Notes introductives à une histoire des institutions agricoles et des élites coloniales au Maghreb

Insaniyat N°5 | 1998 | Villes Algériennes | p. 171-186 | Texte intégral


Omar BESSAOUD : Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes de Montpellier, France


L'histoire agraire coloniale du Maghreb a été pour notre génération abordée sous l'angle de la critique radicale du système colonial, de ses effets, à la fois sur les structures agraires et, de façon plus globale, sur la société rurale.

La crise des systèmes productifs, les blocages de la productivité des sols et du travail agricole, les phénomènes de pauvreté et de paupérisation extrême de la majorité des populations paysannes du Maghreb a la veille des indépendances ont été analysés comme les conséquences les plus visibles de la colonisation agraire.

Cette démarche, historiquement datée, mettait l'accent à juste titre, sur les contradictions les plus essentielles issues d'une forme de domination brutale, et dont héritaient nos sociétés.

Les politiques entreprises ces trente dernières années, ont certes modifié les institutions, les structures sociales et économiques dans les trois pays du Maghreb. L'Algérie, la Tunisie ou le Maroc d'aujourd'hui ne ressemblent plus aux pays qu'ils étaient à la sortie de la décolonisation politique, mais les traces de l'installation coloniale n'ont pas disparu.

Les caractéristiques de la colonisation française au Maghreb, marquée par une occupation relativement longue (132 ans en Algérie et 75 ans en Tunisie), par l'existence d'un peuplement européen (plus ou moins important selon les pays) et une intégration économique à la métropole française donnent à «l'héritage un contenu plus complexe, plus pesant et prégnant sur les réalités léguées»

Il importe donc, de considérer Cet héritage dans sa totalité et de remettre en perspective des éléments d'histoire qui ont été mis provisoirement de côté, par nos historiens et les hommes politiques.

L'histoire du système colonial dans le secteur agraire ou rural ne peut ainsi être réduite à un inventaire des loiS foncières appliquées, des cultures coloniales et des «techniques modernes» introduites, des distorsions économiques ou des contradictions sociales développées. Il faut souligner le fait que le système colonial n'a pas été marqué seulement par la politique de l'Etat colonial et de la classe politique locale qui l'a relayé, mais aussi par la «la société civile» coloniale, société civile entendue dans son acception la plus large (acteurs sociaux, corporations, institutions et administration civile; F. Hegel. 1821).

Des institutions, des élites agricoles représentées par des hauts fonctionnaires de l'agriculture, des professeurs, de droit, d'économie et d'agronomie, des chercheurs et des vulgarisateurs agricoles vont être aussi à la fois les «médiateurs» et les «architectes» des constructions agricoles et des réalisations du secteur moderne de l'agriculture. «L'anatomie de cette société civile» (pour reprendre l'expression de Marx), ses apports, son fonctionnement et ses oppositions internes est à faire pour une compréhension de notre histoire dans toute sa complexité.

La reconstruction de la généalogie des institutions, des itinéraires de recherche et des problématiques conduites, il y a maintenant plus d'un siècle par des hommes, qui ont fait du Maghreb, de son agriculture et de sa société rurale l'objet central de leurs productions scientifiques nous semble être une démarche théorique et méthodologique nécessaire.

Les modes d'organisations dont se dotent les sociétés, de même que les savoirs sont le produit d'une lente accumulation. Ainsi, l'analyse des processus d'accumulation nous paraît tout aussi importante que les résultats acquis.

Notre intervention s'inscrit dans cet effort de compréhension des mécanismes de fonctionnement de la société coloniale, d'investigation sur des éléments d'une histoire généralement négligée, afin de mieux saisir les relations concrètes qui ont façonné les agricultures de nos pays. Elle tentera de rappeler, sur la période qui s'étale de la deuxième moitié du 19ème siècle à 1930 (date de la commémoration du centenaire de la colonisation de l'Algérie), quelles ont été les interventions de type institutionnel pour encadrer et diriger le secteur agricole dit «moderne» et quelles sont ces élites agricoles qui ont marqué l'histoire des agricultures maghrébines.

1. les institutions agricoles coloniales

Dès les premières années de la colonisation, aux côtés des administrations chargées de gérer les concessions et les lots de terrain attribués aux colons, se mettent en place en Algérie, et plus tardivement, en Tunisie les Services agricoles.

Le Service de carte géologique existera en Algérie dès le début de l'occupation. Il y aura une application de cette carte à l'agriculture car les géologues fournissent des renseignements sur le régime des eaux et les nappes souterraines qui seront exploitées par les agriculteurs et gérées par l'Administration agricole.

Le Service agrologique sera installé aussi très rapidement. La carte des sols servira de base à l'élaboration de la carte agronomique qui sera établie à des niveaux détaillés vers le début de notre siècle à l'échelle départemental.

En Tunisie, les Services administratifs furent réglés par les décrets du 3 novembre 1890 instituant la Direction de l'agriculture. D'autres textes de lois compléteront la construction administrative (décrets des 13janvier 1897, de janvier 1897, du 6septembre 1897, du 5août 1899, du 14 février 1900. du 28 décembre 1902, du 30 décembre 1907, du 28 décembre 1902, du 30 décembre 1907, du 12 février et du 17 mai 1913.

Au Maroc, le régime du protectorat continua à se servir des instruments et des institutions politiques existantes, mais en les contrôlant très étroitement.  L'administration  coloniale française se mettra en place plus tardivement.

