Éradication de la prostitution à Cuba 1959-1967

Insaniyat N° 59 |  2013 | Famille : pratiques et enjeux sociétaux | p. 75-103 | Texte intégral


Prostitution eradication in Cuba 1959-1967

Abstract:The triumph of the Cuban Revolution, 1959, constitutes the advent of a new era for all Cubans. Having been released from President Fulgencio Batista’s dictatorship, it is now, for the new authorities of the island, to create an ideal society, freed from all defects. The "new man", imbued with all qualities, willing to serve his own community, appears then as the redeemer, sole susceptible to regenerate the entire society.
Prostitution, " curable social evil” will be the first scourge to be tackled by the “Cuban Women Federation” (FMC), the Ministry of Public Health (MINSAP) and the Home Ministry (MININT). It is about to restore to the Cuban women the dignity to which they are entitled and to enable them, through the rehabilitation, to fully integrate into the freshly built society, due to the productive labor, and for the good of the community. Different campaigns will mark the Cuban government policy in ending the exploitation from which suffers a part of the population; till 1967, when the eradication of prostitution was officially declared.
 Keywords : prostitution, revolution, eradication, rehabilitation, Cuba

Dominique GAY-SYLVESTRE: Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université de Limoges, France.


La prostitution, « mal social curable »[2], fléau d’un capitalisme (le plus vieux métier) qui exploite les femmes de façon éhontée, doit être éradiquée. Avilissement, dégradation de l’être que la Révolution ne peut tolérer, elle qui prône un monde plus juste et égalitaire dans lequel les femmes seraient partie prenante de sa création. Il faut donc en finir avec les discriminations et les préjugés dont elles ont fait l’objet jusque-là et qui les ont conduites, pour un certain nombre d’entre elles, à vendre leur corps pour subsister.

I. Cuba, « Bordel des Caraïbes »

Les mouvements féministes[3] de la première moitié du XXe siècle, malgré leur dynamisme, ont été impuissants à endiguer ce phénomène, dont l’ampleur, confortée par l’adoption, le 23 octobre 1913, du décret présidentiel 964[4], est grandissante. L’Église, elle-même, n’est pas parvenue à faire condamner une activité considérée comme dégradante pour la femme.  

« En 1910, on comptait dans la capitale près de 3000 bordels, chacun avec plus de dix prostituées, ce qui donne un chiffre de plus de 30 000 femmes se consacrant à cette activité, situation qui empira de façon alarmante vers la fin des années 30 quand, selon les estimations officielles publiées dans divers périodiques, on atteignit le chiffre de plus de 80 000 prostituées dans toute l’île, pour une population de 6 00000 d’habitants.

Il était courant que toutes les villes et les localités aient leur quartier de mauvaise vie et au moins un bordel où officiaient entre dix et trente filles de joie, dans les zones les plus développées. Cet essor s’expliquait par le consentement officiel de tolérer la prostitution considérée comme un mal inévitable – parce qu’incontrôlable – et nécessaire comme soupape de sûreté à ‘l’immoralité’».[5]

Tolérance coupable des autorités qui profitent d’un « négoce lucratif » qu’elles justifient, pour se disculper, de « Mal inévitable » et de « … soupape de sûreté à ‘l’immoralité’ », alors qu’elles en sont, en grande partie, responsables. Or ces termes occultent une réalité plus pernicieuse et sournoise, qu’un chômage endémique rend plus poignante. En effet, la situation économique est désastreuse pour le peuple cubain. Souffrant d’un statut inférieur depuis des siècles, les femmes sont les plus touchées par la misère. A la campagne, la faim et son corollaire de souffrances les poussent à opérer des choix dramatiques.

« […] Nous avions tous faim. Mes huit frères, ma mère, moi. Un de nos voisins, un bel homme me parla de robes, de fêtes et de nourriture pour tout le monde. Je n’avais que onze ans mais j’en savais assez sur les pénuries pour qu’à côté, les autres me semblent moins laides et moins mauvaises que cette sensation de ravage dans tout le corps, sans oublier les jérémiades des petits qui criaient parce qu’ils ne pouvaient pas s’endormir… [Ma mère] n’a jamais rien soupçonné de ce que je faisais. Je partais dans d’autres villages et toutes les semaines, j’essayais de lui envoyer un peu d’argent. Je lui racontais que je travaillais. Nous nous voyions peu et elle, elle ne me posait aucune question… Ces envies épouvantables de vomir représentaient, au début, 40 centimes par homme. Parfois, il m’arrivait de faire 15, 20 passes. Les temps étaient durs et ça influait sur ça aussi. Par la suite, j’ai pris du galon. J’ai commencé à être connue dans les bars de plusieurs villages et on m’envoyait chercher. Je gagnais un peso, un peso vingt par client ; il me fallait danser et boire avec lui… »[6].

L’issue, croient-elles, consiste à fuir les campagnes. Des jeunes filles, issues des milieux ouvrier et/ou paysan, de condition très modeste le plus souvent, persuadées qu’elles trouveront le moyen de subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur famille et de mener une vie meilleure[7], affluent par centaines vers les villes, la capitale surtout, qui exercent sur elles une attraction toute particulière.

En réalité, elles y sont exploitées et ne disposent d’aucune protection sociale. Souffrant de l’arbitraire de leurs employeurs, elles sont peu ou mal rémunérées et doivent se contenter, dans les villes, d’emplois tels que ceux de blanchisseuses et de domestiques[8]. Proies naturelles pour les prédateurs de toutes sortes, elles sont aisément séduites par les promesses d’hommes, qui ne sont, en fait, que des rabatteurs agissant pour le compte de matrones, de proxénètes ou de tenanciers de bar. 

« Avant la Révolution, comme les conditions d’existence étaient différentes! Une fille de mon espèce, d’une famille aussi pauvre que la mienne, une fille qui ne mangeait pas à sa faim n’avait d’autre choix que le bordel ou le service domestique. Moi, j’avais choisi le bordel, parce que le profit était plus grand. Mais je le haïssais tellement! Et je me haïssais plus encore.... »[9].       

« [...] Si l’on avait pu trouver du travail ici, je ne serais jamais devenue une putain... Mais la condition de domestique ne me permettait pas de m’en sortir et en dehors de cette profession il n’existait aucun travail pour une femme. En me prostituant, je pouvais aider les miens; en restant honnête, nous crevions de faim »[10].

Abusées, humiliées, il est trop tard lorsqu’elles se rendent compte de leur erreur. La ville et certains de ses habitants se sont emparés d’elles pour ne plus les lâcher. La nécessité qui les a conduites à accepter ou à poursuivre ce qui leur semble le plus rentable parce que susceptible d’assurer leur survie (la prostitution) a brisé leurs rêves. Après cela, il ne leur est plus possible d’envisager un retour dans leur famille ou auprès de leurs proches. 

Paradis pour les uns,

« [...] les gens s’amusaient et la nuit commençait à six heures du soir et ne finissait pas. Tu t’imagines, dans une même nuit tu pouvais prendre une bière à huit heures en écoutant les Anacoanas aux Aires Libres sur le Prado, dîner à neuf heures avec la musique et les chansons de Bola de Nieve, puis t’asseoir au Saint-John pour écouter Elena Burke, ensuite aller dans un cabaret pour danser avec Benny Moré, ou avec les groupes Aragón, Casino de Playa, Sonora Matancera, te reposer un moment en savourant les boléros d’Olga Guillot, de Vicentico Valdés, de Nico Membiela... ou aller écouter les jeunes du feeling, José Antonio Méndez...César Portillo et, pour finir la nuit, à deux heures du matin tu pouvais faire un saut au spectacle du Chori frappant sus ses timbales... »[11].

Les nuits havanaises, le quotidien des maisons de passe sont, pour d’autres, une véritable torture :

« [...] Je dormais là, j’y mangeais, j’y habitais tout le temps. On dormait dans la même chambre qu’on utilisait pour les hommes, une fois que la maison était fermée. On fermait vers quatre heures du matin et on rouvrait vers midi. A partir de ce moment, pour supporter cette vie, je commençai à boire. Je ne pouvais pas travailler si je n’avais pas bu. A sec, je ne supportais personne, j’étais incapable d’emmener un type dans la chambre pour la seule raison qu’il me payait et que je devais l’accepter »[12].

Plaque tournante de la mafia[13] et pôle grandissant des investissements étasuniens, la Cuba corrompue de Batista séduit par le charme prometteur de ses mulâtresses, ses hôtels luxueux[14], ses nombreux centres de jeux et cabarets[15] et la drogue que l’on consomme sans difficulté. Dans la zone portuaire, dans les quartiers de Pajarito, Colón, La Victoria, Atarés, aux abords des grands hôtels, La Havane, « nouvelle Babylone[16] », enflamme un flot toujours croissant de touristes, nords-américains surtout, en quête de divertissements en tous genres et de sexe :

« [...] Les maisons de passe surgissaient dans le moindre local, parfois avec plus de dix prostituées chacune, et il n’était pas d’endroit important en ville où ne circulait de la drogue, ne se brassaient de grosses quantités d’argent et qui ne disposait du service approché et rapide de milliers de prostituées »[17].

