est un ensemble d’enjeux dans une société qui se reconstruit : la relation entre le public et le privé, la construction des espaces, à la fois matériels et symboliques, où la communauté puisse se manifester, s’exprimer, se rassembler, et les questions de savoir qui, dans ces espaces-là, aura le droit à l’expression, et quel en sera le contenu. Dans la mesure où il est question d’autorité spécifiquement religieuse, ces moments signifient le heurt entre, d’une part, un réformisme ambitieux et parfois, pour ce qui est des moeurs de la communauté, révolutionnaire, et un univers de références et de pratiques non encore incorporé à sa conception d’un Islam ‘purifié’ et légitime.

Il ne s’agit donc pas, encore une fois, de relier ces développements à l’histoire politique du mouvement des ‘ulémas réformistes et de leur signification ultérieure de composante du mouvement national. Celle-ci est une histoire non pas de ‘réveil’ à la culture du nationalisme, mais de la construction du pouvoir qui permet d’en parler, construction qui a dû se faire dans l’affrontement parfois douloureux, contre d’autres manières d’être et de faire non pas archaïques et sclérosées mais encore vivaces et bien ancrées chez les gens, et qui, à cette époque, pouvaient encore assez bien se défendre. Ces dynamiques s’inscrivaient dans une topographie matérielle et symbolique localisée, et dans le tissu de relations sociales entre acteurs particuliers qui se regroupèrent autour de ces espaces. Ils ont, de ce fait, leur propre signification, en-dehors d’une histoire politique qui a souvent dominé la lecture de cette période, et dont la suite était imprévisible au moment où se sont produits les événements qui nous intéressent.      

La réception des pèlerins et la mosquée du cheikh Ben Muhub

Le 31 mars 1936, trois conseillers municipaux de Constantine ont sollicité, pour le compte du cheikh Abdelhamid Ben Badis, président de l’Association des ‘ulémas musulmans algériens mais aussi de la jam‘iyat al-tarbiya wa ’l-ta‘lim al-islamiyya, l’Association d’éducation et d’instruction islamique de Constantine, et de l’école du même nom, un entretien avec le secrétaire général de la préfecture. La démarche des conseillers visait à obtenir l’autorisation pour que, le vendredi 3 avril, l’Association jam‘iyat al-tarbiya puisse convier la population de la ville à la grande mosquée et y fêter le retour des villes saintes du Hidjaz, des pèlerins constantinois. Sans douter de l’autorisation qui ne ferait que mettre à la disposition de la population son principal lieu de réunion en tant que communauté des croyants, le cheikh Ben Badis partit à Bône (Annaba) à la rencontre des pèlerins, et des feuillets imprimés furent distribués à travers la ville, invitant les Constantinois à honorer le retour des hujjaj lors d’une cérémonie organisée par la jam‘iyat al-tarbiya le vendredi prochain, après la prière de l’‘asr.  

Entre temps, le secrétaire général de la préfecture, qui redoutait un tel rassemblement public - que les motifs soient religieux ou autres - avait téléphoné, le lendemain de son entretien avec les représentants de la ville à la Direction des affaires indigènes à Alger. Celle-ci émit ‘l’avis qu’il valait mieux interdire à Monsieur Benbadis de donner suite à son projet’. Craignant que la mosquée ne soit utilisée à des fins politiques[1], le fonctionnaire de la préfecture refusa alors l’autorisation demandée la veille. Informé de la nouvelle par le sous-Préfet de Bône, Ben Badis télégraphia aussitôt à la Préfecture de Constantine: ‘grande surprise voir refuser cette réunion après distribution prospectus ville […] proteste respectueusement mais énergiquement contre ce refus non motivé ose croire qu’il vous sera possible revenir sur votre deuxième décision afin éviter toute fâcheuse interprétation part musulmans sentiments respectueux Benbadis Président Association Ettarbia.[2]

L’appel resta, bien sûr, sans réponse, mais dans l’après-midi du vendredi, le cheikh Ben Badis se rendit tout de même à la mosquée, en compagnie d’une dizaine des pèlerins, pour annoncer, à une foule estimée à plus d’un millier de personnes par la préfecture, l’interdiction de la cérémonie. Ben Badis commença par plaindre ‘de tout son cœur les personnes mal intentionnées dont les agissements [avaient] abouti à un état de choses aussi lamentable’, avant de prier ‘Dieu de les ramener dans le droit chemin’, et de remercier l’assistance qu’il convia à honorer les pèlerins de la meilleure manière. Enfin, il  émit le vœu à tous d’accomplir le hadj. La réunion ne dura qu’un quart d’heure et les
participants acquis à la doctrine réformiste n’ont fait que ‘murmurer à la sortie de la mosquée contre l’attitude des autorités.’[3]

Cette petite démonstration montre assez bien comment l’administration coloniale, nerveuse et pusillanime devant toute manifestation nouvelle de la communauté musulmane en tant que telle, en venait à susciter de l’oppression culturelle vivement ressentie, même à partir de rien. Mais à travers ces confrontations apparemment sans grande importance, ce que les archives laissent entrevoir dans l’affaire des pèlerins est bien le déroulement d’une lutte sociale autour du pouvoir symbolique, au sein de la communauté algérienne elle-même.

