Approche anthropologique des pratiques sociales chez les jeunes chômeurs algériens (cas de la commune de Sidi Mezghiche1, wilaya de Skikda)

Insaniyat N° 29-30 | 2005 | Premières recherches II (Anthropologie, Sociologie, Géographie, Psychologie, Littérature) | p.49-60 | Texte intégral


Approche anthropologique des pratiques sociales chez les jeunes chômeurs algériens. (Cas de la commune de Sidi Mezghiche, wilaya de Skikda)

Abstract : Le choix de cette étude émane d’une expérience vécue et prend comme terrain d’investigation une région rurale du Nord-est algérien. Elle concerne le vécu quotidien d’une population de jeunes chômeurs qui est souvent jugée soit avec mépris, soit avec pitié aussi bien par les médias que par l’opinion publique. Basé sur une enquête par distanciation en utilisant les outils d’investigation qui caractérisent l’approche anthropologique, ce travail vise à comprendre et expliciter les logiques auxquelles répondent les pratiques sociales de nos acteurs et l’ensemble des stratégies déployées afin de rester conforme aux normes sociales, à la société et aux différents réseaux que celle-ci englobe.

Mots clés : pratiques sociales - jeunes - chômeurs - intégration / exclusion - représentations - Sidi Mezghiche.


Tayeb REHAIL :  Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 25 000, Constantine, Algérie


Le phénomène du chômage chez les jeunes2 en Algérie fait l’objet de débats politiques et sociaux et d’écrits journalistiques à travers lesquels on ne reflète très souvent qu'un vécu quotidien stéréotypé de jeunes algériens touchés par ce fléau source de frustration, de marginalisation, de misère sociale, culturelle et parfois même sexuelle, de désespoir et de haine envers la société, voire même de délinquance, soit en un mot, toutes les formes de l’exclusion sociale.

Mais est-ce là et seulement sous ces seules images que se présente la vie quotidienne des jeunes chômeurs ? Question d’autant plus légitime que celle que nous avons rencontrée et connue3 qui accumule certes beaucoup de ces handicaps, mais qui se distingue aussi par une vie sociale, des représentations communes aux autres membres de la société, des relations et des pratiques qui témoignent d'une capacité d'intégration dans la société au point où souvent, il est difficile de distinguer un chômeur d'un non chômeur par la simple observation.

Les résultats des divers recensements statistiques exposent, il est vrai, un fort taux de chômage4 pour les jeunes, mais sans néanmoins exprimer la complexité de la réalité d'un vécu quotidien qui s'inscrit dans un contexte spatio-temporel bien délimité (caractérisé par sa culture, son économie, sa politique…).

Ajouté à l'effet de masse (précédemment cité) qui balise l'importance du traitement d'un tel sujet, on oublie souvent que cette jeunesse d'aujourd'hui formera la société adulte de demain. Ces derniers transitent donc par une période durant laquelle commence déjà à s’ébaucher en pointiller leurs trajectoires sociales. Dans une situation où ils sont privés de travail et surtout de salaire, ils doivent faire face à des situations où sont souvent mis en jeu leur dignité, leur honneur, leur considération, leur prestige et leur indépendance matérielle dans l'arène d'une société où l'on tend beaucoup à valoriser l'homme d'après l'aspect matériel de ses acquis, où comme on l'entend souvent dire "celui qui a un sous vaut un sous" et où donc on se représente qu'il est impératif que l'homme ait toujours de l'argent sur lui pour sa sociabilité.

Traiter d'un tel sujet, c’est aussi essayer de comprendre et à expliciter les logiques auxquelles répondent les pratiques sociales de nos acteurs et l'ensemble des stratégies qu'ils déploient afin de rester conformes aux normes sociales et aux valeurs dominantes qui marquent cette catégorie juvénile et la société.

I. Problématique

Considérant le processus d’exclusion et d’intégration dans lequel on situe souvent cette frange de la société, la problématique que nous avons posée tendait à savoir «comment les jeunes chômeurs utilisent leur temps «vide»?et si réellement les pratiques sociales engendrées par ces derniers tendent plutôt à les exclure qu’à les intégrer comme le présentent les différents médias, et ceci en portant un regard extérieur à ce groupe, sans souvent se préoccuper de la vie interne, de l’organisation et du véritable sens qu’ils peuvent donner à leurs différentes pratiques sociales.

