Organisations communautaires, émigration et développement dans une région de Kabylie, Ath Idjer (Tizi Ouzou)

Insaniyat N°s 69-70 | 2015 | Les migrations vues du Sud| p. 63-82|Texte intégral


Community organizations, emigration and development in a region of Kabylia, Ath Idjer (Tizi Ouzou)

This contribution wants to explain how today village management bodies participate fully in local development and how emigration (especially in France) contributes. Our approach refers to a conception of local development linked to community dynamics which main actors are the villagers. Cette dynamique s’appuie également sur les rapports qui s’établissent entre ces acteurs villageois et entre ceux-ci et les émigrés du village. This dynamics is also based on reports which are established between these village actors and between them and immigrants from the village.

Keywords: Emigration - community organization - Tajmaat - local development - solidarity - tradition and modernity.


Titem BESSAH : Université Mohamed Lamine Debaghine, Sétif 2, 19 000, Sétif, Algérie.


Introduction

Dans l’histoire de la Kabylie, l’appartenance villageoise est un élément fort de l’identité individuelle et collective[2]. Cette identité se définit par un fort sentiment d’appartenance de chacun à un village et par le respect des organisations villageoises anciennes. L’une des spécificités de la région kabyle est relative à une vigueur remarquée de son organisation sociale, les structures sociales « traditionnelles » tiennent à l’existence dans chaque village de l’instance de tajmaat qui le gère. Ces structures sociales anciennes de type communautaire comportent un autre niveau qui rassemble plusieurs villages et dont les membres se disent descendants d’un ancêtre commun. Il s’agit des groupements tribaux appelés arouch (laarach au singulier) dont les membres partagent le même nom (Ath Idjer par exemple). Si la tribu pouvait réunir les représentants des assemblées villageoises de façon exceptionnelle pour discuter des affaires communes, la tajmaat du village est « la structure de base » parce qu’elle est permanente et est une instance de concertation régulière[3]. Tajmaat désigne, dans son sens le plus large, l’assemblée générale des hommes ayant l’âge de la majorité et qui ont le droit d’assister aux assemblées générales du village. En outre, elle inclut une autre structure restreinte qui « renvoie aux personnes choisies par consentement social conformément au système de valeur de cette communauté villageoise afin de gérer le village »[4].

Cette contribution explique comment, de nos jours, ces organisations participent pleinement au développement local et comment l’émigration (notamment en France) y contribue[5]. En privilégiant une perspective d’analyse qui appréhende les questions du développement comme « l’ensemble des processus sociaux induits par des opérateurs volontaristes de transformations d’un milieu social, entreprise par le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu, cherchant à mobiliser ce milieu et reposant sur une tentative de greffe de ressources et/ou technique et /ou savoirs »[6], cet article interroge les pratiques des organisations communautaires et de ses acteurs en rapport avec l’émigration, dans une région de Kabylie, Ath Idjer. Notre approche renvoie à une conception du développement local, liée à une dynamique communautaire dont les principaux acteurs sont des villageois. Cette dynamique s’appuie également sur les rapports qui s’établissent entre ces acteurs villageois et entre ceux-ci et les émigrés du village.

L’aire d’étude est la région d’Ath Idjer, située sur les hauteurs de l’Akefadou, à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tizi Ouzou. Elle correspond à deux des quatre communes de la daïra de Bouzeguéne, le chef-lieu et Idjer. Établie à la jonction des wilayas de Tizi Ouzou et de Bejaïa, ce territoire occupe ainsi une position propice pour jouer un rôle important dans le développement local de cette région et de ses communautés villageoises. D’une superficie de 138,90 km2, elle abritait en 2008 une population de 34 359 habitants, (ONS, 2008) répartie sur une trentaine de villages[7].

Instances de gestion villageoises et développement local : des manifestations de la solidarité communautaire

Historiquement, une tajmaat intervenait dans plusieurs domaines, à savoir, la gestion des litiges et conflits entre habitants, le maintien de l’ordre dans le village, l’initiation et la réalisation de projets d’intérêt général, la mobilisation des ressources et l’organisation des travaux collectifs pour la réalisation de ces projets. Aujourd’hui encore, cette organisation villageoise manifeste une vitalité indéniable notamment dans la prise en charge d’actions de développement, confortant l’idée selon laquelle « il y a du développement du seul fait qu’il y a des acteurs et des institutions qui se donnent le développement comme objet et comme but et y consacrent du temps, de l’argent et de la compétence professionnelle »[8].

Avant de donner des exemples sur l’intervention des tajmaat dans le développement des communautés villageoises, il convient de souligner que ce terme se confond souvent avec celui de comité de village, et ce « depuis 1980 puis, plus systématiquement, à partir de 1987 »[9]. Ainsi, dans ce texte, les deux termes sont synonymes parce que l’un n’est qu’une « version actualisée » de l’autre[10]. Depuis la fin du XXème siècle, les réalisations des organisations villageoises (tajmaat ou comité de village) sont multiples et leurs budgets, qui parfois se limitent à quelques centaines de milliers de Dinars algériens, atteignent souvent plusieurs dizaines de millions de Dinars. Ces organisations interviennent essentiellement pour la réalisation d’équipements collectifs, comme l’ouverture et le bétonnage des pistes et rues, la construction et l’entretien d’infrastructures collectives[11] : fontaines publiques, mosquées, maisons de jeunes, sièges pour associations, stades, salles de conférences, bibliothèques, cyber-cafés, espaces pour enfants, entretien des réseaux d’eau et d’assainissement. Ces nombreuses initiatives et projets engagés et réalisés par ces organisations impliquent, au-delà des sommes importantes d’argent, beaucoup de travail et des compétences diversifiées.