Dans un premier temps, c’est le pouvoir de s’exprimer en tant que représentant de la communauté qui est en jeu entre le cheikh indépendant et l’autorité coloniale qui s’est arrogée le droit de contrôler les personnes habilitées à officier et à parler dans les lieux du sacré[4].  Selon le préfet, ‘les agissements de Monsieur Ben Badis [montrent] un double manquement. Il a convoqué des musulmans dans une mosquée classée[5] en dehors de l’intervention de l’Administration et des membres du culte musulman ; Il a pris la parole, dans cette même mosquée, en violation de nos instructions et après que le refus que j’avais opposé à sa demande lui avait été dûment notifié.’ Mais dans la suite de son rapport, le préfet ne manque pas de signaler l’existence d’une certaine tension non simplement entre l’état colonial et la société algérienne ou ses représentants, mais, et c’est bien plus intéressant, au sein de la société elle-même : ‘J’ajoute que son initiative a fait l’objet, en ville, de nombreux commentaires et soulevé de vives protestations de la part de certaines familles de pèlerins…’[6]. En effet, les presses du journal al-Najāh, dirigé par Smaïl Mami[7], avait  imprimé une sorte de réplique à l’annonce de la jam‘îyat al-tarbiya, au nom des familles des pèlerins, affirmant leur volonté de recevoir des visites chez eux, dans leur maisons, s’opposant ainsi à la volonté des réformistes à diriger la célébration de leur retour dans une seule cérémonie sous l’égide du mouvement de Ben Badis. Les ‘ulémas réformistes avaient appelé, dans leur annonce de la réunion à la mosquée, à l’abandon des réceptions privées et coûteuses que les pèlerins, de retour de la Mecque, avaient l’habitude d’offrir dans leurs maisons, réceptions qui attiraient ‘flots de personnes’ étrangères aux familles. L’association appela ses frères musulmans à ‘extirper ces pratiques illicites’ (an yaqla‘u ‘an hadhihi ’l-manhiyāt) et à les remplacer  par une grande réunion publique, organisée et disciplinée, qui serait la manifestation de la joie et du bien-être de la communauté à revoir les pèlerins et l’opportunité pour tous de profiter des leçons spirituelles de leur expérience. A l’opposé, la réponse faite au nom des familles des pèlerins, invoquant ‘l’affection et l’amitié’ de la communauté dans l’honneur à rendre aux hujjāj, lançait son invitation aux réceptions dans leurs demeures ‘conformément à la sunna du Prophète et en poursuivant la tradition des salaf al-salih comme dans tous les pays musulmans’.[8] Il s’agissait sans doute d’une réaction de stupéfaction devant la tentative des réformistes (qui pourtant étaient des gens de bien) d’interdire ce que toute famille de pèlerin chérissait comme un droit et un devoir, de recevoir les parents, les voisins, le quartier, venus saluer le pèlerin et profiter de sa bénédiction.

Les réformistes voulaient, dans leur rassemblement organisé, purifié de dépenses illicites et de rivalités orgueilleuses, mettre en scène la communauté dans un espace véritablement public et sous l’autorité de ‘guides bien instruits’. Ils se heurtèrent à une toute autre manière de concevoir l’espace social, les rapports d’estime au sein de la communauté, la signification de la célébration d’un événement si chèrement investi par des particuliers et leurs familles, tant au sens symbolique que matériel. Le conflit autour du droit de parole dans l’enceinte physique de la mosquée n’était que l’aspect le plus visible d’une lutte autour de la définition et la pratique, l’expérience personnelle et sociale de l’Islam et de ses obligations les plus fondamentales, ici cristallisée dans la lecture - publique ou privée, ordonnée ou ‘anarchique’, licite ou illicite - de la façon de célébrer l’accomplissement du hadj et du sens à lui conférer. 

Pour sa part, le premier magistrat officiellement reconnue de la ville (qui était aussi un personnage, hors de son investiture étatique, reconnu pour son autorité religieuse), le cheikh et mufti Mulud Ben al-Muhub, avait son mot à dire: consulté sur l’initiative de Ben Badis, il répondit :

Ce que demande Ben Badis est contraire à la religion. Ces cérémonies n’ont jamais été prescrites par l’Islam, et, en ce qui concerne Constantine, n’ont jamais eu lieu dans une mosquée de la ville. La tradition est la suivante : à leur retour, les pèlerins gardent leur domicile pendant au moins trois jours consécutifs au cours desquels ils reçoivent leurs parents et amis. Ils sont néanmoins libres, pendant ce temps, de se rendre individuellement à une mosquée de leur choix pour y accomplir leurs dévotions. Je ne puis, en raison de mes fonctions, accepter ni la présidence de cette réunion, ni même sa surveillance, en ce sens que les mosquées sont exclusivement destinées à être un lieu de prières et d’enseignement religieux. La cérémonie projetée n’a pas un caractère religieux et n’aurait d’autre effet que de réunir à la mosquée une foule hétéroclite où les partisans de monsieur Ben Badis domineraient. Ce que monsieur Ben Badis cherche, c’est un conflit dont il m’attribuerait la responsabilité … [de] sorte que si la réunion est interdite ou si le droit de parler aux pèlerins lui est refusé… une partie de la population indigène m’en tiendra rigueur. Cette innovation de réunir les pèlerins à leur retour de la Mecque date de l’année dernière et est due à monsieur Ben Badis.’[9]