La Révolution arrivera à point nommé pour mettre un terme à ce que d’aucuns appelaient « le bordel des Caraïbes ».

Pour commencer, il importe, dès 1959, de réguler, d’encadrer et de contrôler l’afflux massif des touristes. Une « police touristique » est constituée, à La Havane, d’abord et, tourisme et prostitution étant étroitement liés, c’est tout naturellement et rapidement que celle-ci en vient à s’intéresser de très près à la prostitution.

Si elle comprend les raisons qui les ont poussées à se prostituer, la Révolution ne peut toutefois tolérer que se poursuive cette « exploitation de l’homme par l’homme »[18], en l’occurrence, ici, de la femme par l’homme. Or les perspectives émancipatrices et égalitaires, tant sur les plans économiques, que politique, juridique et social, qu’elle offre à toutes les Cubaines, sont de nature à leur permettre une totale intégration dans la nouvelle société qui va se mettre en place. La campagne d’éradication de la prostitution, accompagnée de la réhabilitation de celles qui en sont les instruments, est donc indispensable à la construction de la nouvelle société cubaine. Celle-ci ne peut reposer sur des victimes mais sur des femmes réhabilitées, éduquées et pleinement insérées dans la société par le travail (travail au bénéfice de la collectivité). 

II. Lancement de la campagne à La Havane

On procède, dans un premier temps, au fichage des prostituées de La Havane. Mais bon nombre d’entre elles, les péripatéticiennes surtout, parviennent à échapper à la vigilance policière en donnant de faux noms et adresses et en ocultant leur activité. Puis, outre le fichage, une campagne sanitaire[19] est instituée pour lutter et mettre un terme à la prolifération des maladies vénériennes : les prostituées doivent alors passer une visite médicale qui conditionne la poursuite de leur métier.

Il n’existe pas, à l’époque, de données chiffrées permettant d’évaluer l’ampleur de la situation à laquelle sont confrontées les autorités. Toutefois, la surveillance policière et médicale révèle un phénomène d’une ampleur telle, que des mesures draconniennes vont être prises, notamment en ce qui concerne le nombre considérable de maladies vénériennes dont sont atteintes les prostituées et qu’il faut enrayer à tout prix :

« [...] on mit sur pied une nouvelle organisation  et le gouvernement prit des mesures d’hygiène. Pour nous en informer le gouvernement convoqua toutes les filles au poste. Les agents passèrent dans les maisons et annoncèrent aux patrons que les filles avaient été convoquées pour le lendemain à cinq heures de l’après-midi. Le tenancier nous procura une voiture de location pour conduire les douze filles qui travaillaient chez lui. On nous dit alors à la réunion ainsi convoquée qu’il fallait passer par des contrôles médicaux et que les filles devaient posséder une carte. Sur cette carte, il y avait deux photographies, l’une de face, l’autre de profil, et, si mes souvenirs sont exacts, nos empreintes digitales. Il devint obligatoire d’aller chez le médecin, de se faire faire une prise de sang et un examen vaginal, et il nous fallait avoir un carnet de santé. La police nous demandait toutes les semaines ce carnet de santé. C’était bien simple: la fille qui ne montrait pas son carnet ne pouvait pas travailler. Les filles se rendaient chez le médecin seules. Sans carnet, pas de travail, telle était la loi. »[20]

Le quartier Colón, où travaillent les prostituées les plus misérables et donc celles qui sont les plus touchées par le manque d’hygiène, l’insalubrité des lieux et la maladie, est le premier visé. En effet, le contrôle sanitaire effectué dans un premier temps auprès de 36 prostituées (volontaires) révèle que 10 d’entre elles souffrent de syphilis[21]. Admises à l’Hôpital Calixto Garcia, il leur est interdit d’en sortir et donc de « travailler » tant qu’elles ne sont pas complètement guéries. 

Ces mesures sont en général « […] mal vues par les filles des bordels. On n’avait pas l’habitude d’aller ainsi chez le médecin” raconte Pilar López[22]. Mais, c’est surtout « la question des photographies » qui «embête tout le monde »[23] . Les prostituées ne peuvent plus mentir sur leur identité: leur nom étant désormais associé à un visage.

Sur le terrain, la situation est difficile. Difficile parce que sans plan véritablement préconçu[24]. On tient compte, dans un premier temps, du bilan des actions menées par la police touristique. Puis, on procède à un recensement des prostituées afin de connaître leurs conditions familiales et matérielles et leur lieu d’exercice. Le Ministère de l’Intérieur (MININT) en confie l’exécution à la FMC[25] que l’on a chargée, entre temps, de réaliser le recensement des analphabètes et de s’occuper de la campagne d’alphabétisation[26].

Conformément à la politique prônée par le gouvernement, la police touristique et les fédérées, volontaires, s’efforcent de persuader les prostituées d’abandonner, volontairement, l’exercice de la prostitution.

Il est clair, en effet, pour le groupe de fédérées mandé par la FMC pour visiter les maisons de tolérance que le succès de leur entreprise dépend essentiellement de la façon dont elles sauront établir des relations de confiance avec les prostituées. Issues des milieux les plus humbles de la classe ouvrière ou paysanne  habituées à vivre dans un climat d’insécurité et de méfiance rejetées par la société  maltraitées par les proxénètes et les matrones elles voient d’un mauvais œil l’arrivée de ces fédérées qui leur tiennent un discours auquel elles ne sont pas habituées.

Or ce premier contact et la relation qui s’ensuivra sont essentiels. Car c’est à travers eux que les fédérées parviendront à les persuader de quitter un métier auquel, somme toute, elles se sont habituées malgré les conditions dans lesquelles elles l’exercent. En outre, gagnant mieux leur vie qu’auparavant, elles n’ont guère envie d’abandonner la prostitution. Il faut donc leur faire comprendre les objectifs de la Révolution et mettre en avant les moyens qu’elle mettra en place pour les aider à changer de vie et, par conséquent, à s’insérer dans la nouvelle société. Et, surtout, éviter qu’elles ne retombent sous la coupe de leurs souteneurs. Certes, un grand nombre d’entre eux a fui l’île mais ceux qui sont restés n’ont pas abandonné les « filles » qu’ils faisaient travailler. Ils font pression sur elles pour qu’elles continuent à pratiquer la prostitution.

« Et les souteneurs de dire qu’on allait nous fusiller, nous envoyer à la récolte des tomates, nous mettre en prison. Toutes ces rumeurs s’enchaînaient. On parlait de je ne sais quel pays, où l’on avait effectivement fusillé les prostituées [27]».

« [...] Selon les rumeurs qui circulaient, la Révolution allait être implacable avec les prostituées. Les tenanciers de bordel et les maquereaux faisaient toutes sortes de commentaires sur le sort futur des prostituées, qui seraient fusillées, qui iraient en prison ou dans une ferme. Par ailleurs, j’avais aussi entendu dire que le nouveau gouvernement serait comme le précédent et que rien ne changerait vraiment...[28] ».

Cette stratégie, basée sur la confiance et le respect mutuels, suppose un cheminement auquel les prostituées n’ont jamais été habituées car « […] dans le milieu dans lequel elles se mouvaient, elles étaient victimes de l’exploitation la plus féroce » [29] ; et, de toutes façons, « […] en qui, réellement pouvaient-elles avoir confiance ? »[30].

Elle présente l’avantage, toutefois, de ne pas heurter les sensibilités et d’amener progressivement les prostituées à prendre conscience des bénéfices d’une rééducation, volontaire, au lieu de s’obstiner à poursuivre leurs activités dans un milieu dont elles ont pu mesurer l’hostilité et la cruauté. 

Il faut donc aux fédérées beaucoup de souplesse, de fermeté et de savoir-faire, non seulement vis-à-vis des prostituées mais aussi de leur entourage proche qui craint pour leur réputation et même pour leur vie; une grande adaptabilité aussi car elles pénètrent un monde codé, hiérarchisé, dangereux. « Ma première impression en entrant dans une maison de passe » raconte l’une d’entre elles :

« […] fut si désagréable et la saleté qui régnait si repoussante que j’eus aussitôt envie de fuir cet endroit… par la suite, j’en visitai d’autres dont les conditions d’hygiène étaient meilleures ; les femmes qui occupaient ces lieux faisaient montre d’une absence totale de pudeur ; mais ce qui m’était encore plus insupportable, c’était le regard de ces hommes qui entraient et sortaient comme un troupeau… »[31].

Mais, ajoute-t-elle,

« Une fois passé ce premier moment, consciente de la tâche qui nous attendait en ces lieux, je fis abstraction du fait que je me trouvais dans une maison de tolérance. Sans préjugé aucun, uniquement animée par la vérité, la logique et le sens commun, je m’approchai d’elles. Ces arguments, convaincants, devaient nous permettre de gagner leur confiance et briser les peurs et les craintes que le milieu et la contre-révolution avaient introduits, à dessein, dans leur esprit pour les empêcher d’abandonner la vie inutile et remplie de vices qu’elles menaient, pour une vie utile où elles seraient en sécurité et sauraient ce qu’est le véritable amour pour le travail »[32].  

