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Le Groupe d’Etudes sur l’Histoire des Mathématiques à Béjaïa (GEHIMAB). Une association indépendante à la recherche du patrimoine d’une ville et de sa province dans l’Algérie d’aujourd’hui

Insaniyat N°39-40 | 2008 | Regards sur le passé et enjeux de la mémoire, aujourd’hui | p.155-164 | Texte intégral


Mohand Akli HADIBI : Maître de conférence au département de langue et culture berbère, Université de Tizi- Ouzou, 15 000, Tizi- Ouzou, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


Introduction

La présente recherche concerne « l’analyse sociologique d’une utopie en construction menée de 1991 à nos jours dans une province berbérophone d’Algérie : la ville de Béjaia ». Elle fait suite à un travail d’anthropologie religieuse mené durant les années quatre-vingt-dix autour d’une zawiya (établissement religieux) et de son Saint fondateur[1]. C’est à partir de motivations familiales, de notre vécu social et compte tenu du contexte à la fois politique et identitaire qui a prévalu que nous nous sommes intéressés à ce genre d’objet.

En effet, l’Algérie des années quatre-vingt dix était celle d’une crise multiforme annonciatrice de grands changements à différents niveaux. Le champ politique était caractérisé par une crise institutionnelle sans précédent en Algérie depuis l’indépendance. Celle-ci était accentuée par des mouvements d’opposition constitués sur des référents et des revendications identitaires autour de la langue berbère pour le Mouvement berbère ou de la religion avec l’islamisme et le réformisme en place. Ceux ci ont rendu la réflexion autour d’objets comme la religion du peuple ou des savoirs patrimoniaux, matériels et immatériels, très marginaux. Cette marginalité est aussi celle des sciences sociales qui ont été pour l’essentiel, dépendantes du champ politique : les différentes recherches qui ont été réalisées sont le fait d’individus porteurs de préoccupations et d’approches nouvelles souvent menées, en dehors de l’Algérie.

C’est à partir donc d’un Département de berbère de l’Université de Tizi Ouzou, crée en 1990, en vue de résorber le mécontentement  qui a prévalu autour du traitement passé réservé à la langue et la culture berbères et dans lequel nous avons évolué en tant qu’étudiant puis enseignant, que nous avons décidé de travailler sur une association fondée non à Tizi Ouzou, ville connue pour être le bastion du mouvement berbère de 1980, mais à Bejaïa.

Le choix de cette association a été déterminé autant par son projet initial, que par les directions multiples de ses préoccupations, celle d’une reconsidération du patrimoine matériel et immatériel de la ville de Béjaia dans sa diversité et à des époques éloignées. Les multiples directions de ses investissements nous donnent aussi la preuve de l’efficacité que l’association n’a cessé d’apporter dans ses actions de ré-valorisations patrimoniales alors que les institutions qui en ont la charge sont dans l’incapacité d’être opérationnelles. Ces déficits institutionnels comblés par les résultats enregistrés, chemin faisant, par l’association nous ont incités à aller voir de plus prés pour comprendre le groupe à l’origine de ce travail, sa composante, sa logique de travail, l’entreprise patrimoniale qu’il réalise, les objets investis, les outils utilisés et les stratégies développées.

Le travail que nous avons présenté s’articule autour de quatre parties, précédées d’une introduction et se terminant par une conclusion.

La première partie, relativement courte, comporte deux chapitres et situe le contexte politique au moment de la création de l’Association. Nous avons voulu mettre en évidence la complexité du rapport existant entre les champs politique et scientifique quand il s’agit du traitement institutionnel réservé aux « questions revendicatives », à l’exemple de la question de la langue et de la culture berbères Nous avons pris l’exemple du département d’études berbères de Tizi Ouzou parce que nous y avons évolué depuis sa création. Conscient, de notre rapport de proximité, nous avons pris le soin de rapporter nos constats au contexte politique qui influe directement sur la production académique. Ce regard est certes critique mais nécessaire pour interroger des acteurs dont le profil n’aurait en théorie rien à voir avec le domaine du patrimoine comme les mathématiciens qui ont une plus grande neutralité et développent une plus grande capacité à dépasser les contraintes imposées par le politique.

