La revendication des libertés publiques dans le discours politique du nationalisme algérien et de l’anticolonialisme français (1919-1954)

Insaniyat N° 25-26 | L'Algérie avant et après 1954 | p.179-199 | Texte intégral


Public liberty appeals in Algerian political nationalism and French anti-colonialism discourse

 Abstract: In this contribution we have tried to follow through political discourse stemming from Algerian nationalist parties as well as progressive French political organizations and anti-colonial appeals within the frame of a colonial protection for access to public liberty By trying to give a glance at the idea of  public liberty among the Algerian political elite before the first war beforehand ; and the different historical stages, during which appeals have become more and more radical until total rupture happening with the start of the Algerian Liberation war.

Key Word : colonial Algeria - public liberty - appeals - political discourse - Algerian nationalism - anti-colonialism.


Saddek BENKADA  : Sociologue-historien, 31 000, Oran, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


Pour analyser, tant soit peu, le long cheminement des revendications pour l’accession aux libertés publiques dans le cadre de la tutelle coloniale en Algérie – que nous avons illustré dans une précédente étude portant sur la revendication de la liberté d’association[1] –, nous essaierons dans le présent travail de suivre l’évolution des discours politiques revendiquant d’une manière générale les libertés publiques en Algérie aussi bien par les partis nationalistes algériens que par les organisations politiques françaises progressistes et anticolonialistes.

Il importe tout d’abord de rappeler que, théoriquement, la nationalité française était reconnue à « l’indigène musulman » par la proclamation impériale du 5 mai 1865, en vertu de la consécration, était-il dit, « des liens formés sur les champs de bataille »[2], et que le célèbre sénatus-consulte du 14 juillet 1865 n’avait fait que confirmer cette qualité, tout en reconnaissant à « l’indigène musulman » le droit de conserver son statut personnel.

Mais que l’on ne se leurre pas, cette qualité de « Français » conférée en fait aux « indigènes » aussi bien juifs que musulmans ne leur accordait pas pour autant les droits attachés à la citoyenneté française ; ce qui donc, en toute logique juridique, ne les faisait pas bénéficier des règles protectrices de la liberté individuelle. Il fallait donc, pour jouir pleinement des libertés, pouvoir au préalable accéder aux droits de citoyen, en demandant expressément et individuellement l’obtention de la naturalisation. C’est avec justesse que Henriette Heymann relève le « particularisme » qui a marqué la condition juridique des Algériens, et spécialement des Algériens de statut musulman[3]. C’est précisément sur la base de cet argumentaire juridico-politique qu’allait être menée la revendication des élites algériennes de toutes tendances qui n’ont cessé de réclamer pendant plus d’un siècle l’application des libertés fondamentales au profit des Algériens musulmans, appuyées en cela par différentes organisations politiques françaises progressistes et anticolonialistes tant en France qu’en Algérie.

L’idée de liberté publique chez les élites politiques algériennes (1830-1914)

Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’histoire des revendications politiques dans le mouvement national algérien, on ne peut s’empêcher, à notre avis, de les faire remonter au début de la guerre coloniale, imposée en 1830 au peuple algérien par le roi Charles X. En effet, le lettré et homme politique algérien, lecteur et admirateur des idées de Benjamin Constant, Hamdane Ben Othmane Khodja a été, dans ces circonstances, le premier à avoir défendu les libertés fondamentales du peuple algérien dont le territoire venait d’être occupé par les troupes coloniales françaises. S’adressant en cette circonstance aux Français en 1833, il leur rappelle que : « Dans le cours de mon voyage en Europe, j’ai étudié les principes de la liberté européenne qui fait la base d’un gouvernement représentatif et républicain. J’ai trouvé que ces principes étaient semblables aux principes fondamentaux de notre législation, si ce n’est qu’il existe une différence imperceptible dans l’application ; ainsi tout homme qui aura une idée exacte des deux législations les rendra compatibles l’une avec l’autre»[4]

Mais, force est bien de constater que ce n’est qu’à partir des années 1880, avec la reprise historique de la ville et l’émergence des premiers éléments « instruits et évolués » de l’élite musulmane, formés à l’école coloniale et nourris des principes égalitaires et démocratiques de la Révolution de 1789, que la grande majorité d’entre eux allait aussitôt faire l’expérience de la dure réalité de l’homme colonisé. Ils butèrent d’emblée sur le déchirant problème du particularisme juridique qui marque leur condition juridique de sujet les excluant, en fait, des droits attachés à la citoyenneté française. Dès lors, la revendication constante d’éléments de cette élite francisée fut le droit de cumuler la citoyenneté française avec le maintien du statut personnel et, partant, l’égalité des droits avec les Français. Il faut cependant se rendre compte que les colons n’ont jamais accepté que les « indigènes » aient les mêmes droits qu’eux, sinon quel sens la société coloniale aurait-elle eu sans privilèges et sans discriminations. En 1892, Jules Ferry, conduisant en Algérie la commission d’enquête sénatoriale dite « des XVIII », aura l’occasion d’avoir pour interlocuteurs quelques représentants de cette élite, parmi lesquels le docteur Morsly de Constantine. Jules Ferry s’étonnait de voir « un conseiller municipal indigène, vêtu d’une redingote » venir lui présenter les doléances de ses collègues, notamment en matière de représentation politique des indigènes : conseillers généraux, députés, sénateurs[5]. À la fin de son séjour en Algérie, Jules Ferry avait pu se faire par lui-même une idée sur l’immense travail qui restait à faire pour réduire les inégalités en droits politiques entre Algériens et colons : « Il est difficile, notait-il, de faire entendre au colon européen qu’il existe d’autres droits que les siens en pays arabe et que l’indigène n’est pas une race taillable et corvéable à merci. »[6]

Les éléments évolués vont, à partir du début du siècle, se construire une nouvelle identité politique et culturelle, qui les fera désormais connaître sous le nom de Jeunes-Algériens. Ces « enfants terribles du siècle, comme se plaît à les appeler Charles-Robert Ageron, ne sont pas, précise-t-il, une génération spontanée de l’année 1900. »[7]

L’émergence de cette nouvelle élite, va coïncider avec le premier gouvernorat de Charles Jonnart (octobre 1900-juin 1901). Charles Jonnart député, réputé pour ses idées libérales et « indigénophiles » ; va principalement durant son deuxième gouvernorat (mai 1903-février 1911), favorisé amplement le développement de nombreuses associations ; c’est un véritable « printemps associatif » que l’Algérie musulmane a vécu, « laissant les cercles Jeunes-Algériens se multiplier. De fait, les associations, les amicales d’anciens élèves des écoles franco-indigènes ont fleuri ; nombreuses, depuis 1903, et ont été autant de pépinières de Jeunes-Algériens. La plupart des grandes villes ont désormais leurs sociétés aux noms évocateurs : L’Amicale des Sciences modernes, le Cercle des Jeunes-Algériens (Tlemcen), la Rachidïa, la Toufikïa (la Concorde) (Alger), le Cercle Salah-Bey, la Société islamique constantinoise, le Croissant, la Sadikïa, le Cercle du Progrès (Bône). »[8]

Il ne sera pas inutile de souligner le rôle joué par les nouvelles formes de socialisation politico-culturelle, avec ses lieux et formes de la sociabilité moderne : cercles, clubs, associations ; relayées d’ailleurs par la mise en place de nouvelles structures de production et de diffusion culturelle : la presse, le théâtre, la littérature. Le journal va jouer, dans ce contexte, un rôle particulièrement important qui va permettre aux éléments de cette élite nouvelle de se familiariser avec ce nouveau mode d’expression politique et culturelle, et de diffusion de leurs idées. Ce qui va de proche en proche permettre le développement de nouvelles formes de luttes politiques : pétition, délégation, meeting, manifestations.