II. Hypothèses

A la lumière de ce que nous savons déjà du phénomène et du terrain d’investigation, les pratiques sociales de nos jeunes chômeurs seront étudiées à partir de trois hypothèses:

▪ les jeunes chômeurs intériorisent des représentations négatives (parce qu’excluantes) envers la société qui les exclut de la sphère de production, mais réalisent tout de même leur intégration sociale à travers leur valorisation des normes de la société dominante.

▪ les jeunes chômeurs entretiennent un flux de relations sociales très diversifiées au sein d’une multitude de réseaux sociaux; ce qui leur permettrait de s’intégrer à la société.

▪ les jeunes chômeurs réalisent leur intégration dans la société par une diversité de pratiques et d’activités (sportives, culturelles, ludiques…ou d’activités lucratives) qu’ils exercent ou bien même par des pratiques d’appropriation de différents espaces sociaux.

III. Démarche et méthodologie

C’est donc à partir d’une démarche anthropologique5 que nous avons essayé d’étudier la réalité et le véritable sens que donnent ces jeunes chômeurs à leurs pratiques sociales et les réalités qu’elles recouvrent.

La méthode que nous avons utilisée est la description analytique soutenue par «une analyse thématique horizontale qui relève les différentes formes sous lesquelles le même thème apparaît d’un sujet à l’autre»6 et «étant donné que l’anthropologie est une science comparative par essence»7, nous nous sommes aussi appuyés sur cette procédure afin de mettre en évidence la pluralité des profils des jeunes chômeurs et aussi la diversité des comportements et des pratiques sociales rencontrées chez ces derniers.

Echantillon

L’absence totale de statistiques concernant le nombre des jeunes chômeurs de la commune de Sidi Mezghiche (au niveau des services administratifs locaux) était l’un des problèmes majeurs que nous avons rencontré dès le début de notre enquête. Cela ne nous a pas empêché, après avoir élaboré un guide d’entretiens de procéder à un choix non aléatoire de 31 jeunes chômeurs afin de constituer un échantillon représentatif de cette frange de la population à partir des critères: âge, niveau d’instruction, situation socio-économique des parents, zone d’habitat...

Notre choix des unités d’investigation n’a touché que des jeunes de sexe masculin, afin d’éviter toutes les difficultés que l’on pourrait rencontrer dans la collecte des données, vu les normes sociales dominantes qui ne facilitent pas au chercheur de sexe masculin, l’accès à tous les espaces réservés à la gente fémi­nine… (Difficulté et même très souvent impossibilité d’utiliser l’observation participante comme technique d’investigation).

Procédures et techniques d’investigation

Les outils et techniques d’investigations utilisés dans la collecte des données empiriques sont l’observation, l’observation participante et l’entretien semi-directif.

L’utilisation du magnétophone pour les entretiens a suscité à maintes reprises de la part des jeunes chômeurs le refus d’être interviewé. Et ce, malgré le fait que nous ayons prévu à cet effet une pièce d’une villa non habitée dans laquelle nous pouvions isoler les interviewés loin de l’ouïe et du regard indiscrets des gens de la rue. Pour remédier à ce problème nous avons donc dû procéder à un choix rapide de nouvelles unités d’investigation8 sans oublier tout de même la représentativité à laquelle nous devions nous conformer. Nous avons aussi été poussé à réaliser plusieurs entretiens dans la rue (espace naturel de fréquentation quotidienne des jeunes chômeurs) lorsque nous sentions que nous ne pouvions pas fixer de rendez-vous avec ces derniers et qu’ils pouvaient être important pour la représentativité de l’échantillon.

Transcription des entretiens

La totalité des 31 entretiens réalisés ont été transcrits et figurent en annexes du mémoire dans le but de faire apparaître le contexte social et l’organisation de la vie quotidienne de chacune des différentes unités d’investigation prises pour la représentation de notre échantillon. Sans oublier aussi que cette retranscription est aussi importante parce qu’elle pourra servir de base pour l’entreprise d’études diachroniques dans le futur. Cette transcription a été faite en langue arabe classique et non pas en langue parlée afin que le contenu de l’énoncé puisse être lu et compris par tous ; car en Algérie chaque régions peut avoir une langue parlée propre à elle ou un dialecte différent.

