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La viticulture dans la région d’Aïn Témouchent : les conditions d’une tentative de résurgence

Insaniyat N°39-40 | 2008 | Regards sur le passé et enjeux de la mémoire, aujourd’hui | p.105-121 | Texte intégral


Zohra BOUZIANE-BENSAFIR : Enseignante, géographe, Université d’Oran, 31 000, Oran, Algérie


Introduction

La ville d’Aïn Témouchent a toujours développé grâce à un riche terroir agricole, une relation assez forte avec son espace rural. L’occupation de ce terroir par les hameaux, les fermes et les grandes propriétés a structuré fortement l’espace durant les siècles passés. Néanmoins si les hameaux ont servi de germe au développement urbain, les grandes propriétés entourées de leurs terres ont fait les frais du développement économique nouveau algérien, qui a mis en situation de précarité l’économie agricole. Le vignoble, qui constituait la richesse de la région, a connu bien des déboires au lendemain de l’indépendance. La ville se trouve ainsi confrontée à la difficile adéquation entre une population en croissance rapide d’une part, la valorisation et la protection de ses ressources agricoles d’autre part.

L’espace témouchentois et plus particulièrement son vignoble ont fait l’objet de nombreuses études. Il ne s’agit pas ici de faire le récit et passer en revue toutes les étapes de la genèse. Il serait vain et prétentieux d’en présenter ici un résumé. Mais de façon plus ténue, il s’agira seulement de rappeler quelques traits particuliers de cette évolution.

Le vignoble : une culture typiquement coloniale

Aïn Témouchent, ancienne sous-préfecture rattachée au département d’Oran a été créée par et pour la vigne. Au cours de plus d’un siècle d’histoire, avec une alternance de heurts et de malheurs, la culture de la vigne a pris de plus en plus d’importance. Elle connut un développement spectaculaire. Colons et viticulteurs, contribuèrent pour beaucoup, non seulement à son impulsion, mais aussi aux progrès des techniques et  à l’amélioration de la qualité. Si la céréaliculture, couvrant la moitié des superficies utilisées constituait l’activité agricole principale et l’essentiel de la production, il n’en demeure pas moins que la production a peu varié et ce, malgré des mesures d’encouragements adoptées en faveur des colons et tendant à accroître la production céréalière. En 1830, le vignoble existait certes, mais on cultivait surtout la vigne donnant le raisin de table, le vin n’étant que peu consommé car déconseillé par la religion musulmane. D’autre part, la vigne fut combattue par les viticulteurs métropolitains qui condamnaient les activités agricoles concurrentes. Il a fallu attendre 1875, année au cours de laquelle le vignoble français fut décimé par le phylloxéra pour que la production connaisse un haut niveau de développement aux mains des colons.

Histoire locale du vignoble témouchentois

Pratiquement inexistante au début, la viticulture est le seul fait du secteur moderne colonial. La vigne, richesse, splendeur et raison d’être de tant de paysages humanisés en Algérie, n’a connu sa grande fortune qu’après les années 1880 1900.

En 1930, le vignoble occupait 3.744 hectares ; en 1935 les superficies s’élevaient à 4.326 hectares pour atteindre en 1940, 4.727hectares.

Une étude fournie par les Services agricoles du département d’Oran montre que, sur une superficie totale en 1952 de 7.600 hectares, la surface des terres utilisées par l’agriculture a oscillé entre 6.467 et 7.514 hectares ; la presque totalité des terres de la commune est donc cultivée. En 1953, la commune d’Aïn Témouchent s’agrandit et les terres plantées en vignes couvrent 6.149 hectares qui sont la propriété de 132 récoltants. La production s’élevait à 357.082 hectolitres de vin. L’activité agricole est intense ; la commune compte parmi les premières productrices de vin de France et de ses colonies. La vigne est la principale culture qui couvre plus de la moitié du territoire, le vin produit est de fort degré et est particulièrement apprécié. L’extension du vignoble algérien apporte chaque année des millions d’hectolitres de vin de bonne qualité sur le marché français.  Les rendements étaient de l’ordre de 50 hectolitres à l’hectare.  La production était destinée principalement sinon totalement à l’exportation.  

Une concentration de bons terroirs

Avec ses atouts naturels, la région ne pouvait rester inoccupée. Le relief, le climat, la nature des sols, les ressources en eau concourent pour former un faisceau de conditions naturelles favorables à l’agriculture. Situé entre le massif de Terga  et celui du Tessala, le Plateau  d’Aïn Témouchent offre une diversité de sols peu épais, dans l’ensemble fertiles ; il jouit d’un climat méditerranéen et d’une série de niveaux aquifères; les eaux peu profondes et de bonne qualité ne  manquent pas. L’ensemble de ces conditions fait de la région une zone agricole privilégiée.