Nous nous contenterons de donner quelques éléments sur les institutions agricoles les plus importantes.

Le «jardin des plantes» d'Alger a été créé, sur le modèle français, en 1844 sous le nom de «jardin d'acclimatation du Hamma». L'un des fondateurs de ce service de botanique fut Hardy (auteur d'un «manuel du cultivateur, Alger 1855. ed. A.Bourget.). Cet ingénieur fut «l'initiateur pendant 26 ans de toutes les cultures nouvelles». Ce jardin, qui fut le premier jardin expérimental d'Afrique, eut pour objectif de réunir une collection de toutes les plantes cultivées d'Algérie mais aussi, comme l'indiqua son nom d'acclimater les espèces végétales étrangères qui pouvaient l'être; l'on planta, par exemple, de nombreuses espèces exotiques mais aussi, des mandariniers dès 1850 (alors que le fruit n'était connu que depuis 1840); l'on conservera, dans ce jardin, vers la fin du siècle dernier, des collections entières d'espèces végétales, toutes les variétés de figuiers, d'oliviers, d'agrumes. Il servira de vecteur pour l'introduction dans tout le Maghreb, de nouvelles variétés de pomme de terre, de niais, de blés, de figues...

Le même jardin expérimental sera crée en Tunisie. Guillochon qui a été secrétaire général de la Société d'horticulture de Tunisie dans les années 1920 a été l'un des tous premier directeur du jardin d'essai de Tunis. Il fut l'auteur du «Traité pratique d'horticulture». Notons par ailleurs que l'agronome Brichet dirigea longtemps le jardin de la ville de Tunis, autre institution coloniale.

Un réseau de coopératives agricoles (docks à silos, caves coopératives, coopératives de tabacs, sociétés de matériel) encadrera les domaines coloniaux. Ces coopératives furent de véritables organisations, de vulgarisation et des centres d'échanges entre les agriculteurs.

Les assurances et les institutions mutualistes agricoles s'installent dès le début du siècle (1900 et 1901 pour le Crédit mutuel). Le Crédit mutuel avec leurs Caisses régionales financeront la production agricole du secteur colonial.

L'existence de ces institutions, tels le Crédit mutuel ou les coopératives, était conçue, par leurs initiateurs, comme l'une des formes d'expression de la vie politique dans les communes rurales («démocratie des champs» ). Le Service phylloxérique (loi du 21 mars 1883) édictera les premières mesures législatives de protection de la viticulture. Le Service des statistiques agricoles qui sera créé dans les trois pays du Maghreb va hériter du vieux système français construit au 18ème siècle. Les Sociétés indigènes de prévoyance (les S.I.P) seront créées dès 1893. A la différence des institutions mutualistes créées pour les colons, les S.I.P, qui ont pour objet d'encadrer le secteur traditionnel, ne bénéficieront ni d'avances gratuites, ni de subventions administratives et leur capital sera entièrement constitué par les sociétaires.

En Tunisie, un décret beylical en date du 20 mai 1907 avait, par exemple, également institué dans chaque caïdat de la Régence une Société de prévoyance, de prêts et de secours mutuel.

Par ailleurs, les premières associations d'agriculteurs émergent en Algérie dès les années 1840. Des associations agricoles, comme la Société des agriculteurs d'Algérie, de Tunisie et du Maroc, niais aussi des sociétés savantes (les sociétés d'horticulture, les sociétés de sciences naturelles, de botanique, de géographie...), vont se créer et se multiplier pour encadrer les multiples activités de la vie agricole.

Il existera même des associations communes qui réunissaient des agriculteurs français et tunisiens; ex «L'Union des oléiculteurs français et tunisiens de la région de Sfax et du Sud de la Tunisie» créée en 1922 et qui avaient pour objectifs de défendre des intérêts professionnels communs.

La Société des Agriculteurs d’Algérie a été fondée en 1840 et la Société d'horticulture en 1907.

Etudes et monographies agricoles sont réalisées par les comices agricoles qui se multiplient dans les principales régions agricoles du Maghreb. Elles feront l'objet de publications daris leurs bulletins. Dès 1850, sont créés des «commissions consultatives d'agriculture» qui préfigurent les futures Chambres d'Agriculture qui seront installées officiellement par la Loi du 25 Octobre 1919.

C'est au Ministère de l'agriculture de la métropole française qu'est due la création en Algérie et en Tunisie, de 1880 à 1898, des principales institutions de formation, de recherche et d'encadrement technique de l'agriculture.

L'on organisera l'enseignement agricole, «les champs de démonstration pratique «(créés par décision ministérielle, le 19 octobre 1885), la Station agronomique d'Alger et de Tunis, la Bergerie nationale de Moudjebeur et l'Ecole des bergers, le Service botanique d'Algérie (créé le 29 mars 1892, la station fut transférée à Maison - Carrée en 1905).

Les concours agricoles et la participation aux foires et expositions universelles furent conçus à l'origine comme des écoles d'enseignement mutuel où les agriculteurs comparent leurs expériences respectives. Les comices agricoles ont régulièrement participé à ces manifestations pour évaluer les résultats obtenus dans leurs productions et les techniques les plus récentes utilisées.

