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A propos du statut social de l’enfant : une enquête en milieu scolaire

Insaniyat N°41 | 2008 | Enfance et socialisation | p.53-66 | Texte intégral


Concerning child social status: what a study reveals

Abstract: Starting from the fact that violence is regularly perpetuated by educators on primary school pupils, we investigated by interview in several Oran schools. We started on the internal school rules concerning the principle rules to be respected. If the discourse generated from these rules essentially concern prohibition, the question was to know if any place existed for child rights in the school institution? In what way the pedagogical organisation of an establishment and the educative practices allow the children to express themselves freely and to have some responsibilities? Our contribution   puts the emphasis on some educators’ representations and practices relative to child/pupil social status.

Keywords: childhood - educators - social status - rights - obligations -autonomy.


Aicha BENAMAR : Maître de recherche, Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


Dans le système scolaire, malgré les nombreuses réformes pédagogiques et les efforts indéniables déployés par les éducateurs en vue de rendre les élèves plus autonomes[1] et par conséquent plus responsables, le règlement intérieur de l’Ecole, centré essentiellement sur les règles à faire respecter[2], autrement dit les contraintes et les obligations[3], vise depuis toujours deux buts : « assurer l’ordre et le silence et prévenir les accidents et maladies »[4]. Si les discours générés par ce règlement intérieur portent essentiellement sur les interdits, existe-il une place quelconque pour les droits de l’enfant dans l’institution scolaire? En quoi l’organisation pédagogique des établissements et les pratiques éducatives permettent-elles aux enfants de s’exprimer librement[5] et de prendre quelques responsabilités ? Dans les instructions officielles « l’éducation à la citoyenneté » semble occuper depuis quelques temps une place de choix; la question est de savoir comment cette éducation est-elle perçue par les enseignants? Tout a commencé, dans ce travail, par des questions fort simples a priori, posées à des éducateurs[6] : qu’est-ce que l’enfance? Quels sont les droits de l’enfant à l’école? Ne faut-il pas prévoir les modalités d’exercice de ces droits dans le règlement des classes puisque le règlement intérieur de l’établissement demeure inchangé depuis des années?

I. L’Enfance dans les représentations des éducateurs

En formulant l’hypothèse que le discours est le milieu naturel par excellence des représentations sociales[7], nous avons encouragé, la production de ce discours. Une enquête menée auprès de cinquante six éducateurs[8] à Oran, montre de grandes disparités dans les représentations de l’enfance. Notre étude a consisté à faire émerger ces représentations de quelques unités discursives recensées. Les données ont été recueillies par entretiens individuels semi-directifs d’une durée ne dépassant pas dix minutes. Cette durée relativement courte a été retenue pour deux raisons: obtenir l’accord des éducateurs peu enclins à prendre le temps de confier leurs conceptions et éviter les discours convenus. Pour examiner les représentations des enseignants, l'analyse de la langue orale a été privilégiée puisque, contrairement à celle de l'écrit, elle a l'avantage de donner une place aux ratages, aux répétitions, aux hésitations, aux reprises, aux bafouillages, qui sont autant de lieux de signifiance laissant lire en filigrane les non-dits.

I.1. L’enfance : une étape de développement

La notion et le concept d’enfance, relativement récents, ne datent que du XVIIe siècle[9]. L’enfance constitue désormais un objet socialement construit, soumis à des variations, y compris au sein de la même culture ; ce qui implique des attitudes, des sentiments, des pratiques éducatives différentes à son égard. Si Rousseau (1762) a formé une image résolument positive de l'enfant porteur de valeurs diverses[10], Chombart de Lauwe M.-J., (1979), a créé un véritable mythe de l'enfance. Et si l'enfant est, en partie, un produit de l'école, qui en le séparant du monde adulte fait émerger sa spécificité (Ariès, 1973), en quoi consiste donc cette spécificité ?