Une population sans cesse croissante

La position géographique d’Aïn Témouchent, au centre d’une région naturelle bien individualisée et au carrefour de routes importantes est certainement pour beaucoup dans le caractère particulier de la destinée de cette cité.

Dès le XIXe siècle, avec l’arrivée de contingents de population d’origines française, espagnole et italienne, les terroirs villageois environnants s’en trouvent transformés par la création de grandes propriétés coloniales, l’utilisation  des techniques agricoles nouvelles et la pratique d’une irrigation perfectionnée. Une ferme importante est édifiée dès le début de la colonisation et un chemin de fer reliant Aïn Témouchent à Oran est réalisé. Le 27 janvier 1869, le centre d’Aïn Témouchent fut érigé en commune de plein exercice.

 Sa population n’a cessé de croître depuis 1886. Elle était alors de 5.029 habitants. De 1887 à 1908, la ville a commençé à sortir des fortifications. Plusieurs quartiers sont créés. En 1901, on comptait plus de 6000 âmes et de 1906 à 1926 la population passe à 13000 malgré la guerre. De 1926 à 1931, la population témouchentoise va dépasser 17.200 et atteint 22.000 personnes en 1948. En 1962 sa population est estimée à 20 331habitants. Selon André Prenant (1976) « Les difficultés que connaît le vignoble au lendemain de l’indépendance (autogestion, arrachage de la vigne) entraînent en même temps la mise en sommeil des activités d’élaboration et de conditionnement situées en aval et affecte la ville de Témouchent et même les centres d’El- Melah, Hassi-Ghella, Hammam Bou Hadjar, El Amria déjà frappés par la désurbanisation liée au départ des populations européennes en 1962. Ce désinvestissement en hommes répond à un désinvestissement en moyens agricoles et agro- industriels jusque vers les années 1972 ». Mais, les années 1972-1973 semblent marquer un terme à cette phase de régression.  Comme le souligne A. Prenant « Aïn Témouchent et les centres semi-urbains connaissent une croissance plus marquée. La population s’est accrue de 13%, sans cependant atteindre le chiffre que lui aurait donné la conservation régulière de son croît naturel.  Le lancement de différents chantiers en 1973 (polyclinique, 2 CEM, une centrale téléphonique) et une entreprise communale, (la SOTRAAT) expliquent l’essor démographique véritable ». En effet, en 1977, la population d’Aïn Témouchent a  atteint 64 934 habitants.

De plus, la région se trouve fortement structurée et équipée en voies de communication ; le réseau routier est assez dense. Cette structuration est complétée par une ceinture d’agglomérations (Rio Salado, Er Rahel, Lourmel) correspondant à de gros villages de colonisation qui constituent des marchés importants pour une agriculture locale.

Une activité économique essentielle

En 1962, le système de culture témouchentois reposait essentiellement sur une spéculation : le vignoble représentait 60 000 hectares, produisait quelques 4 000 000 de quintaux et occupait environ 20 000 employés permanents.  Ce qui plaçait la région à la tête de la viticulture algérienne, avec une production qui représentait 25% de la production nationale et 40% des productions vitivinicoles de l’Ouest algérien.

L’activité de la vigne constituait l’élément essentiel de la vie locale et presque tout était subordonné à une bonne récolte; elle avait des répercussions dans toutes les branches de l’activité commerciale ; les commerces les plus importants sont ceux des vins et des alcools. Ces commerces sont secondés par une coopérative viticole, un syndicat agricole, une caisse régionale de crédit ; l’action de ces organismes ne se limite certes pas qu’à la commune, mais elle en est le centre. La coopérative viticole de distillation regroupe 300 adhérents récoltant plus de 1.000.000 d’hectolitres de vin. Elle utilise les sous produits des vendanges et des vinifications et fabrique notamment, plusieurs milliers de quintaux d’engrais provenant des marcs distillés.

Enfin, il existe à Aïn Témouchent une école d’agriculture possédant un domaine de 104 hectares permettant toutes les cultures de l’Afrique du Nord et comprenant notamment 25 hectares de vignoble de rapport, 4 hectares de vignoble expérimental comportant les principaux portes- greffes américains, les vinifères les plus intéressants, et 35 hectares de céréales ensemencés suivant un assolement rationnel. La Maison du colon d’Aïn Témouchent, véritable cerveau de l’agriculture, a joué un rôle immense dans les résultats heureux d’une culture qui entretient presque à elle seule l’existence de la majeure partie de la population. L’activité viticole constituait l’essentiel du fait urbain témouchentois et la richesse de la région. Il y a lieu de constater qu’Aïn Témouchent constitue un centre régional dont il faudra un jour tenir compte dans l’organisation générale du territoire. 