La réussite de ces projets s’explique par une très forte cohésion communautaire qui permet aux organisations villageoises d’être capables de telles initiatives. Elles possèdent un fort pouvoir mobilisateur auprès des villageois qu’elles réunissent autour de projets multiples et de travaux collectifs. Grâce au principe de la participation de tous les ayants droit (les hommes âgés de 18 ans et plus), elles créent les conditions d’une participation active des villageois dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des projets de développement. Les responsables de villages n’ont pas de difficultés à motiver les citoyens pour participer à une entreprise commune. Autrement dit, l’organisation sociale et les rapports sociaux qui la sous-tendent sont des facteurs dynamiques de changement au sein des villages. Cette dynamique tient essentiellement à la vivacité du tissu social villageois.

La mise en place d’un réseau d’adduction à l’eau

Plusieurs villages de la région (Takoucht, Tawrirt, Sahel, Ighil Tziba, Ath Saïd et Ath Yiken… de la commune de Bouzeguéne et Igerssafen, Ighil Boukiassa, Ath Aicha de la commune Idjer) sont alimentés en eau potable par des réseaux et des captages des sources à grande distance de la montagne, réalisés depuis le début des années 1990 par les comités de villages. Ces derniers ont initié et organisé les travaux de captage, d’adduction et de distribution de l’eau des sources et ont acheté le matériel nécessaire pour les travaux, plusieurs réservoirs d’eau et des pompes de refoulement. Vers la fin des années 1990, ces villages ont mis en place un réseau d’adduction d’eau à domicile. Durant les années 2000, tous les villages ont ainsi bénéficié d’une réhabilitation des réseaux d’alimentation en eau potable et dans certains d’entre eux, les fontaines publiques ont été réaménagées.

Ce projet d’envergure a été estimé à plus de trente millions de Dinars pour chaque village. Sa réussite s’explique par une très forte mobilisation des villageois dans toutes les phases du projet auxquelles ils ont participé financièrement (cotisations et dons) et physiquement (volontariat et travaux collectifs). La mise en place d’un personnel de gestion, de contrôle et d’entretien[12] payé par le village pour faire le relevé des compteurs, l’entretien du réseau et la réparation des pannes a permis un accès durable à l’eau potable. Ces villages ont apporté leur propre réponse au problème aigu de l’eau dont souffrent les autres villages.

Décharges publiques et ramassage des déchets ménagers

Le deuxième exemple illustrant l’importance des réalisations récentes des comités de villages concerne la mise en place de décharges publiques pour les déchets ménagers. Plusieurs comités de villages[13] ont pris en charge la gestion des déchets par l’aménagement de décharges, l’achat du matériel nécessaire (camions, tracteurs, bennes et remorques, poubelles publiques…) et le recrutement de salariés s’occupant du ramassage et du transport de ces déchets. La réussite de ce projet est une fierté pour les membres des comités de villages qui rappellent : « Nous avons réussi là où l’État a échoué »[14]. Sans oublier le dynamisme de plusieurs associations villageoises créées ces dernières années pour collaborer avec les comités de villages pour la protection de l’environnement. Il s’agit par exemple des associations « Alma vert » du village Igerssafen, « Longue vie à l’arbre » (ALVA) du village Houra, « Eco-nature » du village Wirgan, « L’association pour la protection de l’environnement » du village Ibekaren, « Colline verte » du village Tawrirt, « La vie au village » du village Sahel…. Au cours de l’année 2013, le comité de village Igerssafen, en collaboration avec l’association écologique « Alma vert », s’est engagé dans le tri sélectif des déchets (bio déchets, plastiques et carton), avec l’aménagement d’un centre de tri, le compostage et la valorisation des déchets par la revente à des sociétés de recyclage. En outre, le comité prévoit l’achat d’un compacteur pour réduire l’espace d’occupation des déchets.

Une parenthèse s’impose sur ce village qui a connu un succès fulgurant au cours de ces dernières années. C’est un « village modèle », grâce aux progrès accomplis ces deux dernières décennies et l’importance des projets réalisés et réussis dans plusieurs domaines sous l’impulsion d’une institution bien établie qu’est la tajmaat ou comité de village. Ainsi, Igerssafen a été récompensé par le prix du village le plus propre de la wilaya de Tizi Ouzou en octobre 2014 dans un concours initié par l’Assemblée Populaire de Wilaya (APW). Son dynamisme est mis en exergue par la presse écrite et audiovisuelle et son succès tient incontestablement en la force de sa tajmaat et de ses associations15.

La vitalité des comités de villages s’explique par le fait qu’il existe des besoins qui ne sont pas pris en compte par l’État et ses institutions. En fait, dans la majorité des villages de cette région, les initiatives locales en matière de développement se sont multipliées au cours de ces dernières années. Les organisations communautaires ne sont pas restées indifférentes aux difficultés socio-économiques qu’éprouvent les citoyens. La création d’une Coordination des Comités de Villages de la Commune de Bouzeguéne (CCVCB) à la fin de l’année 2011 par des représentants des comités de villages[15] de cette localité et par des acteurs associatifs, permet de renforcer l’action des comités. Les objectifs sont pluriels mais il s’agit essentiellement de collaborer avec les élus locaux pour trouver des solutions aux problèmes multiples et œuvrer au développement de la commune[16]. Le but officiel de cette coordination est ainsi le développement social et économique de la commune. Cette initiative vise aussi à faciliter et développer la médiation entre les habitants, les organisations communautaires, les associations et les collectivités locales afin de favoriser le partenariat et préparer les bases de la réussite des projets de développement. Cette coordination est une organisation conduisant tous les villages de la commune à travailler ensemble autour de projets définis en commun permettant ainsi de trouver des solutions à des difficultés que les responsables locaux n’ont pas pu régler, comme on l’a vu récemment à propos du problème de la décharge publique[17] et de l’eau potable[18]

Cela témoigne de la pertinence des organisations communautaires face à l’apparition de nouvelles organisations modernes et nous amène à postuler que le développement local dans les milieux villageois en Kabylie est étroitement lié à ces organisations qui apparaissent comme la voie grâce à laquelle les acteurs villageois entament un processus de développement. Autrement dit, ces organisations jouent un rôle essentiel comme acteurs du développement local dans un contexte de modernisation du lien social et de développement des institutions de l’État. Elles ont su s’adapter aux nouveaux types d’organisation et combinent en leur sein des éléments traditionnels et modernes. Elles sont aptes à traduire l’intérêt collectif et à promouvoir le développement socioéconomique et culturel des villages et contribuent à une véritable gestion des problèmes concrets.