En Tunisie, indépendamment des divers établissements scientifiques (Ecole coloniale, Institut Pasteur, Station agronomique, Service météorologique)  orientés  vers  les  recherches  agronomiques, l'enseignement agricole y a pris de suite un grand développement: deux écoles libres d'agriculture ont été «ont été créées, l'une à Djédaïda et une autre à Lansarine, prés de bordj-Toum, spécialement pour les indigènes».

Il y a lieu de noter le rôle particulier confié à l'instituteur rural l'enseignement agricole fut inscrit dans les programmes officiels des écoles. Des instituteurs suivaient des stages de formation à l'école de Maison - Carrée et dans les écoles régionales.

Les institutions de recherche et de formation vont aussi utiliser des structures de recherche de la Métropole (analyses chimiques qui se font au laboratoire agronomique de Versailles, les structures de recherche et d'expérimentation de l'Institut National de Beauvais et de Paris­ - Grignon).

2. Le rôle des institutions et de l'administration agricole.

Les études portant sur les institutions coloniales ont, dans l'ensemble montré le rôle qu'elles ont joué dans le cadre de l'accumulation du capital colonial. Ces institutions ont été l'un des instruments de la régulation économique, sociale et politique du système colonial et l'installation du «secteur moderne» colonial dans les trois pays du Maghreb n'aurait pas été possible sans ce déploiement institutionnel et administratif L'avis et les appréciations des agronomes sur le rôle et l'efficacité de ces institutions seront souvent déterminés, par les conditions politiques et économiques de «mise en valeur» des colonies d'Afrique du Nord. Rappelons que l'orientation à donner aux productions des colonies d'Afrique du Nord a été marquée par des tâtonnements tout au long du 19ème siècle. De nombreuses expériences furent conduites, en Algérie notamment. Au tout début de l'occupation coloniale de l'Algérie, les agronomes préconisèrent de produire des denrées coloniales afin de ne pas concurrencer les productions métropolitaines. L'on pensait qu'il était possible d'acclimater des plantes exotiques et l'on multiplia les expériences de cultures du bananier, du coton, du cacao, du café, des arachides, du lin…

Plus tard (1850 - 1870), l'on conseilla une spécialisation dans le domaine de l'élevage ovin, en référence au modèle instauré par les colons au Australie et en Argentine. Nouvel échec constaté par les agronomes dans le développement du «modèle australien»; la crise du vignoble du Midi de la France favorisa par la suite la spécialisation viticole du secteur colonial algérien. Après la première guerre mondiale, les agronomes conseillèrent de relancer la production des céréales, des légumineuses et des cultures méditerranéennes.

Les crises agricoles qui vont se manifester entre les deux guerres, vont enfin conduire les agronomes «nord-africains» à s'interroger de façon plus rigoureuse, sur les limites imposées au développement de l'agriculture par les facteurs agro-climatiques ainsi que par les conditions techniques et socio-économiques.

A la fin du siècle dernier, le bilan établi sur le rôle de ces institutions est sévère.

L'on sait que toutes les institutions et structures d'encadrement de l'agriculture sont installées sous l'impulsion de la Métropole et du Ministère de l'agriculture. Dès que le lien avec le Ministère de l'agriculture de Paris fut rompu, les agronomes observèrent des changements, opérés sous la pression des milieux coloniaux les plus influents. «L 'on se hâta, notent-ils, «de supprimer un certain nombre d'institutions très utiles pour le développement agricole: Bergerie nationale de Medjebeur, les concours agricoles, l'Ecole de Rouiba. I'Inspection agricole. L'enseignement professionnel pour les fellahs» (Lecq et Rivière).

L'on créa une Direction de l'agriculture chargée d'un rôle purement administratif, sans souci de la direction technique à donner aux orientations de politique agricole. «Quand on étudie le rôle de l'administration en agriculture pendant ce dernier demi-siècle, et ce nouveau quart de siècle (c'est-à-dire jusqu'en 1925), ce qui frappe surtout, c'est l'absence de toute méthode scientifique et tout esprit de suite» traité pratique» (p.92). «En résumé, la caractéristique des services techniques du Nord Africain fut le manque de cohésion, de moyens d'action, d'expérience, la dissémination des crédits importants sans contrôle officiel de leur utilisation et, en fin de compte, la stagnation forcée. » (Lecq et Rivière, 1929, p.394).

Et plus loin, nos agronomes soulignaient l'énorme retard pris dans la maîtrise des problèmes agro-techniques, d'orientations de politique agricole et de gestion du secteur rural : «Si l'on songe aux sommes énormes qui depuis Nés de cent ans ont été affectées presque en pure perte à cet objet (la mise en valeur des colonies), et qui chaque année sont inscrites au crédit de nos institutions agricoles, l'on doit regretter que la question ne soit pas plus avancée, que nous connaissions Si mal, au point de vue scientifique, notre sol, notre climat, que nous soyons encore à discuter l'établissement et la valeur des méthodes de préparation, d'amendement et de fertilisation du sol, que nous ne soyons pas encore fixés sur les améliorations à apporter à l'élevage du bétail, à la mise en valeur du sol, ni sur les solutions à donner aux questions agronomiques les plus importantes (économie rurale, régime fiscal...). Partout. ce fut longtemps la même pénurie des connaissances agronomiques en entomologie, en zootechnie, en zoologie, en chimie agricole, en parasitologie, en économie rurale, en documents statistiques. etc... » (p.394).