Ce qui est souvent dit de l’enfance exprime plutôt  la représentation que l’adulte se fait de l’enfant; c’est-à-dire du rôle que lui attribue la société. Les représentations de l’enfant, affirme Chombart de Lauwe M.-J. (1989), pourraient constituer un excellent test projectif du système de valeurs et des aspirations de la société. Elles caractérisent, selon l’auteure, ceux qui les expriment et ceux qui les désignent. En parlant de l’enfant, l’adulte ne parle-t-il pas en même temps de lui ? Ne fait-il pas référence à lui-même faisant dès lors de l’enfant un objet de projections adultomorphiques ?

Ce qui ressort des différents discours, c’est que l’enfance est une étape de la vie d’une personne sur laquelle on « agit » afin de la développer, de la rendre autonome.

L’enfant à l’école est un élève (un écolier) perçu individuellement ou en groupe-classe. Il est présenté, par la plupart des enseignants, comme une personne inter-dépendante du système scolaire dans lequel elle s’inscrit. La représentation « l’enfant-petit adulte » n’a été repérée que trois fois dans les propos recueillis. Néanmoins elle fait partie des représentations collectives et fonctionne avec plus ou moins d’intensité. L’enfant est considéré, par certains, comme une réduction de sa propre personne ; « il fait tout moins bien, en plus petit » et la logique d’une telle affirmation veut dire que c’est l’enfant qui doit s’élever à l’état adulte. La représentation de « l’adulte en devenir » est évoquée fréquemment. Pour la majorité des enquêtés, en revanche, l’enfant est une personne avec des caractéristiques inhérentes à la vie humaine qui se traduisent de manière différente, et ce, avec plus ou moins d’intensité selon les âges. Cette représentation, se fondant sur la condition humaine, entraîne une nouvelle piste de recherche qui suppose que tout enseignant  devrait d’abord clarifier ses conceptions sur l’homme, la personne, et les notions  d’autonomie et de responsabilité.

« La première chose, affirmait une enseignante, c’est de ne pas réduire l’enfant à un petit adulte ; il s’agit dit-elle, de le considérer comme original par rapport à l’adulte. Le comportement des enfants n’est pas simplement de l’imitation du comportement des adultes, parce qu’ils ont vu et ils répètent, mais aussi parce qu’ils ont déjà des capacités de raisonner et de participer aux décisions ». « Ma raison d’agir, ajoute une autre enseignante, c’est pour développer l’autonomie ». Ce mot magique[11] est souvent répété avec des significations aussi diverses que contradictoires. « Enfance réelle, enfance imaginaire, enfance authentique, enfance idéalisée, cet état transitoire pour chaque être »,  affirmait un inspecteur poète à ses heures, « finit dans le processus de mythisation par devenir une autre façon d’exister, en fonction de laquelle tout l’environnement reçoit des gratifications particulières ». L’enfance apparaît comme une réalité pluridimensionnelle, s’inscrivant dans un processus  dynamique d’interactions constantes.

L’enfant est perçu comme un individu en état de changement du fait de sa croissance, son développement, de ses acquisitions scolaires, vivant à chaque instant son présent tout en étant en devenir. La nature sociale de l’enfant, affirme De Singly F., (2004 ; 2007), est d’être double : être petit mais aussi être un individu comme les autres méritant d’être traité avec le respect propre à toute personne. Cette dualité est complexe à gérer pour les enfants, les éducateurs, les adultes ; d’où la nécessité, selon l’auteur  de respecter l’enfant à un double titre et lui demander le respect dû à l’adulte[12]. Cette dualité, à laquelle se confronte l’enfant, existe aussi chez l’adulte qui a comme défi de dépasser sa définition statutaire et de ne pas se reposer sur sa position sociale afin de créer sa propre vie.

I.2. L’Enfance : un état de dépendance

La notion de dépendance occupe une place centrale dans la définition sociale de l'enfance, en structurant le rapport de l'enfant aux adultes en général, éducateurs, parents, et ce, même si les formes de dépendance varient selon les institutions, les milieux, les cultures, l'expérience des individus, le sexe et l'âge de l'enfant. Selon Quentel J.-C., (1997) l'enfant ne tient son statut qu'au fait qu'il s'inscrit totalement dans l'histoire de l'autre. Il se définit spécifiquement comme "dimension de la personne", dont il constitue la source permanente. De nombreuses assertions d’enseignants gravitent autour des idées de dépendance, de protection,  d’infantilisation et d’infériorité sur le plan de la force physique:

- « Je crois  qu’il y a une différence entre l’enfant et l’adulte, une différence d’âge ». Cette différence est expliquée, par l’auteure de ces propos,  par une spécificité physique et physiologique reconnue et surtout par une fragilité  nécessitant un contrôle de tous les instants.