Après l’indépendance, une culture en crise : le vignoble et ses formes résiduelles

Compte tenu de facteurs divers qui tiennent à la qualité de l’héritage colonial, à la nature de l’environnement géographique, à la valeur des nouveaux responsables ; aujourd’hui, cette région n’est plus une zone exclusivement agricole comme elle l’était jadis. Confronté à de lourdes disparités léguées par l’exploitation coloniale, amplifiées depuis l’indépendance par les politiques de développement insuffisamment contrôlées, le paysage agraire est bouleversé. Cette région, telle que l’ancienne génération l’a léguée est un immense chantier : paysage, structure et peuplement, sont l’objet de transformations.

La base matérielle et la domination politique de la grande propriété foncière sont détruites, pour l’essentiel, dès 1962 et 1963.  Seule une faible minorité, travailleurs des fermes coloniales et paysannerie prolétarisée, élément clé du système avait accédé à un nouveau statut par la mise en place de l’autogestion. D’autre part, le transfert de savoir faire durant la politique coloniale est faible car il y a eu une grande rupture de générations et dans la culture de la vigne. On devine l’ampleur des changements opérés.  L’orientation agricole ne correspondait pas aux objectifs fixés à l’agriculture : satisfaire la consommation nationale.

La France dressait des obstacles de toutes sortes à l’importation des vins algériens. Les ventes portaient sur des quantités décroissantes d’année en année. En 1971, à la suite du conflit pétrolier les achats français sont totalement arrêtés. L’Algérie se lance alors dans une politique d’arrachage systématique du vignoble.

Selon une étude réalisée par des étudiants géographes en fin de cursus, le vignoble de la wilaya ne représentait que 8690 hectares en 1998 dont 1259 hectares de raisin de table et 133 hectares de champs pied-mère, ce qui représente à peine 6% de la SAU. Il se retrouve très étroitement localisé dans certaines zones plus sèches. La vigne n’est en quelque sorte qu’une « culture vestige ».C’est un vignoble vieilli de plus de 40 ans d’âge dont les rendements moyens restent faibles.

Les infrastructures vinicoles ont connu dans leur majorité le même sort : des 300 caves en 1962, il ne reste plus que 30 caves en 1998. Par ailleurs, les emplois dans l’agriculture, quelque soit leur degré de qualification, sont dévalorisés par rapport à ceux des autres secteurs – notamment par rapport au secteur pétrolier et à l’industrie en général – aussi bien du point de vue du prestige social que du point de vue des revenus matériels qu’ils procurent. Les terres labourables (céréaliculture) ne jouaient qu’un rôle d’appoint. Cet héritage était entièrement inadapté aux besoins actuels d’une population en augmentation constante.    

La réhabilitation en cours du vignoble

La reconstitution du vignoble apparaît comme un élément essentiel de la nouvelle politique agricole.  Plus que partout ailleurs, la reconstitution du vignoble témouchentois s’impose et ce, pour de nombreuses raisons : le climat et les aptitudes pédologiques s’y prêtent. Le climat est sain, la proximité de la mer apporte son influence et sa régularité de température sans ajouter une lourde humidité. La pluviométrie dont la moyenne atteint environ 400 millimètres et la présence de plusieurs sources d’eau sont génératrices de toutes les richesses agricoles.

La tradition viticole existe.  Cette région comporte des terres assez riches, une agriculture mise au point depuis des générations et une société paysanne dont les fondements sont un long enracinement à la terre. On note également, un aménagement intensif du terroir, que la colonisation et son corollaire la grande propriété algérienne ont réussi à pénétrer. La terre y est de statut le plus souvent « melk », c’est- à- dire privée. Elle a donc légué un secteur autogéré majoritaire, et également une propriété citadine de type féodal, largement atteinte par la révolution agraire. Les coopératives sont bien assises car les terres sont généralement fertiles.

Cet espace essentiellement passif, supportant et enregistrant les interventions de tous ordres les premières années de l’indépendance est actuellement le lieu d’une politique de relance agricole. Deux objectifs sont visés par la politique algérienne du développement de la filière : l’extension du potentiel productif viticole et l’augmentation du volume de production, notamment pour l’exportation.

Evolution et répartition actuelle des superficies viticoles

Des actions de remodelage sont initiées par les pouvoirs publics. Un programme national de développement agricole (PNDA) et un fonds national de régulation et de développement agricole (FNRDA) ont vu le jour. Le vignoble a été fortement encouragé.  Depuis 1998, les superficies ne cessent d’augmenter.  Elles sont passées de 986 hectares à 1935 hectares en 2000 / 2001 et ont atteint 3437 hectares en 2003 / 2004 pour la seule Subdivision agricole de la commune d’El-Amria. Les superficies ont plus que triplé. La répartition des exploitations agricoles telle qu’elle résulte des statistiques agricoles indique qu’il existe 146 exploitations agricoles collectives (EAC), 203 exploitations agricoles individuelles (EAI) et 474 propriétés privées. Une étude de la distribution du vignoble a pu être conduite à partir des registres de la Direction des services agricoles (D.S.A.). Elle donne pour 2003/ 04 les résultats suivants : 