C’est justement à partir de cette neutralité que nous nous sommes interrogé sur le pourquoi et le comment des liens qui existent entre la formation en mathématique, des membres de l’association et leur entreprise patrimoniale, le rapport des mathématiques aux autres sciences dures et molles qui leur a permis de déborder sur des champs pour lesquels ils n’ont pas été préparés. Parce qu’il s’agit d’un travail de sociologie, notre intérêt a porté, en parallèle, sur les trajectoires familiales et professionnelles des acteurs qui nous concernent ici, leurs rapports aux aînés et à leurs pairs qui pour la plupart ont participé au Mouvement berbère de 1980. Comme il a porté sur l’entreprise elle-même depuis ses débuts. Celle-ci se présente comme une utopie qui se construit à petits pas. Elle est différente de celle projetée par les acteurs du Mouvement berbère, en ce sens qu’elle n’est pas revendicative et exclusive parce qu’elle se donne en charge autant les questions religieuses que linguistiques. Elle part du général au particulier, prend en charge toutes les dimensions identitaires et patrimoniales. Elle investit des personnages itinérants qui ont une dimension universelle,   dont le profil intellectuel est épais, les intérêts intellectuels divers et les contacts multiples avec différentes sociétés, et viennent d’horizons différents et d’époques éloignées. Ces personnages à l’exemple de Fibonnacci, Raymond Lulle, al-Qurashi, al-Qalassadi et d’autres, ont la particularité d’avoir exercé une influence considérable sur leurs époques respectives et celles postérieures à eux : ils ont été porteurs de projets intellectuels, spirituels et philosophiques et ont forgé des valeurs universellement partagées. Une utopie donc qui se construit sur des personnages singuliers. Ils viennent de différents horizons géographiques, d’aires culturelles multiples : de l’intérieur d’un ensemble vaste comme le Maghreb et aussi de l’extérieur, autant du Sud, de l’Orient que du Nord ; d’au-delà de la mer, que ce soit de l’Occident chrétien ou de l’Andalousie. Ils appartiennent à plusieurs époques, celle du Moyen Âge ou à une époque récente comme le XIX e siècle. Ces diversités donnent à l’entreprise de l’invention du patrimoine une dimension particulière dans la mesure où elle s’élabore à partir d’un ensemble vaste, universel : elle intègre de ce fait plusieurs aspects de la culture régionale, ici kabyle, mais aussi nationale et universelle.

Concernant l’Association, la démarche que nous avons adoptée consiste à suivre les acteurs du présent dans leurs différentes actions, à interroger les registres auxquels ils se réfèrent à travers une connaissance fine de leurs trajectoires personnelles et familiales. Nous avons entretenu un va et vient permanent entre les discours et les pratiques des acteurs, entre les sources écrites dont nous pouvions disposer et les usages faits de ces derniers. Nous avons aussi fait usage de l’histoire sociale dans les limites de nos besoins d’argumentation comme nous avons été amenés par moments à traiter des rapports entre champs disciplinaires voisins en essayant à chaque fois de déclarer nos limites. La tâche nous a été difficile autant dans la construction de l’objet, pour une plus grande cohérence de l’ensemble sans négliger le détail,   que lorsqu’il s’est agi d’incursion à l’endroit de plusieurs disciplines parce que nous n’y avons pas été préparés. La nature du terrain qui chevauche entre la ville et la campagne, entre présent et passé a nécessité une plus grande présence et attention et qui ne s’est pas faite sans difficulté notamment lorsqu’il s’est agi du traitement des sources anciennes et des manuscrits difficilement déchiffrable.