- « L’enfant  a moins conscience du danger » ; aussi a-t-il besoin de la présence de l’adulte pour compenser cette « inconscience sécuritaire », ajoute une enseignante.

- « L’enfant et l’adulte n’attribuent pas à leurs actes les mêmes conséquences ».

- « Ma raison d’agir sur l’enfant  peut s’expliquer par mon désir  de le rendre autonome ». L’enfant n’est jamais pris au sérieux, affirme cette autre enseignante; on a tendance à l’infantiliser, bien souvent, sous prétexte qu’il est petit et qu’il ne comprend pas tout.

« Nous voulons que chaque enfant/élève reconnaisse dans les situations qu’il vit en classe tous les jours le schéma d’une condition  spécifique à tous les enfants en Algérie et ailleurs ; schéma d’éducation et de protection ». Cette assertion est loin d’être anodine : elle sert à renforcer le pouvoir de l’enseignant sur la surveillance et le contrôle de  toutes les activités enfantines et la relation de dépendance autour de laquelle un consensus semble établi.

Toute l'expérience scolaire et sociale des enfants est structurée par cette dépendance ; certains l'acceptent comme une évidence de la nature et d’autres (moins nombreux) la contestent. La vie de l’enfant semble mue par cette dialectique entre dépendance et indépendance relative. Pour Corsaro W. A., (1997), la culture enfantine telle qu'elle est produite, socialement entre pairs, permet d'accéder à la façon dont l'enfant aménage la situation qui lui est faite, tente d'exercer un contrôle sur sa vie avec ou contre les adultes.

L’école, affirme une enseignante, permet à l’enfant d’accéder à l’autonomie, laquelle bien entendu  ne s’enseigne pas mais se vit et se pratique comme un savoir-être, une attitude, une valeur à développer. Elle est présentée comme une façon d’être, de décider, de penser et de s’exprimer, constituant une condition favorable pour que se mette en place la socialisation de l’enfant ; constituant in fine  une condition de réussite scolaire et d’adaptation.

Des confusions sont par contre relevées entre autonomie et débrouillardise et également entre autonomie et laisser-faire systématique. Pour certains enseignants un élève autonome n’est ni sage ni docile. Il fait preuve d'indépendance, qui se passe de l'aide d'autrui ; il   fonde son comportement sur ses propres règles qui peuvent entrer en contradiction avec celles imposées par l’institution.

Etre autonome, affirme un inspecteur ne prend véritablement sens qu’en étant social, c’est-à-dire en établissant des relations et en étant ouvert aux autres. Tous s’accordent à dire que l’autonomie est intégrée aux objectifs éducatifs, depuis toujours. La question est de savoir si cet objectif est réalisé par tous et à quel degré?

Nous avons voulu savoir si la notion d’autonomie revêtait le même sens pour tous, car pour l’évaluer[13] il est nécessaire d’utiliser les mêmes indicateurs. Les analogies plus ou moins explicites, qui ont jalonné les réponses, établies entre « autonomie » et « prise de responsabilité », constituaient un ensemble de significations partagées entre les enquêtés ; mettant en évidence le caractère normatif et prescriptif de leurs discours respectifs.

Quand il s’agit de savoir pourquoi développer l’autonomie en classe, les réponses obtenues sont par contre plus mitigées : si pour certains l’autonomie apparaît comme un élément déterminant pour « l’épanouissement », « l’acquisition de méthodes de travail » et « l’affirmation de la personnalité», pour d’autres le mot « autonomie » est magique ; il réfère à un concept « mou » voire « creux », ne signifiant  pas grand-chose dans la réalité scolaire. Certains reconnaissent qu’il s’agit d’abord et avant tout d’une déclaration de principe. Quand l’autonomie correspond à « la faculté d’inventer des solutions à tout moment» elle est dite bénéfique mais quand elle apparaît comme «la capacité de remettre en cause  ce qui est autour de soi » elle semble constituer un danger pour la discipline scolaire.