Stotz, directeur de l'école de Maison Carré partageait le nième point de vie «en Algérie, pays essentiellement agricole, on pourrait se proposer... de grouper, sous une même direction, des services qui existent déjà, mais dont les travaux de science pure on été jusqu'à présent sans utilité immédiate pour la colonisation.   En condensant les efforts isolés, actuellement dirigés par des savants confinés dans des recherches que rien ne rattache à celles qui sont poursuivies à côté, on donnerait à ces services une raison d 'être qui bien souvent a été contestée. Dirigés au contraire par des techniciens qui poseraient les données du problème avec ce sens des nécessités qui font généralement défaut aux savants, ces services seraient à la fois scientifiques et techniques et documenteraient les colons et l'administration elle-même.» (Bull. de la Société des Etudes algériennes, Paris, 1913).

Un agronome français, Léonce de Lavergne, s'insurgera lui aussi, contre «les erreurs de l'administration agricole en Algérie, qui intervenait sur les questions techniques qui ne relevaient pas de son domaine de compétence».

La situation en Tunisie semblait être sensiblement différente. La pression du lobby colonial était, sans doute, moins forte et la petite colonisation encore présente. Le gouvernement tunisien, confiera la direction des Services agricoles à des agents techniques. Un arrêté du 9 juillet 1910 du Résident général institua, par exemple, près de la Direction de l'agriculture, une commission technique de l'agriculture.

Les agronomes de l'époque ont pensé que cette forme d'organisation spécifique donna une plus grande cohérence à l'enseignement agronomique et pratique en Tunisie. «En Tunisie, l'organisation des services agricoles fut tout autre qu'en Algérie: on s'attacha à lui donner une direction plus technique qu'administrative par des inspecteurs d'agriculture dont l'un était spécialement chargé de l'élevage et du service sanitaire. «L'outillage intellectuel agricole en Tunisie a été développé plus rapidement qu'en Algérie, car l'on assista bientôt à la création et au fonctionnement de stations avec les laboratoires pratiques de chimie agricole, d'œnologie, de botanique, de pathologie végétale, de zoologie agricole... en un mot un enseignement complet au moins conforme à nos grandes institutions agricoles de France».

De là résultèrent aussi, selon les agronomes, les meilleurs performances de l'enseignement et de la recherche obtenus en Tunisie. Les travaux réalisés prirent même «une place méritée dans les meilleurs recueils agronomiques» (Traité pratique. p. 523).

3. Les élites

La biographie des personnalités marquantes de l'agronomie nord africaine reste à faire.

Parallèlement aux  mouvements littéraires  et  artistiques  qui se développent au début du siècle en Algérie et qui se donnent le nom «d'algériens», le secteur de la recherche et de l'enseignement en agronomie cristallisent un courant spécifiquement «algérien» (ou nord-africain). Lecq et Rivière dans leur «Traité pratique» et «l'Encyclopédie » semblent être les représentants les plus illustres de ce courant. Ils n'ont cessé d'appeler les agronomes à fonder une véritable «Agrologie nord-africaine».

3.1 les agronomes «nord-africains»

C'est en référence à ce courant que nous évoquerons, sans prétendre être exhaustif, quelques noms d'ingénieurs et de scientifiques qui ont marqué au début du siècle l'agronomie des trois pays du Maghreb. Pour l'Algérie, c'est le cas du Commandant Cauvet, au début du siècle, l'un des spécialistes des cultures du Sud (Cf. son ouvrage relatif à la «Culture du dattier à Ghardaïa», Algérie agricole, 1902) de la steppe et de l'agriculture oasienne. Toujours pour le Sud algérien et le pastoralisme, il y a lieu de rappeler les remarquables études du commandant N. Lacroix et E. Ficheur sur «les régions naturelles de l'Algérie» (Annales de géographie 1902, n060) et également du même N. Lacroix et d'Augustin Bernard, l'étude portant sur «l'évolution du nomadisme en Algérie» (1907).

Les recherches sur l'élevage ovin et la Steppe devront beaucoup à cette époque aux contributions de M.G. Couput (il fut le directeur de la Bergerie nationale de Moudjebeur à Ksar el-Boukhari et l'un des agronomes les plus distingués de notre époque selon Ch. Rivière.

H.Lecq, licencié en droit, ingénieur agronome d'origine métropolitaine (il est originaire du Nord de la France), fut durant un demi-siècle inspecteur de l'agriculture de l'Algérie, il fut membre de l'Académie d'agriculture de France. A côté de publications qui faisaient le point de la situation de l'agriculture algérienne et de nombreux articles pour le compte de revues agricoles, il a publié en collaboration  avec Ch. Rivière trois ouvrages qui ont longtemps fait autorité dans les milieux de l'enseignement et de la recherche agronomique en Afrique du Nord: «Le manuel pratique de l'agriculteur algérien», «les cultures méridionales» et « Le traité pratique d'agriculture pour le Nord de l'Afrique»

Il a édité avec Rolland, ingénieur agronome et responsable de l'enseignement agricole en milieu indigène «Le livre du fellah» où les auteurs tentèrent à titre privé de développer un programme d'enseignement à donner aux «indigènes». Les auteurs de la publication «ont en vain sollicité le concours de l'administration locale» pour sa large diffusion, «mais en vain». Ce livre fut très apprécié à l'époque par ceux qui s'occupaient d'enseignement agricole en France (Cf. Rapport de Tisserand, ancien directeur de l'agriculture, à la Société d'agriculture de France, Cf. séance du 17 octobre 1906).