Néanmoins, nous avons tout de même procédé à la transcription de quelques entretiens en langue originale dans laquelle ont été réalisés la totalité des entretiens afin que le lecteur puisse aussi avoir une idée sur le franc parler des jeunes de la région.

Plan d’analyse

C’est à l’aide et à partir des résultats recueillis à travers les observations et les entretiens, mais aussi des différentes lectures, surtout celle du chapitre VIII de l’ouvrage d’Alain Degenne et Michel Forsé9 que nous avons pu reconstituer et délimiter approximativement le réseau social de fréquentation des jeunes chômeurs et qui est constitué par: le cercle familial, le cercle amical et le cercle de la recherche d’emploi et des pratiques de ‘débrouilles’.

Ces trois cercles, imbriqués l’un dans l’autre, représentent le réseau social de fréquentation de nos unités d’investigations. Chacun d’entre eux sera donc étudié au niveau de trois des principales pratiques sociales: les représentations, les relations, et les activités et ce, afin que chaque cercle puisse répondre aux trois hypothèses posées au départ.

Réseau social de fréquentation des jeunes chômeurs représenté à travers trois cercles sociaux.

IV. Etude du terrain

Pour situer l’étude dans son contexte physique, naturel et environnemental et parce que nous savons aussi que le comportement des individus reste toujours influencé et tributaire des opportunités qui sont offertes, nous avons entamé cette recherche par une étude monographique de Sidi Mezghiche à partir de quatre thématiques:

Le milieu naturel: nous avons montré que le village se situe dans une région agricole.

Les infrastructures : nous avons montré l’énorme déficit enregistré au niveau des structures locales, surtout celles destinées aux jeunes.

Les activités de la population: la quasi-absence des secteurs secondaire et tertiaire se présentent, ici, déjà comme un élément encourageant la société à se diriger vers la pratique d’activités informelles.

La culture: pour les normes et valeurs en vigueur sur ce territoire, nous avons signalé dès le début l’aspect conservateur de la société par le fait d’une quasi-absence de mixité accompagnée d’un découpage sexué de l’espace.

V. Résultats de l’étude

La famille comme amortisseur de la crise

La famille en tant que milieu de socialisation primaire veille à transmettre des savoirs et des traditions ainsi que des normes sociales strictes à ses enfants tout en étant dans l’obligation morale de répondre à la satisfaction de leurs besoins. Et ce, surtout lorsqu’ils sont en train de vivre une situation de chômage dans laquelle ils ont besoin d’un support aussi bien matériel que moral.

Le respect comme norme dominante au sein du milieu familial

Dans leurs discours, les jeunes chômeurs tendent culturellement à marquer la privacité et l’intimité de l’institution familiale. Ainsi, à travers les entretiens comme lors des observations, il s’avère que les valeurs dominantes qui rattachent les jeunes à cette dernière sont le respect des normes qui y dominent. Et connaissant le ‘système anthropologique10 sur lequel se fondent les relations intra familiales dans les sociétés arabes, l’intériorisation d’un ordre des âges auquel se conforment les unités d’investigation étudiées ne fait que renforcer les liens familiaux de ces derniers et donc, leur intégration sociale au sein du cercle familial, malgré leur désinvestissement quasi-total du domicile familial.

Solidarité intra-familiale aussi bien ascendante que descendante

Ce désinvestissement (pratique culturellement admise par le système anthropologique arabe) n’affecte presque en rien le caractère des relations intra-familiales qu’entretiennent les jeunes chômeurs avec les membres de l’institution familiale à laquelle ils appartiennent. Le rôle de la famille a toujours été de soutenir et d’aider tous ses membres. En plus du gîte et du couvert les parents (lorsqu’ils en ont les moyens) sont dans l’obligation morale de fournir aide et soutien moral et financier à leur enfants. En contrepartie, ces derniers jouissant d’un temps libre, sont aussi tenus d’assurer des formes d’aides en tout genre à leur familles qui se présentent sous forme de prestations de services sous ses différents aspects, comme par exemple, faire les "courses" et achats quotidiens, régler les différentes factures ou retirer les différents documents administratifs dont auraient besoin les membres de leurs familles.