Ce commentaire, un peu binaire (inutile/utile) ne donne pas toujours les effets escomptés. Les fédérées sont parfois obligées d’utiliser des arguments où la force de conviction cède le pas à l’épreuve de force - ce rapport étant le seul que certaines prostituées sont capables de reconnaître et d’accepter. Ainsi, le scandale public est-il puni et les prostituées qui l’occasionnent sont-elles envoyées dans la prison de Güines (province de La Havane), que l’on a réhabilitée pour la circonstance. Les fédérées y poursuivent le travail qu’elles ont initié, car ainsi que le souligne Oscar Padilla, responsable national du MININT, en ce qui concerne le travail d’éradication de la prostitution :

« Nous faisions bien la différence entre les prostituées et les autres secteurs gangrenés ; la prostituée représentait, entre tous, le facteur le plus noble. Elle agissait ainsi pour des raisons essentiellement économiques, à cause de son inculture et autres facteurs sociaux… »[33].

Le contrôle sanitaire effectué par la police touristique ayant porté ses fruits, le MININT décide alors de mettre un terme au négoce lucratif des laboratoires privés qui fournissent des certificats médicaux de complaisance aux prostituées. Il engage une collaboration avec le Ministère de la Santé (MINSAP) afin d’habiliter des centres médicaux dans le traitement clinique des prostituées. L’exercice de la prostitution est désormais conditionné par un examen médical et il est de plus en plus surveillé.

En l’espace de trois mois, 1623 femmes des quartiers de La Havane les plus exposés à la prostitution, passent des contrôles médicaux. Le bilan est alarmant: 30 à 40% d’entre elles souffrent de syphilis; un grand nombre est atteint de blénnorragie et autres maladies vénériennes[34]. Ce constat amène le MININT et le MINSAP à prendre des mesures draconiennes: les prostituées malades sont hospitalisées et ne peuvent sortir de l’hôpital qu’une fois complètement guéries afin d’éviter toute contamination de la population. 

En réalité, cette mesure n’est pas suffisamment dissuasive. Passer devant le médecin, se faire soigner le cas échéant, n’empêchent pas l’exercice de la prostitution. C’est un moindre mal pour les prostituées. La sensibilisation doit se faire différemment; se fonder, en partie, sur la notion de territorialité et de hiérarchie, chères aux prostituées.

Les quartiers Atarés, Colón, la Victoria ont chacun leur spécificité. Le plus misérable, Atarés, est réservé aux femmes les plus âgées, les plus déshéritées, les plus “minables”; celles qui se contentent d’une passe à un peso, voire un peso cinquante, dans des bouges infâmes ou des chambres sordides. Le tarif des filles du quartier Colón est plus élevé (de trois à cinq pesos) et les conditions de travail un peu meilleures puisqu’à côté des filles qui font le trottoir, on trouve quelques maisons de passe.

« ... Colón... C’était un quartier d’une autre catégorie, beaucoup plus pauvre, plus sale et dépravé. Certes, la dépravation était partout, mais à la Victoria on trouvait plus de raffinement. Les maisons de la Victoria étaient plus confortables, plus propres; celles de Colón étaient laides, très sales et délabrées. La qualité des filles variait aussi: à Colon il n’y avait que des filles âgées, très peu de jeunes. A la Victoria, tu pouvais aller avec un client si tu voulais, ou bien ne pas y aller. A Colón tu devais accepter tout le monde, même des Noirs. Là-bas, toutes les filles étaient sur le même pied, et elles ne pouvaient refuser le client sous prétexte qu’il était sale ou de couleur. Donc, si tu refusais, tu provoquais des histoires, parce que le type exigeait que tu viennes avec lui et il était capable de tout, même de te faire mettre à la porte de la maison, puisque tu y étais entrée à la condition de tout accepter...[35] ».

Mais c’est le quartier de La Victoria qui remporte la palme. Plus chères (elles se font payer entre cinq et sept pesos, voire dix pesos) les prostituées y sont plus jeunes, plus jolies, plus élégantes, plus cultivées et les maisons de tolérance plus sophistiquées. La clientèle, assidue, est, bien sûr, très différente de celle d’Atarés et de Colón.   

La solution adoptée par le MININT consiste alors à déplacer des prostituées du quartier Atarés vers le quartier Colón et de ce dernier vers celui de la Victoria. Il s’ensuit une augmentation du nombre d’arpenteuses et de tapineuses sur un espace de plus en plus restreint. Cette promiscuité qui rend les conditions de travail plus difficiles suscite tensions, rixes et conflits entre les filles qui se voient dépossédées des privilèges dont elles jouissaient, supplantées parfois, et dont les gains diminuent.

Dans l’incapacité de poursuivre leur activité en raison de l’augmentation de la concurrence, certaines prostituées commencent à réfléchir aux propositions de réhabilitation qui leur sont offertes.

« De temps à autre, j’avais quelques bagarres avec la police, mais les manières avaient changé. On ne me condamnait plus et je n’avais plus à fournir de caution. Les policiers me disaient que mon métier n’était pas correct, que ce n’était pas un métier honorable. Je restais deux ou trois heures au poste. Puis le responsable du commissariat m’appelait dans son bureau et me sermonnait: je ne devais pas faire de scandales, mener une vie honorable, etc., etc. ».[36]

C’est là le but recherché par les autorités cubaines qui passent de la phase de persuasion et de contrôle, à une phase plus autoritaire, voire répressive dans certains cas.

Les horaires d’ouverture des maisons closes ont largement été réduits; la vente de boissons alcoolisées y est désormais interdite. Les prostituées doivent désormais travailler habillées - il n’était pas rare d’en voir travailler nues ou simplement vêtues d’un soutien gorge et d’une culotte[37]. Les bars où elles raccolaient autrefois sont étroitement surveillés. Enfin, les Cubains occupés à la construction de la nouvelle société et au développement économique de l’île, n’ont plus ni le temps ni l’argent pour s’acoquiner avec elles. Aussi oblige t-on les prostituées, désormais oisives dans la journée, à participer à des activités agricoles[38] :

« [...] la Révolution modifia les horaires de travail et moins d’hommes fréquentèrent les maisons. Pendant la journée, on ne pouvait pas ouvrir le bordel ni recevoir des clients. C’était interdit. On commençait à huit heures du soir et on terminait à minuit. Le samedi et le dimanche étaient jours de grand travail, ainsi que le vendredi soir, mais dans la semaine on n’avait presque plus rien à faire. Il y avait même des jours sans aucun client, car les hommes n’entraient plus au bordel ».[39]

Les mesures prises par le Gouvernement restreignent donc notablement l’exercice de la prostitution. Toutefois, l’éradication de la prostitution ne peut se borner à des stratégies ponctuelles sans effet sur le long terme. Convaincre les prostituées de sortir de la prostitution ne suffit pas. Il faut aussi leur donner les moyens de s’insérer dans la société qui se construit et qui a besoin d’elles. La campagne d’alphabétisation lancée le 15 avril 1961[40] doit servir la campagne d’éradication: l’éducation constituant la condition sine qua non à une intégration réussie des prostituées et à une insertion dans le marché du travail.

Le message lancé par Fidel Castro le 9 octobre 1961, à l’occasion de l’anniversaire des Comités de défense de la Révolution est on ne peut plus explicite:

« La prostitution est une conséquence du régime d’exploitation de l’homme par l’homme. Les mesures que la Révolution adoptera pour l’éradiquer ne seront pas les mesures adoptées contre les parasites. Elle procédera en combinant éducation et aide économique, de façon à réhabiliter socialement cette partie des secteurs humbles de la population. Ce ne seront pas des procédés drastiques, mais un procédé basé sur l’éducation et la réinsertion. Il devra compter sur la collaboration[41] des femmes qui en ont été victimes »[42].

Basée sur le volontariat, la collaboration est le seul gage de réussite de la campagne.  Elle passe par l’intégration des prostituées dans des écoles de réhabilitation créées à La Havane et dans les grandes villes de province. Conçues pour permettre aux prostituées d’abandoner définitivement la prostitution, elles doivent fournir à leurs « élèves », les moyens de s’insérer dans la nouvelle société. En effet, il s’agit de donner naissance à: 

« […] une nouvelle femme, la femme de la société socialiste. Libérée de l’esclavage domestique du poids des préjugés du passé; elle doit jouir de tous les droits et s’incorporer pleinement aux activités laborables. Pour atteindre ce degré supérieur auquel elle a droit, la femme doit se préparer, se perfectionner, étudier sans relâche pour élever son niveau idéologique »[43].

Or cela ne va pas de soi car bon nombre de prostituées encore sous l’emprise de leurs souteneurs, fonctionnent avec les vieux schémas du passé et préfèrent quitter l’île plutôt que d’abandonner leur métier. Elles retrouvent, à Miami ou ailleurs à l’étranger, leurs souteneurs qui ont fui l’île pour échapper à la campagne de répression menée contre eux par les autorités.

« L’opération fusée »[44] ainsi lancée débute par un travail d’investigation et de fichage minutieux des souteneurs, mené par le Département Technique d’Investigation du MININT. Placé sous la tutelle du Conseil Supérieur de la Défense Sociale[45], ce programme doit déterminer l’« indice de dangerosité » des personnes fichées. Il aboutira à une vague de détentions surprise car :

« ... les maquereaux firent une forte campagne contre l’école. Ils disaient que le goouvernement était un monstre d’hypocrisie, qu’il ne pouvait pas se montrer si généreux,... Pour sûr que les filles seraient embarquées dans des travaux forcés... »[46].