La deuxième partie qui comporte six chapitres est consacrée à l’association Gehimab, l’acteur principal à l’origine de cette entreprise. Nous avons voulu présenter en premier lieu la ville de Bejaia à laquelle nous avons consacré une présentation historique depuis l’antiquité, insistant chaque fois sur ses particularités savantes et culturelles. Cette présentation se justifie par le fait que le ville de Bejaia dispose d’une épaisseur culturelle et savante, en somme un réservoir dans lequel puise Gehimab et parce qu’aussi cette épaisseur donne à la ville un cachet particulier, différent de celui de Tizi Ouzou et de plusieurs autres villes récentes d’Algérie, mis à part Tlemcen et Constantine. Comme nous avons insisté sur l’histoire proche de la ville en accordant une place privilégiée à l’université et à l’évolution du rapport qu’a entretenu l’arrière-pays avec la ville à travers des mouvements revendicatifs et l’investissement des institutions et des différents créneaux de la vie active.

Nous avons préféré une analyse compréhensive de l’association à travers les recoupements des trajectoires personnelles et familiales des membres dans ce qu’ils disent d’eux-mêmes et dans ce qu’ils ne disent pas. Les recoupements qui se dégagent de leur formation et des rapports intergénérationnels communs et différents de leurs pairs et de leurs aînés. Ce travail de compréhension nous a permis de rendre compte des lieux communs en Algérie (à travers les lieux de socialisation, de scolarisation et de militantisme) et lors de leur formation à l’étranger, pour leur majorité l’ex-Union soviétique. Il nous a aussi permis de restituer le capital d’expériences qu’ils ont acquis et mis à profit pour agir en commun, ainsi que les registres culturels qui leur ont permis de se retrouver dans des habitus proches. Le tout explique largement les logiques communes de fonctionnements et les stratégies qu’ils développent, ainsi que les formes de légitimation qu’ils mettent en avant. Ils sont différents de leurs pairs dans l’approche du patrimoine parce qu’ils ont mis à profit les échecs du Mouvement berbère, en se situant sur un terrain pédagogique et non politique, en empruntant une démarche de composition et non d’exclusion, basée sur la scientificité, ils composent avec les aînés et leurs pairs, usant des sources de légitimation communes autant aux premiers qu’aux seconds.

Le groupe s’est initialement constitué autour de l’exhumation des témoignages sur l’histoire des mathématiques à Bejaia au Moyen Age, mais s’est laissé la possibilité d’ouverture à d’autres acteurs et domaines. Partant de personnages connus même si leur rapport à la ville de Bejaia reste relativement maigre, à l’exemple des passages de Fibonnacci et de Raymond Lulle, l’association exploite tout ce qui gravitait autour de ces derniers et se fit connaître à travers l’exploitation publique de ce type de personnages et des figures connues et reconnus dans des domaines divers et appartenant à différentes époques et aires. Elle sait utiliser divers moyens de diffusion médiatique : depuis l’organisation d’une exposition de manuscrits, les actions de l’association s’alimentent et se succèdent. En effet, le groupe a découvert une bibliothèque de manuscrits dans une région périphérique de la Kabylie à laquelle il consacra une année de travail de reconstitution et d’organisation. Même si notre tentative d’évaluation de la bibliothèque montre les limites de la valeur des pièces contenues, elle nous permet de constater néanmoins l’existence d’une importante tradition de savoirs qui a existé dans la ville de Bejaia au Moyen Age. Tradition aux sources multiples (Occidentales, Maghrébines et Orientales, chrétiennes et musulmanes) et qui couvre plusieurs domaines du savoir hautement élaboré pour l’époque et dont les usages sociaux et économiques s’inspirent largement. Outre le fait que cette bibliothèque privée redécouverte récemment a servi à l’Association de matériaux de travail pour ses actions futures et pour forger sa réputation au niveau national, elle introduit une nouvelle donne quant aux faux jugements largement répondus y compris chez les plus avertis des théoriciens de la culture en Algérie, à propos de l’absence des traces écrites en Kabylie.

Le travail réalisé autour de celles-ci, nous a conduit en suivant les actions du groupe, à nous intéresser à la production du savoir et aux moyens de sa production, à sa préservation, sa transmission et au statut des lettrés dans l’environnement montagnard, travail auquel nous avons consacré la troisième partie de la thèse. Celle-ci, la plus longue, trouve sa justification dans l’un des objectifs annoncés par l’association : la reconsidération du savoir local et le fait qu’elle casse des stéréotypes largement répandus sur la Kabylie en tant que société peu lettrée essentiellement orale et où l’islam est vécu dans une opposition à la culture locale, à l’identité et à la langue berbère.