Des ressources financières et matérielles nombreuses

« Le secret des innombrables réalisations réussies par les villageois d’Igerssafen réside dans la mobilisation rationnelle et optimale de l’argent des ménages et de la communauté émigrée. Cette entreprise citoyenne s’appuie sur les comités de village qui sont un outil et un mode d’auto-gouvernance séculaire et parfaitement intégré par les villageois.» C’est ainsi que le comité de village d’Iguerssafen explique son succès dans un document intitulé« Iguerssafen, village des 99 martyrs, un village, un symbole » où sont retranscrits les principaux articles du règlement intérieur du village et où sont rappelés les différents projets initiés par le comité.

Pour réaliser ces projets, les instances villageoises mobilisent et gèrent des ressources monétaires et matérielles considérables. Nos enquêtes de terrain montrent que les ressources de la tajmaat sont constituées par les cotisations et les dons des villageois, les amendes[19] pour les infractions aux articles de la réglementation coutumière et les subventions de l’État. En outre, certains villages disposent d’autres ressources comme la location des biens collectifs du village (matériels pour les fêtes et les deuils comme les bancs, chaises, tables et ustensiles de cuisine, l’usage d’espaces publics comme les espaces réservés aux fêtes…)21, les prix récompensant les villages[20] et l’argent provenant des taxes d’eau.

Certains projets réalisés par les tajmaat sont des sources appréciables de revenus pour les caisses des villages comme le projet d’eau potable[21] et celui de la valorisation des déchets.

Outre les aspects de l’organisation locale, la mobilisation des ressources de l’émigration apparaît comme un levier de cette dynamique locale.

Les transferts de fonds des émigrés : principale source de financement des projets de développement

La cotisation est le principal mode d’alimentation de la caisse de tajmaat. Elle renvoie aux sommes que certains citoyens versent obligatoirement à la caisse de leurs villages. Généralement, tous les villages qui disposent d’une instance de gestion villageoise plus ou moins dynamique recourent à ces cotisations. Les modalités divergent[22] d’un village à l’autre mais le principe est le même, à savoir : alimenter la caisse du village par les citoyens non actifs (non-participation aux travaux collectifs, à l’organisation des cérémonies funéraires et aux réunions). Ainsi, ce sont les émigrés, parce qu’absents, qui payent les cotisations les plus importantes.

Tableau 1 : Les origines des ressources de tajmaat du village Igerssafen entre septembre 2010 et septembre 2012

Source : Archives du comité de village.

Près de la moitié des ressources de la tajmaat du village Igerssafen entre 2010 et 2011 proviennent des cotisations des émigrés. Dans ce village, les émigrés et les retraités touchant leur pension en devise dépassant un revenu de 100 euros par mois sont soumis à des cotisations qui sont réparties selon un barème dégressif.

Tableau 2 : Les cotisations au village Igerssafen

Source : (Article 2, chapitre V du règlement coutumier du village).

En plus des cotisations, les dons que font les villageois émigrés constituent un apport considérable[24].

Ces transferts représentent une source non négligeable de financement des projets de développement. Leur montant n’a cessé d’augmenter ces dernières années pour atteindre des sommes estimées à plus de 10 millions de DA en une année, dépassant, dans plusieurs cas, l’aide publique au développement. C’est le cas du village Igerssafen où les subventions de l’État ne représentent que 17,8% des ressources de la tajmaat entre 2010 et 2012. En outre, la consultation des programmes communaux de développements (PCD) de la commune Idjer pour les périodes 2005-2009 et 2010-2011 confirme ce constat[25].

 

Tableau 3 : Évaluation des cotisations provenant de l’émigration en France durant une année[26]

Source : Nos propres calculs à partir des données d’enquêtes31.

Les données du tableau ci-dessus montrent que les tajmaat collectent d’énormes sommes d’argent de ses villageois émigrés en France : quatre villages de la région reçoivent à eux seuls une moyenne de 83000 euros par an[28].

L’émigration villageoise est une donnée économique essentielle pour les tajmaat. Pour certains villages, comme à Ighil Tziba, les cotisations des émigrés représentent jusqu’à 75% des ressources du comité (données de 2008).

Les transferts d’argent est un des indicateurs de l’attachement des émigrés à leur village d’origine. Mais il convient d’expliquer ce qui fonde le maintien de ce lien et quelle est sa nature.

Les fondements du maintien des liens entre émigrés et villages d’origine

Camille Lacoste-Dujardin a montré l’importance centrale, dans la société kabyle, des liens de parenté qui définissent l’identité de chacun. En effet, en Kabylie « l’on ne demande pas à un homme " qui es-tu ?", mais "de qui es-tu ? " ou "de quelle famille es-tu ?", accordant ainsi la priorité à la parenté sur l’individu »[29]. Cette forte solidarité qui parvient à s’étendre, veut que chacun œuvre conjointement à la prospérité non seulement de sa famille, mais aussi de son village. Ceci conforte l’importance centrale des liens sociaux et la pertinence des solidarités villageoises qui font que « les intérêts collectifs ou généraux soient reconnus comme plus légitimes que les intérêts particuliers des individus »[30]. Les organisations villageoises sont une « expression concrète et politique »[31] de cette solidarité communautaire qui se manifeste notamment lors des travaux collectifs (tiwizi) régis par la réglementation coutumière[32]. Il s’agit de voir, quelle est l’influence de la distance et de l’éloignement sur cette solidarité.