Nous pourrons aussi rencontrer dans ces milieux des formes d’aides financières ascendantes. Forme de relation attendue, étant donné les circonstances de la crise économique qui touche la société et qui fait qu’une grande partie est touchée par la pauvreté, la misère sociale et le chômage. Un "retour de l’ascenseur" est donc obligé et les jeunes chômeurs se sentent intégrés à leur famille par conséquent.

La religion aussi incite à l’union

Pour revenir au ‘système anthropologique’ qui encadre les pratiques culturelles, tel le désinvestissement de l’espace intérieur du domicile familial, ou bien la quasi impossibilité de rester en compagnie d’un des membres de la famille lorsqu’on se trouve hors du domicile familial, cela ne devrait en aucune manière nous laisser croire que les jeunes de Sidi Mezghiche sont déconnectés de toutes relations familiales (avec les proches parents). Et nous pourrons encore constater ici que c’est surtout le système anthropologique religieux qui encourage ces derniers, mais aussi toute la population à rester en contact car la religion encourage et incite à entretenir de bonnes relations sociales avec les parents, les proches et aussi avec le voisinage.

Les amis comme seconde famille

Le cercle amical, caractérisé par une forme extrême de permissivité par rapport aux pratiques sociales qui caractérisent le monde familial, représente pour les jeunes un milieu de référence et une famille de substitution de laquelle ils ne peuvent se déconnecter de peur de se sentir exclus de la société (exclus du groupe de pairs et du groupe des jeunes).

Frustration, misère et ‘hogra’ tous les jeunes sont dans une même galère:

Nous avons rencontré une forme d’unification au niveau des représentations chez ces jeunes chômeurs, due surtout au fait qu’ils vivent dans un même milieu social caractérisé par de multiples frustrations symboliques et matérielles, la misère sociale, la crise économique, le chômage, la "hogra"… L’Etat, de son côté, ne proposant aucun idéal et n’offrant aucune condition minimale d’une jeunesse vécue, développe chez ces derniers un désir d’émigrer vers l’Europe qui représente pour eux un monde où tous peuvent réaliser rêves, ou plutôt projets, se présentant comme étant irréalisables dans leur pays (l’Algérie) et surtout au sein de leur petit village. Les jeunes chômeurs se sentent donc intégrés à l’ensemble des jeunes par le fait qu’ils intériorisent et véhiculent les mêmes représentations.

L’intégration à travers un flux de relations

Nous remarquerons aussi une forme de socialisation et d’intégration de nos jeunes chômeurs à travers le flux des rapports sociaux qu’entretiennent ces derniers avec leurs groupes de pairs. Ces rapports s’inscrivent ou se délimitent dans les centres d’intérêts que suit chacun des différents groupes de pairs. Et même si nous relevons des relations très limitées avec les personnes de l’autre sexe (relations proscrites par les normes de la société…), il ne s’agira, pour ces derniers, que d’une forme d’ajustement en conformité avec les normes de la société dominante qui proscrit ce genre de relations mixtes. Et même les formes de délinquance qu’il nous est très souvent possible de rencontrer chez ces derniers ne reflètent en aucun cas pour eux (au moins) une forme quelconque d’exclusion sociale (même si la société classe souvent ces délinquants parmi les marginaux et donc parmi les exclus des normes de la société dominante). Car pour eux, ce qui est qualifié par la société de délinquant et de marginal ne sont autre que des formes ou plutôt des normes qu’il convient d’adopter pour inscrire (et certifier de) leur appartenance à un groupe de pairs ou encore afin d’acquérir (par le vol par exemple) certains produits (ou bien l’argent…) nécessaires pour pouvoir réaliser leur intégration au sein de la société de consommation dans laquelle ils vivent, très souvent qualifiée de matérialiste.