En prenant toute l’affaire pour un complot dirigé contre lui, le vieux cheikh craignait trop pour sa position, mais le projet de Ben Badis n’était sans doute pas si machiavélique, et les motifs invoqués sont bien conformes avec leurs préoccupations doctrinales. Ben Muhub avait pourtant bien compris (et prévu) la portée de l’affaire. Lui qui avait été un étudiant du cheikh ‘Abd al-Qadir al-Majjawi[10], qui fut à son tour, dans le cercle Salah Bey de la Constantine d’avant 1914, le mentor d’un des premiers ‘jeunes Algériens’ réformateurs, Chérif Benhabylès, redoutait la portée politique de la cérémonie projetée. La préfecture qu’il avait réussie pendant des décennies à ménager, qui lui avait plus ou moins laissé à lui et à ses étudiants le soin de diriger leur propre sphère de la vie sociale dans l’exercice de la religion, lui demandait maintenant de présider, ou d’admettre que soit surveillée, une réunion à caractère inédit dans ‘sa’ mosquée. Ben Muhub, lui-même parmi ‘les plus rigoureusement puritain des réformistes[11], avait déclaré (tout comme, mais bien avant, les ‘ulémas autour de Ben Badis) sa propre ‘guerre à l’ignorance’[12] dans la société algérienne ; il n’appartenait donc pas au milieu des ‘traditionalistes’ visés par le mouvement réformiste. Il n’était pas moins gêné par la tentative d’une nouvelle organisation, guide auto-proclamé de l’Islam algérien, à s’arroger les droits de parole et d’action dans l’espace de ses attributions.[13] Il avait compris aussi, sans doute, que le projet de Ben Badis, de la construction d’une autorité religieuse strictement indépendante de l’administration française, mettait en cause - et sonnait le glas - de la stratégie d’accommodation et de ménagement suivie par des ‘ulémas de la précédente génération (ceux qui ne s’étaient pas exilés au Machriq), et notamment, pour ce qui était de Constantine, par Ben Muhub lui-même. Dans la mesure où l’affaire des pèlerins révélait bien cet enjeu fondamental, l’exercice du magistère du muphti—aussi muslih qu’il fût—se retrouvait bien au cœur de la confrontation.

La zarda de Sidi Aty ou le festin électoral du Docteur Bendjelloul

Quelques mois plus tard, en octobre 1936, les ‘ulémas badissiens se trouvèrent encore une fois aux prises avec d’autres tenants de l’autorité d’intervenir sur la scène publique, et de diriger la vie symbolique de la communauté. La dispute se déroulait, encore une fois, autour des espaces du sacré pour, et dans, lesquels les réformistes croyaient devoir s’affirmer en tant que seuls habilités à prendre la parole. La zarda du coudiat Sidi Aty, célébrée non plus sur la petite colline au sud-ouest de la Brèche mais dans le nouveau cimetière plus éloigné de la vieille ville, donnait lieu, comme le retour des pèlerins, à un rassemblement public. A cette occasion, la population musulmane s’adonnait à un rituel, dans un espace dont la charge symbolique était très forte, car elle se confondait avec le patrimoine spirituel de la ville et entretenait le lien social. Mais dans le contexte de 1936, à ce moment de profonds changements sociaux manifestés dans les dissensions à l’intérieur de la communauté autour de l’autorité et de la pratique légitimes, une telle manifestation dans un tel local devait se transformer en terrain privilégié de conflit.

L’unité éphémère (et bien moins que totale) des différents représentants de l’Algérie, réalisée dans l’euphorie du premier Congrès musulman algérien de juin, volait en éclats dès le mois d’août. L’entretien que le docteur Bendjelloul a accordé, en tant que président de la Fédération des élus constantinois, au journal Marseille-Matin du 13 août choqua l’opinion, y compris celle de ses alliés du Congrès, les ‘ulémas réformistes. Commentant les évènements survenus depuis le retour de la délégation du Congrès à Alger, le docteur Bendjelloul n’avait pas hésité à affirmer : ‘c’est une guerre de religion qui commence’[14] . Si tel était en quelque sorte le cas - dans la mesure, où les luttes d’influence pour rassembler et diriger la communauté tournaient autour du pouvoir
symbolique et des espaces du sacré comme fondement du lien communautaire - il n’en était guère lui-même étranger.    

Le 4 octobre parut un article dans les pages du journal francophone le plus lu de la ville de Constantine, relatif à l’important rassemblement public prévu pour le week-end suivant et intitulé ‘La Zarda’:

À en juger par les encouragements que le comité d’organisation reçoit de tous côtés, non seulement de la ville mais encore de l’intérieur, la zarda des 10 et 11 octobre prochain est appelé à un gros succès. Cette vieille tradition que le Comité des Meskines remet en honneur a ramené la joie dans le cœur et sur les visages des Musulmans ; dans la ville et dans le département, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre ; de partout, on s’apprête à venir assister à cette fête de la grande famille musulmane, où en partageant le pain et le sel autour d’un couscous commun, l’on viendra oublier les haines qui divisent et renouer les liens de l’amitié et ceux de l’amour d’autrui.’[15] 

La zarda consistait en une distribution de pains et d’argent aux pauvres. C’est en quelque sorte, une aumône organisée par la commune donnant lieu à la célébration d’un festin collectif, qui devait durer deux jours dans un lieu sacré - le cimetière de la ville - pour mettre en évidence la solidarité sociale et religieuse entre les riches et les pauvres, entre la ville et les campagnes environnantes. En même temps, l’événement devait symboliser la réunion des défunts avec les vivants, toutes classes sociales confondues, dans le partage ritualisé du pain, de la viande, et de la parole de Dieu. Le rituel de la zarda était donc une expression simultanée de plusieurs aspects des obligations de la communauté - l’hommage dû aux défunts et la sollicitude due aux pauvres. Dans les pratiques organisées - le repas en commun, le dhikr des différentes confréries, et la récitation en entier du Coran - la communauté toute entière était conviée à l’affirmer la réalité et la légitimité de leur vie sociale ancrée dans l’Islam.[16]