Il y a aussi Ch. Rivière dont les travaux s'étalèrent sur une cinquantaine d'années, de l'Encyclopédie « Cultures du Midi, de l'Algérie et de la Tunisie» (1907) écrit avec Lecq en passant par les publications pour le compte de la Société d'agriculture d'Alger, la Revue agricole d'Afrique du Nord, de petites publications qui font le point des questions d'actualité (Cf. «Algérie agricole» écrit en 1888, le «Traité pratique d'agriculture» (1901-1902)...

La formation agronomique connaîtra ses premières orientations sous la gestion de Stotz, directeur de l'Institut agricole de Maison-Carrée de 1903 (date de sa création) à 1913.

Thévenet est surtout connu pour son essai de climatologie algérienne avec Lassere qui fut directeur du service météo d'Algérie au début de ce siècle.

Le Dr. Trabut est reconnu dans les milieux agricoles, spécialement de l'horticulture, depuis 1869, date à laquelle il occupait déjà les fonctions de directeur du service botanique. Il présidait en 1912 la Société d'Horticulture d'Algérie.

De Peyerimhoff qui fut inspecteur des eaux et forêts a été, durant une longue période, directeur des Recherches forestières d'Afrique du Nord. Son nom est resté attaché à l'enquête sur la propriété foncière en Algérie réalisée à la fin du siècle dernier.

Le Dr Sergent a été directeur de l'institut Pasteur d'Algérie. Cet institut s'occupait des questions d'hygiène et de pathologie humaine. Sous l'impulsion du Dr Sergent, l'Institut Pasteur a conduit de nombreuses études qui allaient servir l'agriculture (microbiologie, maladies infectieuses du bétail...).

Pour les céréales, il faut citer L. Ducellier (Pr à l'Institut agricole d'Algérie) et avant lui, des agronomes comme Perruchot (Dr du Service agricole de Constantine), Almaric (Pr. d'agriculture) et Vermeil (Dr du Service agricole d'Oran) et après lui des agronomes comme Laumont (Pr. à l'Ecole de Maison-Carrée).

Le secteur de la viticulture retiendra dans le premier quart de siècle le nom de Vivet. Il fut incontestablement longtemps le spécialiste des questions liées à ce secteur. Rédacteur en chef de la Revue d'Afrique du Nord, ingénieur agronome et professeur à l'Institut agricole d'Alger, il fut aussi (en 1922) le chef du Service agricole général d'Alger.

Avant lui, il faut évoquer le nom de Frédéric Saliba  (Pt. de l'Association des ingénieurs agricoles du département d'Alger) et qui est considéré également (par la Revue agricole de septembre 1922, n° 162) comme «l'un des maîtres incontesté de la viticulture algérienne». Il en est de même pour V. Sébastien qui fut l'un des directeurs (dans les années 1920) de la station œnologique et viticole algérienne.

Sans verser dans l'exhaustivité, nous signalerons le nom de l'agronome Jean Vallier qui fut l'auteur d'un «Calendrier du cultivateur en Algérie» qui en était à sa 3ème édition en 1892, ainsi que Van Vollenhoven qui soutient à la faculté d’Alger, en 1900, sa thèse de doctorat en droit intitulée «Essai sur le fellah algérien», thèse qui dressait un bilan (avec une vision typiquement coloniale) du fonctionnement du secteur traditionnel algérien.

L'agronomie tunisienne mentionnera le nom du docteur Braquehays, spécialiste des cultures végétales et qui assura les fonctions de président de la Société d'horticulture de Tunisie au début des années 1920.

Dans le domaine de l'élevage ovin, les manuels évoquent les noms de Ducloux (directeur des Services de l'élevage) et M. Genieis, médecin vétérinaire. Ce dernier fut directeur de l'Etablissement d'élevage de Sidi-Tabet. Il a publié en 1912 un livre « La connaissance du bétail» qui fit le point, an début du siècle, sur les espèces nord-africaines. Génieis était aussi «répétiteur» (nous dirions aujourd'hui assistant) à l'Ecole de Paris- Grignon.

Le développement de l'oléiculture est lié à l'action de Paul Bourde (directeur de l'Agriculture) qui s'attacha en particulier à restaurer le verger oléicole de la Tunisie. Il est aussi l'auteur d'un « rapport sur les cultures de l'olivier en Tunisie» et d'un «rapport sur l'élevage du mouton en Tunisie».

Il prendra le relais de G. Sens ingénieur agronome, diplômé de Montpellier qui avait créé dans les environs de Sfax une des premières plantations d'oliviers et de J.A. Tourniéroux, ingénieur agronome, conseiller agricole à la direction de l'agriculture, du commerce et de la colonisation de la Régence de Tunis et auteur d'un ouvrage sur «l'oléiculture en Tunisie» (1922).

L'histoire de l'agronomie tunisienne sera particulièrement marquée par Minangoin et son successeur à l'inspection de l'agriculture et à l'Ecole coloniale de Tunis, le Pr. Bœuf. Bœuf fut le chef du Service botanique de Tunisie au début des années 1920. Rappelons que ce service fut créé en 1913 (il deviendra en 1931 le Service botanique et agronomique de Tunisie et prendra le nom de l'INRAT en 1961).