Si rendre autonome, c'est céder une partie de son pouvoir (De Vecchi G., 1992), on se demande si les enseignants au primaire sont prêts ou aptes à le faire? Pour ce faire, affirme l’auteur : « il faut commencer par respecter réellement les élèves et les associer aux  décisions, quel que soit leur âge ». Le partage du pouvoir avec les enfants n'est possible que si les enseignants ont eux-mêmes un réel pouvoir sur leurs actes éducatifs  et leurs pratiques pédagogiques ; autrement dit s’ils disposent d’un espace de créativité au plan méthodologique. L’assujetissement relatif de l’enseignant à l’inspecteur est souvent évoqué. Comment  rendre l’élève autonome si soi-même on ne l’est pas ? Si l’on croit Mendel G., (2002), les enseignants « ne peuvent renoncer à l'autorité et à défaut d'avoir un pouvoir individuel et surtout collectif sur le contenu de leur acte éducatif, il ne leur reste plus que le pouvoir sur leurs élèves ».

II. L’Enfance: un statut relatif  et polymorphe

Bien que le terme de statut soit couramment employé de nos jours, nous devons probablement remarquer que son utilisation peut aller des pratiques les plus restrictives, très codifiées à une conception globale de la  catégorie concernée. En effet, le terme « statut » revêt sous une même formulation et dans une même réalité, plusieurs niveaux de sens que nous essaierons d’approfondir à travers l’analyse d’un corpus constitué à partir d’unités discursives recueillies auprès des éducateurs enquêtés. Le premier niveau comporte un aspect juridique: selon lequel le statut constituerait un ensemble de lois concernant l’état et la capacité de l’enfant. Le second niveau, relativement diffus en apparence, comporte une dimension psychosociologique qui traduit les effets constants entre l’enfant et son environnement social (familial et scolaire).

Lorsqu’on fait référence au juridique dans l’appréciation du statut de l’enfant on est immédiatement renvoyé à tout ce qui a rapport au droit dans son sens légal reconnu et codifié par les règles imposées par la société. Ces règles sont souvent formulées dans des textes de lois sur lesquels nous nous sommes appuyée au cours de notre analyse[14]. Le second sens que nous avons analysé est le niveau psychosociologique, inhérent aux pratiques d’autonomie et de responsabilité, autrement dit aux interdits, droits et devoirs des enfants dans leur environnement scolaire.

Les nombreuses contradictions qui caractérisent actuellement le statut de l’enfance se cristallisent sur deux tendances extrêmes que nous pouvons qualifier d’«orthopédique»[15] et de «pédocratique»[16]. La première tendance se fonde sur la discipline de l’enfant/élève, son obéissance, son calme (et/ou silence), sa droiture et son immobilité, dans un contexte de dépendance. L’enfant ne participe aucunement à la prise de décision. Il n’a aucune liberté de parole. C’est toujours l’adulte qui décide seul. Les effets de la forme droite ne se sont-ils pas présents dans l’organisation de l’espace : rangées, alignement, tenue droite… ? La seconde tendance est tout l’inverse de la première: au silence s’oppose la parole, à l’immobilité s’oppose le mouvement et à la dépendance s’oppose l’autonomie. C’est la première tendance qui semble se généraliser au primaire.

Il s’agit de hisser l’élève à une communauté de sens, et ce, non pas par commandement mais par adhésion, affirme un chef d’établissement. C’est une tâche difficile quand on voit régulièrement, dans les rues adjacentes aux établissements scolaires, ces vagues déferlantes caractérisées par des groupes se rendent davantage à des « meetings », et non à des « écoles » structurées en communautés éducatives ayant leur culture propre ; culture constituant un élément fondateur des comportements « d’élèves ».

