Myriam AÏT-AOUDIA, L'expérience démocratique en Algérie (1988-1992). Apprentissages politiques et changement de régime, Paris : Presses de Sciences Po, 2015[1]


Insaniyat N°79 | 2018 |Varia|p. 127-135 | Texte intégral

 


L’ouvrage L’expérience démocratique en Algérie (1988-1992). Apprentissages politiques et changement de régime, de Myriam
Aït-Aoudia, vient enrichir la littérature en sciences sociales consacrée à cette période riche en événements qu’a connue l’Algérie. Ce livre, dont l’origine est une thèse de doctorat, soutenue en 2008, est structuré en trois parties et huit chapitres.

L’introduction de l’ouvrage est consacrée aux aspects théoriques. En s’inscrivant dans une analyse sociologique du changement de régime, Aït-Aoudia privilégie l’approche configurationnelle qui se focalise sur les processus dynamiques et conflictuels de redéfinition des règles et des acteurs du jeu politique. Le mérite de cette approche, selon l’auteure, est qu’elle permet d’inclure à l’analyse la part de contingence
et d’incertitude, souvent évacuées par les chercheurs, bien qu’inhérente au déroulement des événements.

La première partie, intitulée « Genèse du pluralisme partisan (octobre 1988-septembre 1989) », analyse le processus qui a mené de la crise d’octobre 1988 à la reconnaissance du multipartisme après l’adoption d’une nouvelle constitution. Aït-Aoudia démontre, en premier lieu, que le processus du passage des émeutes d’octobre 1988 d’un mouvement de la rue initié par des jeunes sans slogan ni leader, à un mouvement revendicatif de changements politiques et pris en charge par des secteurs multiples de la société : des universitaires, des avocats, des imams, des journalistes, des personnalités historiques, etc., n’a été possible que grâce au passé contestataire des acteurs sociaux qui ont réactivé leurs expériences pour se mobiliser et se faire entendre dans l’espace public.

Face à l’émergence de la crise, le pouvoir algérien réagit en proposant des réformes diverses. Les déclarations officielles et les discours télévisés du Président Chadli montrent que les réformes sont cohérentes et mûrement réfléchies, alors que les coulisses révèlent un président indécis, des réformes improvisées et une équipe de technocrates proches du Président voulant réformer le FLN. Cette situation de confusion incitera finalement les militants du FLN à bloquer la réforme de leur parti.

Pour contourner ce blocage, Chadli annonce, un mois après, en janvier 1989, la tenue d’un référendum sur une révision de la constitution. Une annonce lacunaire qui cache en réalité l’avènement d’une nouvelle constitution avec des changements importants comme le renoncement à l’idéologie socialiste et au système du parti-unique.

Durant les trois mois qui vont suivre l’approbation de la nouvelle constitution, l’interprétation de l’article 40 légalisant des Associations à Caractère Politique demeure dans le flou, mais la création du FIS[2] et du RCD[3], contribueront à la reconnaissance du multipartisme par tous les acteurs politiques.

Dans la deuxième partie intitulée « Construction préélectorale du pluralisme partisan », l’auteure commence par mettre en exergue la complexité de la conversion de l’ancien parti unique au pluripartisme. Au moment où des nouvelles lois régissant le pluripartisme devaient être votées, le FLN détenait encore l’ensemble des sièges du Parlement ; ce qui a mené à une situation paradoxale où les militants du FLN devaient voter des lois limitant leurs propres prérogatives. Avec l’arrivée du « réformateur » Mouloud Hamrouche à la tête du gouvernement, le 10 septembre 1989, une stratégie d’incursion fut adoptée au sein de la structure dirigeante du FLN, pour faire passer ces lois. Cette stratégie s’avéra fructueuse.

Sur une autre scène, celle des nouveaux partis politiques, Aït-Aoudia fait l’analyse du processus de construction du Front Islamique du Salut
« FIS », et montre que ce parti, sorti vainqueur des premières élections libres en Algérie en 1990, était tributaire, dans sa structuration, des expériences antérieures de ses fondateurs. L’antécédent des militants du
« FIS » leur a permis d’échafauder une réelle structure politique calquée sur l’ancien parti unique, ainsi qu’un réseau caritatif très actif qui a largement contribué à leur enracinement social. 

La troisième partie, intitulée « Apprentissages du pluralisme
électoral », aborde la question de la compétition électorale autour du scrutin de juin 1990 (élections locales) et de décembre 1991 (élections législatives). En raison de l’absence d’un précédent qui aurait servi de référence aux nouveaux partis et à l’administration organisatrice des élections, le scrutin de juin 1990 représente un moment fondateur du pluralisme politique algérien. Dans ce contexte, l’engagement des nouveaux partis dans les élections, n’est ni évident ni simple. L’éclairage qu’apporte l’auteure sur les faits qui ont marqué cette période au sein des partis et au sein du régime politique met bien en lumière la complexité d’une situation, dans laquelle aucun accord sur la définition de la citoyenneté, du représentant ou du régime n’a prévalu.

Progressivement, après sa victoire aux élections locales, la perception du FIS par les différents acteurs politiques et institutionnels va se transformer. Critiqué, d'abord, sur une gestion locale non respectueuse du cadre juridique, ensuite, sur ses réactions violentes pour faire abroger la nouvelle loi électorale qui, à priori, lui serait défavorable aux prochaines élections législatives, ce parti sera accusé de transgresser le jeu démocratique et de menacer la stabilité du pays. Triomphant au premier tour des élections législative, le FIS sera dissout, suite à la démission de Chadli et l’annulation du processus électoral. Ces événements marqueront la fin de la brève expérience démocratique en l’Algérie.

Dans la conclusion, l’auteure revient sur les dispositifs juridiques mis en place par les autorités algériennes afin d’empêcher l’accès au pouvoir à un parti politique qui ne respecterait pas le jeu démocratique.  

La force du livre de Aït-Aoudia réside dans les sources de première main, surtout des archives et des entretiens, sur lesquelles sont établies ses hypothèses, chose qui lui a permis de discuter plusieurs idées ancrées dans la littérature. Bien que tout travail de recherche ne puisse épuiser les hypothèses sur son sujet, on aurait aimé que l’auteure présente une analyse sur les origines des événements d’octobre 1988 (mouvement spontané ou provocation organisée) ; un éclairage qui nous semble important pour comprendre davantage cette période riche et complexe.   

 Noureddine MIHOUBI

[1] Une édition algérienne est parue chez Koukou édition, Alger, 2018.

[2] Front Islamique du Salut.

[3] Rassemblement pour la Culture et la Démocratie.

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