Les caractéristiques de « l’émigration sur ordre du premier âge » qui date de la fin du XIXème siècle jusque vers les années 1945-1950, définies par Abdelmalek Sayad, permettent de comprendre le maintien des liens entre les émigrés et leur pays d’origine. Durant cette période, les émigrés « dépositaires de la confiance de leur groupe » étaient choisis parmi « les travailleurs de la terre et de la maison » afin de « rester solidaires de leur groupe et fidèles à leurs qualité de paysan ». Ainsi, le rythme des séjours fréquents des émigrés « obéissait au calendrier des travaux agricoles et aux temps forts de la vie sociale (fêtes de mariage) ». L’émigré se devait de rester attaché aux valeurs paysannes et à celles du groupe[33].

Si l’émigration du premier âge était contrôlée et « subordonnée à l’ordre paysan et à l’ordre communautaire », celle de la seconde génération était totalement distincte de la précédente. Les transformations sociales et culturelles qui se sont produites au sein de la société algérienne avaient pour conséquence sa « dépaysannisation » qui a transformé les conditions de l’émigration. Elle modifie « le rapport qui unissait initialement l’émigration à l’indivision familiale » entraînant « le reniement de la communauté et de la solidarité ancienne »[34].

« Le troisième âge de l’émigration » connaît l’accroissement de son volume avec une grande diversification de sa composition sociale suite au passage d’une « émigration de travail », masculine et adulte à une émigration familiale après 1974. Ainsi, s’est constituée une communauté d’émigrés sous forme d’une « petite société relativement autonome »[35] grâce à un réseau de lien de solidarité qui lui est indispensable pour se perpétuer. C’est par l’intermédiaire de cette communauté que se renforcent et se revivifient les relations avec le pays d’origine[36]. « Organes de pression, intermédiaires entre la société d'origine et ceux des siens qui l'ont quittée, ils (les groupes que forment les émigrés) agissent comme facteurs de régulation et de contrôle des émigrés qui, ainsi regroupés, peuvent entretenir de manière plus vivace et plus continue les liens qui les rattachent à leur pays »[37]. Cet attachement apparaît notamment à travers leur implication dans le développement de leur pays d’origine. Mais, qu’est ce qui explique cette implication ?

Pour Thomas Lacroix, il convient de chercher l’origine de cette implication dans « l’histoire politique et migratoire de ces populations ». Il explique ainsi que « jusqu’à la clôture des frontières pour l’immigration de travail, en 1973 et 1974, le principal modèle d’immigration est celui de la chaîne migratoire. Les migrants arrivent en France avec en poche l’adresse d’un parent ou d’un ami issu du même village d’origine. Par ce biais, des communautés villageoises se reconstruisent sur le territoire d’accueil. La vie des immigrés se structure alors autour d’une organisation villageoise. Dans le cas algérien, cette organisation villageoise reproduit le modèle des tajmaat kabyles »[38].

C’est aussi le constat de Direche-Slimani qui a écrit bien avant : « cette solidarité (familiale, villageoise et même dans certains cas supra-villageoise) est un élément sociologique essentiel pour comprendre la prépondérance de l’émigration kabyle par rapport aux autres régions d’Algérie et le maintien de liens de solidarité serrés existant dans ses communautés en France. Transposée en France, elle est le reflet des structures sociales et géographiques et la région d’origine et le garde-fou contre la solitude, le chômage et toutes les épreuves qui menacent les travailleurs en exil »[39].

Les premières organisations communautaires d’émigrés kabyles en France apparaissent avec comme objectif de prendre collectivement en charge les dépenses du rapatriement des corps des défunts. Leur fonction essentielle est d’organiser des cotisations[40] auxquelles participent toutes les personnes originaires de la même région.

Ces organisations reproduisent le modèle communautaire en désignant des représentants de chaque village et cooptant parmi eux un chef ou amin. C’est le cas de la région Ath Idjer qui dispose, depuis plus d’un demi-siècle, de deux organisations communautaires « tajmaat elarch », à Marseille et à Paris[41] qui tiennent des cotisations de 2 euros par personne pour le rapatriement de chaque défunt[42]. Selon son responsable[43] à Marseille, cette organisation apparaît pour la première fois vers 1936. Son grand-père qui était de « la première génération d’émigrés » lui raconte que : « durant cette période, le corps d’un défunt de la région dont la famille avait été incapable de prendre en charge ses funérailles avait été jeté à la mer. Pour éviter que ce type d’incident ne se reproduise, les hommes de la région se sont mis d’accord pour maintenir une caisse commune pour couvrir des dépenses du rapatriement du corps en cas de décès d’une personne de la région ». Ce qui est remarquable c’est que cette organisation continue de couvrir les villages de l’ancienne confédération des Ath Idjer. Les émigrés ne s’alignent pas selon leur appartenance à un territoire administratif (commune ou daïra), mais selon leur appartenance à une même tribu qui se manifeste encore aujourd’hui en France. Ainsi, ce sont les rapports et les solidarités anciennes qui ont intégré des groupes villageois divers en une seule communauté. Ceci conforte l’attachement des émigrés aux valeurs de leurs aînés : « on ne veut pas dénaturer ce que nos grands-pères nous ont laissés »[44].

Selon les données qui nous ont été fournies par le responsable de « tajmaat elarch »49, le nombre total des émigrés et de leurs descendants installés à Marseille est de 3651 personnes, ce qui représente 10,6% de la population totale de la région (34 359 habitants en 2008, RGPH). Nous pouvons ainsi estimer que le taux de l’émigration de la région en France dépasse les 25% et peut même atteindre les 30% de la population totale résidente. Cette émigration a une très forte concentration à Paris et à Marseille, mais on la retrouve aussi dans d’autres villes de France comme Nice, Avignon, Cannes, Aubervilliers et Lyon.