II.1. Enfance scolarisée : quelles obligations ?

L'exercice des droits et obligations des élèves est inséparable de la finalité éducative des établissements scolaires et ne prend son sens qu'en fonction de celle-ci qui est de préparer les élèves à leur responsabilité de citoyen. La mise en oeuvre de ces droits et obligations ne peut s'exercer que dans le cadre du règlement général de l’Ecole, traduit dans bien des  cas en règlement  spécifique de l’établissement[17].

Dans ce cadre, la plupart des discours des chefs d’établissement  gravitent autour des obligations faites aux élèves d’accomplir les tâches inhérentes à leurs études, d’être assidus, ponctuels et surtout disciplinés. L'assiduité est définie par référence aux programmes d'enseignement inscrits dans l'emploi du temps de l'établissement. Elle concerne les enseignements obligatoires et optionnels que l'élève doit suivre ainsi que les examens et toute autre épreuve d'évaluation, organisés à son intention. La ponctualité est définie en rapport avec le respect des horaires officiels. La discipline est érigée en principe fondateur de l’école : discipline des élèves et des enseignants pour lesquels des conseils de discipline sont constitués.

Dans un environnement scolaire où des comportements violents se manifestent tous les jours et compte tenu des dégradations matérielles quotidiennement constatées, le règlement rappelle aux élèves les sanctions auxquelles ils s’exposent en cas d’indiscipline  et/ou de dégradation des  salles des classes et des équipements. N’y a-t-il pas une contradiction essentielle entre les nombreux discours portant sur l’autonomisation des élèves et la pléthore d’obligations caractérisant aussi bien le règlement intérieur de l’établissement que le règlement de classe ? Ces obligations consistent à respecter la loi affirme un chef d’établissement,  selon deux pôles :

- celui de la législation (scolaire) qui impose à l'enfant une fréquentation assidue de l'école à partir de six ans et jusqu'à  seize  ans, ainsi que des contenus d'apprentissage.

- celui du (ou des) règlement(s) qui fixent les règles de fonctionnement de la vie scolaire conformément au respect des lieux, de soi et des autres.

Les règles de vie sont nécessaires pour qu’un enfant se développe pleinement dans une société, s’accordent à dire la plupart. L’élève d’aujourd’hui, ajoute-t-on, a besoin de vivre à l’intérieur d’un cadre bien défini, d’une structure sécurisante. Il est possible de développer une discipline dans laquelle l’élève peut s’engager et développer des relations positives. Un code de vie (règlement) bien intégré est indispensable pour permettre à l’élève d’apprivoiser la thérapie de la réalité. L’élève a des droits mais aussi des responsabilités. De plus, l’élève doit apprendre à assumer les conséquences de ses actions.

In fine, les obligations, telles qu’elles sont perçues par la plupart des éducateurs se résument à quelques interdits supplémentaires: de s’insulter, de se battre, d’humilier les autres, de couper la parole, de parler fort en classe ou de vociférer, de déranger les camarades quand ils travaillent, de se moquer, de s’amuser pendant la classe, de rire des bêtises de certains en classe, d’agresser verbalement ou physiquement ses camarades, d’apporter des objets dangereux à l’école, de casser ou d’abîmer le matériel collectif, …

II.2. Enfance scolarisée : quels droits?[18]

L’enfant est d’abord pensé comme un être à protéger. Fruit d’une longue évolution historique, cette conception apparaît comme l’un des fondements de la société. Des droits-créances et/ou droits-libertés, que la société doit à l’enfant en raison de sa fragilité: droit à la vie, à la santé, à l’éducation (à l’accueil dans une institution éducative publique et à l’instruction), aux loisirs, aux libertés d’expression, de conscience, d’association, etc.

La question centrale ici était de savoir combien, parmi les enseignants interrogés, connaissaient la Déclaration universelle des droits de l’homme[19] ? La Convention internationale relative aux droits de l’enfant ? La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ? Les enseignants interpellés à ce sujet n’étaient pas très bavards. Autant pour les obligations, devoirs et interdits l’éloquence était de mise, autant  pour  les droits reconnus à l’enfant à l’école, les discours tournaient court. Etait-ce la nouveauté de la question ou sa complexité ?

