Nouvelles significations du quartier, nouvelles formes d’urbanité. Périphérie de l’est d’Alger

Insaniyat N°44-45 | 2009 | Alger : une métropole en devenir | p. 59-73 | Texte intégral 


The neighbourhood, new meanings, new urbanity forms, for the Algiers eastern periphery

Abstract: The urban question is treated in this article through the urban strategies which have been elaborated by the inhabitants in their residential settlement. The appropriation modes enable us to have access to the representations, sociability forms, to the identity build-up and the way they redefine the neighbourhood, so that they join it to the town. Appearing thus in households, the ways of life, adaptation practices, residential spatial organisation adjustment are witnesses of new urbanity forms. A urbanity, which by its inhabitants’ actions for their districts urban and social integration, takes on the form of citizenship.

Keywords : urbanity - appropriation modes - neighbourhood - ways of life - Algiers.


Nora SEMMOUD : Professeur, Université François Rabelais de Tours, Responsable de l’Equipe Monde Arabe et Méditerranée (EMAM).


La présente réflexion se propose d’aborder la question de l’urbanité  à travers les stratégies qu’élaborent les habitants dans leur ancrage aux lieux, leur intégration sociale, leur appropriation spatiale et dans la fabrication matérielle et symbolique de la ville. L’entrée par les modes d’appropriation (les usages, les représentations et le rapport affectif au lieu) permet d’accéder aux nouveaux modes de vie et aux formes d’adaptation et de rectification de l’organisation des espaces résidentiels auxquels ils donnent lieu. L’analyse de ce processus social et spatial permet alors de saisir où en sont les ménages interviewés dans la construction de leur urbanité. Une telle démarche suppose de travailler sur les représentations, les sociabilités, les identités et la façon dont elles redéfinissent le quartier et dont elles l’articulent à la ville et à la centralité.

Dans ce travail, l’urbanité rend compte des différences de maîtrise de l’espace urbain et des modes de vie des individus en relation avec leur degré d’insertion urbaine, selon un procès de capitalisation de savoirs et de compétences sur différents modes économique, social et culturel       (J.-P. Frey[1], 1986, p. 180). L’urbanité résulte ainsi de ce processus de capitalisation et d’apprentissage qui renvoie à celui de la socialisation urbaine (G. Verpraet[2], 1994). On pourrait alors parler de degrés ou de niveau d’urbanité.  

« La notion de socialisation urbaine désigne le rapport de l’acteur urbain à la ville, à la culture urbaine, soit un rapport de réinterprétation et aussi d’engendrement (pratiques urbaines, appropriation, investissement de réseau, apprentissages). D’où une diversité des actes et des modalités de la socialisation urbaine à la base de réinterprétation des données urbaines, d’appropriation des lieux et des objets, d’apprentissages des conventions et des êtres. L’objet de la socialisation urbaine désigne le mode d’apprentissage de la ville dans une société en mutation sur un double mouvement : comment la ville forme l’acteur et le fait accéder au stade de la citoyenneté urbaine ? Comment l’acteur forme la ville, par ses actions et ses réinterprétations ? » (G. Verpraet, 1994, p. 239).

De nombreux travaux mettent en évidence les liens entre urbanité et convivialité et surtout, le rôle joué par l’espace urbain dans ces apprentissages. Tandis que la convivialité désigne la rencontre des individus et leur capacité d’échanges et d’interactions (E. Goffman[3], 1974), l’urbanité (Henri Raymond[4], 1988) imprègne la convivialité des règles, normes et modèles de comportement policés, inculqués ou imposés animant les pratiques urbaines quotidiennes. Dans son analyse d’anthropologie culturelle de la civilisation arabo-islamique du XIVe siècle, en particulier dans sa Muqaddima, Ibn Khaldùn avait déjà mis en évidence ce processus spécifique au monde urbain, lié à l’organisation politique et économique de la Cité, qui faisait passer les individus de la bédouinité (bãdiya) à la citadinité (El hadãra).