Parmi les travaux du professeur Bœuf, il y a lieu de citer le manuel intitulé «Eléments de biologie et de génétique appliqués à l'amélioration des plantes cultivées» paru en 1927 et qui fut couronné en 1928 par un grand prix de l’Académie d'Agriculture de France. L'ouvrage contient un chapitre consacré à l'amélioration des plantes (céréales, lin, cotonnier...) en Tunisie où une place est réservée aux contraintes climatiques qui sont, selon notre auteur, «trop oubliées ordinairement».

Pour les cultures sahariennes de Tunisie, il faudrait associer les noms des agronomes J. Simonot (Le dattier en Tunisie, culture, variétés. Bull. Tunis, 1909) et J. Gérard (Culture du palmier dattier au Nefzaoua. Bull. Tunis, n° 51, 1909).

Dans le domaine de l'enseignement, citons P. Gillin qui assura la Direction de l'enseignement et des Services agricoles de Tunisie et qui publia un manuel d'agriculture dans les années 1920.

Les institutions d'encadrement de l'agriculture coloniale seront également animées par des personnalités qui influenceront leurs activités telles que De Carniers (Pt. de la Chambre d'agriculture de Tunis), Comte (Chef de la station de parasitologie de l'E.C.T), Chervin (Directeur de l'E.C.T) et Gounot (Pt. de l'Association des anciens élèves de 1'E~C.T), Verry (inspecteur de l'agriculture de Tunisie) et R. Marès, auteur de la célèbre «Note agronomique sur la Tunisie».

Au Maroc, il faut citer le nom de Miège, chef d'une station expérimentale et qui a travaillé sur les blés durs, Gaubry (directeur du laboratoire de chimie de Casablanca) et également Malet, directeur de l'agriculture, du commerce et de la colonisation au Maroc dans les années 1920.

Il faut bien souligner que les élites circulent dans les trois pays, que les échanges sont denses Si l'on s'en tient aux milliers de contributions diffusées dans les revues agricoles et les bulletins scientifiques des trois pays. La mobilité des élites était assurée par le biais des mutations et des affectations administratives niais également par le système de formation.

Pour prendre l'exemple du rôle de la formation dans la circulation des élites, il faut simplement rappeler que les instituts d'agronomie recrutaient des candidats originaires de la Métropole, des trois pays du Maghreb mais aussi d'autres pays (d'Afrique et d'Orient).

En 1922, sur les 135 candidats diplômés de l'Ecole d'Alger, 114 sont originaires d'Afrique du Nord, I 9 sont originaires de la Métropole et 4 de pays étrangers (Grèce et Syrie). Pour le concours d'entrée organisé en 1923, sur les 135 candidats, 84 sont originaires de la Métropole, 40 d'Afrique du Nord et Il de pays étrangers (Cf. la Revue d'Afrique du Nord, n° 163 du 15 septembre 1922).

Pour l'Ecole coloniale de Tunis, au concours d'entrée organisé en juillet 1922, il y a 39 métropolitains reçus, 7 candidats originaires d'Afrique du Nord dont 1 seul d'origine «indigène» (Salah El Karoui), et étrangères (3 égyptiens et 1 perse).

3.2 Qui sont ces agronomes et quelles questions se posent-ils?

La grande majorité des agronomes était profondément influencée par la pensée libérale et les principes philosophiques du 18ème siècle. L'idéologie des droits de l'homme dont ils se réclamaient est à rattacher, globalement, aux cadres conceptuels construits par «la Philosophie des Lumières»

Les sociétés orientales sont analysées comme des sociétés où dominent les despotismes. Le règne de la Raison, qu'on appelle de tous ses vœux, ne peut être instauré, pour nos agronomes nord-africains, que par la France, « pays qui porte les valeurs de liberté et d'égalité». La grande majorité des agronomes pensent ainsi, à cette époque que, «coloniser, c'est faire œuvre de solidarité humaine la plus haute, élever la dignité, en moralité et en bien-être les peuples qu 'elle pénètre... et que coloniser, c'est créer une société civilisée».

La cécité idéologique est, comme on le sait aujourd'hui, complète. Elle a conduit des scientifiques à justifier, sinon à faire l'impasse sur les violences et les destructions de sociétés paysannes ou agro-pastorales qui avaient leurs cohérences internes et leurs équilibres économiques, sociaux ou écologiques. Mais il est clair par ailleurs, que la société civile coloniale n'est pas une, qu'elle ne peut être homogène, en dépit des intérêts qui réunissent les européens et les occupants. Nous avons affaire à une société différenciée.

Il y a bien des contradictions qui existent avec les milieux de la grosse colonisation notamment. L'on sent, à travers les analyses contenues dans les manuels ainsi qu'à travers les préoccupations scientifiques des agronomes, une divergence, avec les milieux coloniaux, sur les résultats obtenus par le système colonial. Cette opposition d'une partie de l'élite agricole, des ingénieurs et techniciens à certains milieux colons seront particulièrement nets à la veille du centenaire de I 'Algérie (1930). Ils ont parfois une conscience aiguë des problèmes que posait la colonisation. Ils vont même parfois être conduits à des affrontements par revues et articles interposés, l'affrontement prenant parfois un caractère ouvert. C'est le cas, au début du siècle lorsque l'administration en Algérie refusa de publier « le livre pratique» sur le fellah de Lecq, lorsqu'elle décida la dissolution d'institutions dont le fonctionnement ne correspondait pas aux intérêts de la colonisation (comme la Bergerie nationale...), lorsqu'elle céda en gérance privée le Jardin d'essai du Hamma.