Que recouvre la notion de «droits de l’enfant»? Si l’on croit Dekeuwer-Défossez F., (2006), il s’agirait d’abord de « droits applicables à l’enfant » et ensuite « de droits garantis par les instruments internationaux ». Selon l’auteur, on ne parle plus désormais de situation juridique de l’enfant mais de ses droits. L’optique est toute différente, puisqu’il ne s’agit plus de décrire quelles règles juridiques sont applicables aux enfants mais quels droits doivent leur être reconnus par la société ? Cette mutation est la traduction, dans le monde de l’enfance, de la promotion de la philosophie des Droits de l’Homme. L’enfant est désormais pensé comme un sujet, une personne dotée de liberté.

Donner des droits à l’enfant ce n’est pas lui dicter une ligne de conduite mais simplement lui permettre de devenir autonome, d’exister en tant que tel. La plupart de ceux qui parlent de droits de l’enfant parlent de sa protection mais jamais au grand jamais de sa liberté (de ses libertés). Si de la plupart des propos recueillis se dégage une représentation positive qui doit permettre à l’enfant d’être réellement reconnu, il faut souligner le fait que beaucoup de ces affirmations sont désincarnées et restent au niveau des déclarations d’intentions. L'élève a le droit de s'exprimer et de donner son point de vue sur tout ce qui concerne ses apprentissages (construction de ses savoirs) en classe. Les droits des élèves s'inscrivent, dit-on, dans l'espace de liberté constitué par le cadre du règlement. Le Gal J., (2002) se référant à la Convention internationale des droits de l’enfant, montre qu’au terme d’un long processus historique, « l’enfant soumis » est devenu « enfant citoyen », désormais titulaire de droits civils, sociaux et culturels, mais aussi de libertés publiques. Jusqu’à quel point, pourrions-nous rétorquer? 

Faut-il croire ceux qui déclarent que c’est rendre un mauvais service à l’enfant que de le traiter en personne souveraine, alors que tout homme ne devient libre que par l’éducation ? Faut-il reconnaître que nul être ne peut être autonome sans avoir appris au préalable à exercer ses droits ?

Quels sont les droits que tout enfant/élève devrait apprendre à exercer? Mais si les réponses des éducateurs, dans leur ensemble, sont mitigées un consensus semble s’établir sur les droits à l’épanouissement et au savoir qui pourraient constituer un embryon de trame d’une charte des droits et besoins fondamentaux des enfants, avec la configuration suivante:

Droit à l’épanouissement

Droit au savoir

 Chaque enfant  a droit  à :

- l’autonomie

- la responsabilité

- s’exprimer

- communiquer

- inventer, créer

- la protection contre l’humiliation en milieu scolaire

Chaque enfant a droit à :

- apprendre, savoir

- la réussite et à l’erreur

- des réponses vraies et cohérentes aux questions qu’il se pose

- comprendre les phénomènes sociaux, économiques, physiques, biologiques…

Il est un droit fondamental : le respect de la dignité de l’enfant. Combien de parents offusqués, par le type de punition et/ou de sanction[20] utilisées contre leur enfant, se plaignent quotidiennement aux autorités compétentes. Un chef d’établissement nous a montré des photos de fesses d’enfants en sang et de petits bras plâtrés. La dévalorisation publique de l'élève pénalise les droits des élèves dans le quotidien de l'institution scolaire (Merle, P., 2005). Les sanctions sans cesse renouvelées dans leurs formes : du coup de règle sur les mains, au coup de poing  sur la partie du corps la plus proche « de l’agresseur », l’humiliation est toujours là et avec elle une atteinte à la dignité et aux droits des enfants.