Mais Il semble donc que les revendications des élites jusqu’à l’après-guerre, ont été principalement d’ordre politique centrées sur le problème de la représentation politique des Algériens dans les diverses assemblées. En 1903, Si M’hamed Ben Rahal, dans son discours de réception du président de la République, Émile Loubet, à la sous-préfecture de Tlemcen, traduit fidèlement l’opinion que se font les Jeunes-Algériens sur les droits politiques : « Libre à nos compatriotes français de revendiquer intégralement pour eux les droits de citoyens. Pour nous, sujets français nous sommes et sujets nous désirons rester. Si nous demandons une place dans les conseils, c’est que, d’une part, la constitution française est telle que, qui n’est pas représenté n’est pas défendu. »[9]

Lors de sa première tournée en France, l’émir Khaled l’une des figures de proue du mouvement Jeune-Algérien, employait déjà, lors d’une conférence donnée à Paris en décembre 1913, la notion de liberté politique : « Je ne suis pas un grand clerc de l’histoire générale de l’Europe, mais je ne crois pas qu’on puisse me contredire, si j’avance que les franchises municipales furent la grande école des libertés politiques qui ont donné aux citoyens la gravité et l’esprit de suite, et qui leur ont appris la responsabilité en même temps que la liberté. »[10]

Radicalisation des revendications des libertés (1919-1934)

 L’action revendicative de l’émir Khaled et la socialisation politique de l’émigration algérienne en France

À la fin de la première guerre, la déclaration en janvier 1918 du président Wilson, sur le principe du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, enthousiasma l’émir Khaled, qui adresse en mars 1919, une pétition dans laquelle, il expose au président américain la situation politique du peuple algérien : « Sous un régime dit républicain, la majeure partie de la population est régie par des lois spéciales qui feraient honte aux barbares eux-mêmes. Et ce qui est typique, c’est que certaines de ces lois qui instituent les tribunaux d’exception (tribunaux répressifs et cour criminelle) datent du 29 mars 1902 et 3 décembre 1902 ; on peut voir là un exemple de la Marche Régressive vers les libertés. »[11]

Menant son infatigable combat en faveur des droits politiques et de l’octroi des libertés, l’émir Khaled, pousse un peu trop la hardiesse jusqu’à provoquer un réel incident le 20 avril 1922, lors de la visite du président de la République française Alexandre Millerand au mausolée de Sidi-Abderahmane à Alger, en lui présentant un discours prononcé impromptu réclamant en particulier « un développement des libertés et la représentation des Algériens au Parlement français : «…Au moment où, d’un bout à l’autre de la terre, le monde, bouleversé par un cataclysme sans précédent, essaye de reprendre son équilibre normal, les musulmans algériens, demandent instamment à la France de leur continuer sa tendre sollicitude en développant les libertés qu’elle leur a déjà si généreusement accordées afin de leur permettre de prendre définitivement rang dans la grande famille française. Ce ne sont pas les quelques réserves ou restrictions nécessitées par leur statut personnel qui pourraient mettre obstacle à leur définitive adoption et vous faire hésiter. »[12]

Mettant à profit sa deuxième tournée en France, qui était en réalité un exil, Khaled multiplie en juillet 1924, rencontres politiques et meetings à Paris. Il adresse, le 3 juillet, une lettre au président du Conseil, Édouard Herriot ; dans laquelle, il lui expose une plate-forme revendicative. Parmi les libertés revendiquées figurent celles de presse et d’association.[13]

Voulant passer à une autre étape dans la radicalisation des revendications politiques que celle de l’égalitarisme khalédien, des éléments politisés de l’émigration algérienne en France, s’intégrant peu à peu dans les partis politiques de gauche et dans les syndicats, se forment au jeu politique. Ils tentent de s’organiser, en groupements autonomes avec l’appui des organisations communistes et anti-coloniales, telle que l’Union intercoloniale créée en 1922. Cette dernière se présentant comme l'« Association des indigènes de toutes les colonies » fut, dans un manifeste, la première à avoir demandé la liberté d’association (Le Paria, 4 août 1922)[14]

Il y a lieu toutefois de préciser que c’était sur l’instigation de l’Union intercoloniale et de la CGTU que fut organisé le premier congrès des travailleurs Nord-africains de la région parisienne, tenu à Paris le 7 décembre 1924. Le Congrès clôt ses travaux par l’adoption d’un programme de revendications en dix points, le deuxième point est consacré au combat « pour les droits d’association, de liberté de la presse et de parole ».[15]

Relayant le travail de l’Union intercoloniale, la Commission coloniale centrale, créée au sein du PCF en 1924, à l’issue du Ve congrès de l’Internationale communiste, adopte en 1925 un programme colonial dans lequel, elle demande la suppression du code de l’indigénat, « avec toutes les conséquences «, notamment la restriction des libertés publiques. Lors d’une séance du 28 juillet 1926, la sous-commission d’Afrique du Nord, qui constituait l’une des cinq sous-commissions créées au sein de la Commission coloniale centrale ; adopte un plan de revendications dans lequel elle demande entre autres la liberté de presse et d’association.[16]

Il faut noter néanmoins que les initiatives revendicatives individuelles ne manquaient pas non plus. Une lettre adressée le 16 janvier 1926 par un groupe de « Jeunes nationalistes communistes indigènes de Relizane », exposait au président du Conseil français, Édouard Herriot, la condition qui était faite aux Algériens : « Nos célèbres administrateurs nous civilisent par la cravache comme s’il s’agit de dompter des fauves. Honte à la France qui tolère de pareilles mesures inhumaines. Nous demeurons comme des êtres inférieurs, privés de droits politiques et sociaux, on prétend que nous ne sommes pas encore mûrs pour les accueillir… » [17]