Toujours selon le même article, de telles cérémonies étaient anciennes : les Constantinois d’avant la conquête les célébraient au Coudiat, colline située aux portes de la ville où se trouvait le cimetière et la tombe du saint Sidi Aty. Avec l’extension de la nouvelle ville, à l’ouest de la vieille ligne des murailles ottomanes, le cimetière fut déplacé, et la célébration de la zarda avait suivi, tout en gardant l’appellation ‘du Coudiat’ ou ‘de Sidi Aty’, en référence à son lieu d’origine et au wali. Signe des temps, peut-être, on se gardait pourtant d’identifier la zarda exclusivement avec la mémoire du saint homme; il s’agit d’une expression communale, une célébration de la communauté toute entière, ‘en l’honneur de tous nos morts. Voilà donc ce qui donne à la zarda son caractère de fête religieuse, voilà donc de qui doit on bannir tout ce qui est de nature à porter atteinte à la religion, à la morale et au  respect des morts.’[17] De telle concorde n’aurait pas lieu.

Indication du retour à un certain niveau de ‘normalité’ pour une société qui commençait enfin à rebondir des effets de la crise économique mondiale, se trouvant donc en mesure de reprendre ses rythmes d’allégresse après des années de pénurie ; en même temps affirmation des certitudes de la communauté et de sa religion dans une période d’incertitudes politiques et sociaux, en 1936, l’occasion de la zarda semblait un moment particulièrement béni:

La zarda est tellement populaire et en honneur chez les musulmans qu’elle crée de l’allégresse chez tous, grands et petits, riches et pauvres, dans toutes les couches sociales ; dans les familles parfois désunies, souvent la discorde disparait à l’occasion d’une telle manifestation. Les non-musulmans eux-mêmes, respectueux des usages et des coutumes de leurs frères musulmans, considèrent la zerda comme une belle manifestation, digne d’être encouragée et ne manquent jamais d’apporter leur aide aux organisateurs de cette fête. […] Les préceptes moraux de la religion en répandent leur baume bienfaisant dans l’âme et dans le cœur des bons musulmans. C’est l’Islam simple, bienveillant, démocratique qui se dégage au cours de cette grande fête de famille. C’est là le secret de succès et de popularité des zerdas, et celle de samedi et dimanche prochains aura, à ce titre, le plus grand succès.[18]

A la fin de l’article, le rédacteur remerciait ceux qui avait déjà participé aux frais de l’événement, et rappelait à ses lecteurs (non-musulmans comme musulmans) l’adresse où ils pouvaient envoyer leurs contributions : le Comité des Meskines, dont le siège, au 8, rue Chabron, fut en même temps celui de la Fédération des Élus. Le comité était, en effet, patronné par le Docteur Bendjelloul. C’était lui qui avait sollicité auprès du maire de la ville, quelques jours auparavant, l’autorisation nécessaire à la tenue de la fête, après avoir réuni la veille, ses alliés politiques et les chefs des confréries pour mettre sur pied le comité d’organisation de la zarda. Étant donné la conjoncture politique, le
moment choisi pour la zarda n’était peut-être pas tout à fait heureux, et en tout cas, n’aurait pas pu être innocent.

La réponse des nouveaux représentants de la religion du peuple ne pouvait qu’être orageuse. Le soir même de l’annonce de la zarda dans la Dépêche de Constantine, Ben Badis[19] et quelques 150 adeptes de la cause réformiste se sont réunis, sous la surveillance d’un agent de la sûreté publique, qui nota le souci - du reste assez étonnant - du chef des ‘ulémas :  

Nos élus actuels prennent fait et cause pour les membres des confréries [et] veulent faire revivre les coutumes maraboutiques par nous combattues. Déjà ils veulent donner une zarda. Au cours de cette cérémonie, des cinéastes viendront filmer l’immense troupeau des indigènes et dans les villes, où ils seront ensuite projetés, ils démontreront nettement notre infériorité physique et intellectuelle, notre attachement à des mœurs surannées. Le gouvernement d’autre part, constatant cette résurrection de vieilles pratiques ne nous accordera pas les revendications par nous présentées à Paris. Il s’en désintéressera, nous croyant encore attardés en des temps moyenâgeux. D’autre part, les indigènes ne se sentiront nullement soulagés par cette fête de bienfaisance et resteront dans la misère. Le Docteur Bendjelloul est en train de torpiller nos plus chères aspirations. Il faut nous unir et de toutes nos forces, combattre ces lamentables errements. Nous faisons confiance au Gouvernement pour interdire cette manifestation.’[20]