L’étude de la population selon le lieu de résidence dans d’autres villages donne des résultats identiques et même supérieur. Par exemple, selon les données que nous avons pues obtenir à l’occasion de timecret au village Ath Yiken en 2008 (sacrifice de bœufs et partage de viande par foyer selon le nombre de personnes incluant les émigrés) la population totale du village était de 409 personnes dont 220 (53,8%) résidaient au village, 174 (42,6%) en France et 15 personnes (3,6%) à Alger et Sétif. Pour le village de Tawrirt, le nombre de cotisants vivant en France était de 415 en 2014, soit 42% de la population totale résidente au village (985 personnes).

Au-delà du rapatriement des corps des défunts, les émigrés participent, comme nous l’avons montré précédemment, aux projets de développement à travers les cotisations et les dons. Ils participent aussi à la gestion de leurs villages par la désignation des représentants dans chaque ville, notamment Paris et Marseille qui travaillent en collaboration avec les comités de villages. De multiples comités s’activent ainsi en France, en relation avec d’autres en Algérie. En outre, les émigrés aident les membres de leurs familles restés au pays à créer de petites entreprises ou à investir notamment dans le commerce ou la construction[45]. Les émigrés « maintiennent donc un double ancrage entre la France et la Kabylie, une double présence que les réseaux sociaux ne cessent de nourrir et de renforcer »[46].

Ces émigrés n’ont pas rompu avec leur village et continuent d’y séjourner durant l’été, ce qui leur permet d’assister aux assemblées générales et de tenir des réunions avec les membres du comité comme en témoignent les propos d’un représentant des émigrés du village Tawrirt à Marseille : « L’objectif de ces rencontres est de discuter avec les villageois des plans de travail en cours, à moyen et à long termes. Ce qui nous permettra de prévoir un plan de travail pour les comités qui sont en France »52.

Émigrés et monde associatif : une autre chance pour le développement local

Ces dernières années, le développement des associations d’émigrés a donné lieu à plusieurs initiatives de développement. Ces émigrés entendent créer des opportunités leur permettant de consolider les liens avec leurs villages et régions d’origine par une participation active aux projets de développement. Il s’agit par exemple de l’association « Bouzeguéne/Europe » composée essentiellement de jeunes kabyles résidents en Seine-Saint-Denis (France), dont plusieurs, originaires de la région d’Ath Idjer, ont réussi à mettre en œuvre un projet de jumelage entre la commune d’Aubervilliers et la commune de Bouzeguéne. Ceci devrait permettre, selon ses initiateurs, la réalisation des projets de développement en partenariat avec les associations locales[47]. C’est ainsi qu’un partenariat, avec l’association des handicapés et de leurs amis de la daïra de Bouzeguéne (AHLA), a été mis en place. Les acteurs associatifs de la région ont ainsi pris part à des activités internationales comme le festival « Algérie en mouvement » qui a eu lieu en région parisienne du 12 au 16 novembre 2013.

Sur le continent américain, l’association « Bouzeguéne solidarité » créée en 2011 au Québec par des personnes originaires de la région de Bouzeguéne étend son activité sur le Canada et les États Unis d’Amérique. Son activité est axée essentiellement sur le rapatriement des corps en Algérie. Mais ses membres ont aussi prévu l’organisation d’activités communautaires. Dans leur site web, les membres de l’association précisent que « l’objectif est de tisser des liens avec les associations de Bouzeguéne afin de construire des ponts et passerelles et créer des échanges avec leur communauté d’Europe, d’Algérie et d’ailleurs »[48].

Le dynamisme de certaines associations villageoises apparaît dans les projets de coopération avec des associations en France par l’intermédiaire des émigrés des villages. Ces coopérations permettent notamment de les mobiliser davantage en recevant des aides monétaires ou matérielles. Des associations de parents d’élèves ont réussi à tisser des liens et mobiliser des ressources extérieures. C’est le cas de l’association des parents d’élèves du village Sahel qui, dans le cadre d’un partenariat mis en place grâce aux émigrés du village avec une association qui active en France, a  bénéficié d’une dizaine de micro-ordinateurs durant l’été 2008. C’est aussi le cas de l’association culturelle du village Hourra qui a tissé des rapports avec l’association « Argument » (France) qui a remis une somme de cent cinquante mille150 000,00 Dinars pour l’achat d’ordinateurs et le même montant comme aide aux handicapés du village. En 2007, le comité de village Tawrirt en émigration à fait le don de 75 micro-ordinateurs collectés auprès d’une ONG en France. Le comité a distribué ce matériel aux établissements scolaires de la commune, aux structures de santé dépendant du secteur sanitaire de Bouzeguéne et à l’association culturelle du village Tawrirt dans le but de créer un cyber café[49].

Conclusion 

Cette contribution met en évidence la pertinence des rapports entre organisations communautaires, émigration et développement en Kabylie à partir d’une réflexion sur la région Ath Idjer. Des données de terrain montrent que, d’une part, les instances de gestion villageoises trouvent des solutions aux problèmes des villageois par la réalisation et la réussite des projets dans plusieurs domaines stratégiques, et que d’autre part,  l’émigration y participe avec force notamment par le financement de ces projets. Contribuer aux financements de projets exprime un besoin de conforter l'appartenance à la communauté villageoise. En contrepartie, cette dernière assure à ses émigrés un statut dans lequel la relation avec la communauté villageoise ne se limite pas à des manifestations épisodiques lors des courts séjours au pays mais d'un véritable partenariat. 

Dans une société qui laisse une large place aux relations d’union et de solidarité, les instances communautaires sont appelées à jouer un rôle de premier plan. Les villageois d’Ath Idjer kabyles ont établi non seulement un mode d’organisation égalitaire et inédit, mais ont conçu une organisation communautaire recourant à un code morale, à des valeurs et à un ensemble d’obligations et de droits clairement définis dans des réglementations coutumières élaborées par consentement entre tous les membres de tajmaat et rappelant les principes permettant d’assurer la solidarité intervenant entre tous les villageois (résidents et émigrés). Ces liens se trouvent, cependant, resserrés lors des travaux collectifs, en même temps que se renforcent à cette occasion la « société des hommes adultes» pleinement engagés et unis. Cet engagement et cette union qui s’expriment sous forme d’entraide lors de la réalisation des projets et des actions d’intérêt collectif, affirment périodiquement la profonde unité des villageois. Cette unité dépasse les frontières du village et inclut les émigrés qui participent à tous ces projets donnant ainsi une place privilégiée aux valeurs traditionnelles de la vie en communauté.