La libération sous caution n’étant pas acceptée par le Conseil Supérieur de la Défense Sociale, la durée de l’incarcération des prisonniers est fonction de leur « degré de dangerosité ». Elle dépend aussi des progrès qu’ils accomplissent dans le cadre de la rééducation à laquelle ils sont soumis en prison ou dans les fermes[47]. Cette rééducation passe par l’apprentissage obligatoire d’un métier, qui facilitera leur réinsertion à leur sortie de prison.

Peu à peu donc, l’étau se resserre autour des prostituées, des souteneurs. Les maisons closes sont fermées les unes après les autres. Les « filles » qui avaient remplacé les matrones [48]qui avaient fui à Miami n’ont désormais plus d’autre option que celle des centres de réhabilitation. Dans le même temps une résolution ministérielle[49] autorise la fermeture définitive des théâtres « Shangaï » et « Paris »[50] de La Havane.

Les écoles ou fermes de rééducation des prostituées sont placées sous l’autorité du Département de Prévention et de Sécurité Sociale[51] du Ministère de l’Intérieur. Au nombre de quatre (La Havane[52], Matanzas, Camagüey et Santiago de Cuba)[53], elles sont généralement situées en dehors des villes. Elles doivent être pourvues de conditions sanitaires et d’une assistance médicale adéquates, disposer de structures (ventilation, électricité,...) et d’espace suffisants (dortoirs) pour accueillir et loger décemment les prostituées.  Toutefois, il arrive qu’elles ne soient « pas adaptée[s] à [leurs] fonction[s] ». En effet :

« ... L’école avait été installée dans la maison d’un homme riche. Elle n’était pas adaptée à sa fonction et le ministère projetait de la transformer. Mais la hâte des filles était telle, leur désir de quitter la prostitution si pressant, que le ministère accepta que nous nous installions sans qu’on eût fait les travaux. Les transformations se feraient plus tard. C’est ce qui se passa. Dans les différentes chambres, on installa des lits superposés »[54].

Ces écoles reposent sur trois principes fondamentaux, à savoir l’élévation du niveau scolaire[55], le dépassement politico-idéologique et le travail collectif. Aux cours intensifs de lecture, d’écriture et aux disciplines de base de l’enseignement primaire, on associe des ateliers éducatifs - éducation sexuelle, hygiène, habitudes comportementales, éducation informelle. Dans le cadre du travail collectif, une journée de travail aux champs est prévue - le produit de la récolte étant destiné à l’auto-consommation. Le personnel enseignant et administratif est choisi avec soin. Les ex-prostituées, en uniforme (pantalon bleu chiné et chemisier rose comme tenue ordinaire, jupe grise et chemise rose pour les sorties), sont regroupées en brigades et réparties en fonction de leur âge et du temps passé dans la prostitution. La discipline y est rigoureuse et le règlement strictement appliqué: 

« Nous les avons réparties en brigades de 30 éléves chacune. Dans toutes les brigades, il y a toujours un cas plus difficile que les autres, mais dans l’ensemble, la discipline est bien acceptée. Ce sont les responsables de la brigade qui s’en occupent. Il y en deux par groupe et il y a également une conseillère générale pour tous les groupes réunis. Nous disposons des dossiers des élèves. Les instructrices y inscrivent leurs résultats qu’elles comparent avec leur conduite antérieure. Dans 90% des cas nous obtenons une évolution rapide »[56].

« [...] certaines filles ne supportèrent pas l’école et voulaient s’en aller. Car il fallait y observer une certaine discipline. On ne pouvait pas sortir quand on le désirait, mais quand on pouvait obtenir une permission, un laissez-passer. Cette condition était insupportable pour certaines filles. Les jours de sortie étaient le samedi et un autre jour de la semaine, que l’on accordait selon le comportement et la discipline de chaque pensionnaire. Celle qui ne voulait pas se lever tôt, qui arrivait en retard à l’atelier ou aux cours, qui manquait de respect au professeur, perdait son laissez-passer. ...

Certaines filles,... ne supportaient pas l’enfermement et voulaient la liberté. Elles soulevaient donc la question de leur départ. On ne faisait pas d’objection à ce départ, mais simplement on les retenait pour qu’elles puissent en débattre, non avec les dirigeants de l’école, mais avec leurs propres camarades, avec des filles comme elles, qui avaient fait les mêmes expériences. Quand un cas pareil se présentait, la direction de l’école nous consultait pour savoir si nous laissions partir la fille ou si nous discutions au préalable avec elle. Nous étions de l’avis de discuter d’abord, avant qu’elle ne commît l’erreur de partir. Nous arrivâmes, grâce à ces dicusions, à en convaincre certaines qui restèrent à l’école et en furent heureuses.

Il y en eut qui s’en allèrent pendant la nuit, pour ne pas risquer de se laisser convaincre. Elles étaient influencées par les macs et elles quittèrent Cuba pour les Etats-Unis, où elles recommencèrent à vivre comme avant. Je le sais par leurs lettres »[57].

Centres de réhabilitation, ces écoles sont aussi des centres d’apprentissage professionnel où les ex-prostituées reçoivent une formation de coiffeuse, de couturière,... Des accords passés avec des centres de production permettent à certaines d’entre elles de se familiariser avec le travail en usine. Pratique qui présente un double intérêt: permettre aux réhabilitées de s’adapter progressivement au monde du travail et vaincre les préjugés des ouvriers et des ouvrières à l’égard de femmes que l’on regarde encore comme des prostituées et non comme des réhabilitées.

« Quinze jours après mon entrée à l’école, je commençai à travailler dans une fabrique textile où on demandait du personnel. Nous nous levions vers cinq heures du matin, nous faisions notre lit et nous prenions notre petit déjeuner. Quelque fois avant le travail, nous faisions un peu de gymnastique. C’était des exercices et de la marche à pied. La fabrique se trouvait très loin de notre résidence. Nous devions donc quitter l’école très tôt, dans un véhicule qui était à notre disposition et il nous fallut interrompre cette gymnastique. Celles qui restaient à la résidence continuaient leurs exercices. On nous apportait notre déjeuner de l’école et, vers cinq heures du soir, on venait nous chercher. Quelquefois la lieutenante venait elle-même dans sa voiture, et nous repartions en chantant »[58].

« Au début de notre travail dans la fabrique, il se produisit quelques tiraillements avec les femmes qui y travaillaient. Elles commencèrent par prendre leurs distances par rapport à nous. Elles nous considéraient d’abord non pas comme des réhabilitées mais comme des prostituées, avec lesquelles il ne fallait pas frayer. Mais on organisa une réunion dans la fabrique, à laquelle participèrent la directrice de l’école et des camarades du ministère. On s’adressa aux camarades de la fabrique pour leur expliquer que nous n’étions pas des femmes différentes d’elles, qu’elles avaient eu la chance de ne pas aboutir au bordel, que les filles qui étaient soumises au plan de réhabilitation étaient en vérité dignes d’admiration. Ce fut une assemblée utile, car le lendemain le climat avait changé radicalement… »[59].

Les enfants en bas âge des réhabilitées sont pris en charge dans des crèches situées à proximité des centres et ce pendant toute la durée du séjour de leur mère dans les écoles de réhabilitation[60]. Certaines prostituées ayant objecté qu’elles ne pouvaient se rendre dans les écoles de réhabilitation dans la mesure où les revenus de la prostitution assuraient l’existence quotidienne de leurs proches, le gouvernement décide de leur allouer une rétribution compensatrice dont le montant est fixé en fonction du nombre de personnes concernées. 

III. La campagne d’éradication en province

Si la capitale compte le plus grand nombre de prostituées[61], les villes de Guantánamo, Caimanera, Santiago de Cuba, Camagüey, Cienfuegos et Matanzas et le centre de l’île (Las Villas, Matanzas, Sagua, Yaguajay, Cienfuegos, Santa Clara), ne sont pas en reste.

Une nouvelle carte est alors dessinée au vu des résultats du recensement et des spécificités socio-culturelles des régions. Mais la campagne suit le même déroulement qu’à La Havane: travail de recensement, persuasion, détection des maladies vénériennes, contrôle et traitement médical,...

Toutefois, la lutte menée à Guantánamo[62] contre la prostitution revêt un aspect singulier en raison de l’existence de ce que l’on appelle « l’usage »[63] : sorte de pratique institutionnalisée qui consiste à fournir des divertissements aux officiers de la base navale nord-américaine. Ainsi s’établit un réseau de prostitution différent de la prostitution « traditionnelle » à partir duquel des éléments anti-sociaux fournissent à la base navale des « invitées » peu habituelles, destinées à « pimenter » les fêtes organisées par les différents clubs du centre militaire.