Cependant c’est avec la création, le 2 mars 1926, de la première Étoile nord-africaine, ayant comme président Hadj Ali Abdelkader et Messali Hadj, comme secrétaire général ; que les émigrés maghrébins vont disposer d’une organisation intermaghrébine ayant pour mission la libération de l’Afrique du Nord. Bien qu’elle soit au début de 1926 encore liée à l’Union Intercoloniale, l’Étoile nord-africaine continue de s’y confondre avec la section Afrique du Nord, à la différence que toutefois, tous les militants maghrébins n’étaient pas au PCF ou à la CGTU[18]. « Mais, avec le temps, l’Étoile nord-africaine qui sera complètement algérienne, portera désormais ses revendications politiques aussi bien sur le territoire français que sur le territoire algérien. Déjà, le programme de revendications qui fut annexé aux statuts de l’ENA adoptés par la première Assemblée générale du dimanche 20 juin 1926, réclamait expressément parmi les onze points, la liberté de presse et d’association. »[19]

Au congrès organisé à Bruxelles du 10 au 14 février 1927, par la Ligue contre l’oppression coloniale, Messali Hadj sera le porte-parole de l’ENA ; qui déclare-t-il, « représente les intérêts des populations laborieuses de l’Afrique du Nord, réclame pour les Algériens l’application des revendications suivantes et demande au Congrès de les faire siennes ». Les « revendications algériennes » en 17 points présentées par Messali Hadj, concernent notamment : « 1) l’indépendance de l’Algérie ; […] 6) la liberté de presse, d’association, de réunion ; les droits politiques et syndicaux égaux à ceux des Français qui sont en Algérie. »[20]

C’est au cours de la deuxième assemblée générale de l’ENA tenue le 19 février 1928, que Messali Hadj allait être élu président. Dissoute en 1929, l’ENA reprendra ses activités au début de 1933. Une assemblée générale tenue le 28 mai 1933, à Paris, réorganise l’association en votant de nouveaux statuts, et en lui donnant une nouvelle dénomination : « La Glorieuse Étoile nord-africaine ». Elle adopte un programme de revendications en onze points limité à la « Section algérienne », dans lequel on réclamait, entre autres : la liberté de presse, d’associations, de réunions et des droits politiques et syndicaux. Selon Ch.-R. Ageron, le programme aurait été destiné à « un « gouvernement national révolutionnaire » de l’Algérie indépendante. » [21]

Ce qui laisse supposer en effet que cette deuxième ENA prenne allure d’un parti politique spécifiquement algérien[22].

Emboîtant le pas au programme de revendications voté le 20 juin 1926 lors de l’Assemblée générale de l’Étoile nord-africaine ; et après le congrès de Lille, le PCF tente de reprendre en main la sous-commission nord-africaine de sa commission coloniale centrale, en se forçant d’appliquer les décisions et les résolutions prises en faveur des coloniaux d’Afrique du Nord par l’élaboration, dans sa séance du 28 juillet 1926, d’un plan de revendications qui demande, entre autres, le respect des libertés de presse, d’association et de réunion. Comme on peut bien le constater, la similitude des revendications n’est pas fortuite.

L’agitation politique des années 1930

En Algérie, l’année 1933 avait connu une agitation particulière dans les milieux politiques musulmans, conséquence des mesures sévères prises par Jules Carde contre les oulémas algériens. Ajouté à cela, le refus en juin 1933 du ministre de l’Intérieur Camille Chautemps de recevoir à Paris la délégation d’élus musulmans, ne fit qu’exaspérer le sentiment de d’indignation de la classe politique et de la population musulmanes. En signe de protestation, les élus déposent leur démission, les adhérents musulmans quittent les sociétés sportives et les clubs de football mixtes.

L’année 1934 ne fut pas moins marquée tant en Algérie qu’en France, par de nombreux événements politiques violents. À Paris, le 6 février, des éléments de l’extrême-droite occupent la rue et transforment les manifestations en émeutes meurtrières, le cabinet Daladier qui venait d’être formé tombe. Ces événements politiques parisiens ont eu des répercussions directes dans toute l’Afrique du Nord.

En Algérie, la vie politique est marquée notamment par les importantes manifestations ouvrières des Algériens musulmans à Alger qui avaient chanté l ' « Internationale », les troubles antijuifs du mois d’août à Constantine, agitation de l’extrême-droite à Oran, dirigée par l’abbé Lambert, affaire du cimetière musulman d’Oran, etc[23]. Cette année 1934 allait décidément recueillir tous les fruits amers de la politique d’incompréhension et de durcissement à l’égard des Algériens musulmans, « loin de s’apaiser en 1934, la « fermentation algérienne » devait au contraire se développer et culminer avec les tragiques événements de Constantine. »[24]

À la crise politique qui s’était développée à partir de 1933, la crise économique et sociale atteint en 1935 son plus haut degré de gravité. Le sénateur Maurice Viollette, ancien gouverneur général de L’Algérie, demande le 12 février 1935 à interpeller le gouvernement sur la crise algérienne. Avant de se prononcer, le ministre de l’Intérieur Marcel Régnier décida d’enquêter sur place. Il reçut à Alger les élus musulmans qu’on avait refusé de recevoir à Paris en 1933. Profitant de la visite du ministre de l’Intérieur en Algérie ; le journal communiste, La Lutte sociale, expose les revendications en faveur des Algériens musulmans, en réclamant notamment : Liberté de presse, d’association et de réunion[25]. Cédant au lobby coloniste, Régnier opposa un refus catégorique à toutes les revendications faites par les élus en matière notamment de droits politiques et de libertés publiques, en faisant le 22 mars 1935 sa célèbre déclaration devant le Sénat lors de la discussion de l’interpellation Viollette : « En France, pour arriver où nous en sommes, nous avons mis plusieurs siècles. En Algérie les libertés publiques n’ont commencé qu’en 1919 : on les voudrait déjà complètes. Parce que nous avons été généreux, on voudrait que nous allions encore plus loin dans le libéralisme, pour arriver tout de suite au plein exercice de la liberté. Cette prétention est excessive. Dès 1919 nous avons fait l’effort maximum. Il ne faut pas nous demander d’aller plus loin, parce que c’est impossible.»[26]

Le Sénat se rangea à l’avis du ministre de l’Intérieur contre les avertissements de Viollette.

Relayant La Lutte sociale, André Ferrat fit publier dans Les Cahiers du bolchevisme, de mars-avril 1935, un article significatif, sur le « mouvement révolutionnaire en Algérie », dans lequel, il expose un certain nombre de revendications en faveur des populations algériennes ; entre autres : « 2) les droits politiques égaux à ceux des citoyens français accordés à tous les indigènes, sans distinction de statut personnel ; […] 5) la liberté de presse, d’association, de réunion. »[27]

Tout en se félicitant de l’autorisation donnée par le Gouvernement Général au journal de l’association des oulémas, El Bassaïr, à reprendre sa parution ; le cheïkh Abdelhamid Ben Badis, dans un éditorial du premier numéro du journal (27 décembre 1935), ne put s’empêcher de glisser quelques avertissements prémonitoires : «… Lorsqu’on voit dans l’Inde plusieurs associations de savants exercer leurs activités en toute liberté, et ce depuis plusieurs années, sous l’autorité anglaise tyrannique et impitoyable, vous ne supportez pas qu’une association musulmane puisse être tolérée en Algérie sous le régime des principes égalitaires de la République dont la science rayonne sur les nations… Vous avez trouvé énorme le fait que l’Algérie ait une association qui jouit d’un grand prestige, qui possède un journal important. Nous vous apportons une bonne nouvelle : l’Algérie française aura plusieurs associations et plusieurs journaux, et elle aura bien d’autres choses encore… »[28]