Les quartiers concernés se situent dans les communes de Baraki, des Eucalyptus (Cherarba) et d’El Harrach au sud-est d’Alger. Ils se sont développés sous forme d’habitat[5] individuel sur des territoires ruraux à l’origine et ont accueilli à partir de l’indépendance une population rurale en voie de socialisation urbaine par la condition salariale dans les industries implantées localement dans les années 1970. Plus récemment, ces quartiers[6] ont accueilli une population issue du centre ou du péricentre cherchant à améliorer ses conditions d’habitat (desserrement, décohabitation familiale, etc.). La population ancienne, généralement issue du milieu ouvrier ou des employés, s’est pour ainsi dire « moyennisée ». Elle a procédé à son ascension sociale par la condition salariale, par la formation et les débouchés professionnels des enfants et par les activités économiques intégrées à son habitat. Les nouveaux arrivants, en revanche, sont issus de couches moyennes (médecins du service public, enseignants, cadres de l’administration, etc.) qui sont aujourd’hui fragilisées[7]. Cependant, malgré la fragilisation de la fraction la plus instable d’entre-elles, les couches moyennes, parce qu'elles ont été privilégiées par la politique urbaine, ont acquis aujourd'hui un poids numérique et économique qui leur confère un rôle important dans la diffusion des modèles socioculturels[8] ; tels des modèles socioculturels souvent mimétiques de ceux de la bourgeoisie dont l’urbanité est ancienne. Dans les quartiers étudiés, ces deux types de population, ayant procédé chacune à sa socialisation urbaine, selon des itinéraires résidentiels distincts, font preuve de convergence dans leurs modes de vie.

Dans la présente réflexion, il s’agira en premier lieu de rendre compte de l’urbanité des habitants à travers leurs modes de vie et les significations qu’ils donnent au quartier. Elle focalisera, en second lieu, l’analyse sur l’action collective de la population pour la valorisation du quartier. L’action collective est considérée ici comme l’expression d’une urbanité affirmée qui est de plus en plus de l’ordre de la citoyenneté. Enfin, en troisième lieu, la contribution met en évidence les rectifications/adaptations de l’habitat et de l’organisation urbaine du quartier pour refléter l’urbanité de cette population dont la socialisation est ancienne.

1. Nouveaux modes de vie

La construction de nouveaux modes de vie témoigne d’un écart toujours plus grand, par rapport au modèle traditionnel des parents ou des grands-parents. Ces modes de vie se reflètent dans de nouvelles formes de sociabilités, au sein de la famille et du voisinage, et dans un processus d’individuation de plus en plus affirmé qui coïncide avec l’activation de réseaux sociaux en dehors de la famille et du voisinage. Les pratiques d'appropriation de l’habitat par la population semblent relever de modèles socioculturels qui traduisent des mutations importantes en son sein. Selon les ménages, la tradition disparaît ou subit de fortes distorsions, elle est dans tous les cas, réinterprétée et sa reformulation s'entrelace avec le nouveau, dans une sorte de relecture du mode de vie moderne. Les sociabilités subissent également les mêmes mutations, ainsi l'individu dans son processus de socialisation cherche à échapper à celles de type communautaire, tout en continuant à y puiser les solidarités qui lui permettent de s’affranchir. Dans ce mouvement contradictoire, apparaissent alors des sociabilités nouvelles, comme celles correspondant aux associations ou, plus largement, à la structuration de véritables réseaux sociaux qui dépassent le seul quartier et qui se substituent progressivement aux cadres traditionnels.

Au cœur de la socialisation urbaine se place la famille dont les mutations sont les plus significatives des nouveaux modèles socioculturels. Les relations entre ses différents membres connaissent d'importants changements et se placent dans une trajectoire qui s'écarte du modèle traditionnel. Les rapports parents-enfants se transforment et coïncident avec l’émergence du couple, en tant qu'entité autonome par rapport à la famille élargie. L’affranchissement de l’emprise familiale libère du même coup l'individu dans ses rapports avec l’ancienne communauté de voisinage. Fatima Mernissi[9] (Paris, 1983) soulignait déjà au début des années 1980 que les processus de modernisation n'ont d'effets décisifs sur la société que s’ils apparaissent dans le domaine domestique, autrement dit sur la structure des relations familiales et notamment sur la dynamique des rapports entre les sexes. Cette proposition est d’autant plus justifiée que le corps social dans les pays arabes, de par la chape de plomb de l’islamisme politique et radical, fonctionne souvent sur un décalage entre ce qui est montré et ce qui est réellement vécu dans l'intimité familiale. L'ampleur des transformations sociales au sein des familles doit être appréciée en tenant compte de ce contexte.