Tableau n° 1 : Structure des exploitations agricoles (sans titres) de type   EAC et EAI

Classes

 De superficies

Nombre de

Propriétaires

 

%

Surface en hectares

 

%

Moinsde5 ha

64

26

 217

8

De 5 à 10 ha

92

37

 781

28

De 10 à  20 ha

79

31

1346

48

De 20 à 50 ha

14

6

 460

16

Total

249

100%

2 804

100%

Source : Subdivision agricole (Commune d’El-Amria) + enquête sur le terrain   (2003/2004).                              

Les superficies et la distribution des exploitations sont, pour des raisons bien connues et sur lesquelles il est inutile de revenir, différentes de celles du secteur privé. Cette structure met en relief une taille plus grande des exploitations : 37% des exploitants qui ont plus de 10 hectares détiennent 64% des superficies.

Tableau n° 2 : Le vignoble dans la propriété privée

Classes

de superficies

 

Nombre de propriétaires

 

%

Superficie  en hectares

 

%

Moins de 5 ha

24

38

91

   18%

De 5 ha à moins 10 ha

22

35

155

      31

De 10ha à 20 ha

16

25

222

44

De20ha  à 50ha

1

02

30

7

Total

 

63

 

100%

 

498

 

100%

           

Source : Subdivision agricole (Commune d’El-Amria) + enquête sur le terrain          (2003/2004).                                          

Le tableau N°2 révèle bien les inégalités. En effet, les propriétaires ayant moins de 10 hectares représentent environ 73 % du nombre total, mais possèdent 49 % du vignoble privé. A l’inverse, les propriétaires ayant plus de 10 hectares qui ne représentent que 17 % du nombre total détiennent 51 % des superficies viticoles privées.

Tableau n°3 : Bilan de la production viticole en 2003/2004

 

         Espèces

Superficies en hectares

Production en quintaux

Rendements

quintaux / ha

2000/2001

2003/04

  2000/2001

2003/04

2000/2001

2003/ 04

Vigne de Cuve

858,5

3211,5

21 450

33 369

25

34

Vigne de Table

121,5

225,5

 

7 645

45

55

Raisin sec

-

-

-

-

-

-

Source : Subdivision des services agricoles (SDA : Commune d’El-Amria).

Si on considère les types de raisins produits, il apparaît que le raisin de cuve domine avec 3211,5 hectares des superficies complantées en 2003/04. Depuis la mise en œuvre du Fonds national de développement agricole (FNDA) et aussi grâce à la politique de relance de l’Office national de commercialisation du vin (ONCV), le raisin de cuve,   progresse plus vite que le raisin de table; les superficies ont plus que triplé. Le raisin sec est pratiquement inexistant.

La wilaya compte déjà 21000 hectares et devait atteindre les 50 000 hectares dans un proche avenir. Comme nous pouvons le constater, l’accroissement de la superficie viticole n’entraîne pas forcément une réelle augmentation. La production reste faible, il est vrai, les plantations sont encore jeunes, mais l’évolution se fait très timidement au regard des potentialités réelles et des investissements engagés par les pouvoirs publics.

La difficile réhabilitation du vignoble témouchentois

Selon l’avis de certains responsables avec qui nous nous sommes entretenus, la médiocrité des résultats s’explique par le mauvais choix des cépages. En effet, la Commission technique de l’agriculture jeta son dévolu sur quelques cépages et sans se demander si ceux-ci pourraient être commercialisés dans les meilleures conditions. Or le programme d’encépagement est d’une importance extrême, voire capital puisque c’est lui qui déterminera la sorte de marchandise devant être mise sur le marché. La livraison de cépages de qualité, (supportant les manutentions, les attentes, le transport) et ayant des époques de maturité différentes, est indispensable ; ce qui permettra non seulement de ne pas surcharger le marché, mais également les caves dont la capacité s’avère déjà assez réduite. Bon nombre d’erreurs auraient pu être évitées.

a. Souvent les ceps sont mal formés

Les ouvriers chargés de la taille, n’ont pas été préparés sérieusement à la tâche et commettent des fautes graves comme les ravalements de vieux bois. Mais surtout, étant constitués en équipes ambulantes qui ne reviendront guère sur les lieux, ils n’ont pas le moindre souci d’une taille de formation à suivre d’année en année.

b. Les mélanges variétaux

Des cépages différents évoluent sur une même parcelle, ce qui ne peut que compliquer la tâche du ramasseur. D’autre part, les producteurs plus particulièrement les propriétaires privés considèrent que le coût de production est trop élevé. La culture est trop exigeante en soin et en main d’œuvre, ce qui conduit à une certaine négligence (opérations culturales non réalisées et parfois des parcelles entières sont délaissées). Il est bien évident que cette conduite illogique donne lieu à des fluctuations de la production.

c. Standardisation du travail

La raréfaction de la main d’œuvre, surtout spécialisée, l’extension de la monoculture et la recherche d’un coût de production moins élevé ont amené les vignerons à adapter la conduite du vignoble aux impératifs de la standardisation du travail.