Les déceptions de la période du Front populaire (1935-1939)

L’Étoile nord-africaine avait en 1935 soutenu au même titre que tous les partis démocratiques et anti-fascistes le Front populaire regroupant les trois partis de gauche : socialistes, radicaux et communistes. Elle se présenta à ce titre comme un parti politique avec lequel il fallait désormais compter, non seulement en tant que représentant du peuple algérien, mais également comme représentant du Nationalisme arabe à Paris : « L’Étoile nord-africaine, note Mahfoud Kaddache, fut la première organisation algérienne à saluer avec enthousiasme l’indépendance de l’Égypte et de la Syrie, qu’elle considéra comme une première étape de la libération de tous les États arabes »[29]. Le serment du 14 juillet 1935 à la Bastille suivi d’un grand défilé, organisé par le Comité du Rassemblement populaire, et auquel participa l’ENA aux cotés des partis du Front populaire, lui donna l’occasion de montrer sa force de mobilisation et sa grande audience politique, en faisant défiler selon les propres termes de Messali lui-même, « plus de 35 000 Arabes qui étaient groupés sous son drapeau », entendez l’Étoile nord-africaine.[30]

Conscient de la place que pourrait occuper l’ENA sur la scène politique, le Front populaire, lui demanda dès lors, préciser son programme revendicatif. Toutefois, Messali Hadj fut dès janvier 1936 déçu par le Front populaire, qui au lieu de préparer de grandes réformes, se contenta de prévoir l’organisation d’une enquête parlementaire pour étudier sur place les mesures urgentes à prendre. En février 1936, l’Étoile Nord-Africaine se joint au « Comité des intérêts marocains » et au « Comité de défense des libertés en Tunisie » pour présenter au gouvernement du Front populaire sous le nom de Plan de revendications immédiates pour l’Afrique du Nord, un plan de revendications commun, qui préconise en substance : « Afin de faire renaître l’espoir dans le cœur des Nord-Africains et de faire revenir le calme dans les esprits, un gouvernement de Front populaire devra s’attacher à renoncer à la politique de la race privilégiée qui a inspiré jusque-là toute la législation et l’organisation administrative dans les colonies, sources, de haines et de vexations. Pour cela, nous préconisons, et ceci dans l’intérêt de tous les éléments de la population en Afrique du Nord ; 3). L’octroi des libertés démocratiques dont l’application sera consacrée par des lois. »[31]

Ce qui paraît cependant particulièrement remarquable dans ce programme revendicatif, c’est le fait que pour la première fois une revendication du Mouvement national se réfère explicitement à la Loi de 1901 sur les associations et demande instamment son application à l’Algérie.

Du côté de la SFIO, à son congrès de mai 1936, des rapports sont présentés par la Commission coloniale et les délégués de l’Afrique du Nord ; lors du débat qui s’en suivit et auquel ne prit pas part la gauche révolutionnaire, des promesses ont été faites pour faire bénéficier les peuples de l’Afrique du Nord des mêmes libertés démocratiques qu’en métropole ; à savoir : « liberté individuelle, liberté de conscience, liberté de réunion, d’association, de circulation, liberté de presse. » [32]

Le premier Congrès musulman algérien tenu à Alger le 7 juin 1936, réunissait toutes les tendances du mouvement national, à l’exception des représentants de l’Étoile nord-africaine. Ben Badis, chef de file des Oulémas, s’écria à l’adresse du Gouvernement français : « Quand la liberté française s’endormait, nous nous sommes tus. La liberté française a repris son élan, nous voulons la suivre. » Il insista sur la revendication concernant la séparation du Culte et de l’État, et plus nettement la liberté d’enseignement de la langue arabe. Comme il ne manqua pas d’ailleurs de reconnaître comme juste, le slogan des communistes : « Pain, Paix, Liberté. »

À l’issue de ses assises, le Congrès élabora une plate-forme de revendications politiques sous le nom de Charte revendicative du peuple algérien musulman. Cette charte, qu’une délégation alla remettre le 22 juillet 1936 au Gouvernement à Paris, « représente, comme le note judicieusement Ch.-R. Ageron, une juxtaposition plus qu’un compromis entre les revendications nationalistes et religieuses des oulémas et les vœux des élus, avant tout soucieux d’obtenir pour les musulmans les droits du citoyen ». Elle va constituer dès lors, l’un des plus importants documents marquant l’évolution politique des élites Algériennes ; « jamais encore l’Algérie musulmane n’avait formulé aussi nettement ses volontés, encore que celles-ci fussent assez contradictoires puisque s’y mêlaient des revendications égalitaires et nationalitaires. »[33] Un autre moment aussi important que celui de la publication de Charte revendicative du Congrès musulman est, sans conteste celui du discours historique que Messali Hadj prononça devant la foule, le 2 août 1936 au stade de Belcourt à Alger ; dans lequel, il parla précisément de Charte revendicative, à propos du Plan de revendications immédiates pour l’Afrique du Nord qu’il avait présenté en février 1936 au Gouvernement du Front populaire[34].

Dans la foulée de la grande vague démocratique du Front populaire, le Parti communiste algérien tenant son congrès, vote à l’unanimité, le 24 octobre 1936, un Manifeste dans lequel il part « à la conquête des libertés. »

Durant l’année 1937 le PPA va accentuer son action politique qui devient de plus en plus nette et précise à propos des libertés publiques auxquelles il semble accorder une place non négligeable dans ses revendications politiques ; comme peut en témoigner d’ailleurs la Motion adoptée en présence de plus de 4 000 Algériens rassemblés, lors de son premier meeting tenu le 17 mai 1937 au 33 rue de la Grange-aux-Belles, à Paris ; dans laquelle, il considère que, « les lois sociales et ouvrières (allocations familiales, liberté de voyage, de réunion, d’association et reconnaissance officielle du délégué par loi doivent être immédiatement appliquées »[35].

Sans trop tarder, dans un entretien portant sur le programme du PPA, publié par le journal La Justice, Messali Hadj, déclare le 17 août 1937 que, « Les libertés démocratiques pour lesquelles luttent tous les républicains se traduiraient en Algérie par le suffrage universel dans toutes les assemblées algériennes… »[36] Relayant la déclaration de son leader, deux mois après, par la voix autorisée du journal La Justice du 14 octobre 1937, le PPA, publie l' « Appel au peuple musulman », dans lequel il insiste en particulier sur « l’octroi des libertés démocratiques (presse, association, pensée syndicale, réunion) ».

Entre-temps, le comité exécutif du Congrès musulman algérien, réuni à Alger le 29 août 1937, demande dans l' « Appel au peuple musulman » que soient reconnues aux Algériens la liberté de voyage et la liberté de la presse.