La région des Ath Warthilane, tribu montagnarde située dans les Bibans, ont toujours constitué un carrefour d’échanges de par leur proximité à la ville de Béjaia et des routes qui mènent vers d’autres foyers maghrébins de culture, à l’exemple de Constantine, Tlemcen ou  Fès. Elle fut un refuge et une zone de replis pour les lettrés. Cette situation explique la présence en son sein d’un important nombre de lettrés, et donc l’existence de bibliothèques dans les zawayas et chez les particuliers. L’exemple de celle du Cheikh al Mouhoub (1822-1904), que nous livrons dans ce travail est à ce propos illustratif. En effet, nous avons essayé de restituer la vie du Cheikh  sous ses multiples facettes en utilisant l’une des sources rares parce que d’abord intime et relevant du privé et ensuite parce que lointaine dans le temps : il s’agit de ses calepins (kararis-uhu ) (1843 à 1873) où ont été consignés les moindres actes de la vie quotidienne, des faits les plus banals aux événements les plus marquants de la vie familiale (litiges de terres, gestion économique et familiale, etc. ) ou de la communauté paysanne (les conséquences de la colonisations ou les épidémies de 1864, 1867, 1873 et 1888). Cette reconstitution nous a permis de re-situer la place des lettrés locaux dans l’environnement campagnard dans une sorte de symbiose avec les dimensions de la vie paysanne où le lettré, tout en se distinguant du groupe, épouse parfaitement les préoccupations de sa communauté dans leur complexité. Le savoir accumulé permet justement de prendre en charge les soucis juridiques, de concilier entre le droit coutumier et le droit islamique selon les besoins de la communauté et d’élaborer une pensé hautement abstraite et rationnelle lorsqu’il s’agit de la détermination du temps (à travers les calendriers) ou de réformer et orienter le groupe dans sa vie la plus intime lorsqu’il s’agit de la reproduction biologique et sociale de ce dernier, comme l’illustre bien le traité d’éducation sexuelle élaboré par le cheikh. De même, l’existence des lettrés ne pouvait se faire sans l’existence d’une tradition familiale profonde dans la production de l’écriture, la maîtrise sociale de ses outils, sa préservation et sa transmission.

La bibliothèque des Oulehbib illustre bien cette tradition, elle contient, selon le catalogue réalisé par Gehimab 524 manuscrits parmi lesquels 210 sont déclarés complets, soit un pourcentage de 40.07% de la totalité et 314 manuscrits qui représentent 59,93 % sont incomplets.

L’essentiel des manuscrits traite de la littérature religieuse. Le Fiqh (jurisprudence, droit) vient en premier avec 68 manuscrits et représente 12,98% de la totalité de la bibliothèque, suivi par la littérature et la poésie qui regroupent 58 manuscrits et représente 11,07%, les deux disciplines additionnées atteignant 24,05% de la totalité.

Un autre ensemble regroupe des disciplines de linguistique, de théologie dogmatique dont uçul-ddin et le dogme, suivies par les correspondances, le Tefsir (Commentaires du Coran), la tawhid, la lecture du Coran et sa transcription. Le nombre de manuscrits pour chaque discipline varie de 5,53 % à 8,97 %, l’ensemble représentant 28,44 %.

Un troisième ensemble de sections regroupant neuf disciplines dont l’astronomie, le tasawuf, le zuhd, histoire et bio-bibliographie, sciences des héritages, du mantiq et du hadith représente 25 % de la totalité et le taux de chacune des disciplines varie de 3,05 % à 4,58 %, de la bibliothèque.

Le reste du contenu de la bibliothèque constitué de 12 disciplines et autre couvre 18,97 % de la totalité et la représentativité statistique de chaque discipline varie de 0,38 à 2,67 %.

En résumé la bibliothèque se répartit en quatre grandes unités statistiques, la première regroupant deux disciplines qui représentent 24,05 %. La seconde représente 28,44% et regroupe quatre sections dont plusieurs disciplines, la troisième 25 % couvrant six disciplines et la dernière 19,07 % traitant de douze disciplines.

