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Insaniyat n° 102, octobre-décembre 2023, p. 7-9


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Le divorce en Algérie, souvent considéré comme un phénomène récent, est en augmentation constante depuis l’année 2000. Cette augmentation qui fait la une des journaux est indéniable puisque le taux de divorce est passé de 11% en 2005 à plus de 20% en 2020. Le khul‛, ce mode de divorce demandé par l’épouse en échange d’une compensation matérielle ou financière, est souvent décrié et considéré comme un catalyseur des taux de divorces. Ce numéro d’Insaniyat interroge autant le droit, la sociologie, la psychologie, la linguistique sur ce phénomène et sur les facteurs de risque et les facteurs protecteurs.

Les trois premiers articles s’intéressent aux freins et accélérateurs du divorce en questionnant la dynamique sociale et ses artéfacts.  Tassadit Yacine s’est justement attaquée à ces freins dans son intervention « Divorce et domination masculine ». Pour l’auteure, la domination masculine était telle en Algérie, que le divorce était non seulement rare, mais presque toujours à sens unique, venant de l’époux. N’ayant pas voix au chapitre, la femme était sous contrôle et sous pression non seulement de l’époux qui pouvait la répudier et même la laisser suspendue (‘lka/m‛lleq) pendant des années, voire des décennies, mais aussi sous l’emprise de sa propre famille qui considérait qu’une femme divorcée n’a plus de valeur et qu’elle est source de problèmes multiples ; ce qui de « revenir ». L’auteure interroge l'histoire sociale, la langue et surtout les modes de domination que la tradition perpétue sous forme de règles implicites, rarement écrites et montre comment hommes et femmes sont confrontés à des pressions sociales, symboliques  et matérielles. Pourtant, comme le montre Badra Moutassem-Mimouni, dans son texte intitulé « le khu’en Algérie : évolution et représentations », le khul’ cette possibilité de rompre un mariage en accordant une compensation à l’époux existe dans l’Islam non seulement dans le Coran mais également dans la Sunna. L’auteure montre que le code de la famille Algérien paru en 1984 a prévu le khul’ dans l’article 54 : « l’épouse peut se séparer de son époux moyennant réparation versée à l’époux ».

À aucun moment l’article n’évoque l’accord de l’époux, mais les juristes ont quand même subordonné le khul’ à l’accord de l’époux, l’on peut dire que la domination masculine a pris le dessus sur la loi. Il a fallu attendre l’amendement de 2005 du Code de la famille pour restaurer et asseoir un droit légitime à la femme, droit qui a été sciemment dénié par les juristes. L’enquête sur le khul’ réalisée par l’équipe de recherche du projet établissement (Moutassem-Mimouni et al., 2020-2023) montre une méconnaissance et une ambivalence sociale qui exprime des distorsions autour de ce terme de khul’ (dans le langage courant cela veut dire peur, effroi) d’un côté et de l’autre côté, le soulagement de la part de femmes qui trouvent enfin une ouverture pour échapper à une relation toxique et parfois destructrice, autant pour les époux que pour les enfants qui pourraient être confrontés à des violences physiques et/ou symboliques.

Moncef Mahwachi, dans une approche longitudinale, explore le divorce en Tunisie et son évolution sur plusieurs décennies, depuis les années 1960. La société tunisienne, et en particulier la famille, ont subi des mutations qui n’ont pas manqué d’influer sur les fluctuations du divorce. L’auteur teste deux « préjugés » des médias tunisiens arguant que le divorce s’est banalisé et qu’il constitue « un désastre » pour la famille. L’auteur ayant constaté une évolution du taux de divorce, l’explique par l’action de facteurs tels que les réformes du droit en Tunisie et l’instauration du divorce « par plaisir » qui autorise les deux membres du couple à demander le divorce sans en indiquer les raisons ; (ce qui semble correspondre au khul’ en Algérie et dans d’autres pays musulmans) le passage progressif de la famille vers la famille moderne, l’individualisation de la société sont également des catalyseurs de cette dynamique sociale.

La domination masculine se profile en filigrane à travers ces articles  et montre comment la société résiste, se recompose et compose avec ses freins et ses potentialités.

Les enfants ont attiré l’attention des trois autres chercheurs :  ainsi, Yazid Ben Hounet interroge le droit autour de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Il questionne le droit de la famille en Algérie à travers les jugements de divorce dans la wilaya d’Ain Temouchent. Après la collecte et l’analyse de jugements de divorce, l’auteur montre que les besoins de l’enfant sur le plan matériel tel que la hadana (la garde), le logement et la pension alimentaire, occupent tout l’intérêt du juge après le divorce. Cependant, les besoins affectifs ne sont pas abordés et sont laissés aux deux parents pour trouver des arrangements qui ne sont pas forcément dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’auteur s’interroge sur les compétences des parents séparés et sur leur capacité à trouver un consensus pour partager la parentalité de l’enfant.

Nassima Kellou et Badra Moutassem-Mimouni explorent un domaine très complexe : celui du divorce à la suite de la naissance d’un enfant souffrant d’un handicap grave tel que l’autisme. Les deux auteurs explorent les vécus de deux familles d’enfants autistes et constatent que c’est la maman qui supporte le lourd fardeau du handicap avec ses multiples tâches parfois épuisantes. Il arrive que l’un ou l’autre des parents ait du mal à accepter la réalité du handicap, à supporter la blessure narcissique et à affronter le stigma. Attaqués de toutes parts (difficulté de la tâche, blessures narcissique, le regard de l’Autre, souffrance de l’enfant, manque d’institutions spécialisées, etc.) l’un des parents peut avoir du mal à intégrer tant de pressions et de frustrations. Blessé(e) au plus profond de leurs rêves, souvent en état d’épuisement, il ou elle refuse une situation impossible à assumer pour ses ressources et a recours au divorce ou à la fuite. Est-ce la fin du calvaire ? Pour celui qui reste avec l’enfant, cela peut être une double peine : il ou elle perd un soutien, l’enfant perd un repère, ce qui peut aggraver son état.

En fin, ce numéro est enrichi par un entretien avec le professeur, écrivain et spécialiste de l’histoire de l’art algérien, M. Benamar Médiène (grâce à la précieuse collaboration de notre collègue Saïd Belguidoum). Durant les années 1970, les jeunes étudiants algériens étaient noyés au milieu d’enseignants de tous les pays et des cinq continents, mais ils étaient fiers d’avoir quelques figures telles que Benamar Médiène, Abdelkader Djeghloul, Boukhari Hamana, Mahfoud Boucebci, pour ne citer que ceux qui ont constitué leurs modèles proches. Ils ont transmis à toute une génération un message d’espoir stimulant la force  et les compétences permettant aux étudiants de l’époque d’accéder à ce qui n’était réservé qu’aux « autres ». Cet entretien, dépliant un parcours d’une grande richesse d’actions, de création et de générosité, n’est que l’expression d’une reconnaissance à notre collègue Benamar Médiène pour ce qu’il a donné à l’Algérie en tant que résistant et en tant qu’universitaire et chercheur.

Badra MOUTASSEM-MIMOUNI

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