Le PPA revient à la charge en appelant en août 1938 le peuple algérien à un rassemblement autour d’un programme commun dans lequel il insistera sur l’octroi des libertés démocratiques (liberté d’association, liberté d’expression, liberté de presse etc.)

Lors de son congrès constitutif tenu les 17 et 18 octobre 1938, le Parti communiste algérien, rédige un Manifeste dans lequel revendique le droit à l’accession « à toutes les libertés démocratiques en vigueur dans la métropole ».

Espoirs et désillusions de la période d’après-guerre (1943-1945)

Le drame de l’occupation nazie vécu par la France et les dérives antisémites et antirépublicaines du régime de Vichy, avaient un moment fait penser aux leaders du Nationalisme algérien que le débarquement allié du 8 novembre 1942 en Algérie, allait faire revenir la France à de meilleures méthodes dans sa tutelle du peuple algérien. Darlan qui s’est déclaré depuis le 4 décembre 1942 assumer les fonctions de chef de l’État français en Afrique et de commandant en chef des forces militaires, et de Giraud, nommé par Darlan, commandant en chef des troupes françaises en Afrique du nord ; appelèrent les Algériens à un grand effort de mobilisation militaire. Encouragés par les déclarations pleines de promesse des autorités américaines en vue d’une émancipation des peuples d’Afrique du Nord, Ferhat Abbas et ses amis politiques, répondent le 20 décembre 1942 à l’appel pour l’effort de guerre, par un Message aux autorités responsables, c’est-à-dire aux représentants diplomatiques américains à Alger, avec qui F. Abbas et ses amis avaient pris contact au lendemain du débarquement allié ; et ce n’est que deux jours après, le 22 décembre que le même Message fut adressé cette fois-ci aux autorités françaises).[37]

Cependant aucun des responsables français présents à Alger n’a daigné répondre au Message. F. Abbas, rédige alors le 10 février 1943 un deuxième texte sous forme de mémoire : Le Manifeste du Peuple algérien. Ce mémoire fut remis au gouverneur général Peyrouton, le 31 mars 1943, par un groupe de délégués composé de Ferhat Abbas, Dr Bendjelloul, Benkhellal, Dr Tamzali, Saïah Abdelkader et Zerrouk Mahieddine. Les rédacteurs donnent comme préambule au Manifeste la déclaration faite par le président Roosevelt dans laquelle il donna l’assurance que, « dans l’organisation du Monde Nouveau, les droits de tous les peuples, petits et grands seraient respectés » ; et ils poursuivent, « Fort de cette déclaration, le peuple algérien demande dès aujourd’hui pour éviter tout malentendu et barrer la route aux visées et aux contraintes qui pourraient naître demain ». Parmi les quatre points de revendications politiques, figure celui demandant « la liberté de la presse et le droit d’association »[38].

Le gouverneur général Peyrouton, pour ne pas compromettre la mobilisation générale des Algériens, accepte par principe de considérer le Manifeste,

« comme base de réformes à venir » ; et demande aux délégués de faire des propositions concrètes. Entre-temps Peyrouton crée une Commission d’Études musulmanes. Prenant au mot la suggestion du gouverneur général, les délégués financiers musulmans lui présentent le 26 mai 1943, un véritable programme politique : le Projet de Réforme faisant suite au Manifeste du peuple algérien musulman, du 10 février 1943. Cet « Additif » au Manifeste du peuple algérien signé par vingt délégués financiers représentant les trois départements ; demandait, « la participation immédiate et effective des représentants musulmans au gouvernement et à l’Administration de l’Algérie et l’abrogation de toutes les lois et mesures d’exception et l’application, dans le cadre de la législation, du droit commun. » Ainsi qu’elle prévoyait qu’à la fin de la guerre, l’Algérie serait érigée en « État algérien autonome après la réunion d’une Assemblée constituante élue par tous les habitants de l’Algérie. »

Le Conseil français de libération nationale (CFLN) installé à Alger le 3 juin 1943, nomme le général Catroux, en remplacement de Peyrouton, relevé de ses fonctions en raison de sa collaboration avec Pétain. Le nouveau gouverneur général, considère difficilement acceptable l’Additif et le rejette catégoriquement.

Désormais un bras de fer s’engagea entre les élus algériens et l’Administration coloniale. Les Délégations financières qui étaient suspendues depuis 1939, furent convoquées pour le 22 septembre 1943. Aucun délégué musulman n’y participa. Reprenant le projet de réformes préparées par la Commission d’Études algériennes de Peyrouton, une nouvelle Commission des réformes musulmanes fut réunie et prépara, pour la première fois sérieusement, des réformes que le général de Gaulle, président du CFLN annonça dans son discours de Constantine le 12 décembre 1943[39].

La vie politique reprenant peu à peu, le Parti Socialiste tient son Congrès interfédéral d’Algérie en décembre 1943 sous la présidence de Vincent Auriol. Les délégués socialistes proposent un certain nombre de mesures urgentes à prendre dans l’immédiat, entre autres « L’octroi de toutes les libertés : d’association, de réunion, de syndicat ».

Cependant le geste le plus symbolique pris en direction des élites algériennes, fut celui du général de Gaulle qui signa la fameuse ordonnance du 7 mars 1944. Jusqu’à cette date les Algériens musulmans non dotés de la citoyenneté française avaient été exclus par les régimes politiques français précédents de la jouissance de la liberté individuelle reconnue aux seuls citoyens français[40].

Unanimement les leaders politiques algériens jugent l’ordonnance du 7 mars 1944, restrictive et sans grande portée politique pour être acceptée. C’est tout au plus pensent-ils, une manière pour le général de Gaulle de gagner du temps.

Ferhat Abbas se rapproche des Uléma et du PPA clandestin en réussissant de former un « front commun » en lançant le 14 mars 1944 sous forme d’association « Les Amis du Manifeste et de la Liberté », les AML. Dans ses statuts l’Association, se définissait comme : « un groupement chargé de faire connaître et défendre devant l’opinion publique algérienne et française « Le Manifeste du peuple algérien » du 10 février 1943, et de réclamer la liberté de parole et d’expression pour tous les Algériens. »

Lors du premier Congrès des AML tenu le 2 avril 1945, apparaissent les dissensions entre indépendantistes et fédéralistes ; mais, c’est la première tendance représentée par le PPA, qui l’emportera. Il n’est plus désormais question de « République autonome fédérée à la République française », mais de la création d’un « Parlement et d’un gouvernement algériens ». Messali Hadj sortira de ce congrès plus grandi que jamais, il est salué comme « le leader incontestable du peuple algérien. » Cette popularité grandissante du leader du PPA, n’est pas sans susciter les inquiétudes des autorités coloniales qui, décident de transférer à El Goléa (actuelle El Menia) Messali Hadj avant de le déporter le 23 avril 1945 à Brazzaville.