Le fiqh, tel que donné par les rédacteurs du catalogue, regroupe 68 manuscrits dont dix seulement sont complets, le reste c’est-à-dire, 58 manuscrits sont incomplets. Vingt sept manuscrits contiennent de 1 à 19 feuillets, le reste contient de 20 à 209 feuillets, la dimension des feuillets est différente d’un manuscrit à l’autre. Sur les 68 manuscrits, las auteurs de 45 manuscrits sont établis et identifiés, 23 sont anonymes et 16 manuscrits sont des copies.

Après le fiqh, viennent en deuxième position la littérature et la poésie avec 11,07%, taux couvrant 58 manuscrits dont 37 sont complets. Le nombre de feuillets que comporte la majorité des manuscrits va d’un feuillet à 10 feuillets, seulement 5 manuscrits sont composés de 30 feuillets, un manuscrit est composé de 56 feuillets, un autre 64 et le plus volumineux contient 190 feuillets. L’ensemble de ces manuscrits est composé de poèmes relatant la vie du prophète et de ses compagnons, qui comportent quelques textes en kabyle, alors que d’autres citent des localités de la région de Kabylie.

Les manuscrits regroupés sous la discipline linguistique qui représente 08,97% du total sont au nombre de 47 dont 12 sont complets et 37 incomplets. Ils traitent des supports de l’apprentissage de la langue arabe dont la grammaire. Parce que l’usage de cette discipline est constant, on retrouve sous différents titres la adjroumia (traité de grammaire arabe), il revient sous douze titres dont plusieurs sont consacrés à l’explication de ce traité de grammaire. On trouve aussi plusieurs titres qui concernent la alfiya d’Ibn Malek. D’autres manuscrits traitent de l’apprentissage des règles de grammaires, ils se présentent sous forme de poèmes pour faciliter l’apprentissage et la mémorisation.

Après quoi vient la théologie dogmatique qui représente 8,21% et qui comporte 43 manuscrits dont 20 sont complets et 23 incomplets. Sur l’ensemble des manuscrits qui sont consacrés au dogme, 11 manuscrits traitent de la aâqida sanussia et dont deux sont écrits en kabyle et transcrits en caractère arabe. 

Les disciplines dont le taux varie entre 3,05 % et 3,82%, regroupent un nombre de manuscrits allant de 14 à 30 manuscrits. Ils sont d’un nombre inférieur à la moyenne de manuscrits complets mis à part ceux concernant les correspondances. Ces derniers comportent 29 manuscrits complets sur les trente recensés, les actes notariés et de réconciliation qui comportent 14 textes tous complets ainsi que, les actes de reconnaissance.

Un certain nombre de disciplines comporte un nombre supérieur de manuscrits complets par rapport aux manuscrits incomplets : tel est le cas de l’astrologie, de l’astronomie, du mantiq, des sciences de la nature avec la médecine et des sciences du calcul.

La maîtrise de ce processus tranche le débat des dichotomies habituelles, elle montre que le savoir écrit et oral, la culture berbère et le savoir islamique, la langue arabe et le berbère se réalisent dans une parfaite symbiose selon la nature des besoins qu’ils traitent.