Ces jeunes filles, raconte le lieutenant-colonel Arturo Olivares[64], sont amenées en train jusqu’à Caimanera[65] où les attend une barque nord-américaine qui les conduira jusqu’à la base. Elles sont ensuite remises aux officiers nords-américains qui se livrent avec elles à toutes sortes « d’orgies »[66]

La société bourgeoise de la ville n’y trouve rien à redire d’autant que ces soirées un peu spéciales donnent lieu, parfois, à un mariage « avantageux ». Bien qu’il soit de notoriété publique que ces réceptions débouchent sur des relations sexuelles, les parents de ces jeunes filles, pourtant issues le plus souvent de familles aisées, pensant tirer quelque avantage de cette relation, n’hésitent pas à les prostituer.

Cependant, à Guantánamo, la prostitution ne se limite pas à la base navale. Elle s’exerce également dans la partie basse de la ville, à l’est, et occupe, en raison d’un taux de chômage élevé et de la corruption régnante, un territoire conséquent[67].

L’éradication de la prostitution est laissée à la charge de la Direction Régionale de Guantánamo. Suivant l’orientation fixée par les instances dirigeantes nationales de la FMC, la Direction Générale de Guantánamo contacte tout d’abord les matrones qui dirigent les maisons de tolérance afin qu’elles laissent entrer les fédérées, dès les premières heures du matin, dans les maisons de tolérance et, ce, jusqu’à 16h (heure à laquelle arrivent les premiers clients).

Les conditions matérielles dans lesquelles les prostituées exercent leur métier ne sont guère reluisantes. Juana Pagés, une fédérée, raconte:

« Quand nous avons mis les pieds pour la première fois chez Mara la Grande, une brune immense et énorme, nous avons reçu un choc. Cette matrone, très élégante, très parfumée, couverte de dentelles, vêtue d’une robe en fil, brodée, vautrée dans son fauteuil faisait un contraste saisissant avec les chambres que nous visitions, les plus immondes qu’il m’ait été donné de voir »[68].

En 1961, une réunion organisée par le Ministère de l’Intérieur a lieu au bar « El Danubio azul ». 64 femmes y assistent. On leur explique les raisons de la campagne et on les incite à abandonner volontairement la prostitution et à s’incorporer au processus de réhabilitation.

Dans le même temps, des mesures coercitives sont prises: voitures patrouilles, policiers plus nombreux dans les zones de tolérance, répression contre tout scandale d’ordre public ou ostentatoire, contre « les bonnes moeurs » et désignation d’une prostituée comme responsable de ses camarades dans chaque maison close.

Les bars accueillant des prostituées sont placés sous séquestre de même que ceux installés à l’intérieur des maisons closes[69]. Puis les prostituées sont regroupées à l’hôtel Martí où elles subissent de examens médicaux. Celles qui souffrent de maladies vénériennes sont conduites à l’hôpital pour y être soignées. Quant aux autres, elles sont prises en charge par les fédérées qui les instruisent, leur montrent comment se comporter en société, leur enseignent comment se vêtir, se maquiller et leur présentent les avantages que leur offre la Révolution si elles consentent à abandonner la prostitution.

De son côté, le Ministère de l’Intérieur rencontre les parents des prostituées d’origine paysanne, facilite leur réintégration au sein de leur famille et les incorpore progressivement au travail, agricole en particulier.

Le groupe qui accepte de se « soumettre » à la campagne de réhabilitation est envoyé à Santiaga de Cuba où une école de réhabilitation a été installée. Fin 1961, la fermeture des maisons closes ayant incité certaines prostituées à poursuivre l’exercice de la prostitution en dehors des zones de tolérance, des mesures plus rigoureuses sont adoptées.

Toutefois, en 1962, on estime que les bases sur lesquelles reposait la prostitution sont éliminées. Le travail préventif se poursuit cependant afin d’éviter toute régression. Les maisons closes sont transformées en maisons d’habitation – certaines mêmes revenant aux femmes qui les occupaient auparavant.  

En revanche, l’activité liée à « l’usage » est plus difficile à éliminer. Les autorités policières commencent par intercepter un train en partance pour Caimanera et transportant une centaine de jeunes filles. Conduites au poste de police, et une fois leur identité connue, leurs parents sont convoqués. Mais cette première admonestation ne donne guère de résultat et l’activité se poursuit. On note, malgré tout, une diminution progressive du nombre de jeunes filles transportées, ce qui s’explique par la pression grandisssante exercée par la police. Mais, plus que tout, le travail des fédérées et la campagne de réhabilitation dans les zones de tolérance, vont amener une prise de conscience de la population.

Ces déplacements un peu particuliers cesseront au bout de quelques mois. Mais ils cesseront aussi en raison des tiraillements entre Cuba et les Etats-Unis, puis de la rupture de leurs relations - la vigilance accrue des garde-côtes rendant alors impossible l’exercice de la prostitution...

Contrairement à La Havane, les mesures coercitives ne sont pas utilisées. Les prostituées qui ne sont pas originaires de Caimanera partent habiter dans d’autres villes et villages, tandis que les natives de Caimanera, peu nombreuses, s’intègrent à la campagne de réhabilitation. Elles reviennent ensuite vivre dans leur famille et s’incorporent au travail révolutionnaire. La FMC et la police n’en continuent pas moins leur surveillance afin d’éviter toute récidive.  

Quelques cas demeurent sous la vigilance du Département de Prévention sociale du Ministère de l’Intérieur, mais, en 1965-1966, les autorités considèrent que la prostitution est complètement éliminée à Guantánamo.

A Santiago de Cuba, la campagne démarre en même temps que la campagne d’alphabétisation. Les fédérées, toujours sous la protection du Ministère de l’Intérieur, commencent leur travail de prévention par la visite des maisons closes et organisent des réunions avec les prostituées. Ces réunions se déroulent généralement entre cinq et six heures de l’après-midi. Elles sont, dans l’ensemble, efficaces. Aidées par les maîtresses d’école recrutées dans le cadre de la campagne d’alphabétisation et qui instruisent les prostituées jusque dans les maisons closes, les fédérées s’efforcent de persuader les prostituées d’abandonner, volontairement, la prostitution et d’intégrer la société comme n’importe quelle autre cubaine.

Les zones de tolérance sont situées dans les quartiers de Baracones et de La Alameda. On y trouve aussi ce que l’on appelle des « maisons d’amis » ou « maisons de rendez-vous », lesquelles, à la différence des maisons closes, ont recours à des femmes qui ne se prostituent que de façon occasionnelle.

A Santiago, contrairement aux autres villes, ce sont les propriétaires de maisons closes (le plus souvent des femmes et des homosexuels), plus que les proxénètes qui sont les plus récalcitrants. Aussi, est-ce contre eux que s’exercera surtout la répression policière. Mais, les lieux d’exercice de la prostitution se transformant peu à peu, les scandales diminuant et les conditions d’exercice de la prostitution devenant plus « décentes », ils perdent leur pouvoir. Cette perte d’autorité et de gains les rend menaçants envers les prostituées auprès desquelles ils exercent maints chantages.

Cela n’empêche pas, pour autant, le déroulement de la campagne de réhabilitation. En mars 1962, l’école América Lavadi[70], placée sous la reponsabilité de la FMC, est créée. Connue sous le nom de « Forteresse »[71], elle sert de transition entre la sortie du bordel et l’incorporation dans la société.

Celle-ci se fait par le biais des centres de travail, mais elle est essentiellement fonction des progrès accomplis au sein de l’école, des aptitudes au travail et de la volonté d’insertion des ex-prostituées. Un certain nombre d’entre elles - dont le niveau de scolarité est suffisant - ira jusqu’à poursuivre des études universitaires.

Fin 1962, soit à peu près un an après le démarrage de la campagne, un temps record, toutes les maisons de passe sont fermées. Les dernières élèves de l’école América Lavadi sont regroupées et transférées à Camagüey[72], l’une des zones les plus fortement touchées par la prostitution[73]. Très rapidement, une opération surprise est menée qui entrainera la détention systématique de la quasi totalité des proxénètes; puis, l’on procèdera à la fermeture de toutes les maisons de passe[74].

La vente (aux enchères) du mobilier des maisons, plus un financement ponctuel spécial de l’État, permettent la réfection d’une maison de retraite dans la capitale de la province. On y lance un Centre de production artisanale[75] où sont installées les prostituées qui présentent les meilleures possibilités d’insertion. Les autres sont conduites aux postes de police et, par la suite, dans des camps destinés à leur réhabilitation[76].

Les matrones qui font le choix de la réhabilitation volontaire sont admises dans le Centre. Les autres quittent la province et sont incorporées au travail productif. 

En 1967, la campagne de réhabilitation des prostituées est terminée. Le Centre de production artisanale n’ayant plus lieu d’être, il est fermé. Les prostituées qui avaient commis des délits (la prostitution n’est pas considérée comme un délit) sont alors envoyées dans les différents centres pénitentiaires du pays.

Dans la province de Santa Clara, outre les maisons de tolérance[77], on dénombre plus d’une centaine de maisons de rendez-vous. Les femmes y exercent la prostitution de façon indépendante et ne sont pas rattachées à une maison close. Aux fédérées qu’elles côtoient, elles expliquent leur choix par les difficultés économiques qu’elles rencontrent; elles insistent sur le fait que la prostitution est leur seul moyen d’existence[78].

Les prostituées qui choisissent la voie de la réhabilitation sont envoyées au centre América Libre à La Havane. Les récalcitrantes sont mises à la disposition du Conseil Supérieur de la Défense Sociale.