Les dernières revendications du légalisme (1945-1954)

La déportation de Messali Hadj avait surchauffé le climat politique. La célébration du 1er mai a été l’occasion de nombreuses manifestations plus politiques qu’ouvrières dans lesquelles les manifestants dénonçaient la déportation de Messali Hadj et exigeaient sa libération. Les autorités coloniales répondirent à ces manifestations somme toute pacifiques, par une sauvage répression policière suivie d’une vaste répression judiciaire.

Le 8 mai 1945, jour de l’armistice le peuple algérien voulut participer à la fête de la victoire des Alliés sur le régime nazi, et saisir l’opportunité, comme le note Mahfoud Kaddache, « pour faire affirmer d’une façon éclatante aux yeux des Alliés et de la France, l’attachement du peuple algérien à la liberté et à l’indépendance de l’Algérie, d’autant que la manifestation d’Alger du 1er mai avait été considérée comme un succès politique. Il ne s’agissait en aucune façon d’organiser une insurrection. »[41]. La répression qui dura jusqu’au 13 mai fut impitoyable « à la mesure de la peur et de haine des colons » (Ch.-R. Ageron). L’après 8 mai 45 sera désormais une période de maturation et radicalisation politiques du mouvement national algérien.

Aux élections de la première Assemblée nationale constituante du 21 octobre 1945, le PPA et les AML appellent à l’abstention. La Constituante vota le 16 mars 1946 une loi d’amnistie. Au même moment Ferhat Abbas constitua son propre parti (mars 1946) : L’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA). Signe d’un retour à une vie politique normale, mais encore très marquée par les événements de mai 1945.

Dans un appel du 21 juillet 1946 le Comité central du Parti communiste Algérien, demande l’application de la liberté d’association, de réunion et de presse, dans les deux langues.

Messali Hadj de retour en Algérie, après sa libération au mois d’octobre 1946, crée un mois plus tard en novembre 1946, le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) ; et se présente durant le même mois aux élections législatives.

Le nouveau « Statut de l’Algérie » promulgué le 20 septembre 1947 n’apporte aucun changement notoire dans la politique coloniale, il n’arrive pas à faire l’unanimité sur son opportunité[42]. Sa conception passéiste de la réalité politique de l’Algérie de 1947, reprend la définition de 1900, celle d’un « groupe de départements doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière », le fait rejeter aussi bien par les Européens d’Algérie qui le trouve « déshonorant » dès lors qu’ils s’aperçurent que « les Algériens pourraient bien utiliser le Statut dans le sens de leurs revendications »[43] ; que par les élus musulmans qui le jugent non conforme à leurs espérances indépendantistes. En matière de libertés, il ne reconnut explicitement que la liberté des cultes.

Par la voix de son journal La République Algérienne du 15 octobre 1948, le MTLD reproduit le texte d’un tract qu’il avait diffusé, demandant le respect des libertés individuelles.

En mars 1950, dans la Charte d’Unité d’Action proposée par le PCA, il est question de « La défense de la liberté d’expression sous toutes ses formes (droit de réunion, liberté de presse, libertés syndicales, liberté de vote, etc.) ».

Le comité d’initiative réuni pour la constitution en juillet 1951 du Front algérien pour la défense et le respect de la liberté (FADRL), dans son communiqué publié le 25 juillet 1951, s’engage à militer : « pour le respect des libertés fondamentales : liberté de conscience, d’opinion, de presse et de réunion. »

Dans un appel intitulé « Le seul chemin de l’indépendance nationale », rédigé à l’issue de son 6e Congrès national (23 février 1952), le PCA rappelle que : « la démocratie, dans nos buts, c’est d’abord la démocratie sur le plan politique, la participation du peuple tout entier au gouvernement du pays, à la gestion générale et locale de ses affaires, son contrôle permanent pour faire respecter les libertés fondamentales. »

Alors que l’heure était aux préparatifs du déclenchement de la guerre de libération, s’est tenue dans le courant de l’année 1954 d’après le témoignage de Abderahmane Farès, une réunion présidée par le Dr Bendjelloul, et à laquelle assistait Ferhat Abbas. Il fut élaboré au cours de cette réunion un « Programme politique revendiquant l’égalité des droits et des devoirs dans le cadre de la démocratie française ». Une délégation comprenant le Dr Bendjelloul, le Dr Ahmed Francis, Boumendjel, Tewfik El Madani et Abderahmane Farès, fut mandatée pour exposer le Programme en question au gouvernement français. Elle fut effectivement reçue par le président du Conseil, Pierre Mendès-France assisté de son directeur de cabinet, Palabon ancien secrétaire au Gouvernement général à Alger, ainsi que François Mitterand, ministre de l’Intérieur[44]. Durant cette année 1954, les événements tant sur le plan algérien que sur le plan français, se précipitèrent à une vitesse vertigineuse.

En Algérie, le Mouvement national vivait ses dernières heures de légalisme et de bureaucratie interne. Le 23 mars 1954 naissait le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), trois mois plus tard, en juin, se regroupaient les anciens membres de l’Organisation Spéciale (OS) en un comité dit « Comité des 22 ». Le Congrès des messalites à Hornu, en Belgique (14-17 juin) aboutit à la scission du MTLD.

L’événement le plus marquant pour le système colonial est cependant la chute de Dien Bien Phu (7 mai) qui fait tomber le gouvernement Laniel et permit à Pierre Mendès-France de devenir président du Conseil (17-18 juin). Ce dernier reconnaîtra le 31 juillet l’autonomie interne de la Tunisie.

Tout l’été 1954 sera consacré aux préparatifs et à la mise en place des structures pour l’imminent passage à l’action armée. Le C.R.U.A. est dissous le 20 juillet. Durant le mois d’août se tient le Congrès des partisans du Comité central, « les Centralistes », dissidents du parti resté sous le contrôle de Messali Hadj ; et un accord est conclu entre le Comité des 22 et les maquisards de Kabylie.

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre fut déclenchée la lutte armée. Elle fut portée à la connaissance de l’opinion publique par une « Proclamation » émanant du Front de Libération Nationale datée du 31 octobre, diffusée le lendemain, 1er novembre. La Proclamation adressée « au peuple Algérien et aux militants de la cause nationale » se limite à fixer dans l’immédiat les objectifs de l’insurrection armée et se donne pour but principal : « l’Indépendance nationale par : 1) La restauration de l’État Algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ; 2) Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions. »

Comme le fait remarquer M. Harbi, contrairement aux déclarations de l’Étoile nord-africaine et du Parti du peuple algérien (1926-1946), La « Proclamation du 1er novembre 1954 » ne se présentera pas au peuple algérien, avec un programme de gouvernement[45]. C’est le moment d’arrivée au point de non-retour dans la radicalisation de la revendication pour l’indépendance et de rupture totale avec le légalisme revendicatif prôné par les partis nationalistes toutes tendances confondues