La plupart des éducateurs interrogés légitiment la sanction considérée comme l’unique moyen dont ils disposent pour mettre fin au comportement inadéquat qui a été remarqué. Que faut-il faire d’autre, souligne un enseignant ? Choisir entre continuer la leçon comme si de rien n'était, ou bien sanctionner le comportement inapproprié? Si on opte pour la sanction est-il facile de découvrir les causes véritables des perturbations sous-jacentes observées réellement (ou non) afin de réagir rapidement et efficacement ? Paradoxalement, les causes d’une perturbation ne sont pas toujours intentionnelles; elles peuvent découler d'une mécompréhension de la situation d'apprentissage. Il s’agit beaucoup plus de tenter de les détecter que de faire cesser directement le comportement.

Contrairement à la plupart des enseignants, certains pensent que les punitions et/ou sanctions créent dans la classe un climat malsain, défavorisant l’apprentissage.

Les élèves punis et/ou sanctionnés deviennent plus anxieux, par conséquent plus distraits et se mettent à déranger davantage la classe. Ils ont tendance à se comporter correctement uniquement sous la menace de la sanction et manifestent des comportements inadéquats dès que l’enseignant (sanctionneur) a le dos tourné. Les sanctions prises à l’égard des élèves, en s’attaquant plus à leur personne qu'à leur comportement, font que celui qui est sanctionné va avoir tendance à contester, nier la sanction ; ce qui est une attitude logique, puisque toute punition met en péril l'estime que l'élève a de lui-même.

Pour Legault (1993 : 40) il ne fait aucun doute que l'enseignant, dans sa classe, a un certain pouvoir (peut-être beaucoup plus qu'il ne le               croît ?), dont il peut user pour faire respecter une ambiance de travail adéquate. L’auteur distingue en fait quatre types de pouvoir: le pouvoir de référence, lié au type de relation et de communication mis en place avec ses élèves, le pouvoir d'expert, en lien avec sa compétence dans la matière enseignée, le pouvoir légitime relatif à son autorité (de maître) et enfin le pouvoir de récompenser ou de punir. Selon Archambault et Chouinard (1996), quelques principes favoriseraient  le respect de la discipline par les élèves: être sensible à ce qui se passe dans la classe, gérer un rythme de travail adéquat, intervenir discrètement, utiliser l'humour, faire preuve de tolérance, respecter les élèves et intervenir en fonction des causes du comportement perturbateur. Intervenir oui ! Mais comment ? La question reste posée même si le débat semble avancé.

En guise de conclusion, nous pouvons dire que nous avons amorcé  une réflexion à petite échelle pensant que l’institution scolaire pourrait  devenir le lieu de droit des libertés de l’enfant. Ce qui est perceptible aujourd’hui c’est que l’école primaire semble ignorer les principes de base du droit, qu'il s'agisse d'exercice des libertés ou de procédures disciplinaires et de sanctions. Aucune école visitée ne constitue une juxtaposition d’élèves et d’enseignants, mais une petite communauté mûe par un projet (d’établissement), fondé sur une interaction éducative permanente de l’ensemble de ses membres, dont certains sont reconnus comme des personnes à part entière ; cependant très peu sont respectés comme tels dans leur originalité et leur liberté.

Bibliographie

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Le Gal, J., Les droits de l’enfant à l’école. Pour une éducation à la citoyenneté, Ed. De Boeck-Belin, 2002.

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Mendel, G., Une histoire de l’autorité. Permanences et variations, Paris, La Découverte, 2002.

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Singly, F. (De) (Dir.), Enfants/Adultes, vers une égalité de statuts ? Paris, Universalis, 2004.


Notes

[1] Il s'agit pour l'enfant d'apprendre à mener à bien un projet qu'il a lui-même choisi, de gérer son travail et de l'organiser. L'accès à l'autonomie est un apprentissage réel, inscrit dans les Instructions officielles. En libérant la parole de l'enfant à l’école, on contribue à la promotion de l’autonomie, mais aussi une autonomie conciliée avec la discipline scolaire.

[2] Le règlement intérieur possède un statut juridique inscrit dans la hiérarchie des normes à l’échelon des arrêtés. Ce règlement, accroché au mur dans les classes que nous avons visitées, ainsi que le règlement de classe là où il existe ne font nullement référence aux droits des élèves.

[3] Dont il ne s’agit aucunement de discuter la logique et la nécessité.