Le manque de statistiques ne nous permet pas de dresser un tableau de qualification des fellahs ; néanmoins selon des enquêtes menées au niveau des exploitations agricoles, on peut dire que la majorité des viticulteurs est sans qualification et remplit surtout des fonctions d’ouvriers agricoles. Ils ne connaissent de l’agriculture que ce qu’ils ont appris par la tradition. L’éventail des qualifications est relativement fermé.

Le niveau de formation  est très bas; issu pour une bonne partie de l’agriculture dite   « traditionnelle », aucun mécanicien ou conducteur d’engins n’est diplômé;  les chefs de cultures, tailleurs, greffeurs, formés sur le tas n’ont pas toujours suivi de stage de perfectionnement. Le personnel technique (rattaché à l’administration locale) susceptible d’avoir une qualification ne fait pas partie du collectif des agriculteurs et n’est pas toujours présent. Il n’intervient que rarement ou parfois trop tard. Les techniciens de l’agriculture sont peu appréciés par les agriculteurs : ces derniers les supportent mal et l’encadrement est trop peu stable pour que puisse s’instaurer une ambiance favorable au travail. L’absence de personnel qualifié constitue une contrainte assez forte au développement de la vigne.

Initialement la reconstitution du vignoble reposait sur la plantation de portes greffes d’importation, actuellement, les nouvelles plantations sont le plus souvent le fait de plants locaux. Il se trouve parfois, que le choix d’une disposition et d’une densité de plantation répondent uniquement au souci d’exploiter au maximum les possibilités de production du vignoble. Or, la mise en place de la jeune vigne doit se faire dans un sol sain, ameubli en matière organique et en éléments fertilisants. Les emplacements des ceps sont marqués à l’aide de petits piquets de bois, que l’on doit choisir assez longs et assez solides pour servir de tuteurs aux jeunes plantes pendant au moins la première année. La répartition des souches doit être aussi régulière que possible. L’orientation des lignes, dans les vignobles palissés, peut avoir une influence sur l’exposition au soleil, donc sur la production; elle est parfois   imposée par la forme des parcelles et par la pente du terrain, mais le plus souvent elle est ignorée. 

La vigne et les autres types de cultures (herbacées) n’ont nullement les mêmes exigences. Ces dernières, une fois semées, ne demandent plus qu’à être surveillées ; la vigne, au contraire, veut qu’on entretienne constamment son sol, qu’on la greffe, qu’on la taille, qu’on la palisse, qu’on la traite contre les parasites ; chaque opération doit y être faite à son heure, et le moindre retard peut en compromettre soit sa croissance, soit la récolte. Les plants de vigne exigent, dès les premières années de culture, des soins assidus.

Malgré la présence de techniciens viticoles et de la Commission technique, pour veiller à ce que l’on intervienne au moment voulu et prévenir, ou du moins corriger à temps, les erreurs commises sont fréquentes et entraînent des retards dans les travaux. Retards imputables maintes fois à un motif dont l’administration agricole n’est en rien responsable, à savoir la lenteur avec laquelle les crédits du Fonds viticole sont octroyés. Ceux-ci arrivent souvent plusieurs mois après la date prévue.

Une telle carence se reproduit à plusieurs reprises et sur un vaste terrain ; il est difficile pour que l’administration puisse y remédier par des avances effectuées sur son budget. L’organisme chargé du financement, la Caisse régionale de mutualité agricole (C.R.M.A) ne pouvant agir sans l’assentiment des responsables concernés (Ministères de l’économie, de l’agriculture) et aucun crédit ne peut être débité sans la signature conjointe des ministres.  Or, le travail au sol et le désherbage sont des opérations culturales coûteuses mais nécessaires. Le docteur Jules Guyot en 1861 notait que « La propreté absolue et permanente du sol depuis les premiers mouvements de la sève jusqu’à la récolte, est la première condition de la santé, de la fécondation, de la fertilité et de la maturation du raisin. »