Leur prise de conscience était souvent le fruit des contacts avec le terrain, l'administration leur confiant des enquêtes et les associant à des commissions de travail chargées de trouver des solutions techniques à des problèmes (dont ils perçoivent souvent les racines politiques ou sociales). La confrontation aux dures réalités vécues par les sociétés locales, les échecs enregistrés dans certaines entreprises coloniales, le contrôle exclusif exercé, sur les moyens budgétaires et financiers, par une minorité de colons et ceci, au détriment de la société globale (et de la Métropole aussi) ne laissent pas indifférente une partie de l'élite.

Cette dernière se prononcera, au nom du libéralisme contre la colonisation officielle et affichera des positions en faveur de formes privées de colonisation.

Très souvent, une partie de cette élite exprimera des opinions proches des courants «indigénophiles» qui s'étaient affirmés lors du second Empire. Aussi dénoncent-ils souvent, sans complaisance aucune, les effets négatifs de la colonisation française.

A contre - courant des thèses qui présentaient les colonies d'Afrique du Nord comme des pays agricoles disposant de bonnes terres et d'énormes potentialités naturelles, les agronomes du début du siècle mettaient particulièrement l'accent sur les contraintes agronomiques, climatiques ainsi que sur les conditions sociales très spécifiques prévalants dans les pays du Maghreb.

Pour Brives,  qui a pu à diverses reprises étudier les différentes régions du Maroc et qui affirmait très clairement que « ce pays se prêtait peu au peuplement européen, à la fois pour des raisons climatiques de dixième du pays présente de bonnes conditions)», mais aussi parce que «ce pays est l'un des plus misérables et ou il serait par conséquent tout à fait inconvenant de déposséder les «indigènes», qui sont très attachés à leur propriété». Il affirmait que «le Maroc est un grand pays d’élevage particulièrement de bœufs et de moutons». Pour cela, «il faut se garder, comme cela s'est produit en Algérie à la suite de la transformation malheureuse des terres de parcours en terres de labours, d'entraver Cet élevage; c'est par le bétail et particulièrement par le mouton que certaines régions peuvent être mises en valeur et par lui seulement.» (p.598}.

De Lanessan après avoir décrit l'agriculture tunisienne comme archaïque et féodale et rappelé les grandes réalisations du protectorat, en vient à exprimer les incertitudes qui pèsent, un demi-siècle après l'occupation, sur l'orientation à donner à la mise en valeur de la colonie.

Lecq et Rivière dénoncèrent explicitement les pratiques de nombreux colons, en Algérie, en Tunisie ou au Maroc, et qui n'avaient d'autres objectifs, pour eux, «que de faire des affaires, gagner de l'argent par les moyens les plus faciles et les plus rapides» sans se soucier des «principes moraux ou sociaux... notamment, en ce qui concerne l'exploitation du sol». Ils reconnaissaient clairement que le sous-­développement du «secteur indigène» ne tenait «ni à la race, ni au dogme (religieux), mais plutôt aux conditions économiques, politiques et sociales qui lui étaient imposées».

Leroy-Beaulieu, auteur de «l'Algérie et la Tunisie» et de « la colonisation chez les peuples modernes» (1908), l'un des tous premiers économistes ruraux du début du siècle, pensait que «l'ancienne Régence» ne pouvait être qu'une colonie d'exploitation et non une colonie de peuplement car l'immigration française était dans ce pays, plus que tout autre, d'une grande faiblesse (la Tunisie ne comptait en 1891, que 46 000 français contre 88 000 italiens sans compter les anglo-maltais, les sardes et les espagnols).

Les principales questions que se posent les agronomes au début de ce siècle sont les suivantes: «peut-on augmenter la surface de la terre à céréales\? Créer aussi rapidement que possible des variétés nouvelles? Renforcer leurs semences pour qu'elles soient efficaces par une bonne préparation du sol à l'aide d'un outillage suffisant, l'emploi d'engrais, de moyens de désherbage? Peut-on généraliser ces principes dans la plus grande partie du territoire indigène (le secteur dit traditionnel) où se constate la grande misère de la terre? » (Lecq et Rivière «I'Encyclopédie». Alger, 1907. p.3).

Le «Traité» note que «jusqu’en 1914 le climat Nord-Africain est mal connu » (p. 14) et tout compte fait «la colonisation n'a rien apporté de neuf». «Aujourd'hui, les principaux éléments de 1 'agriculture sont donc les mêmes dans le bassin méditerranéen et dans le Nord de l'Afrique, I'Algérie prise comme exemple, que ceux qui existaient au moment de la décadence du monde musulman... Quant à l'élevage, il était alors plus prospère qu'aujourd'hui».

Le jugement qui est porté sur les réalisations coloniales est donc très sévère.

3.3 Les publications coloniales

C'est dans les années 1840, en même temps que se mettent en place les premières associations d'agriculteurs français que vont être fondées les premières revues coloniales agricoles.