Le souci d'indépendance du couple par rapport à la famille élargie, en particulier par l'acquisition de sa propre maison, détermine toutes ses stratégies. Le couple s'astreint à une épargne draconienne et diminue, voire supprime, sa contribution financière aux revenus de la famille élargie. Cette désolidarisation relative de la familial élargie est à l'origine de conflits en son sein, car le couple qui envisage des projets pour son ascension sociale s’oppose au fait que certains membres (frères chômeurs, sœur divorcée de retour au domicile familiale avec ses enfants, etc.) de la famille n’aient pas de revenu et soient une charge. En revanche, les couples poursuivent et augmentent leurs contributions financières aux revenus de la famille élargie, lorsque cette dernière se fixe résolument l'objectif d'acquérir un lot de terrain afin de remplacer la maison par un immeuble familial[10].

Les stratégies de mobilité sociale et spatiale des ménages et les projets auxquels elles donnent lieu transforment considérablement l’image de la femme qui travaille. Le travail des femmes est aujourd’hui généralement encouragé et valorisé. C'est le cas en particulier du travail artisanal (couture, broderie, tricot, etc.) ou de l'enseignement. Mais l'aspect nouveau de cette activité artisanale, traditionnellement domestique, se trouve dans l'ouverture sociale qu'elle procure aujourd'hui aux femmes. En effet, les femmes, qui dans le passé commercialisaient le produit de leur artisanat exclusivement au sein de la famille, ont aujourd'hui élargi leur commerce au quartier et parfois plus loin. La libre circulation des femmes dans et en dehors du quartier leur a permis de tisser autour d'elles un réseau de relations qui les hissent à un rang indéniablement supérieur à celui de celles dont l'activité reste cantonnée à l'espace domestique. Cette dynamique d’émancipation par le travail (artisanal, commercial, etc.) semble concerner surtout les femmes de la population ancienne du quartier, paradoxalement parmi les nouvelles arrivantes, le plus souvent diplômées, nombreuses sont celles qui ont fait le choix de rester à la maison, souvent à cause des difficultés de transport et du bas niveau des salaires. A cet endroit, il faut souligner que si les nouveaux arrivants dans le quartier ont acquis leur autonomie et ont accédé à de meilleures conditions d’habitat, ils ont néanmoins perdu les avantages de la centralité.

Le nombre d’enfants relève de plus en plus de la décision souveraine du couple. En effet, c’est une question de plus en plus pensée, discutée et planifiée par le couple ; bien que les facteurs comme la scolarisation de l'épouse, le fait qu'elle travaille et son âge au mariage soient déterminants dans la définition du nombre d'enfants, les conditions économiques et d'habitat du couple, ainsi que les projets qu'il se fixe, sont quant à eux décisifs. Ces derniers éléments pèsent sur la planification des naissances au sein du couple qui conçoit généralement le premier enfant dans la maison familiale, mais attendra d'avoir son propre appartement avant d’agrandir la famille. Les changements profonds qui affectent les rapports parents-enfants se manifestent à travers une permissivité des parents vis-à-vis de la question de l'indépendance des fils et leur ménage par rapport à la famille élargie, mais plus généralement à travers l’élargissement et l’augmentation du volume des investissements consentis par les géniteurs à leur descendance. Le champ des investissements, qui se limitait par le passé à la réponse aux besoins alimentaires, vestimentaires et scolaires, s'est considérablement élargi pour couvrir de plus en plus de domaines, comme le jeu, les loisirs, la mode, les voyages, etc. La tendance est d’individualiser les chambres pour jeunes enfants, adolescents et jeunes adultes et à les équiper de TV, de console de jeu vidéo, d’ordinateur, d’Internet, etc. Quand ce n’est pas le cas, c’est en tout cas un projet. Vraisemblablement, à travers ces investissements ou ces projets des parents pour leurs enfants, se profilent à des degrés différents, à la fois, certaines représentations de l'éducation moderne et la diffusion de modes de loisirs internationaux. Toutefois, lorsque ces investissements deviennent excessifs, ils cherchent à signifier la place de la famille dans l'échelle sociale en utilisant les enfants comme médiateurs.

La cohabitation entre les anciens et les nouveaux résidants participe à la recomposition qui s’opère dans ces quartiers traditionnellement populaires ; une recomposition qui a des conséquences sur les sociabilités ; étant entendu que les formes de sociabilité entre les individus concourent à octroyer au quartier sa valeur sociale. On assiste, en effet, dans la recomposition du quartier traditionnel populaire, à la disparition d’un système de sociabilités caractéristique de la communauté ouvrière (ou villageoise), dont l’intensité des relations a comme revers un contrôle social pesant, et à sa substitution par un système diffus qui intègre d’autres groupes sociaux, diversifie les formes du lien social, élargit leur territorialité et affranchit les individus des contraintes communautaires. Dès lors, les anciennes sociabilités laissent place à une plus large typologie des domaines de relations, qui peuvent être résidentielles, familiales, professionnelles, scolaires, de loisirs, associatives, religieuses, etc. Les nouvelles sociabilités se diversifient en fonction de la catégorie sociale, du genre et de l’âge, et concernent plusieurs échelles spatiales (quartier, ville, agglomération, etc.).