d. Le greffage exige une main experte et professionnelle

L’obtention des plants greffés soudés est onéreuse ; c’est un ouvrage de spécialiste. La technique du greffage exige un travail et des soins importants pour des résultats parfois médiocres. Le prix élevé des greffes, pousse parfois les viticulteurs à pratiquer eux- mêmes le greffage et les incitent à recourir au mode de greffage en place : le greffage à la mayorquine. Pratiquée par une main d’œuvre stable et aisément contrôlable, la greffe en place présente, il est vrai, de sérieux avantages (meilleur enracinement, sélection plus facile etc.). Mais les inconvénients qu’elle comporte pour l’organisation du travail dépassent de loin les dits avantages. Les greffeurs vont quérir les greffons au petit bonheur, là où l’on veut bien leur en remettre. Trop souvent, on ne sait maintenir séparés clairement désignés les fagots de sarments de chaque variété prélevée. Et, souvent, les greffeurs mélangent tout. En outre, cette pratique doit se concentrer sur une période assez brève (septembre) ; elle oblige à recourir à un fort effectif d’équipes ambulantes, dont le travail ne peut être suivi qu’au prix de déplacements nombreux, en un laps de temps assez court. A défaut d’un contrôle suffisant, les greffeurs, payés à la tâche, ont trop intérêt à escamoter leur besogne, que plus d’un connaissent mal. Ils ne reviennent d’ordinaire plus sur les lieux, et ne s’inquiètent guère des conséquences de leur négligence. Et la mauvaise qualité du travail des greffeurs, venant ajouter ses effets à celui du mélange de variétés n’ayant pas un même rythme de croissance, est la cause d’une grande irrégularité dans la reprise au greffage. La greffe pratiquée sur de jeunes sujets exige une main experte, qui se fait rare de nos jours.  En outre, la vigne greffée, est trop avide d’eau et appelle des interventions fréquentes.

e. La commercialisation : nécessité d’une étude de marché

Selon l’expression de P. Moati et P. Rainaut (1970) « Produire ne suffit pas, il faut encore vendre ». En effet, les grands vignobles ne dépendent pas seulement de leur sol nourricier, d’une main d’œuvre experte, de techniques éprouvées, mais aussi de marchés et bien souvent de marchés extérieurs; ils le commandent, le limitent à distance, font sa grandeur ou sa misère.

Le marché international du vin est lourd, quelles qu’en soient les améliorations momentanées ; la production s’accroît plus rapidement que la consommation. Et l’Union européenne fait peser l’incertitude sur l’avenir des débouchés des vins. Il y aurait imprudence à ne vouloir compter que sur l’exportation vinicole, l’expansion du raisin de table peut être envisageable. Néanmoins il importe d’en assurer l’écoulement ; pour cela, il faut s’en tenir aux meilleures variétés de raisin de table. Tout ceci doit être suivi par un organisme de marketing éventuellement. Surtout lorsqu’on connaît les changements mondiaux concernant le commerce en général et ceux des spiritueux en particulier, où la concurrence des pays producteurs fait rage. L’étude des marchés est une science qui n’a guère pris d’essor jusqu’ici.

Il faudrait développer le raisin sec, d’autant plus que ce produit encore importé aujourd’hui tient une place dans la cuisine algérienne. On pourrait donc lui consacrer de vastes superficies et introduire aussi le raisin sans pépins qui a la préférence du consommateur.

Culture rémunératrice par excellence ; en trois ans elle paie les frais qu’elle nécessite et le revenu du capital de création ; en cinq ans, elle peut rembourser en une seule récolte l’argent qui a servi à la plantation et à l’acquisition du sol.

Réorientation   spéculative : des cultures mieux adaptées

Malgré l’augmentation des investissements et un système généreux de crédit, le vignoble se heurte à de grandes difficultés. L’observation permet de constater que ces terres agricoles ne sont pas mises en valeur de manière intensive.

Les pouvoirs publics décident alors de l’arrachage des cépages dits déclassés en particulier la variété « Merseguerra » qui couvre une superficie de 700 hectares à travers la wilaya. Les organismes de transformation refusent quant à eux d’acheter la production. Ce qui pousse les viticulteurs à délaisser cette variété, devenue non rentable.  Pourquoi cette négligence ? Les causes n’en sont pas uniquement matérielles La cause profonde semble de nature psychologique. En effet, ce qui a disparu, c’est la motivation de la peine supplémentaire que les meilleurs agriculteurs donnaient à leur terre. Par ailleurs, le bon prix du raisin assuré par l’Etat incitait à multiplier les soins, et particulièrement chez ceux qui par la taille de l’exploitation pouvaient en tirer le plus grand profit. Puis le blocage des prix après 2005 a touché ceux qui dépendaient le plus de la viticulture, surtout les détenteurs de cépages dits déclassés (Merseguerra et Cinsault) c’est -à dire ceux qui n’avaient pas d’occupation secondaire. L’évolution, commencée par découragement, se poursuit par nécessité.