En 1962, toutes les maisons de passe sont fermées. Toutefois la campagne de réhabilitation se poursuit jusqu’en 1965 et s’ouvre sur la création de plans agricoles, tel que celui de Banao[79] dans la province de Las Villas. De nouvelles sources d’emploi sont ainsi offertes aux réhabilitées, mais le régime semi-militaire qui est pratiqué doit aussi servir à la réinsertion de délinquantes (qui ont commis des délits) et à celles qui sont retombées dans la prostitution.

IV. Ultimes soubresauts

En 1962, la stratégie d’éradication de la prostitution commence à porter ses fruits. Les autorités fixent alors l’élimination définitive de la prostitution pour 1965. Dès 1963, dans l’ensemble du pays, toutes les maisons de passe sont fermées. Les « zones de tolérance », exception faite de quelques secteurs à La Havane et à Caimanera disparaissent.

Les prostituées qui refusent encore de se soumettre au plan de réhabilitation et qui échappent aux centres de rééducation se voient imposer des horaires rigoureux dans l’exercice de leur profession. Leur temps libre est occupé par des cours de « dépassement culturel » et par la participation obligatoire aux travaux agricoles, le dimanche. A La Havane, le Ministère de l’Éducation coordonne l’ouverture de classes diurnes[80] - plusieurs jours par semaine - pour qu’elles puissent atteindre la fin du niveau primaire.[81] Une enquête est menée auprès des membres de leurs familles pour mieux appréhender les raisons qui les ont poussées à la prostitution. Il arrive même que l’on fasse appel à eux pour les persuader d’abandonner leur métier.    

En 1964, le quartier de La Marina dans la ville de Matanzas est débarrassé de la prostitution. Elle a pratiquement disparu de Cienfuegos. Les quelques maisons de tolérance qui subsistaient encore à Camagüey sont fermées et à Caimanera et à Pinar del Río, il n’y a plus aucun vestige de la prostitution. 

En 1965/1966 la campagne d’éradication s’achève avec la fermeture définitive des derniers lieux de prostitution du quartier La Victoria de La Havane, suivis par celle du bar de María La Grande à Guantánamo qui marquera la fin des zones de tolérance à Cuba.

A La Havane, le contrôle des chambres[82] occupées par des hommes seuls (dans le quartier du Vedado, en particulier) fait partie de cette stratégie. Seuls les étudiants éloignés de leurs centres d’étude ou de leur université ont le droit de louer une chambre, mais il leur faut passer par le Département de Prévention et de Sécurité Sociale.

Dans les cabarets, la vigilance est maintenue. Afin de lutter contre toute velléité d’une prostitution clandestine, le MININT fait photographier et filmer les femmes qui entrent et sortent accompagnées, les artistes[83] surtout, car certaines prostituées se servent de cette profession pour continuer à pratiquer leur ancien métier.    

Une fois dehors, elles sont appréhendées et on engage avec elles une discussion qui doit les amener à abandonner, une fois pour toutes, l’exercice de la prostitution. Si tel n’est pas le cas, elles sont emprisonnées. Celles qui cèdent à la pression signent un document prouvant leur abandon d’une activité considérée désormais comme illicite.

Il reste malgré tout une prostitution des rues, clandestine, contre laquelle les autorités ont bien du mal à lutter. Et, pourtant, il n’est pas question de les laisser poursuivre cette activité. A La Havane, le MININT crée un groupe chargé de la surveillance étroite des quartiers susceptibles d’abriter encore ce genre d’activités et fait appel aux Cubains, qui sont racolés, pour dénoncer des comportements anti-révolutionnaires et donc anti-sociaux.

Le Conseil Supérieur de la Défense Sociale, de son côté, accentue la pression contre les prostituées clandestines, afin qu’elles comprennent que leur salut réside uniquement dans l’abandon de leur métier. En d’autres termes, leur intégration dans la nouvelle société ne peut passer que par l’étape première de la réhabilitation.  

La campagne d’éradication de la prostitution constitue un axe majeur dans l’élaboration de la nouvelle société cubaine. La FMC, les différents organismes de l’État et les organismes de masse, conscients des enjeux, ont, avant tout, le souci de redonner aux femmes qui se prostituent, la dignité à laquelle tout être humain a droit. Les femmes, plus encore, elles qui n’ont connu que souffrances et humiliations.

C’est pourquoi, le dialogue, l’écoute, les échanges, la persuasion seront leurs instruments premiers. Il faut amener ces femmes à rompre leur isolement, à lutter contre l’ostracisme dont elles font l’objet et à briser les préjugés qui les entourent. Il faut aussi les amener à comprendre que leur insertion dans la société et leur participation au travail collectif sont désormais inéluctables, même si cela doit passer par la peur du châtiment.

Le rôle des fédérées est, à cet égard, fondamental :

« [...] la vie nous démontra que la force n’était pas la voie que nous devions suivre. C’est une des tâches les plus belles que la Fédération des Femmes Cubaines ait réalisée; une tâche qu’elle mena en coordination avec la Police. La Police la démarra et la poursuivit, mais dans la pratique, c’est la Fédération qui joua un rôle central »[84].

Les écoles de réhabilitation qui allient éducation et insertion professionnelle, les écoles pionnières mises en place par la FMC[85] et surtout la volonté étatique de permettre à toutes les femmes, quel que soit leur parcours antérieur, de trouver un emploi, sont là pour les valoriser et leur donner la chance qu’elles n’ont pas eue.

Par ailleurs, le fait que des femmes les accompagnent dans ce processus de changement, permet une plus grande efficacité et réactivité. Courageuses et volontaires, les fédérées savent trouver les mots et adopter le ton et la conduite qu’il faut pour donner espoir et confiance aux futures réhabilitées :

« Parfois, le samedi, nous les emmenions se promener dans la rue Enramada, pour qu’elles se rendent bien compte que nous ne ressentions aucune gêne à être en leur compagnie. Il nous arrivait même de leur dire qu’elles pourraient être meilleures que nous.

Le commandant Joaquín Méndez Cominches nous félicita pour avoir eu le courage de sortir avec ce groupe de femmes alors qu’elles n’étaient pas encore réhabilitées.  

Nous lui répondîmes que nous avions confiance en elles et que l’attention et l’encadrement qu’elles recevaient à l’école leur prouvait qu’il s’agissait bien d’une transformation sociale, d’une vie complètement distinte de celle qu’elles avaient connue »[86].

Il n’en demeure pas moins que les considérations économiques et financières sont un facteur dont il faut aussi tenir compte dans le processus de réhabilitation. L’abandon de la prostitution, même s’il s’agit d’un métier infamant et dégradant, suppose une perte substantielle de revenus, à la fois pour la prostituée et pour sa famille, dont elle assure la subsistance. D’où les réticences (nombreuses) et les craintes des prostituées à se soumettre au plan d’éradication de la prostitution. 

C’est ce qui explique aussi les différentes phases de la campagne : recensement, mesures prophylactiques, persuasion et argumentation idéologique, et bien sûr, répression, à l’encontre des souteneurs récalcitrants en particulier et des prostituées récidivistes.

La campagne d’éradication prend fin en 1966. Le recensement effectué (avec, eu égard aux circonstances dans lesquelles il s’est déroulé, ses marges d’erreur) a mis à jour l’existence d’« environ 20 000 bordels et maisons de passe et plus de 150 000 prostituées, presque toutes d’origine paysanne et avec un pourcentage élevé de Noires... ».[87]

Officiellement, la prostitution, « mal inévitable », « maladie sociale » n’a plus cours. Pour assurer leur insertion, les autorités ont même attribué des logements aux réhabilitées[88]. Reste que d’autres problèmes subsistent, que la bonne volonté des uns et des autres n’a pu résoudre. L’insertion des réhabilitées, malgré les discours gouvernementaux, la compréhension des organismes d’état et des organismes de masse, ne va pas toujours de soi. Les fonctionnaires du MININT et la FMC doivent agir directement auprès de certains centres de travail et organismes de masse pour les convaincre de l’importance de l’incorporation des ex-prostituées à la vie sociale et au travail.  

Aussi, en 1967, le Ministère du Travail, impose t-il la Résolution 166[89]. Signée par le Président Osvaldo Dorticós, sa portée va bien au-delà de l’imposition des réhabilitées dans les centres de travail puisqu’il y est aussi question des prostituées qui ont fait un séjour en prison ou commis des délits de droit commun et d’ex-reclus contre- révolutionnaires[90].  

Son application est à la charge de la Commission Nationale de Prévention Sociale, créée en 1967, qui délègue ses attributions à la province, aux municipalités et aux sections, à travers les organismes d’état et les organisations politiques et de masse. Des brigades de travailleurs sociaux, volontaires[91], sont constituées, au niveau de la base, afin d’assurer le suivi des ex-prostituées et des ex-proxénètes[92] et éviter qu’ils ne retombent dans des conduites délictueuses.

Malgré tout, en 1968, à La Havane, la police arrête trois cents jeunes à La Rampa et dans les alentours de l’hôtel Capri, dans le quartier de Vedado[93]. Dans un discours radiodiffusé, le 29 septembre 1968, Fidel Castro raconte l’arrestation d’un groupe de jeunes qui « [...] avaient volé, s’étaient drogués, faisaient des orgies et qu’il y avait des filles qui vendaient leur corps à des étrangers en échange de marchandises »[94].  