Les sociabilités résidentielles se limitent généralement à une simple courtoisie entre voisins mais peuvent s’épanouir dans l’espace public. Par exemple, les relations sont tissées dans les espaces de consommation avec les commerçants, les forains du marché, les tenanciers de cafés, etc. C’est surtout dans ces lieux de consommation que s’échangent les informations (ventes, hospitalisations, mariages, réussites aux examens, etc.) et transite le réseau d’entraide (recommandations pour un médecin compétent, pour le soutien scolaire, pour l’aide aux personnes âgées, pour l’embauche de jeunes, etc.). Les sociabilités familiales restent importantes, qu’elles soient inscrites dans le quartier ou non. Elles se traduisent par les traditionnels repas de fêtes, mais aussi par la solidarité intergénérationnelle, comme la garde des enfants, dans un sens, et l’accompagnement d’une personne âgée malade, dans l’autre.

Les sociabilités professionnelles, renforcent et élargissent les réseaux sociaux et par conséquent, renforcent le capital social du quartier. Elles concernent aussi bien les personnes qui travaillent que celles à la retraite et peuvent être soit informelles, soit prendre effet dans des structures associatives appartenant au corps professionnel. Elles prennent effet dans et en dehors du quartier et se manifestent, par exemple, par l’organisation de pèlerinage à la Mecque, par la circulation d’informations sur les carrières (valorisation de retraite, prise en charge des problèmes de santé, etc.) et par la solidarité dans les coups durs (perte d’un proche, longue maladie, etc.). Les sociabilités des jeunes se sont généralement construites au sein du milieu scolaire ou universitaire, à partir duquel ils organisent l’essentiel de leur vie : le travail scolaire, les loisirs, la solidarité, etc. La solidarité s’adresse particulièrement aux exclus du système scolaire qui forment les « hitistes » du quartier. La solidité et la pérennité de ces sociabilités sont d’autant plus renforcées qu’elles s’inscrivent dans une proximité résidentielle.

Les sociabilités associatives concernent les résidents de toutes conditions et dans beaucoup de cas dépassent le territoire du quartier. Les clubs sportifs, surtout ceux du football, quand ils existent, sont considérés quasiment comme une deuxième famille. La préparation, l’organisation et la participation aux manifestations sportives qui sont de véritables événements dans la vie des individus, cristallisent des sociabilités opérantes dans la valorisation de soi (responsabilités et rôle joué dans l’organisation d’un événement face aux autres) et l’identité tant au quartier qu’à la ville. La mosquée et le réseau de bienfaisance qu’elle organise permettent des sociabilités religieuses qui réunissent aujourd’hui surtout les anciens du quartier. Vis-à-vis de la mosquée, deux attitudes se dessinent parmi les ménages interviewés, certains manifestent une attitude de défiance et beaucoup se limitent à faire leur devoir de prière, d’autres entretiennent une relation étroite liée à leur sympathie ou leur adhésion à l’islam politique. Ces deux attitudes conduisent de nombreux pratiquants à se déplacer vers la mosquée de leur choix, à l’échelle de la ville. 

Du reste, même si les domaines de sociabilités professionnelles ou associatives s’inscrivent dans d’autres territoires que le quartier, ils n’en ont pas moins d’importantes retombées sur ce dernier. Dans tous les cas, les individus pratiquent un tri dans leurs relations, les hiérarchisent et en gardent une parfaite maîtrise, notamment pour préserver leur intimité et un certain anonymat. Il y a les personnes que l’on reçoit chez soi et avec lesquelles on peut partager des loisirs ; celles avec qui on se contente d’échanger dans l’espace public ; celles que l’on tient à distance, comme c’est souvent le cas, des voisins immédiats, trop proches de l’espace domestique, etc. Ainsi, la notion de hawma prend un sens nouveau : l'individu continue à y puiser des solidarités, tout en ayant la volonté d'échapper à ses règles passéistes et à son contrôle social. La maîtrise de ses sociabilités l’écarte du caractère aliénant de la communauté de voisinage traditionnelle. La volonté d'indépendance et de liberté par rapport à la communauté est particulièrement signifiée par les couples et les femmes, qui sont l'objet privilégié du contrôle social. La présence importante des femmes dans l'espace public de ces quartiers est particulièrement significative de ces mutations.