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Madoui, M. (2006), « Entrepreneurs issus de l’immigration maghrébine en France : liens aux pays d’origine et développement local », in Musette, M.-S. (dir.), Les maghrébins dans la migration internationale, Alger, CREAD.

Olivier de Sardan, J.-P. Anthropologie et développement, essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, Karthala.

Salhi, B. (1999), « Modernisation et retraditionnalisation à travers les champs associatifs et politique», in Insaniyat, n° 8.

Salhi, B. (2010), Algérie, Citoyenneté et identité, Alger, Achab.

Sayad, A. (1977), « Les trois ‘‘ âges’’ de l'émigration algérienne en France », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 15.

Le Soir d’Algérie, 16 avril 2007.

Liberté, 4 novembre 2012 et 9 mars 2013.

El Watan, 7 février 2015.


Notes

[1] Je dédie cet article à la mémoire du professeur Mohamed Brahim Salhi qui était mon directeur de thèse de doctorat en cours de finalisation et qui nous a malheureusement quittés le 25 août 2016.

[2] Salhi, B. (2010), Algérie, Citoyenneté et identité, Alger, Achab.

[3] Lacoste-Dujardin, C. (2001), « Géographie culturelle et géopolitique en Kabylie, La révolte de la jeunesse kabyle pour une Algérie démocratique », in Hérodote, n° 103, p. 76.

[4] Kenzy, A. (1999), Tajmat du village Lqela des At Yemel : étude des structures et des fonctions, mémoire de magister, Université de Tizi Ouzou, p. 222-223.

[5] Nous allons répondre à ces questions à partir des données d’enquêtes de terrain (observations entretiens et consultations) réalisées entre 2008 et 2015 sur la région Ath Idjer. Suite à plusieurs entretiens exploratoires avec des membres de comités des villages qui nous ont permis d’établir un état des lieux sur le fonctionnement des tajmaat et de l’importance de l’émigration dans la région, des enquêtes plus systématiques ont eu lieu dans les villages où les tajmaat sont les plus dynamiques. D’autres entretiens ont été réalisés avec des représentants des comités et le responsable de tajmaat elarc Ath Idjer à Marseille au cours d’un séjour durant le mois d’avril 2014. En outre, l’observation de plusieurs activités et fêtes organisées par les tajmaat de plusieurs villages et la consultation des réglementations coutumières et d’autres archives ont permis une compréhension plus profonde de notre sujet .

[6] De Sardane, (1995), p. 8. En fait, pour cet auteur les actions de développement sont entreprises par le biais d’acteurs ou d’institutions qui sont extérieurs au milieu. En ce qui nous concerne, nous considérons que ces acteurs peuvent aussi être intérieurs au milieu.

[7] Nos enquêtes ont essentiellement porté sur une dizaine de ces villages.

[8] Olivier de Sardan (1995), J.-P. Anthropologie et développement, essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, Karthala , p. 7.

[9] Salhi, B. (1999), « Modernisation et retraditionnalisation à travers les champs associatifs et politique», in Insaniyat, n° 8, p. 33.

[10] Ibid., p. 36-37.

[11] Par exemple, le village Ath Wizgan a réalisé entre la fin des années 1990 et 2005 « le bétonnage des ruelles sur une distance de 2000 mètres pour un montant de 150 millions de centimes, la réalisation de caniveaux pour 100 millions de centimes, l’aménagement du cimetière pour 20 millions de centimes, le terrassement et le drainage des eaux au niveau du stade et de deux puits pour un montant de 400 millions de centimes, et enfin l’ouverture et le sablage d’une route sur 3 kilomètres pour 200 millions de centimes, soit un montant total de 870 millions de centimes » Le Soir d’Algérie du 27/08/2005 : « Fête grandiose au village de Mohand Oulhadj ». La construction ou la réhabilitation des mosquées est un des projets réalisés par les tajmaat dans pratiquement tous les villages de la région, et certains gros villages en ont construit plusieurs (ex : le village Hourra : trois et le village Wizgan deux). Il en est de même pour les fontaines publiques.

Dans certains villages, des immeubles de plusieurs étages ont été construits rassemblant des sièges de comité et d’associations villageoises, salles de réunion, bibliothèques et salles de lecture (ex : village Ighil Boukiassa, le village Igerssafen a entamé le projet…). La majorité des autres villages a au moins un bureau pour le comité avec des outils administratifs nécessaires (chemises, boîtes d’archives, registres, papiers, micro-ordinateurs, internet, lignes téléphoniques, faxes, imprimantes...). Dans certains cas, le comité et les associations villageoises payent la location des sièges et des bibliothèques (ex : village Hourra).

[12] Dans le village Igerssafen (commune Idjer), le salaire mensuel de l’agent AEP est de vingt et un mille (21 000) Dinars. Dans le village IghilTziba (commune de Bouzeguéne), le comité de village a recruté deux salariés à temps plein pour collecter les redevances une fois par mois, surveiller le réseau d’eau du robinet jusqu’à la source et assurer la distribution du courrier. Ils ont un salaire de dix-huit mille (18 000) Dinars. Dans le village Takoucht (commune de Bouzeguéne); le village a recruté deux jeunes filles pour faire le relevé des compteurs une fois tous les trois mois avec un salaire équivalent au SMIG. D’autres villages recrutent des salariés pour les mêmes motifs comme Tawrirt, Ath Iken…

[13] Le village Tawrirt est pionnier dans ce domaine.

