Présentation

Insaniyat N°42 | 2008 | Territoires urbains au Maghreb | p.7-11 | Texte intégral


Encore un numéro d’Insaniyat consacré aux villes, diraient certains ! Certes, c’est vrai dans la mesure où d’une part, la ville maghrébine est aujourd’hui le lieu dans lequel se construit l’actualité, se créent les richesses, se nouent et se dénouent les conflits entre les divers acteurs publics et privés, entre les ‘faiseurs de ville’ qui tiennent encore à garder leur pouvoir de décision et les autres… ; et d’autre part, le thème s’est imposé également de par l’ampleur des tendances actuelles de recherche, reflétant la place principale de l’urbanisation de nos territoires et ce, en dépit des difficultés quotidiennes vécues par les sociétés urbaines maghrébines.

La ville maghrébine, changeante au cours du temps, analysée à travers les travaux présentés sur la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, est abordée ici par des chercheurs de divers champs disciplinaires (géographes, sociologues, historiens, architectes, urbanistes…). Certes, les approches divergent, mais la touche anthropologique laisse apparaître la résurgence de cultures locales incrustées dans notre imaginaire, nos savoir-faire et nos pratiques sociales transmises d’une génération à l’autre, notamment dans la façon d’occuper et d’aménager nos territoires, d’entretenir -ou pas - notre patrimoine, de façonner notre habitat et d’y forger une incontournable urbanité.

A l’intérieur du premier volet thématique, la question  du patrimoine matériel abordée dans deux articles, semble poser problème aux pouvoirs politiques en place au Maghreb, probablement à cause des natures identitaires des édifices existants et d’une vision opaque de son utilisation ; en tout cas et en dépit du discours officiel, le débat portant sur le patrimoine est encore non clarifié en Algérie par exemple et les dégâts subis, ces dernières années, apparaissent irréparables, donnant l’image d’un patrimoine architectural ‘en voie d’extinction’. Comment le répertorier ? Le réhabiliter ? Le gérer ? Le mettre à la disposition de la collectivité ? Comment assimiler courageusement les divers héritages patrimoniaux nés dans la durée, longue ou courte, de l’histoire?

C’est dans cet ordre d’idées que Mohamed Ben Attou s’interroge sur la qualité du débat conceptuel et méthodologique au Maroc et ce, à propos du patrimoine des médinas en soulignant d’une part leur sous-
analyse, tant dans les écrits de l’histoire officielle que dans ceux de l’histoire coloniale récente. D’autre part, il relève l’indifférence des acteurs locaux faussant de fait, la stratégie de l’utilisation de ces mêmes médinas comme une ressource à protéger, à entretenir et à gérer au profit de la société ; l’auteur se demande « pourquoi, nous ne comprenons pas notre patrimoine et nous ne le respectons pas comme l’ont fait les autres ? », c’est-à-dire les conquérants espagnols qui ont reproduit l’architecture andalouse lors de la construction de leur ‘Comandancia’ à Larache…, manière de le reconnaître comme ayant « une valeur psychologique, symbolique et identitaire avant d’être une valeur matérielle ». Pour son approche de la fabrication de la ville, l’architecture élaborée par Fernand Pouillon marque l’espace et le temps tant à Alger que dans les structures hôtelières disséminées dans les différentes régions algériennes. Myriam Maachi-Maïza retrace la vie de cette forte personnalité dont le travail « présente des références architecturales multiculturelles, mais aussi une grande richesse compositionnelle puisque le modèle est la ville méditerranéenne avec ses rues, ruelles, impasses, portes urbaines, placettes… C’est pourquoi, on y retrouve certaines formes d’urbanité ». Cette singularité explique l’appel lancé par l’architecte à divers corps de métiers : artisans, tailleurs de pierre, céramistes, sculpteurs… En ce sens, nous pouvons affirmer que les réalisations contemporaines de Fernand Pouillon, personnalité à la fois talentueuse et fantasque, sont versées désormais dans le patrimoine matériel algérien. A l’inverse des constructions résidentielles et hôtelières pensées par ce dernier et financées par la puissance publique en tant que maître d’œuvre, le Complexe Yasmine de Hammamet est pratiquement le produit du rêve d’un promoteur immobilier tunisien. Implantée dans la grande zone touristique de Hammamet, cette structure est « voulue comme un nouvel espace d’animation et d’hébergement touristique qui rompt avec la série d’hôtels monotone au sud de Hammamet ». Construite sur un site vierge, la Médina, écrit Mohamed Hellal, vise à « ressusciter trois mille ans d’histoire et à rendre visible, en un lieu unique, les héritages des civilisations qui se sont succédées sur son territoire (punique, romaine, arabo-musulmane…) et qui ont contribué à forger le patrimoine culturel et historique du pays ». Toutefois, la perception de ‘ce patrimoine nouveau’ est diversement appréciée par les populations autochtones et les touristes étrangers, plus critiques car étant à la recherche d’authenticité et non d’un pastiche de médina. L’auteur relève tout de même « l’échec de conciliation - ou de réconciliation- entre le culturel et le commercial… car le patrimoine est un ‘construit
social’… et non…individuel »
et dans ce cas, car sa conception n’a fait l’objet d’aucune « discussion » entre les divers acteurs en présence. Aussi, face à cet héritage matériel dont le devenir apparaît problématique, c’est encore une fois toute la vision politique et culturelle qui est posée, en filigrane, aux décideurs de la puissance publique.