La rue comme référent identitaire

La forme d’intégration des jeunes chômeurs la plus incontestable est aussi à remarquer dans les différents espaces sociaux publics qu’ils s’approprient et investissent à longueur de journée;vu que nous avons relevé précédemment que les jeunes tendent plus à investir l’espace extérieur du domicile familial que l’espace intérieur; poussés hors de ce dernier soit à cause de son exiguïté, soit à cause des normes et représentations dominantes qui font que l’espace intérieur du domicile familial est très souvent intériorisé dans les représentations de la population arabe comme étant un espace féminin11. Bien que les espaces sociaux ne soient pas neutres, nous tenons à faire remarquer que la fréquentation de ces différents espaces sociaux sont surtout fréquentés par les jeunes qui tiennent à rester en contact avec leurs groupes de pairs.

‘La débrouille’: norme dominante pour l’intégration à la société de consommation

Malgré le flux de relations sociales qu’entretiennent les jeunes chômeurs avec le milieu familial et amical, ils se voient aussi souvent dans l’obligation d’intégrer la sphère sociale à travers la sphère économique.

‘Le travail, il y en a seulement pour ceux qui ont du piston12

En ce qui concerne les pratiques sociales des jeunes chômeurs au sein du cercle caractérisé par la recherche d’emploi et les différentes pratiques de débrouille,nous remarquerons d’emblée que les représentations dominantes au sein de la société étudiée, sont l’intériorisation et la représentation "du piston" et de "la corruption" comme critères clairs et nets d’accès à l’emploi sous ses différents aspects. Certes des sentiments d’échecs et de frustrations habitent les jeunes chômeurs, qu’ils se perçoivent comme innocents ou bien coupables de la situation de chômage dans laquelle ils vivent, mais nous pouvons aussi assister très souvent à une non reconnaissance par ces derniers du "statut de chômeur"(souvent dévalorisant) qu’on leur confère et qui fait que très souvent, les jeunes chômeurs préfèrent se lancer dans des pratiques "de débrouille" sans penser à adhérer aux associations de chômeurs13 qui sont d’ailleurs inexistantes au niveau de la commune.

‘Tech-ghil ecchabab14 ça paie pas et en plus ça te coince’15

Si j’aborde dès le début la question du recours des jeunes chômeurs aux différentes pratiques de débrouille, il ne faut pas croire que l’Etat, en tant que pourvoyeur d’emploi, est totalement absent de la scène nationale. Mais les différents programmes qu’il leur propose sont pour leur majorité difficiles d’accès ou leur offre des salaires perçus comme dérisoires puisque n’équivalent, quelquefois, même pas la moitié du salaire minimum garanti. Très souvent la relation qu’entretiennent les jeunes chômeurs avec ces différents programmes peut être assimilée à une course vers l’acquisition de surfaces sociales16 et ce, même lorsqu’il s’agit d’accéder à des postes d’emploi au sein du secteur privé et même dans l’activité informelle.

‘Les débrouilles’ une alternative à la recherche d’emploi

Il faut noter que dans la plupart des cas rencontrés, ceux qui restent chômeurs sont plutôt les jeunes qui ne peuvent accéder à aucune surface sociale car dans un milieu familial et social caractérisé par la pauvreté, beaucoup finissent par développer des pratiques de débrouille qui s’inscrivent dans le cadre de l’activité informelle et de l’évasion fiscale, puisque ces dernières restent leur seul moyen d’accéder à des ressources financières. Ces ressources économiques leur permettent et leur facilitent une intégration sociale, mais aussi un accès à une certaine dignité, à certaines valeurs de virilité leur permettant ainsi de sortir de sous la tutelle parentale; bien plus, beaucoup de ces jeunes arrivent à aider financièrement leur famille qui vit très souvent dans des conditions précaires.

Conclusion

D'après nos résultats, nous pouvons affirmer que si l'Algérie veut être présente, demain sur le marché et sur la scène mondiale, il lui faut donner plus d'importance à sa jeunesse en essayant d'investir cette énorme masse humaine qui peut jouer un rôle primordial dans le développement du pays. Car comme nous avons eu l'occasion de le constater, ces jeunes se caractérisent par des qualités de vitalité, de créativité et d'adaptation aux différents milieux et aux différentes situations rencontrées. Et si donc le gouvernement n'intervient pas pour organiser et contrôler leurs activités, cette force juvénile fera tout, non pas pour transgresser les normes de l'Etat, mais pour se conformer aux enjeux et aux normes sociales en activant des stratégies de débrouille fondées essentiellement sur l'évasion fiscale et pouvant donc, inconsciemment détruire petit à petit à la fois l'économie nationale et la société et sa culture.