 Les jours suivants, l’Association des ‘ulémas fit circuler, à Constantine, des tracts et affiches pour dénoncer la zarda et demander à la mairie et à la préfecture que la fête soit interdite, arguant que ‘le cimetière musulman est un lieu sacré et on ne doit pas le profaner par une réjouissance, à caractère nettement politique.’[21] La proscription de toutes sortes de rituels à propos de la mort, des défunts, des tombeaux et des cimetières étant un aspect important de la doctrine réformiste, un aspect de leur opposition à la zarda venait de la signification de l’événement comme pratique strictement illicite dans leur conception de la religion. Il s’agissait aussi, bien entendu, d’une affaire politique ; certes, pour les ‘ulémas, la zarda prévue par Bendjelloul était une initiative inadmissible en tant que manifestation faite au nom de l’Islam, à raison non seulement de son illicité doctrinale mais aussi de sa portée politique. À Batna, Bendjelloul fut critiqué par les réformistes pour avoir pris une position politique ‘contraire à l’Islam’ ; dans son abandon du front uni du Congrès, il aurait été ‘acheté par le gouvernement’, et, plus grave encore, il n’avait pas consulté les ‘uléma dans l’affaire de la zarda ‘qui relève strictement du terrain religieux, dont ils se prétendent seuls qualifiés pour discuter les principes coraniques.’[22] Non seulement il dévoyait la religion du peuple dans des pratiques blâmables, il enlevait à la religion son espace tant physique que symbolique pour y faire un rassemblement grossièrement politicien

Mais bien plus, c’était la signification de la fête comme expression de la culture religieuse algérienne qu’accabla les réformistes. La zarda leur paraissait comme une expression exemplaire non pas de le l’Islam bienfaisant, pieux, démocratique et égalitaire, mais d’une honteuse culture d’arriération et d’infériorité dont la représentation aux yeux européens les épouvantait. Pour les réformistes, la zarda allait mettre en scène, non seulement une pratique illicite du point de vue doctrinal, mais un spectacle effroyable d’archaïques ‘moeurs et coutumes indigènes’, de mentalités dépassées, de croyances anarchiques et irrationnelles, un soi-disant ‘Islam’ fait de superstitions. Ce spectacle serait montré au grand public curieux de la population européenne ; pire, il sera enregistré par des cinéastes et livré à l’amusement - et à la dérision - des autorités coloniales. C’était toute la dignité des Algériens et de l’Islam, au moment même où ils venaient de marquer un pas en avant dans la quête de sa reconnaissance, qui était mise en jeu. Des annonces en arabe et en français, imprimées et distribuées en ville le premier jour de la fête, donnaient l’avertissement :

‘…on tend un piège à la population, on y place un morceau de viande et on couvre le tout du nom de « grande zarda » et de « repas populaire » […] O musulmans ! La viande que vous mangerez dans cette zarda est illicite, car elle n’est pas offerte par l’amour de Dieu ! On se moque de vous, de votre religion aux yeux des étrangers. Les appareils photographiques sont prêts. Les pièges sont tendus. […] Éloignez-vous de la zerda et approchez-vous de Dieu !’[23]

Les protestations contre la zarda s’efforçaient de mettre en évidence, d’une part, qu’il ne s’agissait que d’une manœuvre politicienne conçue pour acheter la faveur de la population, mais d’autre part et simultanément qu’il était question d’une terrible déviation de la religion et un danger mortel à la dignité du peuple : 

‘Notre peuple, connu pour ses traditions aurait-elle perdu le sentiment de la dignité et de l’honneur, au point d’échanger sa conscience contre un plat de couscous? Non et non! Le Musulman n’est pas le fauve que l’on capture au moyen d’un appât. Évidemment, pour dorer la pilule, on donne à ce festin le caractère d’une œuvre de bienfaisance. Attention! Cette soi-disant œuvre de bienfaisance dissimule le venin de l’ambition et des rancunes politiques. de cette manifestation […] les organisateurs escomptent les résultats suivants : (1) Irriter la sensibilité des vrais musulmans en ranimant sous leurs yeux des pratiques maraboutiques que tous les intellectuels tiennent pour périmées. (2) Discréditer notre religion en couvrant de son nom des pratiques dignes des temps du paganisme. (3) Ruiner le crédit du peuple au point de vue politique en le montrant arriéré et superstitieux. (4) Mettre en évidence devant nos détracteurs que la barbarie est une tare inhérente à notre race et à notre religion […]. Non, chers coreligionnaires! Dans votre éducation sociale, vous êtes arrivés à un stade où vous épargnerez cette injure à la fois à votre religion et à vous-mêmes.’[24]

Le premier jour de la zarda, Ben Badis adressa une lettre ouverte au Préfet, publiée par la Dépêche de Constantine:

‘Monsieur le Préfet, Nous avons l’honneur d’attirer votre attention sur les conséquences graves qui pourraient survenir, à l’occasion de la zerda, que va donner le Comité des meskines de Constantine, au cimetière musulman […]. En effet, le cimetière est un lieu saint, un lieu de prière et de recueillement qui ne doit pas être transformé en un lieu de réjouissances, non conformes à la religion musulmane. La zarda provoquera sans aucun doute, une affluence de jeunes gens qui pour la [plupart] non pratiquants, entreront dans le cimetière dans un état d’ébriété, peuvent saccager les tombes et commettre des actes regrettables, du point de vue religieux. Nous regrettons que pour une pareille manifestation, donné dans un lieu saint, […] les oulamas seuls qualifiés pour discuter sur le terrain religieux, n’ont pas été consultés, pour donner leur point de vue sur cette zarda, non tolérée d’ailleurs par les principes coraniques et surtout dans un lieu aussi sacré. Nous vous demandons, Monsieur le Préfet, d’assurer le respect de nos morts, par l’interdiction d’une pareille manifestation au cimetière.’[25] 