La bibliothèque ayant servi de matière à Gehimab pour penser la reconsidération de Béjaia et de sa région, il s’agit de présenter et d’analyser l’une des actions les plus importantes de Gehimab, l’organisation d’un colloque international tenu en 1997. Nous avons suivi ici les acteurs dans leurs projets puis nous avons essayé de rendre compte des « choses possibles» et des solutions envisagées lorsque les acteurs se sont retrouvés face à un environnement des plus délicats en Algérie, à un moment où le terrorisme était à son paroxysme et l’Algérie isolée sur le plan international. Notre travail s’est concentré autant sur les acteurs permanents de Gehimab que sur les autres acteurs occasionnels qui ont contribué à l’organisation du colloque « Béjaia et sa région à travers les ages ». Nous les avons pris dans leurs action individuelles surtout lorsqu’il s’est agit du président de Gehimab, sa gestion et sa capacité à dépasser les situations qui se présentent dans un temps limité, l’autorité propre à sa formation de base en mathématiques et sa logique pragmatique, comme nous les avons analysé dans leurs coopérations avec les autres acteurs surtout les membres les plus actifs de Gehimab. A ce propos, nous avons montré que leurs trajectoires sociales, professionnelles et de formation sont pour beaucoup dans la réalisation de la manifestation. Les organisateurs, à travers cette manifestation, voulant mettre en évidence le caractère de scientificité à la base de leurs actions, ont tenté d’exploiter justement le capital savant de la ville dans le passé en remontant le plus loin possible et en mettant en valeur tous personnages ou faits prestigieux, qu’ils soient locaux, nationaux, méditerranéens ou universels, qu’ils soient savants ou historiques. Ils ont usé des moyens de médiatisation avec beaucoup de subtilité et d’intelligence montrant à l’occasion leurs expériences personnelles et de groupe. Couvrant des périodes différentielles et éloignées, les participants au colloque avaient permis l’élaboration de discours hautement savants à travers pas moins de cinquante communications. Pour les besoins de l’analyse, nous avons pris un échantillon des plus parlants d’entre elles, celles qui répondent le plus aux attentes des initiateurs. L’analyse de cet échantillon n’a pas l’intention d’être critique mais seulement de rendre compte de la part du mythe, de l’idéologique, dans l’élaboration de ces discours notamment lorsqu’il s’est agi des aspects linguistiques, identitaires ou religieux. Comme notre approche ne tient pas de l’histoire proprement dite, nous avons repris par endroits des données telles qu’elles sont élaborées. L’analyse a montré, contre les espérances des organisateurs, la reproduction des clivages qui ont prévalu entre arabisants, berbéristes, tenants du réformisme autour de stéréotypes déjà connus. L’analyse s’est intéressée de manière particulière à une reconsidération historique de taille à l’endroit du rapport de la ville à l’Etat ; celle-ci reconsidère au fait toute la vision de la territorialité et de la centralité concernant l’Etat algérien moderne et levant la voile sur des refoulements, remettant en question l’idée de l’absence de pérennité d’un Etat.

Un autre aspect a été mis en évidence, celui d’une ville à dimensions multiples. En effet, au-delà du contexte d’aujourd’hui, la ville a enregistré des formes d’échanges avec l’Occident chrétien par le passé. Le colloque sert Gehimab pour les actions qui ont suivi, notamment l’adhésion de la ville à la conférence permanente des villes historiques de la Méditerranée. Additionnées aux manuscrits de la bibliothèque, les communications du colloque constituent une autre source, plus élaborée, pour mener des réflexions autour de thématiques actuelles qui concernent en premier lieu les pouvoirs publics comme le projet et l’adhésion de Bejaia à la conférence permanente des villes historiques de la Méditerranée.

Gehimab mène en premier des actions pédagogiques importantes dont quelques-unes sont éminemment politiques comme en témoigne l’organisation de ce colloque, même si les acteurs s’en défendent.

Conclusion 

Nous pouvons dire que Gehimab est l’une des rares associations encore fonctionnelles qui représentent la société civile. Elle doit sa continuité à la qualité de ses membres dont la formation en mathématiques, l’expérience pédagogiques et militante en Algérie comme à l’étranger ayant produit la capacité de ruser avec le système. Partant de la neutralité qui les caractérise en théorie et parce qu’ils mettent en avant la scientificité, ils ont pu pour la décennie écoulée réaliser un travail patrimonial à dimensions multiples qui tentent de répondre à des préoccupations identitaires d’aujourd’hui en défrichant les pistes les plus neutres. Leur utopie, ne pouvant se débarrasser des pesanteurs politiques et culturelles, s’en accommode. 


Notes

* Thèse de doctorat en sociologie soutenue sous la direction du Professeur Fanny Colonna le 08 décembre 2006 à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris.

[1] Hadibi, Mohand Akli., Wedris  Une totale plénitude, Alger, Edition Zyriab, 2003.

 

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