[4] Le règlement intérieur document prescriptif  signé par le chef d’établissement, visé par l’inspecteur comporte vingt trois articles concernant l’arrivée à l’école, la vie dans l’école, dans la classe, en récréation, la discipline générale et l’avis aux parents.

[5] Article 13 de la Convention internationale des droits de l’enfant (ONU 1989) ratifiée par l'Algérie le 19 décembre 1992 : « L'enfant a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l'enfant ». Cf. aussi l’article 12 : « Les Etats garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant ; les opinions de l’enfant étant prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». Cf également l’article 14 : « Les Etats respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». Il faut sans doute souligner qu’à la différence d'une déclaration qui a peu d'effets concrets, une convention engage les Etats signataires (une fois la ratification opérée par les instances législatives du pays) censés intégrer dans le droit national les articles de la convention.

[6] Enseignants, directeurs d’écoles et inspecteurs intervenant au primaire.

[7] C’est par ce discours (métalinguistique essentiellement caractérisé par sa réflexivité) qu’elles existent et se diffusent dans le tissu scolaire et social.

[8] 36 enseignants, 17 directeurs d’écoles et 3 inspecteurs.

[9] Selon  Halpern, C., « L’enfance serait une notion d’invention assez récente dans l’histoire. Certes, l’homme est toujours né enfant avant de devenir homme ; c’est un fait biologique. Mais, ce n’est qu’au XVIIe siècle que naît le sentiment de l’enfance à proprement parler. Jusqu’alors, les enfants étaient très tôt mêlés au monde des adultes dans lequel ils faisaient leur apprentissage, et n’étaient pas perçus dans leur spécificité. C’est à partir du XVIIème siècle que l’état des mœurs aurait changé : l’éducation par la scolarisation se généralise (soustrayant ainsi l’enfant de la société des adultes), et l’attention portée par la famille devient plus nourrie », 2004.

[10] En particulier au niveau de l'imagination, la création, la poésie.

[11] L’autonomie, apparaît dans la plupart des discours, comme la «  faculté à certains moments (pas tous les moments de la vie) d’inventer des solutions…. De choisir…. De se prendre en charge… De remettre en cause… ».

[12] Double lui aussi en tant que « parent » et en tant que personne.

[13] Evaluer le degré d’autonomie (le niveau atteint) dans les différentes situations scolaires.

[14] Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant adoptée par des pays africains dans le cadre de l’Organisation de l'unité africaine (OUA) lors de la 26ème conférence des chefs d'État et de gouvernement en juillet 1990. Elle est entrée en vigueur le 29 novembre 1999, après avoir reçu la ratification de 15 États dont l’Algérie.

[15] Les principes de l’ «orthopédie » sont fondés sur la tenue droite de l’enfant par divers moyens.

[16] Dans le mot pédocratie on retrouve deux racines grecques : pédo = enfant et cratie = pouvoir.

[17] Règlement figurant sur le carnet de correspondance de chaque élève.

[18] François Audigier (1999) nous rappelle que la première fonction du droit est de « définir un espace de liberté, mais que la loi définit aussi un ensemble de contraintes et d'obligations qui ont leur logique et leur nécessité »

[19] Toute personne a droit à l'éducation laquelle doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement primaire. Cet enseignement est obligatoire comme l’est l’enseignement moyen. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

[20] La sanction étant entendue comme une atteinte physique à l’élève. Prairat E. a répertorié quatre grandes catégories de sanctions utilisées au fil des ans avec bien entendu toutes les combinaisons possibles : la punition-expiation qui vise à un changement d’esprit en culpabilisant l’auteur de l’infraction dans un registre pouvant aller jusqu’au châtiment corporel ; la punition-signe qui fait honte à son destinataire en instituant physiquement la sanction (qui se souvient du bonnet d’âne ?) et sert d’exemple aux autres; la punition-exercice qui corrige une anomalie, un manque constaté souvent aux marges du punissable ; la punition-banissement qui exclut d’un lieu ou met à l’écart du reste du groupe-classe.

 

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