Puis, plus rien..., jusqu’en 1987, où, en pleine étape de la « Rectification des Erreurs et des Tendances Négatives », la publication du « Cas Sandra »[95], vite étouffée, prouve la survivance d’une prostitution que l’on croyait définitivement éliminée[96].

Bibliographie

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Valle, A. (2010), La Havane Babylone : prostitution à Cuba. Paris, Éd. Métailié, 310 p.  

Rapport sur la campagne sanitaire établi par E. de la P. le 7-1-1963 à La Havane (archives de la FMC, La Havane). Aucun élément ne nous permet de connaître le nom exact de l’auteur du rapport.

Entrevues

Olga Ferrer, juillet 1990, La Habana.

Tomás Robaina Fernández, juillet 1990, La Habana.


Notes

[1] Rubén Fulgencio Batista y Zaldívar: président de la république de 1940 à 1944. Président par intérim de 1952 à 1954, il est à nouveau élu président de 1952 à 1958. 

[2] Gay-Sylvestre, D. (2012), « La prostitution à Cuba (1959-2011) », in DIRE (Diversités Recherches et Terrains, revue électronique EA 6311 FRED), n° 3, décembre, FLSH, Université de Limoges in http://catalogue.unilim.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=321630.

[3] Gay-Sylvestre, D. (2011), « La cause des femmes cubaines », in Las mujeres, la guerra y la paz, León, Revista del Seminario interdisciplinar de Estudios de las Mujeres, Universidad de León, n° 6, p. 205-227

[4] En vigueur jusqu’à la chute de Fulgencio Batista, ce décret reconnaît les « prostituées, bordels, tenanciers et maisons de santé » et va même jusqu’à recommander l’organisation d’« un service de santé ».

[5] Valle, A. (2010), La Havane Babylone : prostitution à Cuba, Paris, Ed. Métailié, p. 149-150.

[6] Rodríguez Calderón, M. (1990), « Yo fui una prostituta », in Bohemia, La Habana, 2 de marzo de, Año 82, n° 9, p. 8-9.

[7] Selon des statistiques élaborées en 1958, les femmes qui parviennent à trouver un travail, soit 13,3% de la population active, sont concentrées dans les villes. 52% dans la capitale (elles étaient 17% au recensement de 1953 contre 83% d’hommes).

Dans la province d’Oriente, en 1958, seul 2,6% de la population active féminine a un emploi.

[8] Gay-Sylvestre, D. (2006), Etre femme à Cuba. Des premières militantes féministes aux militantes révolutionnaires, Paris, Editions l’Harmattan, p. 51.

[9] Lewis, O., Lewis, R.-M., Rigdon, S. (1980), Trois femmes dans la révolution cubaine, Paris, coll. Témoins/Gallimard, pour la traduction française, p. 141.

[10] López González, P., in id. p. 184.

[11] Padura, L. (2006), Les brumes du passé, Paris, Ed. Métailié, p. 103-104.

[12] López González, P., in Lewis, O., Lewis, R.-M., Rigdon, S., Trois femmes..., op. cit., note 4, p. 4, p.186.

[13] Lansky, M., entre autres.

[14] Le Havana Hilton et le Havana Riviera sont la propriété d’entrepreneurs nord-américains. Les investissements sont également placés dans des casinos privés, des restaurants et des cabarets.

[15] Il y avait plus de soixante clubs et cabarets à La Havane avec deux et même trois spectacles par nuit. 

[16] Expression empruntée à l’écrivain cubain Amir Valle.

[17] Cf. supra note 1, p. 153.

[18] Gay-Sylvestre, D., Etre femme à Cuba..., op. cit. note 3, p. 4, p. 79.

[19] La dernière à avoir réellement été appliquée date de 1895.

[20] López González, P., in Lewis, O., in Lewis, R.-M., Rigdon, S., Trois femmes..., op. cit., note 4, p. 4, p. 199.

[21] Résultats des analyses effectuées dans les laboratoires de la capitale et mentionnés dans le Rapport sur la campagne sanitaire établi par E. de la P. le 7 janvier 1963 à La Havane.

[22] Nom donné par les auteurs du livre Trois femmes dans la révolution cubaine à une prostituée réhabilitée.

[23] López González, P., in Lewis, O., Lewis, R.-M., Rigdon, S., Trois femmes..., op. cit., note 4, p. 4, p. 199.

[24] Gay-Sylvestre, D., Etre femme à Cuba..., op. cit., note 3, p. 4, p. 79.

[25] La Federación de Mujeres Cubanas (FMC) - Fédération des Femmes Cubaines (FMC) est créée le 23 août 1960. Elle sera présidée par Vilma Espin de Castro, belle-soeur de Fidel Castro jusqu’en 2007 (année de son décès).

[26] Dirigée par Mario Díaz, elle démarre le 15 avril 1961 et prend fin le 22 décembre 1961.

[27] López González, P., cf. supra note 3, p. 199.

[28] López González P., in Lewis, O., Lewis, R.-M., Rigdon, S., Trois femmes..., op. cit., note 4, p. 4, p. 198.

[29] « […] en el medio en que se desenvolvían eran vctimas de la explotación más feroz » (traduit par nous). Entrevue de Tomás Robaina, La Havane, juillet 1990.

[30] « ¿Realmente en quién podía[n] confiar ? » Id.

[31] « […] fue algo tan desagradable que a los pocos momentos deseaba marcharme, pues era tal la suciedad que en el existía… después conocí otros mejores en condiciones higiénicas ; las mujeres que en este lugar se encontraban, demostraban una total carencia de pudor y lo que menos podía soportar era la mirada de aquellos hombres entrando y saliendo como una manada… » (traduit par nous).

Entrevue d’Olga Ferrer, membre de la FMC et du MININT, La Havane, juillet 1990.

[32] « Pasado este primer momento y conciente de la labor que nos llevaba allí, olvidé que estaba en un prostíbulo y me acerqué a ellas, sin ningún tipo de prejuicios, con la verdad, la lógica, el sentido común. Con estos argumentos convincentes debíamos lograr su confianza, derrumbando todos los miedos y temores infiltrados en sus mentes con toda intención por el lumpen y la contrarrevolución que giraban alrededor de ellas, para impedirles su salida de la vida inútil y llena de vicios que llevaban y entrar en otra segura, útil y de verdadero amor al trabajo ». Id.

[33] « Lo que sí diferenciamos a las prostitutas de otros sectores de lacra social ; la prostituta era el factor más noble de todos éstos y su razón era fundamentalmente de orden económico, de incultura y otros factores sociales… » (traduit par nous), in Federación de Mujeres Cubanas, La prostitución: una enfermedad social curable. La Habana, FMC, 1988.

[34] Résultats des analyses effectuées dans les laboratoires de la capitale et mentionnés dans le Rapport sur la campagne sanitaire établi par E. de la P. le 7-1-1963 à La Havane.

[35] Pilar López González in O. Lewis, R.-M. Lewis, S. Rigdon, Trois femmes..., op. cit. note 4, p. 4, p. 202.

[36] Id. p. 200.

[37] Id. Ibid.

[38] Tous les jours, des camions partent de La Havane à destination des différentes zones agricoles de la province, emmenant des prostituées travailler dans les champs et les fermes. Elles y restent au moins 4 heures, si bien que la journée est amplement entamée si l’on compte le temps de travail et la durée du transport.

[39] Padura, L., Les brumes du passé, op. cit., note 1, p. 5.

[40] CF chapitre intitulé « La campagne d’alphabétisation » in Gay-Sylvestre, D., Etre femme à Cuba..., cf. op. cit., note 3, p. 4, p. 70-73.

[41] C’est nous qui soulignons.

[42] Gay-Sylvestre, D., cf. supra note 2, p. 79.

[43] Premier Congrès de la FMC, 27 septembre 1962, in id. p. 91.

[44] « Operación cohete ».

[45] Créé en 1961. Il s’agit d’un Conseil collégial formé par le Directeur du Laboratoire Central d’Anthropologie Pénitentiaire, l’Inspecteur Général des Prisons, un professeur de l’École des Sciences Juridiques de l’Université de La Havane, un fonctionnaire du ministère public, de l’administration judiciaire, un représentatnt du collège des avocats de La Havane, un représentant de la Centrale des Travailleurs de Cuba (CTC), une représentante de la Fédération des Femmes Cubaines (FMC) et de l’Association des Jeunes Rebelles. Les décisions du Conseil se fondent sur les investigations préalables  menées par les Comités de Défense de la Révolution (CDR) et le Département de l’Ordre Public.

[46] López González, P., in Lewis, O., Lewis, R.-M., Rigdon, S., Trois femmes..., op. cit., note 4, p. 4, p. 203.

[47] Leur envoi en prison ou dans les centres de rééducation (fermes) dépend du caractère plus ou moins délictueux de leur comportement.

[48] En 1961, les tenanciers et tenanières de bordel disparaissent. Au départ de la matrone, la prostituée qui la remplace (provisoirement) prend le titre de responsable générale.