Il est bien évident que la guerre de libération va provoquer des réactions très violentes de la part du système juridico-politique colonial en matière de restrictions des libertés individuelles, ce qui va réduire à néant toute manifestation de vie démocratique ; comme le note judicieusement Mohammed Bedjaoui, « parvenu jusqu’aux méthodes de génocide, le colonialisme français en Algérie ne pouvait hésiter à briser toutes les libertés. Ni la liberté d’association, ni la liberté de parole, ni la liberté de la presse, ni la liberté de réunion, ni la liberté du commerce n’existent en Algérie. »[46]

Comment pouvait-on être un homme libre, c’est-à-dire, un homme jouissant de tous ses droits politiques et civiques ; et en dernière instance de toutes les libertés individuelles garanties par les lois constitutionnelles si on est considéré comme un mineur politique sous tutelle d’une puissance coloniale ; et si le statut juridique conféré à l’homme colonisé est celui de sujet et non de citoyen. C’est la question qui a de tout temps préoccupé les élites politiques algériennes qui ont longtemps cru possible de bénéficier un jour des bienfaits des principes humanistes et démocratiques de la Révolution de 1789 ; et partant de jouir de toutes les libertés fondamentales (de réunion, de circulation, d’enseignement, de presse, de culte) garanties par les différentes Constitutions françaises ; et qui même « reconnues solennellement par l’article 2 du statut organique de l’Algérie en septembre 1947 ne sont pas respectées par les autorités françaises de 1945 à 1954 avant d’être suspendues pendant la guerre de libération de 1955 à 1962. »[47]


Notes

[1] Benkada, Saddek. « Revendications des libertés publiques dans le nationalisme algérien : le cas de la liberté d’association (1919-1954) ».

Actes du Colloque international « Le mouvement associatif au Maghreb », organisé par le CRASC en partenariat avec l’IME-Paris VIII, Oran, 5-6 février 2001. Publiés dans les Cahiers du CRASC, coordonnés par Omar Derras, n° 5, 2002, pp. 105-124.

[2] Rey-Goldzeiguer, Annie, le Royaume arabe, Alger, Sned, 1977, p. 424.

[3] Heymann, Arlette, les Libertés publiques et la guerre d’Algérie, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1972, p.1.

[4] Khodja, Hamdane Ben Othmane, le Miroir. Aperçu historique et statistique sur la régence d’Alger, Paris, octobre 1833, introduction d’Abdelkader Djeghloul. Paris, Sindbad, 1985, p. 29.

[5] Ageron, Charles-Robert, « Jules Ferry et la question algérienne en 1892 d’après quelques inédits », Revue d’histoire moderne et contemporaine, avril-mai 1963.

[6] Cité par Ch.-André Julien, L’Afrique du Nord en marche, Paris, Julliard, 1952, p. 28.

[7] Ageron, Charles-Robert, « Le mouvement Jeune-Algérien de 1900 à 1923 », Études maghrébines, Charles-André Julien. Paris, PUF, 1964, pp. 217-243. Voir également : Benkada, Saddek, « Publicistes et journalistes de l’entre-deux-guerres en Algérie : trajectoires d’intellectuels », in Sraïeb Noureddine et EL-Messaoudi Amina (s/dir.), Anciennes et nouvelles élites du Maghreb (Actes du colloque Zarzis III). INAS (Alger), CÉRÈS (Tunis), ÉDISUD (Aix-En-Provence), 2003, pp. 99-108.

[8] Ageron, Charles-Robert. op., cit., p. 224.

[9] Discours de Si M’hamed Ben Rahal, assesseur au conseil général d’Oran, prononcé dans les jardins de la sous-préfecture de Tlemcen pour la réception d’Émile Loubet, président de la République, en avril 1903.

[10] Kaddache, Mahfoud, L’Émir Khaled. Documents et Témoignages pour servir à l’étude du nationalisme algérien. Alger, OPU-Enap, 1987, p. 85.

[11] Idem., p. 122. Voir également : Ageron, Ch.- R. « La pétition de l’émir Khaled au président Wilson (mars 1919), suivie d’une réponse à quelques objections », Revue d’Histoire Maghrébine, n° 19-20, oct. 1980.

[12] Kaddache, Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, T. II, Alger, 2 éd., 1993, annexe 3, p. 890.

[13] Lettre adressée le 3 juillet 1924 et appuyée par deux conférences tenues à Paris, les 12 et 19 juillet 1924, devant « 12 000 Français et Nord-Africains musulmans ». Cf. Emir Khaled, La Situation des Musulmans d’Algérie, Alger, Ed. du Trait-d’Union, Victor Spielmann, 1924. Présentation Nadya Bouzar-Kasbadji, OPU, 1987, 55 p. Voir également : Collot, Claude et Henry, Jean-Robert, Le Mouvement national algérien. Textes 1912-1954, Alger, 2 éd., OPU ; Paris, L’Harmattan, 1986, p. 32.

[14] Liauzu, Claude, Aux origines des tiers-mondismes. Colonisés et anticolonialistes en France 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1982. Cf. Emir Khaled, op. cit. Collot, Claude et Henry, Jean-Robert, Le Mouvement national algérien. Textes 1912-1954, Alger, 2 éd., OPU ;  Paris, L’Harmattan, 1986, p. 32.

« L’Union intercoloniale, fondée en 1922, sur l’instigation de l'Internationale communiste, parmi les travailleurs coloniaux émigrés en France et la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) s’efforcent d’organiser l’émigration algérienne et nord-africaine. Un premier congrès des ouvriers nord-africains de la région parisienne rassemble, le 7 décembre 1924, 150 délégués ; il désigne un bureau maghrébin de 15 délégués et vote un programme de revendications qui, sur le plan politique, reprend les revendications de l’émir Khaled en y ajoutant un point nouveau : « suffrage universel », et qui contient un cahier de revendications économiques et sociales fort détaillé. Le Congrès se clôt par le vote de deux motions de solidarité adressées, la première « au peuple marocain et à Abd-el-Krim », la seconde « aux peuples égyptien et tunisien » (Collot, Claude et Henry, Jean-Robert, op. cit., p. 34).

[15] Kaddache, Mahfoud. Histoire du nationalisme algérien. Alger, Enal, t. I, 2e édi., 1986, pp. 177-179. Voir également Collot, Claude et Henry, Jean-Robert, op. cit. ; Bouguessa, Kamel, Aux Sources du nationalisme algérien. Les pionniers du populisme révolutionnaire en marche, Alger, Casbah-Éditions, 2000, p. 203.

« Le congrès des travailleurs nord-africains de Paris, selon les dirigeants communistes, devait servir de base à tous les autres congrès nord africains régionaux ou fédéraux qui seraient convoqués ultérieurement. Le ton et le contenu des intervenants au congrès ne laissent pas de doute sur la prédominance des mots d’ordre antimilitaristes qui ne se distinguaient pas de l’anticapitalisme. […] Du point de vue du programme, on notera l’importance de cette base minimale qu’est la lutte contre le Code de l’indigénat et l’absence du mot d’ordre de l’indépendance qui reste en retrait, apparaissant comme une lointaine promesse. » (Bouguessa, Kamel, op. cit., p. 203).

[16] Bouguessa, Kamel, op. cit., p. 324-325.