2. L’action collective ou les signes de citoyenneté ?

La mise en vigueur de la Loi sur les associations de 1981 donna lieu dans les quartiers et cités à une éclosion du mouvement associatif dont l'objectif essentiel est la valorisation du cadre de vie. Par ailleurs, le caractère ségrégatif des actions de régularisation de l’habitat informel dans les années 1980 a conduit inévitablement les résidents à mettre en place des associations de quartier. Aujourd’hui, les résidents, animés par une volonté qui vise un meilleur fonctionnement du quartier et sa valorisation, ont inscrit de façon durable dans leur vie quotidienne, les actions collectives auprès des pouvoirs publics. La socialisation associative, parce qu’elle suppose l’acquisition de compétences, notamment en matière de mobilisation de réseaux relationnels, et une pédagogie interactionniste, procède, à notre sens, d’une urbanité affirmée. Si cette mobilisation, ces réseaux relationnels et leur pédagogie interactive sont représentatifs d'une socialisation urbaine avancée, ils en constituent aussi le moteur.

Il est remarquable de constater que le mouvement associatif autour de l'amélioration des conditions de vie et d'habitat s'est élargi depuis plusieurs années déjà aux femmes dont on peut supposer la socialisation plus difficile. Déjà en 1976, les résidentes du bidonville de Gorias[11] (El Harrach), pourtant récemment venues de la campagne, ont organisé plusieurs délégations auprès de la municipalité pour revendiquer la multiplication des points d'eau, l’amélioration du système d'assainissement et l'installation d'un poste de police. Des actions multiples sont initiées par les femmes dans différents quartiers autour de l'installation de ralentisseurs de la circulation, l'aménagement d'aires de jeux, l'ouverture de crèches, de cours de rattrapage etc.

Aujourd’hui, les revendications des ménages sont de plus en plus larges et précises et témoignent d’une accumulation de compétences. Elles font l’objet d’un tri et d’une hiérarchie qui sont autant de stratégies dans la négociation avec les pouvoirs publics. La confrontation de l’organisation collective avec les pouvoirs publics dévoile des formes de compromis et d’arrangements (M. Safar-Zitoun, Sousse 2007) ; un mode de « négociation » d’autant plus justifié face à l’inertie des pouvoirs locaux et à l’absence des municipalités ; des situations qui laissent souvent la place aux pratiques de détournement et au clientélisme. Parallèlement, à ces tentatives de « négociation », on assiste à une multiplication des mouvements sociaux urbains autour de l’assainissement, de l’alimentation en eau potable, de l’éclairage public, du transport, etc. Quasi quotidiennement, les médias témoignent des actions qui consistent, par exemple, à bloquer un axe routier important pour se faire entendre par les pouvoirs publics. Le scénario semble bien maîtrisé : les médias sont informés de l’action, en même temps que les barricades sont installées ; les forces de l’ordre interviennent et procèdent à des arrestations qui vont devenir le prétexte de la négociation.

Les rapports des pouvoirs publics avec les associations de quartier conduisent ces derniers à mettre en avant dans leur encadrement des médiateurs « politiquement corrects ». Les chefs de famille dont le niveau de revenu est important déploient des efforts considérables pour valoriser l'image du quartier. Ils peuvent contribuer à certains aménagements de la voirie ou à la construction de la mosquée,  ils peuvent faire profiter une partie du quartier de leur groupe électrogène, d’une citerne, d’une bétonneuse, etc. A travers cet investissement apparemment altruiste des familles aisées du lotissement, il y a, d'une part, leur volonté de façonner une image du quartier en adéquation avec leur place dans l'échelle sociale, et d'autre part, d'acquérir une position de pouvoir parmi le voisinage. Autrement dit, ces pratiques sont l'expression d'un processus de constitution de notabilités locales. Ce processus présente les mêmes caractéristiques qu'en Egypte (A. Deboulet, 1994, p. 444), notamment en ce qui concerne le financement, par les familles de situation économique élevée, de la mosquée dont le pouvoir symbolique reste très fort. La reconnaissance sociale est intimement liée au mode d'inscription spatiale du pouvoir et à la formation des notabilités qui se reproduisent souvent par le cumul d'une situation économique enviable et par un réinvestissement matériel et symbolique dans l'aménagement du quartier et l'édification d'une mosquée de voisinage. Si les associations restent le cadre officiel des négociations avec les pouvoirs publics, les notabilités s'avèrent être les véritables interlocuteurs du pouvoir à travers leurs réseaux informels. Dans ce contexte, l’organisation collective doit faire face aux tentatives d’instrumentalisation politique, du côté des pouvoirs publics locaux, mais aussi du côté de l’islamisme politique radical. Cette dynamique de l’action collective autour de l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers a connu un véritable reflux durant la décennie 1990. Le climat de terreur avait provoqué un véritable repli social et les initiatives de la population, lorsqu’elles existaient, étaient dévoyées par le mouvement intégriste. 