Si le registre officiel de la protestation concerne bien la question de bonne conduite religieuse, et la revendication des réformistes à exercer un magistère exclusif dans ce domaine, les craintes qui sous-tendaient leurs motivations étaient plus complexes. Non seulement ils s’opposaient à cet événement en tant que pratique illicite, mais ils  étaient inquiets du spectacle d’altérité et d’infériorité que la zarda, à leurs yeux, allait offrir au regard européen. Les partisans de la zarda, notamment les confréries, y voyaient une célébration légitime de la communauté et de sa croyance, enracinée dans les espaces et dans la mémoire de la ville, en l’honneur, précisément, des morts et pour le bien-être des vivants. Ils y voyaient d’ailleurs  une démonstration du caractère populaire, fraternel et égalitaire de l’Islam. Pour les réformistes, au contraire, la zarda n’était qu’une caricature grotesque de la religion, une pratique venue des temps de la jahiliyya et un retour aux superstitions, un retour à la magie désavouée par le monde de la modernité (et des projecteurs de films), une indignité faite aux Algériens, par eux-mêmes, devant la condescendance des Français. Dans les deux cas, ni le pouvoir symbolique de l’Islam ni les espaces sacrés de son expression n’existaient plus en-dehors d’une grille de lecture provenant du discours du colonisateur, des normes d’une conduite sociale ‘moderne’ dont le public privilégié serait européen.

Dans le cimetière qui devait accueillir le grand festin de la communauté musulmane constantinoise, Bendjelloul avait fait installer des guirlandes et des lampions aux couleurs bleu, blanc, rouge, et des milliers d’Algériens venus de toutes parts de l’est sillonnaient la route ainsi illuminée. Parmi la foule imposante, les familles des confréries, les plus importantes de la ville et de sa région étaient présentes et s’illustraient par le montant de leurs dons en argent ou en bétail.[26] Le succès du festin dépassa toute attente : quarante bovins furent sacrifiés, vingt mille kilos de pain cuits et quelques vingt-neuf mille francs reçus.[27] Selon les estimations de la police, quelques vingt-cinq mille personnes ont assisté aux deux journées de la célébration, qui se déroula  ‘sans incidents.’[28] Le Préfet informa Alger que les protestations des ‘ulémas,

qui la représentaient [la zarda] comme contraire aux véritables principes islamiques, de nature à porter préjudice à la dignité des musulmans et susceptible de nuire à leurs revendications politiques […] ne semblent pas avoir eu beaucoup d’effet puisque [ l’événement] a obtenu un très grand succès.[29]

Quant au chef de la sûreté à Constantine, il nota la présence de ‘plus de deux mille européens [qui] sont allés contempler ce spectacle.’[30]

Ces deux moments d’affrontement - deux moments parmi bien d’autres - qui marquaient le paysage culturel et social de Constantine au cours d’une année turbulente, rendent visibles une ébullition profonde qui était en train de transformer les relations de pouvoir symbolique et la signification des espaces et des pratiques de la religion et de la culture plus largement en Algérie. Le niveau du politique n’est que le plus apparent des questions en jeu, dont les dimensions plus larges ne devraient pas être considérées comme simple ‘expression’ de luttes politiques ‘à la base’. Il s’agit, ici, de l’histoire d’une culture populaire dont la légitimité était sérieusement remise en question et de la recomposition et redistribution du pouvoir symbolique.[31] Le mufti Ben Muhub et les autres opposants[32] à l’autorité auto-proclamée des réformistes menaient leur campagne contre l’appropriation de la fête des pèlerins sur un terrain à la fois communautariste et doctrinal. Dans sa réponse à ses détracteurs, diffusée par affiches à Constantine en même temps que celles des réformistes, Bendjelloul accusa ses adversaires du moment de mener une campagne de subversion ‘communiste’ afin de diviser la population. En même temps, il défendait la licité de la zarda,  présentée comme un mawsim bien connu de la population et faisant légitimement partie des coutumes.[33] Les deux parties se renvoyaient l’accusation de faire de la ‘division’, de ‘semer la discorde’ entre musulmans.

A cette époque, Constantine, considérée, en quelque sorte, comme la capitale du mouvement réformiste, n’était pas pour autant acquise toute entière à sa direction. Au contraire, la revendication et l’exercice de l’autorité symbolique devait se disputer entre différents représentants de la communauté, entre leurs visions divergentes de ce qu’elle devait être, comment elle devait se comporter. La lutte principale ne fut pas avec l’autorité coloniale, qui a joué plutôt un rôle d’arbitre (parfois actif, parfois inepte, parfois perplexe), sorte de troisième témoin à qui tous s’adressaient sans lui accorder trop de crédit, ni en attendre beaucoup de considération. Et pourtant, son discours de la modernité et de l’ordre rationnel (quoique minés par sa perpétuelle hypocrisie) exerçait un effet déterminant sur les esprits de tous et dans une conception de soi émergente, qui allait peser sur la re-formulation de la religion, la science, la culture, l’autorité et l’espace, dans une nouvelle discipline faite aux choses, aux gens, et aux espaces, de la ville et du pays au-delà.


Notes

* Il s’agit ici de la reprise corrigée et enrichie par l’auteur d’un article dont une première version avait été publiée dans le nos 35-36 d’Insaniyat.