La démoralisation affecte les viticulteurs et l’angoisse mine le moral de l’agriculteur dont le métier apparaît dès lors dérisoire. Les investissements agricoles privés, sinon publics, ayant tendance à se tarir, les exploitants vivent dans l’incertitude constante du lendemain; ils hésitent à acheter du matériel et craignent que de nouvelles décisions soient prisent par les autorités. Cette anxiété est ressentie surtout par les exploitants de 40 à 50 ans, encore jeunes pour aspirer à une quelconque retraite, mais ne souhaitant pas se reconvertir ou changer de région. Aussi, voit-on aujourd’hui de plus en plus les agriculteurs (viticulteurs) préférer l’assurance d’un emploi non agricole à l’intensification de la culture, et se joindre à la masse des alternants. Aujourd’hui, le viticulteur s’engage volontairement dans l’engrenage de l’alternance, qui le pousse à donner à sa terre une part toujours moins grande de son travail. Les mécontentements sont grandissants, la grogne des viticulteurs se fait sentir et plusieurs parcelles sont délaissées.

C’est ainsi que pour la seule campagne 2003/2004, l’opération d’arrachage a touché 32 exploitations et une superficie de 197 hectares de vieilles plantations (Merseguerra) et 14 exploitations avec 70 hectares de jeunes plantations dans la seule commune d’El Amria. Des opérations de surgreffage sont accordées pour les jeunes plantations. Elles bénéficieront du soutien de l’Etat à raison de 45 000 dinars par hectare, soit l’équivalent de 20 dinars par plant. Ces opérations de remplacement du cépage Merseguerra par des variétés à haut rendement sont conseillées par l’Institut technologique agricole de formation viticole (ITAFV). Selon les autorités ces opérations d’arrachage se poursuivront et concerneront d’autres variétés tel que le Cinsault. Certains optent pour la céréaliculture, d’autres louent leurs exploitations, devenant ainsi des "propriétaires salariés". La situation la plus pénible n’est pas bien entendu celle des plus gros exploitants dont la marge bénéficiaire reste suffisante.

La campagne et le viticulteur témouchentois se métamorphosent progressivement

C’est bien l’Etat qui a déclenché tout le mouvement social qui modifie à vue d’œil la vie des campagnes. D’autant plus que l’action de l’Etat ne se borne pas à l’organisation du travail agricole, mais il fait en sorte que la vie des villages puisse bénéficier de tous les avantages que le développement de la science moderne met à notre disposition.

C’est grâce aux organismes nationaux que la réforme sociale et l’organisation ont pu se faire. Enfin, c’est aussi la vigne, culture de haut rapport, qui permet aux viticulteurs d’accéder à un niveau de vie supérieur et induire des changements significatifs. Ces transformations de la vie rurale ont un effet sensible, particulièrement sur la structure démographique rurale. Les ruraux cessent d’être essentiellement des « paysans viticulteurs »; la population rurale active, est constituée, non pas que par des agriculteurs, mais également des instituteurs, des techniciens, des travailleurs urbains, etc.

Même dans les structures familiales, les transformations sont radicales. En effet, avec la socialisation des terres, l’ancienne base économique de la famille, l’exploitation familiale individuelle, n’existe plus, ou du moins est-elle très rare; dès lors, l’ensemble des relations sociales subit de profondes modifications. Le patrimoine foncier ne comptant plus, ce n’est plus le père de famille qui domine en tant que propriétaire de la terre et des outils ; en tant qu’organisateur du travail, il ne possède plus le droit de disposer de tous les membres de la famille. Dorénavant chaque membre de la famille, devenu autonome, travaille pour son propre compte sur l’exploitation, dans les ateliers annexes ou à la ville ; chacun peut imposer sa manière de voir et sa volonté, en fonction de son apport au budget commun de la famille. Entre vieux et jeunes, les rapports psychologiques différent du tout au tout, et l’ensemble des coutumes et habitudes réglant la vie familiale et ses relations avec la société globale se cristallisent lentement, selon des structures toutes autres que les traditionnelles, sans toutefois ressembler à ce qu’elles sont à la ville.

Les jeunes suivent l’école élémentaire ; l’accès aux lycées et écoles professionnelles leur est ouvert. D’ailleurs grâce aux mass média, ces ruraux ont une image toujours actualisée de la vie moderne et grâce à l’animation au sein des cafés  et des centres de rencontre qui existent dans les villages, ils peuvent prendre part à la vie culturelle du pays. La grande masse des ruraux n’a guère besoin de se rendre en ville pour avoir le même désir, l’introduction de la télévision dans les foyers permet d’avoir une idée de ce qu’est le style de vie dans les villes, non seulement du pays mais aussi du monde entier.