[14] Voir, par exemple, le quotidien El Watan du 7 février 2015, p. 4-5 : « La citoyenneté se réinvente en Kabylie. Leçon de gouvernance à Igerssafen ».

15 Voir, par exemple, le quotidien El Watan du 7 février 2015, p. 4-5 : « La citoyenneté se réinvente en Kabylie. Leçon de gouvernance à Igerssafen ».

[15] Un regard attentif sur les profils des animateurs des tajmaat de plusieurs villages montre que les jeunes sont les principaux agents de la modernisation de ces instances et que la scolarisation est sa force principale. Le statut de ces jeunes explique le mode de gestion qu’ils pratiquent, qui est de plus en plus inspiré de la culture politique moderne. Cependant, ces innovations n’ont pas occulté totalement l’organisation ancienne de tajmaat, mais elles l’ont adaptée tout en recouvrant certains schémas traditionnels. Voir Salhi, M.-B. (1999), op.cit., Bessah, T. (2014), « Jeunesse, Tajmaat et associations en Kabylie aujourd’hui : cas d’Ath Idjer », in Insaniyat, n° 65-66, p. 281-299.

[16] C’est l’objectif annoncé lors de la deuxième réunion des représentants des comités de villages qui a eu lieu au niveau du centre culturel du chef-lieu le 13 janvier 2012. Voir : https://www.youtube.com/watch?v=99OPYk7ttVE

[17] Cette coordination a fermé durant l’été 2014 la décharge publique d’Azaghar jugé « sauvage », ce qui a amené les comités de village à gérer les déchets ménagers.

[18] Grâce au dynamisme de cette coordination et suite à plusieurs manifestations et actions de contestation, la région a obtenu de la part de l’État son raccordement au barrage de Taqsaft.

[19] « L’amende est une forme de ressources toujours en vigueur dans les villages étudiés. Les objets et les motifs des amendes sont multiples, mais elles ont en commun de chercher à prévenir l’ordre à l’intérieur des villages. Les montants des amendes diffèrent selon les motifs et les villages. Cependant, les cas étudiés ont en commun le fait que la somme maximale peut représenter l’équivalent du SMIG, et dans certains cas le dépasse (vingt mille 20 000,00 Dinars à Ighil Tziba et trente mille 30 000,00 Dinars à Igerssafen)) ». Bessah, T. (2014), op.cit., p. 286. Pour plus de détails voir Bessah, T. (2009), Modernisation, permanence et recomposition du lien social. Cas de la commune de Bouzeguéne (Kabylie), mémoire de magistère en anthropologie, Bejaia, p. 138-148.

21 Dans le village Ighil Tziba, la place et les bancs sont loués à cinq mille 5000,00 Dinars pour une nuit, à mille 1000,00 Dinars dans le village Wizgan. Dans le village Sahel, la location du matériel du village est fixé à cinquante 50,00 Dinars pour les bancs, deux cents 200,00 Dinars pour les guirlandes, deux cents 200,00 Dinars pour les services à café et lait et deux cents 200,00 Dinars pour les autres matériels de cuisine. Dans le village Ikoussa, la location des tables, chaises et ustensiles de cuisine pour fêtes est de 3000 Dinars…

[20] Par exemple, le village Igerssafen a bénéficié d’une somme de 5 millions de DA en novembre 2014 pour le prix du village le plus propre de la wilaya de Tizi Ouzou et le village Tazrout (commune de Bouzeguéne) a obtenu la même somme en novembre 2015 pour le prix du quatrième village le plus propre.

[21] La caisse du village Takoucht a reçu entre janvier et février 2015 une somme de cent quarante mille 140 000,00 Dinars des redevances d’eau. Durant l’été, le montant des redevances atteint les trois cent mille 300 000 Dinars. Dans le village Igerssafen, la redevance est fixée à vingt-cinq mille 25 000 Dinars par mois et par compteur, en outre, tout citoyen a le droit à quatre-vingt 80 litres d’eau gratuits par jour. Dans le village Ighil Tziba, une taxe de cent cinquante 150 Dinars est fixée pour chaque compteur. Dans le village Ath Yiken, entre le mois de mai et le mois d’octobre, la consommation d’eau ne doit pas dépasser 500 litres par personne dans une journée. En cas de dépassement, on paye 5 Dinars pour chaque litre consommé en plus. C’est aussi le cas du village At Saïd…

[22] Dans la majorité des villages, le comité désigne, parmi les émigrés, un ou plusieurs représentants à Paris et Marseille. Ils sont chargés de la collecte des cotisations en France. Certains villages, comme Tawrirt et Igersafen, disposent de comités en France même. Dans certains cas, les émigrés cotisent lors de leurs séjours aux villages (Ighil Tziba par exemple).

[23] L’article V-1 du règlement intérieur du village stipule : « La redevance des compteurs est fixée à 25 Da/mois/compteur. Cette redevance s’inscrit dans le cadre de la maintenance du réseau ». L’article III-1 précise : « pendant la période du relevé, tout citoyen à droit à 80 litres par jour gratuites. Ceux qui résident seuls ont droit à 120 litres et ceux en binôme ont droit à 100 litres ». L’excès sera facturé. Et selon l’article III-4 du même règlement : « Les frais du branchement au réseau d’eau sont de soixante-dix 70,00 DA ».

[24] Dans le village Tawrirt, un citoyen a fait le don d’un réservoir d’eau de 100 mètres cube lors de la réalisation du projet d’alimentation des quartiers du village en eau potable (A.E.P). Au cours de l’année 2007, un groupe d’émigrés du village Takoucht a fait le don de 3 millions de DA pour l’achat du matériel nécessaire pour la gestion de la décharge publique du village. Au cours de l’année 2008, les émigrés du même village ont envoyé une somme de 230 000 DA et un caméscope d’une valeur de 50 000 DA pour l’association culturelle du village. En 2012, un émigré du village Ighil Nboukiassa a alimenté la bibliothèque du village d’une centaine d’ouvrages. Plusieurs autres exemples témoignent de l’importance des contributions.