A côté de publications comme «la Voix des colons» qui fusionna avec «la Revue agricole et horticole d'Afrique du Nord» fondée en 1894, et qui devint plus tard la «Revue agricole d'Afrique du nord», la «Revue agricole et viticole de l'Afrique du Nord», «la Revue des colons», «la Revue nord-africaine», de bulletins de l'administration agricole (Bulletins du Ministère de l'agriculture), il existe des revues d'informations scientifiques tout à fait indépendantes des intérêts de groupes particuliers de colons («Bulletin de Tunis», « les Annales du service botanique de Tunis où écrivaient les ingénieurs agronomes tunisiens, les «Annales de la colonisation», «les Annales de géographie», «la Revue de la société botanique», «la Revue de la Société horticole de Tunis», la «Revue africaine», les «Bulletins de l'Académie de l'agriculture de France», la «Revue des deux Mondes».

La «Revue agricole et viticole de l'Afrique du Nord», journal d'agriculture pratique paraissant tous les samedis était publiée sous le patronage des Chambres d'agriculture d'Alger, Constantine, Oran et Tunis et des Associations agricoles d'Algérie et de Tunisie. Elle fut «l'Organe d'Etude et de défense des intérêts des colons». Fondée en 1912, elle a été, comme nous l'indiquions plus haut, le résultat d'une fusion avec «la Voix de colons». Peut-être faudrait-il expliquer pourquoi y a-t-il ce foisonnement?

Il faut relier sans doute ce phénomène à la question des origines des populations européennes. Le colon français est généralement issu d'un milieu social plus élevé et plus instruit que les immigrants venus d'Italie, d'Espagne.

Il y avait en fait, une double origine. Il y a ceux des colons, appelés et installés par l'administration dans le cadre de la colonisation officielle et ceux qui sont venus de leur propre initiative. Les colons concessionnaires sont souvent étrangers à la profession agricole. Les colons libres appartiennent aux professions les plus diverses, mais ils disposent d'un niveau de qualification et d'instruction bien supérieure à la moyenne. Notons que cette spécificité marquera les rapports qu'entretiendra l'Etat avec le système agricole. L'administration s'habituant à conduire les premiers colons a été amenée, petit à petit, à s'immiscer dans la direction des entreprises agricoles, dans la direction de la recherche agronomique et dans l'encadrement du secteur de façon plus générale.

Il faut enfin souligner le rôle particulier joué par la Métropole et de ses élites scientifiques. Les «agronomes nord-africains » se nourriront également des publications qui font état des avancées de la science agronomique en France. Les références au moment où se constitue l'Ecole des agronomies algériens ou tunisiens, sont toujours les ouvrages d'Ollivier de Serres (1539-1619), les traités de Mathieu de Dombasle, de De Jussieu (1797-1853), de Jacques Bujault, de Gaudichaud...

Des agronomes tels le Comte De Gasparin  (1783-1862), Moll et Gayot, Boussingault (1802-1887), de La Tréhonnais (qui va être recruté par Napoléon III afin de diriger le domaine de Boukandoura, près d'Alger, acquis à la suite de son voyage en Algérie en 1865), Léonce de Lavergne et les précurseurs de l'économie rurale, Lecouteux (Cf. son «Cours d'Economie Rurale» ) et Leroy-Beaulieu inspireront par leurs travaux sur l'Algérie et la Tunisie les agronomes «Nord Africains». Les agronomes de la Métropole française ne manqueront pas de s'impliquer directement par leurs travaux et leurs conseils, dans les débats qui concernent les colonies d'Afrique du Nord.

Bibliographie

- Demontés (V.). «L'Algérie agricole»- 1830-1930. Collection du centenaire de l'Algérie. Librairie Larousse. Paris, 1930.

- Gouvernement Général de l'Algérie. Direction de l'Agriculture, du Commerce et de la Colonisation. «Organisation d'un service d'études, de recherches, d'expérimentation et de vulgarisation agricoles en Algérie». Ed. A. Jourdan. Alger, 1914.

- Guillochon. «Traité pratique d'horticulture pour le Nord de l'Afrique», Tunis, 1907.

- Hardy (A.). «Manuel du cultivateur». Ed. A. Bourget. Alger, 1855.

- Lecq  (H.) et Rivière (Ch.). «Manuel pratique de l'agriculture algérienne». Edition Challamel, Paris 1900.

- Lecq (H.) et Rivière (Ch.). «Traité pratique d'agriculture pour le Nord de l'Afrique -  Algérie, Tunisie, Maroc, Tripolitaine» . Société d'Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales. Paris, 3è édition de 1929.

- Lecq (H.) et Rivière (C~). Encyclopédie agricole. Cultures du Midi, de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc» . Librairie J.B. Baillère et fils. Paris 1924.

- Lescure (J.). «L'agriculture algérienne». Librairie agricole de la maison rustique. Paris, 1892.

- Millot (Ch.). «Traité d'agriculture pratique algérienne». Ed. Challamel. Paris, 1891.

- Pasquier-Bronde (M.). «Historique de la colonisation paysanne en Algérie». Centenaire de l'Algérie. Imprimerie V. Heinta. Alger, 1931, 16p.

- Pignel (A.). «Moniteur agricole à l'usage des colons et des écoles de l'Algérie». Ed. Perrier. Oran, 1860.

- Van Vollenhoven (J.). «Essai sur le fellah algérien» . Thèse de doctorat, Université de Paris, Faculté de Droit, Edition Arthur Rousseau. Paris, 1903.

 

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