Je remercie vivement les amis et collègues de Constantine qui m’ont accueilli lors d’un séjour en 2004, et qui m’ont fait découvrir leur ville. Il va de soi qu’ils ne portent aucune responsabilité pour le contenu de cet article, qui n’engage que son auteur. Pour les documents d’archives cités (provenant tous du Centre d’Archives d’Outre mer, Aix-en-Provence, sauf indication contraire) les sigles suivants sont utilisés pour désigner les différents fonds dans les références : ADC pour Archives du Département de Constantine ; ADA pour Archives du Département d’Alger ; AGGA pour Archives du Gouvernement général de l’Algérie.

[1] Préfet, Constantine, au Gouverneur Général, Alger, 24 avril 1936 no. 15393, ADC/B3/273/9.

[2] Message télégraphique, Ben Badis, Bône, au Préfet de Constantine. ADC/B3/273/9.

[3] Rapport du Préfet, 24 avril no.15393 (n.1); Rapport de la sûreté départementale, Constantine, 3 avril 1936 no. 1262. ADC/B3/273/9.

[4]  Conformément aux dispositions contenues dans la circulaire Michel du 2 mars 1933.

[5] C’est-à-dire une mosquée maintenue et dont le personnel était habilité par l’état colonial en redevance contre les habous confisqués au 19ème siècle.

[6] Préfet de Constantine au Gouverneur général, 24 avril no.15393, ADC/B3/273/9.

[7] Il est vrai que Mami fut généralement regardé avec bienveillance par les autorités, mais rien dans le dossier ne permet de supposer que l’intervention d’al-Najah fût inspirée par la Préfecture. À cet époque, au moins, les articles de son journal, comme de tout autre journal algérien, étaient scrutés par les services du gouvernement, et des menaces de fermeture furent parfois envoyées à sa direction (Gouverneur-général, Alger, au Préfet de Constantine, 30 janvier 1924 no. 1842, ADC/B3/286/7). Al-Najah était lu en Tunisie et au Maroc, et des rapports venus de Beyrouth indiquaient des abonnés même en Syrie. Pour le protectorat tunisien, Mami était soupconné pendant les années vingt d’être un ‘agent de liaison’ entre ‘agitateurs algériens’ et  ‘Jeunes Tunisiens’. (Commissariat spécial, Tunis, 4 avril 1921, no.358, Archives nationales, Tunis,  MN 16/1/44; Contrôleur civil, Souk el Arba, au Délégué Résident Général, Tunis, 1 octobre 1924 no. 61. ISHMN, Tunis, fonds Résidence R94/1700/1/313). Avec un tirage de 6000 exemplaires, le journal était salué au début des années trente par Tawfiq al-Madani dans Taqwim al-mansur no. 5, Alger, 1348/1929-30, pp. 246-7 et dans al-Shihab, février 1930 pp. 59-60. Son conflit avec les réformistes surtout à partir de 1938 et son loyalisme, dans cette dispute, envers l’administration, encouragea son identification comme un journal officieux. Sur al-Najah,, voir aussi  ‘Notice sur le journal “En Nadjah” ’, Préfecture, Constantine, 19 février 1925, ADC/B3/286/7; note sur ‘La Presse indigène en Algérie’, mai 1936, (11pp.), ADA/4I/178/1; ‘Journaux indigènes paraissant en langue arabe en Algérie’, CIE, Alger, 31 décembre 1937, ADA/4I/178/1; Ahmed Nasir, al-Suhuf al-‘arabiyya ’l-jazâ’iriyya (Alger, SNED, 1980), pp. 43-5 et Ali Merad, ‘La formation de la presse musulmane en Algérie (1919-1939)’, IBLA 105 (1964).

[8] Feuillet imprimé en arabe, ADC/B3/273/9. Il serait étonnant que les services de la Préfecture aient pu inventer un tel argumentaire, surtout que l’affaire ne faisait que ‘troubler l’ordre public’, précisément ce que tout fonctionnaire passait son temps à éviter…

[9] ‘Déclaration de M. Benmouhoub, Mufti’ (texte en français), Constantine, 1 avril 1936. ADC/B3/273/9.

[10] Christelow, Muslim Law Courts and the French Colonial State in Algeria (Princeton University Press, 1985) p. 279. Al-Majjawi (mort en 1913), avait établi une école religieuse indépendante à Constantine avant d’être nommé à la médersa officielle,  et fut l’auteur d’un texte, imprimé au Caire en 1877, où il s’éleva contre l’infériorité intellectuelle et culturelle de l’Algérie vis-à-vis de l’Europe et du Machreq’ ; il e ‘proposa comme remède un curriculum éducatif, basé sur la pédagogie moderne déjà d’usage en Égypte, et qui était fondée sur la religion ainsi que sur la science.’ (pp. 230-231) Bien avant le séjour du cheikh ‘Abduh en 1903, al-Majjawi aurait donc initié un ‘islah local’ constantinois. Ben Muhub (né en 1863) avait été professeur de fiqh à la médersa dès 1895, et mufti de la ville depuis 1908. 

[11] Christelow, Muslim Law Courts p.251.

[12] Titre du recueil de traductions des conférences faites par Ben Muhub au cercle Salah Bey et publié en annexe du livre de Chérif Benhabylès, L’Algérie française vue par un indigène (Alger, Imprimerie orientale Fontana, 1914).

[13] Selon Christelow (Muslim Law Courts p. 279) Ben Muhub avait eu, en outre, et depuis 1912, une querelle personnelle avec le jeune Ben Badis, son ancien étudiant (cf. Achour Cheurfi, Écrivains algériens Alger, Casbah, 2003, p.80).