[25] Par exemple, les dépenses totales de la commune Idjer (sept villages) dans le cadre des PCD (programmes communaux de développement) entre 2005 et 2009 sont de 2 953 435 DA (réalisation d’un foyer de jeunes au niveau du chef-lieu de la commune), tandis que les dépenses du comité de village Igerssafen entre 2010 et 2012 sont de 6 997 029 DA. Autrement dit, les dépenses totales de la commune dans le cadre des PCD durant quatre ans représentent moins de la moitié des dépenses d’un seul village durant deux ans. En outre, le président du comité confirme que les dépenses concernant l’embellissement du village durant neuf mois (entre septembre 2015 et mai 2016) approchent les 5 millions de Dinars. 

[26] Il s’agit des données de 2008 pour les trois villages Sahel, Hourra et Ibouyisfen, entre septembre 2010 et septembre 2011 pour Igerssafen, 2012 pour Ighil Boukiassa et 2014 pour Tawrirt et Ighil Tizi Boa.

[27] Les cotisants sont les hommes âgés de 18 ans et plus.

30 Dans ce village, les émigrés qui sont à Paris cotisent 90 euros par ans et ceux qui sont à Marseille cotisent 40 euros par ans, parce que ces derniers cotisent chaque année 50 euros pour tajmaat de la région qui s’occupent du rapatriement des défunts.

31 Ces données nous ont été fournies par les membres des comités de villages qui nous ont expliqué leurs systèmes des cotisations, notamment le nombre des cotisants et le montant des cotisations par personne. Nos calculs nous ont permis de réaliser ce tableau. Nous disposons d’autres données sur les systèmes de cotisation concernant d’autres villages de la région mais qui ne nous permettent pas de calculer la somme totale provenant de ces cotisations (nous n’avons pas le nombre exacte des cotisants). Par exemple les émigrés du village Ikoussa cotisent 40 euros par an, les émigrés du village Tazrout cotisent 10 euros par mois et ceux du village Ath Iken cotisent 100 euros par an (les retraités cotisent 30 euros par an)…

[28] Si on prend en considération le fait que les transferts se réalisent sur le marché parallèle de la devise, on peut estimer que ces quatre villages reçoivent chaque année une moyenne de treize millions deux cent quatre-vingt-quatre mille huit cents 13 284 800,00 Dinars (en 2016, 1 euro = 160,00 Dinars). D’ailleurs, le même tableau montre que les trois autres villages où les émigrés cotisent en Dinars reçoivent chaque année une moyenne de douze millions soixante mille sept cent soixante-cinq 12 060 765,00 Dinars.

[29] Lacoste-Dujardin, C. (2002), « Grande Kabylie : du danger des traditions montagnardes », in Hérodote, n° 107, p. 128.

[30] Bessah, T. (2014), op.cit., p. 286.

[31] Lacoste-Dujardin (2001), op.cit., p. 76.

[32] La lecture des réglementations coutumières d’une dizaine de villages de la région laisse entrevoir le maintien de ces solidarités, nos observations de terrain le confortent.

[33] Sayad, A. (1977), « Les trois "âges" de l'émigration algérienne en France », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 15, p. 61-65.

[34] Ibid., p. 65-76.

[35] Ibid., p. 77.

[36] Ibid., p. 76-79.

[37] Ibid., p. 77.

[38] Lacroix. T. (2009), « Intégration et développement : exemple de deux groupes berbères », in Accueillir, n° 252, Dossier : « Le développement est-il une réponse aux migrations internationales ? », p. 43.

[39] Direche-Slimani, K. (1997), Histoire de l’émigration kabyle en France au XXème siècle. Réalités culturelles et politiques et réappropriations identitaires, Paris, l’Harmattan, p. 33.

[40] Il convient de ne pas confondre ces cotisations avec celles qui ont fait l’objet de la section précédente. Les émigrés cotisent en deux temps : pour « tajmat elarch » et pour le comité de village.

[41] A Paris, certains villages (comme Wizgan et Tawrirt) gèrent indépendamment de « tajmat elarch » le rapatriement de leurs défunts, contrairement à Marseille où les trente villages maintiennent une caisse commune.

[42] Selon les données qui nous ont été fournies par le responsable de « tajmaat elarch » au cours d’un entretien réalisé à Marseille au mois d’avril 2014.

[43] Un homme, âgé d’une soixantaine d’années, propriétaire d’une grande boucherie
à Marseille, et originaire du village Ath Yekhlef.

[44] Propos du responsable de « tajmat elarch », Ath Idjer à Marseille.

49 Entretien réalisé à Marseille au cours du mois d’avril 2014.

[45] Madoui, M. (2006), « Entrepreneurs issus de l’immigration maghrébine en France : liens aux pays d’origine et développement local », in Musette, M.-S. (dir.), Les maghrébins dans la migration internationale, Alger, CREAD, p. 198-199.

[46] Barthou, E. (2013), « Les jeunes d’origine marocaine, une nouvelle génération qui a « les pieds trempés dans l’ancienne », in Revue Hommes-immigration, n° 1303, p. 37-45.

Cela ne constitue pas une spécificité des jeunes kabyles mais caractérise d’autres régions ou d’autres pays, notamment le Maroc. Plusieurs sites internet ont été créés dans le but de renforcer ces liens et de faire la région. Il s’agit notamment du site « http://lebouzeguenepost.com/ » qui diffuse quotidiennement toutes les informations qui concernent les communautés villageoises.

52 Extrait d’un entretien que nous avons réalisé en 2008.

[47] Voir Liberté du 04 novembre 2012 et 09 mars 2013.

[48] Voir : http://bouzeguene.org/wp1/

[49] Le Soir d’Algérie, 16 avril 2007.

 

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