« Les formes d’organisation entrepreneuriale de la production agricole en Amérique latine », in Géographie, Économie, Société Vol. 17, n° 4, Octobre, Décembre 2015

Insaniyat N°s 69-70 | 2015 | Les migrations vues du Sud| p. 171-174| Texte intégral


Dans son dernier volume paru en 2015, la revue Géographie, Économie, Société propose un dossier thématique qui met en lumière l’agriculture entrepreneuriale et qui s’intitule « Les formes d’organisation entrepreneuriale de la production agricole en Amérique latine ».

Le choix porté sur l’Amérique latine s’avère très pertinent. C’est un espace géographique qui connaît, depuis plus d’une décennie, une multitude de changements structurels et organisationnels dans le secteur agricole. L’un des processus les plus marquants est la prolifération des investissements productifs et/ou spéculatifs dans le foncier, dans les matières premières et, d’une manière plus large, dans les actifs agricoles via les nombreux instruments financiers sophistiqués.

Beaucoup de fonds d’investissement ainsi que des entreprises transnationales du secteur agroalimentaire introduisent de nouvelles logiques de fonctionnement dans les exploitations agricoles. Les grandes exploitations traditionnelles se trouvent sous la pression de
la compétitivité et choisissent l’intensification de leur production agricole.

La pertinence du présent dossier se traduit par la pertinence de ses trois axes de réflexion. Ces derniers nous permettent de canaliser et de faciliter la compréhension de cette thématique qui concerne l’agriculture entrepreneuriale:

  • La caractérisation des formes d’organisation entrepreneuriale des agricultures ;
  • Les leviers économiques, techniques et politiques du développement des agricultures entrepreneuriales ;
  • Les liens qui se trouvent entre l’essor des agricultures entrepreneuriales et le processus de développement des espaces ruraux.

Dans leur introduction, Martine Guibert, Ève Anne Bühler et Denis Requier-Desjardins affirment que les nouvelles exploitations agricoles vivent de profondes mutations, malgré les particularités locales. Elles sont ancrées dans des logiques d’économie de marché, de modernisation et de globalisation agricole. L’unité de production est dirigée par des gestionnaires de ressources et non par des producteurs. On lui attribue quelques caractéristiques structurelles comme : l’agrandissement, la mécanisation, la qualification du travail, la spécialisation de certaines productions et l’ouverture aux capitaux externes. L’espace rural dans l’Amérique latine se trouve, aujourd’hui, face à une paysannerie locale réorganisée et profondément transformée. L’activité agricole préexistante est, complétement, repoussée vers d’autres espaces et parfois, elle est éliminée par le fait qu’elle laisse la place aux nouvelles productions entrepreneuriales. 

Á travers l’exemple de l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay, l’enquête de terrain a permis aux auteurs d’exposer une typologie des acteurs entrepreneuriaux et leurs différentes formes d’organisation de leur activité. L’entreprise agricole, intégrée à la chaîne de valeur, est le type de référence pour les trois pays étudiés. L’unité agricole, qu’elle soit familiale ou non, capitalise sa forme d’exploitation en développant l’outil de production (innovations biotechnologiques et infrastructures), en optimisant la productivité des facteurs de production et en augmentant l’assise foncière (achat, location temporaire). En se basant sur une approche qualitative, les auteurs ont pu cerner les rapports qu’entretenaient les acteurs avec l’espace local et comprendre, ainsi, leur stratégie d’intégration à la globalisation des espaces ruraux. Il ressort que le mode de fonctionnement des nouvelles unités agricoles renforce la relation entre les espaces locaux et des lieux lointains comme la bourse de valeur ou encore les paradis fiscaux.