Notes

* Magistère en anthropologie, sous la direction de Hadj Miliani et Mohamed Brahim Salhi, Université de Constantine, mars 2005.

** Chercheur permanent au CRASC, Constantine.

1 Notre terrain d’investigation est une zone rurale qui n’est donc ni une grande ville, ni un petit douar. Situé dans le Nord-est algérien, ce village qui fait partie des 13 arrondissements et des 38 communes de la wilaya de Skikda a obtenu un statut de commune en 1958, puis un statut de chef-lieu de daïra en 1991 et regroupe au dernier recensement de 1998 une population de 21071 habitants dont 79,3 % d’entre eux ont moins de 40 ans.

2 La population âgée de 16 à 39 ans représente plus de 75 % de la population active en 1998.

3 Nous signalons que nous avons vécu l’expérience du chômage pendant une période de 4 années (et ce de 1996 à 2000) avant d’entamer ce travail de magister.

4 28.89 % pour le second semestre de l’an 2000 ce qui représente le nombre de 2510863 personnes dont 80 % font parti de la tranche d’âge des 15 à 39 ans, in: ONS, données statistiques, n°330.

5 Dans laquelle nous avons privilégié l’étude de données qualitatives, à travers l’entretien et l’observation directe sur le terrain.

6 Ghiglione, Rodolphe et Matalon, Benjamin, Les enquêtes sociologiques, théories et pratiques, Paris, Armand Colin, 1998 (1978), collection U.

7 Copans, Jean, Introduction à l’ethnologie et à l’anthropologie, Paris, éditions Nathan, 1996, collection 128, p.24.

8 L’enquête par distanciation présente certes certaines lacunes, mais permet quelquefois (comme dans mon cas) de reprendre la situation en main en cas de dérapage. Car en plus de ma connaissance du terrain puisque Sidi Mezghiche est mon village natal et que j’y habite, j’ai aussi acquis une connaissance des situations des chômeurs non seulement grâce à l’observation participante que j’y ai exercé dans le cadre de cette étude, mais aussi à travers l’expérience de la période de chômage que j’ai vécue.

9 Degenne, Alain & Forsé, Michel, Les réseaux sociaux: une analyse structurale en sociologie, Paris, éditions Armand Colin, 1994, collection U, série «sociologie».

10 Terme emprunté à Augustini, Muriel & Duret, Pascal, Les grands frères faut-il y croire? in les jeunes en difficulté, revue panoramique, n° 26, p. 165, et utilisé pour exprimer les différentes normes et valeurs en vigueur formant la culture dominante du groupe et capable d’orienter les comportements des membres de cette société.

11 Rouag-Djeni, Abla, extrait de communication présentée au séminaire: «les jeunes en difficulté» à l’institut des sciences sociales, Université de Constantine, le 15 Mai 2002.

12 Extrait d’un entretien réalisé avec D.J. 35 ans ayant un niveau de 4ème année moyenne, le 15 avril 2002.

13 A cet effet, il apparaît même dans certains entretiens (et ce à travers les propos des interviewés) que nous semblions ne pas avoir affaire à des jeunes en état de chômage.A travers les faits et activités relatés, ces derniers semblaient tout à fait intégrés la sphère économique et niaient donc très souvent dans le statut de chômeur que beaucoup d’entre eux perçoivent comme dévalorisant.

14Tech-ghil ecchabab’ mot arabe qui veut dire emploi des jeunes, programme d’emploi destiné aux jeunes donnant lieu à des contrats d’emploi de 3 mois dans un des services administratifs dans une activité d’utilité publique pour un salaire mensuel de 2 750 dinars.(2002)

15 Extrait d’un entretien avec R.Z. 30 ans, 3ème année secondaire, répondant à une question relative aux programmes d’emploi proposés par l’Etat, le 03 Avril 2002.

16 «surface sociale: ensemble des relations professionnelles, familiales ou amicales; selon les cas qu’un individu peut mobiliser, souvent dans un but précis: notion utilisée par Luc Boltanski; Pierre Bourdieu préfère utiliser celle de capital social», in Coiffier Eliane et Coll., sociologie basique, Paris, éditions Nathan, 1990, p. 132. 29

 

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