[17] Kaddache, Mahfoud. op. cit., T. II, Alger, 2 éd., 1993, annexe 3, p. 895.

[18] Vatin, Jean-Claude, L’Algérie politique, histoire et société, Paris, A. Colin, FNSP, 1974, p. 201

[19] Kaddache, Mahfoud, op. cit., T. II, Alger, 2 éd., 1993, annexe 3, p. 899. Bouguessa, Kamel, op. cit.

[20] Collot, Claude et Henry, Jean-Robert, op. cit., p. 39. Voir églement : Mathlouti, Salah, Le Messalisme. Itinéraire politique et idéologique 1926-1939, thèse 3e cycle, Université de Paris-VIII, sd, 251p, annexe 3. Kaddache, Mahfoud, op. cit., T. II, Alger, 2 éd., 1993, annexe 10, p. 907.

[21] Ageron, Charles-Robert, Histoire de l’Algérie contemporaine 1871-1954, Paris, PUF, 1979, p. 351.

[22] Collot, Claude et Henry, Jean-Robert, op. cit., p. 53. Bulletin du Comité de l’Afrique française, 1934, pp. 575-576. Kiouane, A. Moments du mouvement national. Alger, Ed. Dahlab, 1999.

[23] Benkada, Saddek. « Elites émergentes et mobilisation de masse : l’affaire du cimetière musulman d’Oran (février-mai 1934) ». Didier Le Saout et Marguerite Rollinde (s/dir. de), Emeutes et mouvements sociaux au Maghreb. Paris, Institut Maghreb Europe, Karthala, 1999, pp. 79-89.

[24] Ageron, Ch.-R.. Op. cit, p. 423.

[25] La Lutte sociale, 16 et 31 mars 1935, cité par Kaddache, Mahfoud. La vie politique à Alger de 1919 à 1939. Alger, SNED, 1970, p. 227.

[26] Viard, Paul-Émile. Les droits politiques des indigènes d’Algérie. Sirey, 1935.

[27] Jurquet, Jacques. La Révolution nationale algérienne et le parti communiste français. t. II, Paris, Ed. du Centenaire, 1974, pp. 528-538.

[28] Kaddache, Mahfoud. Histoire du nationalisme algérien. T. II, Alger, 2 éd., 1993, annexe 14, p. 917

[29] Kaddache, Mahfoud. Idem, t. I, p. 465.

[30] Article de Messali Hadj, suite à la dissolution de l’ENA, publié dans La Gauche Révolutionnaire, n° 15, 1er mars 1937. Cf. Kaddache, Mahfoud. Idem, t. II, p. 936.

[31] Kaddache, Mahfoud. Idem, t. II, annexe 21, p. 930. (source : El Ouma sept-oct. 1936.)

[32] Liauzu, Claude. Op. cit., p. 206.

[33] Ageron, Ch.-R.. Op. cit, p. 437.

[34] Plan de revendications immédiates pour l’Afrique du Nord présenté au Front Populaire par l’Étoile Nord-Africaine, le Comité de défense des libertés en Tunisie et le Comité de défense des intérêts marocains (février 1936). Cf. Mathlouti, Salah. Op. cit., 251p., annexe V.

[35] Collot, Claude et Henry, Jean-Robert. Op. cit., p. p. 94.

- Kaddache, Mahfoud. Op. cit., t. II, pp. 943-944.

[36] Idem., t. II, pp. 943-944.

[37] Voir à ce sujet :

- Ageron, Ch.-R. « Ferhat Abbas et l’évolution politique de l’Algérie musulmane pendant la deuxième guerre mondiale ». Revue d’Histoire du Maghreb, n° 4, juillet 1975, pp. 125-144.

- Bessis, Juliette. « L’opposition France-Etats-Unis au Maghreb, de la Deuxième-guerre mondiale jusqu’aux indépendances », in, Ageron, Ch.-R., (s/dir). Les chemins de la décolonisation de l’Empire colonial français. Paris, Institut d’histoire du temps présent (IHTP), Ed. du CNRS, 1986, pp. 341-356.

[38] - Beghoul, Youcef. Le Manifeste du Peuple Algérien. Sa contribution au mouvement national. Mémoire de DES de Sc. Pol., Université d’Alger, octobre 1974, 268 f.

- Mimouni, Abdelkader. Le Manifeste Algérien dans la presse française. Alger, En-Nahda, 1er éd., 1949 ; 2èm. éd., éd. Mimouni, 1991, pp. 7-22.

- Reproduit à titre de document dans Parcours Maghrébins, lundi 11 juin 1990, pp. 16-18.

[39] Ageron, Ch.-R. Histoire de l’Algérie contemporaine (1830-1982). Paris, PUF, Coll. Que-sais-je ?, 8è éd., 1983, p. 90.

Voir également : Perville, Guy. « La Commission des réformes musulmanes de 1944 et l’élaboration d’une nouvelle politique algérienne de la France. » In,, Ageron, Ch.-R., (s/dir). Les chemins de la décolonisation de l’Empire colonial français. Paris, Institut d’histoire du temps présent (IHTP), Ed. du CNRS, 1986, pp. 357-366.

[40] Ageron, Ch.-R. Histoire de l’Algérie contemporaine (1830-1982). Paris, PUF, Coll. Que-sais-je ?, 8è éd., 1983, p. 90.

Voir également : Perville, Guy. « La Commission des réformes musulmanes de 1944 et l’élaboration d’une nouvelle politique algérienne de la France. » In,, Ageron, Ch.-R., (s/dir). Les chemins de la décolonisation de l’Empire colonial français. Paris, Institut d’histoire du temps présent (IHTP), Ed. du CNRS, 1986, pp. 357-366.

[41] Kaddache, Mahfoud. Op. cit., t. II, p. 702.

[42] Sur le contexte politique de la promulgation du Statut de l’Algérie, voir en particulier :

- Rudelle, Odile. « le vote du statut de l’Algérie » ; in, Serge Berstein Serge et Pierre Milza (édi.). L’Année 1947. Paris, Presses des Sciences Po, 2000, pp. 309-326.

- Michel Marc. « L’Empire colonial dans les débats parlementaires » ; « ; in, Serge Berstein et Pierre Milza (édi). Op. cit. pp. 189-218.

[43] Meynier, Gilbert. Histoire intérieure du FLN 1954-1962. Paris, Fayard, 2002, p. 70.

[44] Fares, Abderahmane. La Cruelle vérité. L’Algérie de 1945 à l’indépendance. Paris, Plon, 1982, p. 55.

[45] Harbi, Mohamed. Les Archives de la Révolution algérienne. Paris, les Ed. Jeune-Afrique, 1981, p. 101.

[46] Bedjaoui, Mohammed. La Révolution algérienne et le droit. Préface de Pierre Cot. Bruxelles, Ed. de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, 1961, p. 246.

[47] Collot, Claude. Les Institutions de l’Algérie durant la période coloniale (1830-1962). Paris, CNRS ; Alger, OPU, 1987, p. 287.

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