Dans l’article de Roberto Bisang, Mercedes Campi et Guillermo Anlló, on nous propose une analyse des différentes interactions qui se trouvent entre les changements technologiques et les nouvelles formes d’organisation agricoles en Argentine. Il est clair que la diversification des stratégies entrepreneuriales modifie la répartition spatiale des activités. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le développement des espaces ruraux. En Argentine, la production agricole a pratiquement doublé ces dernières années. De 1990 à 1995, la production agricole était estimée à 40 millions de tonnes. Elle a augmenté entre 2008 et 2012 pour atteindre les 90.5 millions de tonnes. Pour la superficie cultivée, les auteurs annoncent une augmentation de 50% (de 20.2 millions d’hectares à plus de 33.3 millions d’hectares). Le bouleversement structurel qui a touché l’agriculture en argentine engendre, d’une manière très significative, une distance entre le propriétaire et la terre. Les entreprises de production agricole (EPA) ont introduit une reconfiguration territoriale, étant donné qu’il n’est pas nécessaire d’être présent dans l’espace rural pour faire de l’agriculture. La principale caractéristique de ce modèle agricole est l’organisation en réseau. Cette organisation est gérée par des contrats qui jouent un rôle, très important, en tant qu’instruments de relation entre les parties qui composent cette forme de structuration agricole. Les auteurs affirment qu’en Argentine il existe quatre agents économiques impliqués dans la nouvelle organisation agricole : les propriétaires de la terre, les entreprises de production agricole (EPA), les entreprises de services ou contratistas et les fournisseurs industriels d’intrants.

Dans le cas du territoire brésilien, Sergio Pereira Leite propose un article issu d’un programme de recherche intitulé : « société et économie de l’agrobusiness : une étude exploratoire ». C’est une analyse de la politique de l’agrobusiness au Brésil et qui prend comme facteurs essentiels : les aires géographiques, les producteurs bénéficiaires de cette politique et les organismes qui étaient en charge de l’application du contenu des politiques publiques. Il est clair que les acteurs privés ne sont pas les seuls responsables de la spécialisation des agrobusiness. Depuis les années 2000, l’État brésilien ne cesse d’apporter son soutien aux activités agricoles, essentiellement les commodities comme le Soja ainsi qu’aux agro-industries de ces filières. Les ressources publiques utilisées par cette politique de financement passent par des intermédiaires comme la Banque du Brésil ou d’autres agences de financement du gouvernement.

Le Brésil reste dans une optique très prononcée d’un processus de soutien à l’expansion des agricultures entrepreneuriales. M. Dubos-Raoul et E.-A. Bühler le confirment, très concrètement, à travers l’exemple de la filière du sucre-éthanol brésilienne. Cette production agricole est en mode intensif, ce qui n’est pas sans conséquences spatiales et sociales pour la région.

Dans le Brésil des années 1970, la volonté de limiter les importations de pétrole a conduit au développement de la production d’éthanol de canne à sucre. Cette nouvelle agriculture entrepreneuriale, qu’on appelle aussi l’agro carburant (en particulier l’éthanol), constitue un grand vecteur du changement agraire dans le Brésil rural. En 2007, le gouverneur de l’État, M. Puccenelli, invite les entrepreneurs de la canne à investir dans l’industrie sucrière locale, leur garantissant des soutiens institutionnels et des allégements fiscaux.

Le processus d’expansion du secteur sucro-énergétique crée une redistribution spatiale des productions en se présentant comme la nouvelle alternative à une économie agricole stagnante. Dans la région de Dourados, l’expansion de la canne à sucre se traduit par des changements dans l’utilisation et dans l’occupation du sol. Ici, le facteur foncier joue un rôle très important car il confère du pouvoir aux acteurs qui le détiennent. Le foncier constitue le principal enjeu des investissements dans la mesure où il permet la captation de la rente, plus que la propriété en elle-même. On assiste donc à une concentration foncière et à un déplacement du contrôle foncier vers les usines (chacune cultivant plusieurs dizaines de milliers d’hectares).

Aujourd’hui, aux côtés des motifs traditionnels de conflits sociaux de la région (accès à la terre, défense du mode de vie paysan ou amérindien), la question environnementale s’impose et devient un passage obligé de toutes les revendications.

Enfin, à partir des articles lus dans ce numéro thématique de la revue Géographie, Économie, Société sur l’agriculture entrepreneuriale, nous pouvons poser quelques réflexions sur la relation qu’entreprend l’organisation de l’agriculture familiale avec celle de l’agriculture entrepreneuriale. Qu’elle est la conséquence directe de l’installation d’un agrobusiness sur l’organisation territoriale d’un espace rural ? L’agrobusiness est-il un model transposable aux autres pays émergents ?          

Hayette NEMOUCHI

 

 

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