C’est un spectacle fort intéressant que celui de ces villageois, parfois très isolés, où les hommes s’habillent avec ce qu’ils achètent dans les  grands magasins et boutiques  et parlent de la même façon qu’à la télévision et comme on le leur a enseigné à l’école. En un mot, on s’y déruralise tout aussi bien que dans les villages de la zone proche des grands centres urbains. Le rythme y est certainement plus lent. On fait tout le nécessaire pour que s’élève le niveau de vie économique et culturel du village de manière à ce qu’il corresponde le plus possible à celui des citadins, sans pour autant imiter ces derniers en tout point, mais en adaptant la technique moderne aux conditions locales de la vie rurale. 

De façon plus générale, l’aménagement des campagnes conduit à une certaine uniformisation de l’habitat. Les maisons en pierres ou en briques sont de plus en plus nombreuses. De nouvelles maisons remplacent les anciennes. Le relèvement général du niveau de vie sur le plan économique entraîne une première amélioration, la maison est entièrement en dur, le nombre de pièces disponibles varie selon l’importance du ménage. Le mobilier est très sobre, mais moderne. La cuisine possède le gaz en bouteille et l’électricité. On les voit s’équiper en machines et en outillage domestique moderne. Il est intéressant de noter que la maison rurale présente un double caractère : elle témoigne d’une modernisation indiscutable du cadre de vie ; elle s’inscrit aussi dans la ligne traditionnelle quant à la réalisation d’aménagements typiques comme les galeries et les vérandas. Elle reproduit les grandes structures anciennes en augmentant considérablement la surface habitable et en optant pour des matériaux de construction solides.

Conclusion 

Tout au long de son histoire, la production viticole, a enrichi le négoce, mais a également fait et défait la fortune des viticulteurs. Des facteurs techniques, économiques, politiques et sociaux en ont fait une spéculation attrayante, mais hasardeuse, tout au moins en système de monoculture. Si l’ont veut restaurer ce que la main de l’homme, plus que le temps, a terni et réhabiliter une culture qui constituait dans un passé très récent la richesse du pays, une attention soutenue et une lutte constante sont nécessaires. 

La reconstitution du vignoble est complexe et délicate à conduire. Le raisin, (le vin) est une denrée, coûteuse, volumineuse, et périssable. Pour éviter et remédier aux crises résultant de cet état de fait, une législation viticole et vinicole doit être instituée. L’improvisation comporte de trop grands risques. C’est ainsi que l’on a planté parfois n’importe quel porte- greffe sur n’importe quel terrain, dans des creux de plantations de faible profondeur. Que l’encépagement s’est effectué la plupart du temps au hasard, que l’on se contente  de taille  de gobelets formés n’importe comment, et que l’on continue dans le même mode de greffage bien que les inconvénients se fassent sentir toujours plus lourdement. Le choix des sols et l’exposition trop sécharde d’une part, le retard dans les plantations et travaux d’entretien (binage, buttage, débuttage, désherbage) trop tardifs  d’autre part, peuvent provoquer des échecs sans rémission. Le vignoble appelle des interventions fréquentes ; il doit être constamment sous le regard de son maître pour que travaux et surveillance s’en trouvent facilités. Celui-ci doit voir aussitôt les moindres attaques d’insectes ou de maladies et faire suivre au rythme rapide exigé par la vigne, taille, entretien du sol, palissage, traitement et récolte…  

La vigne possède, deux caractéristiques : sa longévité qui équivaut à celle d’une génération active moyenne de 40 ans et sa culture intensive (plus l’exploitation viticole est réduite, plus la vigne est maintenue en place longtemps). L’efficacité sociale et la rentabilité globale du développement seraient considérablement améliorées – en particulier dans l’agriculture - par la multiplication massive d’actions d’équipement et de production de taille réduite, utilisant des techniques simples.

Malgré le dynamisme nouveau apporté, la dévalorisation du secteur agricole demeure encore.  Il faudrait inverser la situation pour obtenir qu’une bonne partie au moins de la jeunesse s’engage avec foi et enthousiasme au service du développement rural et agricole. Pour mobiliser les réserves du secteur rural, les choix techniques doivent correspondre aux caractéristiques économiques et sociales de chaque région et modifier éventuellement le système en fonction de l’évolution de ces caractéristiques. Pour tirer parti au maximum, et à tous les niveaux d’organisation, de multiples possibilités d’actions sont offertes. Il s’agit de cultiver le vignoble de manière moderne, de prévoir, définir exactement les objectifs à atteindre et d’organiser le travail. Il faut trouver le temps de participer aux séances de travail de la Commission de la viticulture, revoir les questions soulevées par la reconstitution du vignoble et accorder une place déterminante à la vulgarisation. Les différentes initiatives visant à atténuer ou résoudre les problèmes du vignoble ne peuvent être effectuées, si elles ne sont pas réalisées dans un cadre agricole adéquat, s’appuyant sur des méthodes appropriées pour la création d’espaces viticoles, conciliant les objectifs de production et de densification avec la qualité du produit.

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