[14] Ch-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1979, t.2, p. 441. La délégation avait été acclamée par une foule enthousiaste, rassemblée devant les locaux du Cercle du Progrès, place du Gouvernement. Mais à la réunion du stade d’Alger, le 2 août, qui devait consacrer la mission des délégués et leurs revendications (rattachement au métropole, suppression du Gouvernement général et de l’indigénat, un seul système d’enseignement et un collège électoral unique), le programme fut interrompu et dépassé par le discours incendiaire de Messali, qui lança le mot d’ordre de l’indépendance. Le même jour, le mufti d’Alger, Ben Dali ‘al-Kahhul’ était assassiné rue de la Lyre. Sur le congrès et la réunion du 2 août, voir Mahfoud Kaddache, La Vie politique à Alger de 1919 à 1939, Alger, SNED, 1970, pp. 299- 303; Benjamin Stora, Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien (1898 – 1974), Paris, L’Harmattan, 1986, p. 149) ; rapports et extraits de la presse surtout de l’Écho d’Alger, AGGA/9H/46/1.

[15] Dépêche de Constantine, 4 octobre 1936. ADC/B3/273/11.

[16] Pour le déroulement de la zarda et sa signification rituelle, voir les commentaires parus dans le Dépêche de Constantine des 9, 10, 11 octobre 1936.  

[17] Dépêche de Constantine, 4 octobre.

[18] Ibid.

[19] À noter, aussi, les entrecroisements et tiraillements simultanés d’histoires familiales et politiques en jeu ici. L’importance, et l’amertume, de ces conflits viennent aussi du fait que la compétition se déroulait, dans un espace urbain très circonscrit, au sein de vieilles familles alliées par mariage ou entre personnes liées par la transmission du savoir (comme pour Ben Muhub et Ben Badis). Il existait un lien de parenté entre les Ben Badis et Bendjelloul, qui ne faisait sans doute qu’aiguiser l’inimitié de la famille Ben Badis pour ce dernier, une fois déclaré leur concurrent en politique locale. Bendjelloul s’était opposé, comme candidat indépendant, au père de Ben Badis, Si Muhammad Mustafa, Délégué financier, lors des élections au Conseil général de Constantine en 1931, élections remportées par Bendjelloul au dépens de Ben Badis. La rupture, en  octobre 1933, entre ‘Abd al-Hamid et son père (qui expulsa son fils, avec soixante élèves, d’un bâtiment qui lui appartenait et où ‘Abd al-Hamid avait créé une école), avait pour cause le rapprochement du chef réformiste avec Bendjelloul en tant que chef des élus indépendants. La rupture entre ces deux, à la suite de leur alliance au sein du Congrès, n’en pourrait être que plus pénible. 

[20] Rapport du chef de la  sûreté départementale, Constantine au  Gouverneur général, Alger, et au Préfet de  Constantine, le 5 octobre 1936 no. 4182. ADC/B3/273/11.

[21] Rapport du chef de la  sûreté départementale, Constantine, le 6 octobre 1936 no 4181. ADC/B3/273/11.

[22] Rapport du Commissaire de Police au Sous-Préfet de Batna, le 11 octobre 1936  no 6353. ADC/B3/273/11.

[23] Notice en langue arabe au nom de l’Association des ‘ulémas, parue le 10 octobre. ADC/B3/273/13.

[24] ‘Proclamation’ en langue française au nom du ‘Comité de rénovation sociale’ de l’Association des ‘ulémas, ADC/B3/273/13.

[25] Lettre ouverte signée par Ben Badis au nom de ‘la section constantinoise de l’Association des oulamas d’Algérie’, ‘Tribune publique’, Dépêche de Constantine, 10 octobre 1936. ADC/B3/273/11.

[26] Détails dans Dépêche de Constantine du 9 octobre 1936. ADC/B3/273/11.

[27] À noter pourtant aussi que, selon un rapport de police, à cause des disputes en ville provoquées par l’événement, ni l’armée ni les boulangers algériens n’ont voulu y participer et Bendjelloul avait procuré le pain chez les boulangers français de Constantine. (Note de chef de la Sûreté départementale, Constantine, le 9 octobre 1936 no. 4255, ADC/B3/273/11.) 

[28] Rapport du chef de la Sûreté départementale au Préfet de Constantine, le 12 octobre 1936  no 4279. ADC/B3/273/11.

[29] Préfet de Constantine au Gouverneur-général, le 12 octobre 1936 no 36597. ADC/B3/273/11.

[30] Rapport du chef de la Sûreté du 12 octobre (n.28).

[31] Pour un argumentaire plus détaillé, cf. notre ouvrage History and the culture of nationalism in Algeria (Cambridge, 2006). Pour d’autres analyses, cf. Ali Merad, Le réformisme musulman en Algérie, 1925 - 1940. Essai d’histoire sociale et religieuse, Paris, Mouton, 1967 et Fanny Colonna, Les versets de l’invincibilité. Permanence et changements religieux dans l’Algérie contemporaine Paris, FSNP, 1995 et Kamel Chachoua, L’Islam kabyle. Religion, état et société en Algérie, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001.

[32]  Comme Smaïl Mami, diplômé de la Zitouna qui se prévalait aussi d’idées doctrinales de renouvellement.

[33] Affiche en langue arabe, avec un appel ‘à l’unité’, placardée à Constantine, ADC/B3/273/13.

 

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