Aïcha Ettaïeb se penche sur le secteur minier du Sud tunisien, organisé autour des localités de Metlaoui, Redeyef, Oum el Araïs et M’dilla créées lors de l’exploitation des phosphates par une société coloniale des mines. Dans le détail, le plan de structure des villages miniers est classique composant d’un côté le village colonial structuré, équipé et habité par les cadres européens et de l’autre, des noyaux bâtis plus ou moins insalubres occupés par des produits de l’exode rural, devenus par la force des choses des ouvriers mineurs. Après l’indépendance tunisienne, l’Etat a apporté peu de changement à l’organisation urbaine de ces localités car « la même structure bâtie ségrégative a été maintenue » et ces régions minières, encore déshéritées, restent peu articulées aux espaces économiques littoraux industriels et touristiques, posant de fait, une idée centrale relative à l’aménagement du territoire ; une fois encore est formulée la question du patrimoine matériel récent et sa préservation. Sur un autre plan et dans un texte plus tourné vers l’histoire maghrébine (IVe siècle hégirien/ Xe siècle), Fatima Belhouari essaie de dresser un tableau relatif à la mise en place des divers tracés terrestres, fluviaux et maritimes supportant les échanges marchands entre les places commerciales et villes nord-africaines (Tripoli, Tunis, Kairouan, Bouna, Tihert, Fès, Sidjilmassa…) en s’appuyant sur les géographes arabes (El Bekri, Ibn Hawkel, El Yacoubi…). Ces échanges qui apparaissent diversifiés (produits agricoles ; épices, têtes de bétail…) étaient tout de même perturbés par le brigandage. Le texte aurait gagné doublement en clarté l’illustration de cartes et croquis simples remplaçant la longue description des voies de communication et en plus, une mise en contexte des royaumes de l’époque et de leurs relations.

Le dernier volet du dossier se rapporte à la mobilité des hommes et à leur recherche d’intégration dans la ville. Au Maghreb, la progression de l’urbanisation déclasse quelque peu le monde rural car ce sont, désormais, les territoires urbains qui s’imposent comme les lieux du progrès d’abord économique, ensuite social, enfin culturel. C’est le cas de Téboulba, ville moyenne du Sahel tunisien, coincée entre Monastir et Mahdia, région dont l’expansion économique indéniable autorise « des rémunérations relativement élevées par rapport à la moyenne tunisienne ». De fait, le changement spatial observé par Nizar
Ben Tekaya a donné lieu à une forte attraction migratoire au profit de ce territoire caractérisé par une agglomération urbaine et par une trame villageoise relativement dense. L’installation de ces immigrants s’effectue par la voie classique du fonctionnement de réseaux de solidarité qui permettent à ces nouveaux migrants d’être accueillis certes, mais logés souvent dans des logements loués à la limite de l’insalubrité ; ces conditions d’hébergement donnent lieu à divers conflits sociaux : entre les propriétaires et les locataires, entre les berranis et les téboulbiens, refus de louer un logement aux jeunes filles… En définitive, peu nombreux sont les immigrants qui, vivant un vrai changement social sont arrivés à accéder à la propriété immobilière en périphérie et par là, avoir la possibilité de s’intégrer dans une urbanité tant recherchée. A une autre échelle, celle d’une métropole régionale, la même problématique d’insertion sociale étudiée par Abed Bendjelid est posée à Oran mais, dans des conditions bien différentes, c’est-à-dire consécutivement à un envahissement de terrains effectué dans une conjoncture politique très difficile dans laquelle « d’importantes superficies appartenant  au domaine de l’Etat ont été squattées ». Le regroupement de populations originaires d’un même lieu géographique, est « une démarche classique de recomposition sociale… où l’on reproduit une série de villages dans la ville » accompagnée d’une émergence de comportements anthropologiques latents. Logiquement, des stratégies collectives sont déployées parmi lesquelles la construction d’une salle de prière, « symbole inattaquable par le pouvoir politique » et la pression exercée pour la construction d’écoles primaires, façon astucieuse d’obtenir une adresse ‘officielle’ justifiant la résidence. Comme partout, les périmètres urbains sont soumis à une forte mobilité résidentielle intra urbaine ; pour les résidents, les luttes sociales entamées visent un objectif simple : obtenir la reconnaissance du noyau illicite par les autorités officielles. Celle-ci se traduirait par « une  régularisation de l’espace foncier » occupé par les squatters ; bien plus, les jeunes, plus exigeants et plus frondeurs, ont localement recours à la contestation de rue pour régler un problème précis. « Les stratégies et les luttes ont certes créé des conditions de socialisation de populations largement démunies et ignorées…, mais, il s’agit de faire reconnaître ces  fragments illicites comme faisant partie de la ville-mère », c’est-à-dire faire partie de la ville légale.

Par les idées et les méthodes développées, ce numéro portant sur les « Territoires urbains au Maghreb » a permis d’aborder un des angles de vue portant sur la question des villes maghrébines, allant au-delà de l’extension spatiale au cours du temps long et court de l’histoire, de sa  fastidieuse description, de sa mesure quantitative… Globalement, les travaux exposés qui ont le mérite de porter sur la réalité mouvante des villes, enregistrent divers changements décelés par ces entités urbaines à travers la constitution passée et contemporaine d’un patrimoine matériel, la lente et malaisée urbanisation des régions déshéritées et l’approche de modalités de régulation urbaine et d’insertion de populations démunies à la recherche d’une urbanité non encore affirmée, mais encore en devenir.

Abed BENDJELID

 

Appels à contribution

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran

95 06 62 41 213+
03 07 62 41 213+
05 07 62 41 213+
11 07 62 41 213+

98 06 62 41 213+
04 07 62 41 213+

Recherche