[49] Elle émane de la collaboration entre les Ministères de l’Intérieur et de la Santé Publique.

[50] Spectacles affriolants, films pornographiques y sont présentés. Les films, équipements de projection et autres sont confisqués.

[51] Créé en 1962, ce département contrôle également la mendicité, les combats de coqs et autres problèmes sociaux. Des succursales sont installées dans toutes les provinces.

[52] Voir à ce sujet, le chapitre intitulé « Les prostituées » in Gay-Sylvestre, D., Etre femme à Cuba..., op. cit., note 3, p. 4, p. 79-83.

[53] Leur création a lieu entre 1961 et 1962.

[54] López González, P., cf. supra note 1, p. 204.

[55] En 1953, Cuba compte 23,6% d’analphabètes. Sur les 500 000 femmes comptabilisées, qui ne savent ni lire ni écrire, 65% d’entre elles vivent à la campagne. Seul 22% des jeunes filles de plus de 14 ans sont inscrites à l’école[55]. 0,48% d’entre elles, seulement, sont sur les bancs de l’université, in L. Séjourné, La mujer cubana en el quehacer de la historia (con la colab. de Tatiana Coll). México, Siglo XXI, América Nuestra 26, 1980, tab., XI, p. 214.

[56] « Las hemos distribuido en brigadas de 30 alumnas cada una. En todas las brigadas hay siempre un caso más difícil que los demás, pero la disciplina general es buena. De eso se ocupan las responsables de brigada. Son dos para cada grupo y también hay una orientadora general de todos los grupos. Aquí tenemos los expedientes de las alumnas. En cada uno de ellos incluíamos el estudio comparativo que hacen las instructoras de la conducta actual de las muchachas con la conducta anterior. En un 90% obtenemos una evolución rápida » (traduit par nous), in Daura Olema, « Hacia una nueva vida », Revista Bohemia, La Habana, n° 20, 11 de enero de 1963, p. 40-43.

[57] López González, P., in Lewis, O., Lewis, R.-M., Rigdon, S., Trois femmes..., op. cit., note 4, p. 4, p. 206.

[58] Id. p. 205.

[59] Pilar López González in O. Lewis, R.-M. Lewis, S. Rigdon, Trois femmes..., op. cit. note 4 p.4, p. 206-207.

[60] Le Gouvernement octroie des bourses aux plus âgés.

[61] Environ 10 000 prostituées selon les estimations d’Armando Hart, ancien Secrétaire Général du Conseil Supérieur de la Défense Sociale et l’un des organisateurs du programme de réhabilitation des prostituées.

[62] Située à 86 km. À l’est de Santiago de Cuba. On y trouve la base navale américaine à la pointe sud-est de l’île (les Américains en ont obtenu la location perpétuelle depuis le 23 février 1903).

[63] El uso.

[64] Entrevue réalisée à Guantanamo par la FMC en 1961, in FMC. La prostitución como enfermedad social curable, La Habana, 1988 (sans nom d’auteur).

[65] Petit port de pêche proche de la base navale.

[66] Traduction du terme utilisé par le lieutenant-colonel A. Olivares Acosta.

[67] Au moins quatorze pâtés de maisons depuis les rues Agramonte, Emilo Giró et Serafín Sánchez jusqu’à la rue Oriente.

[68] « Cuando llegamos por primera vez en la casa donde vivía esa matrona que se llamaba Mará La Grande, una morena altísima y gruesa, nos dio muy mala impresión, al verla a ella tan bien vestida, llena de encajes y con aquel vestido de hilo todo bordado, recostada en un sillón, muy perfumada y en contraste, nos encontramos con las habitaciones más inmundas que yo he visto en mi vida » (traduit par nous). Entrevue de Juana Pagés, à Guantánamo par la FMC en 1961, in FMC. La prostitución como enfermedad social curable, La Habana, 1988.

[69] C’est le cas du bar de la maison de María La Grande, du « Night and Day », de celui de la maison de Manolito, de celui d’Olga la Bigotúa, de celui de « Corte y Costura », tous très connus à Santiago de Cuba.  

[70] Pendant toute la durée de leur séjour, les enfants des ex-prostituées sont pris en charge par la FMC et vivent dans une maison spécialement habilitée pour la circonstance, dans le quartier Vista Alegre. Par la suite, les tout petits seront placés dans des crèches.

[71] « Fortaleza ».

[72] Troisème ville de Cuba, à mi chemin de Santiago et de Santa Clara.

[73] A l’instar des autres régions, le travail d’éradication de la prostitution débute avec la campagne d’alphabétisation.

[74] Dans les zones de tolérance, les maisons sont détruites à l’aide de bulldozers.

[75] Inauguré le 24 février 1962.

[76] Cette méthode fut à nouveau employée par la suite pour « ramasser » les prostituées qui continuaient à exercer la prostitution dans les bars.

[77] Le Département Technique d’Investigation du MININT a recours aux fédérées pour effectuer un travail de captation en profondeur des prostituées dans les maisons de passe.

[78] FMC, (1988), La prostitución como enfermedad social curable, La Habana.

[79] Gay-Sylvestre, D., Etre femme à Cuba..., op. cit., note 3, p. 4, p. 126.

[80] Dans le quartier Gómez en particulier.

Voir à ce sujet le chapitre intitulé « Les plans spéciaux de perfectionnement orientés et dirigés par la FMC », in supra note 4, p. 101-102.

[81] Niveau du « sexto grado ».

[82] Il s’agit ici de ce que l’on appelle les « casas de dormir », expression pour laquelle il n’y a pas de traduction littérale en français et des « casas de huéspedes » (genre de maisons d’hôtes).

[83] Le MININT décide d’interdire l’exercice de la profession d’artiste à toutes les femmes non syndiquées. Le Département de Prévention Sociale du MININT est alors le seul habilité à établir et à fournir une liste de noms susceptibles de remplir les critères d’admission conformes aux valeurs révolutionnaires.

[84] « [...] la vida nos demostró que no era la vía de la fuerza, la que debía utilizarse... Esta es una de las tareas más hermosas que la Federación de Mujeres Cubanas realizó, una tarea que hizo en coordinación con la Policía, -que la empezó la policía, que la continuó la policía, pero que en la práctica, el centro fue la federación de todo este trabajo » (traduit par nous). Entrevue d’Olga Ferrer, membre de la FMC et du MININT, La Havane, juillet 1990.

[85] Gay-Sylvestre, D., Etre femme à Cuba..., op. cit., note 3, p. 4, p. 73-78.

[86] « A veces los sábados, las sacábamos por la calle Enramada[86] para que ellas vieran que nosotras no teníamos prejuicios de salir con ellas y les decíamos que ellas podrían llegar a ser mejores que nosotras...

El comandante Joaquín Méndez Cominches nos felicitó y expresó que habíamos tenido mucho coraje al decidirnos a sacar a la calle a ese grupo de mujeres, que aún no estaban rehabilitadas,... Nosotras les respondimos al compañero Méndez, que teníamos confianza en ellas; pues el tratamiento que estaban recibiendo en la escuela les demostraba que se trataba ahora de una transformación social, de una vida distinta a la que habían tenido ». Esmerida García, Santiago de Cuba. Entrevue in FMC. La prostitución como enfermedad social curable, La Habana, 1988.

[87] Valle, A. (2010), La Havane Babylone : prostitution à Cuba, Paris, Éd. Métailié, p. 154.

[88] Généralement éloignés de leurs anciens lieux d’exercice.

[89] Participent à cette réunion, la FMC, la CTC et les différents organismes de masse.

[90] La Résolution a aussi pour but de permettre l’insertion des hommes et des femmes qui ont passé moins d’un an en prison, au sein de la société et dans les centres de travail.

[91] Choisis parmi la FMC et les CDR, les membres des brigades reçoivent une préparation adéquate à partir de séminaires et de cours de psychologie, de sociologie, de droit et de travail social.

[92] On établit un dossier pour chacun d’entre eux. Leur évolution et leur comportement sont soigneusement étudiés. Au bout d’un an, leur cas est analysé par la Commission de Prévention Sociale qui décide du bien fondé de la poursuite ou de l’arrêt des mesures de protection prises à leur égard. Celles-ci prenent fin si leur incorporation est jugée convaincante et satisfaisante au regard des valeurs révolutionnaires. Les mêmes mesures sont prises pour toute personne soupçonnée de conduite anti-sociale.

[93] López González, P. in Lewis, O., Lewis, R.-M., Rigdon, S., Trois femmes... op. cit., note 4, p. 4, p. 249.

[94] Id.

[95] Par le journaliste Luis Manuel García Méndez de la revue Somos Jóvenes.

[96] Gay-Sylvestre, D. (2011), « Prostitución/jineterismo: un desafío para la Cuba del siglo XXI », in El Español: territorio de encuentros. 50 años de licenciatura en filología española en la universidad de Sofía “San Clemente de Ojrid”, Sofia, Bulgarie: Ed. Universidad San Clemente de Ojrid, pp. 577-586, 770 p. (ISBN: 978-954-07-3463-7). Actes du Congreso del cincuentenario del Departamento de Estudios Iberoamericanos de la universidad de Sofía “San Clemente de Ojrid” - octobre 2011, Bulgarie.

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