Aujourd’hui, la relance de l’action collective fait apparaître une capitalisation de l’expérience, des savoir-faire, des réseaux sociaux, la compréhension des enjeux, etc. L’action collective qui se veut axée sur les revendications à caractère social et qui se veut donc apolitique, est malgré elle propulsée dans la sphère du politique où les représentants des résidents doivent rapidement en comprendre les enjeux pour ajuster leurs stratégies revendicatives. Ainsi, on peut se demander, si ce n’est pas là, la construction d’une forme de citoyenneté. Il est vrai que la socialisation urbaine, placée au cœur de la dialectique entre l'individu et l'espace public et au cœur de l'optique qui considère l'urbain comme un mode de vie, comme une forme mentale et pratique caractéristique de l'existence en métropole (L. Wirth[12], 1928), met l'accent sur la dynamique et le rôle de l'urbain dans l'émergence de la citoyenneté. Cependant, la citoyenneté est aussi le principe de la légitimité politique. Le citoyen n’est pas seulement un sujet de droit, il est détenteur d’une part de la souveraineté politique. Sommes-nous alors dans cette configuration ou dans quelque chose qui semble l’annoncer ?

Face au contexte politique actuel, l'émergence de sociabilités nouvelles et le rôle qu'elles jouent dans l'engendrement de la citoyenneté posent inévitablement la question de savoir qu'elles sont les interférences entre le climat idéologique et les modalités de socialisation urbaine. Autrement dit, dans quelle mesure les modèles de sociabilité des islamistes peuvent-ils être considérés comme susceptibles de répondre aux difficultés proprement urbaines de la population ? Après la victoire du Fis aux élections municipales de juin 1990, la population algéroise a eu un avant-goût du réaménagement urbain que promettent les islamistes. Dès leur victoire, ils entamèrent à leur façon un processus de réappropriation et de réaménagement des édifices et des espaces publics. Des centres culturels, des salles de cinéma, des bibliothèques, furent transformés en salles de prière ou tout bonnement fermés. Des jardins publics furent également fermés ou sillonnés par des milices du FIS qui étaient chargées de faire la chasse aux couples. A la même période, les modes d'occupation et d'appropriation des deux principales places publiques d'Alger-Centre par le FIS pendant sa tentative d'insurrection, préfigurent à notre sens d'une nouvelle forme de violence symbolique ou de violence tout court.

L'enfermement, la séparation sexiste des espaces, la disparition de la fonction culturelle et de loisirs et la limitation du rôle de la ville à la réponse aux besoins élémentaires : dormir, se restaurer, prier et commercer, activité particulièrement bénie par le Fis, sont les traits à travers lesquels se profile l'espace public proposé par les islamistes. Par ailleurs, les urbanistes[13] relatent que lors des séances de concertation autour des plans d'urbanisme, les élus du Fis subordonnèrent l'approbation de ces documents à la suppression de la mixité dans les écoles, à la transformation des centres culturels en salles de prière, à la création d'espaces commerciaux et au rajout du qualificatif "islamique" à tous les équipements ! Lors de leur passage au sein des mairies, les élus du Fis s'étaient distingués par une pratique urbaine spectaculaire dont l'effet sur la ville a été désastreux. Cette pratique, qui consistait à attribuer à leurs sympathisants l'autorisation d'installer un commerce dans tout espace libre de la ville, a induit une occupation massive et anarchique de tous les vides urbains. Des tentes, des abris de roseau, des baraques en bois ou en zinc furent installés aux abords des places et des jardins publics, sur le bas-côté des routes et aux carrefours. Ces installations de fortune provoquèrent des problèmes de fonctionnement de l'espace urbain, notamment des difficultés de circulation et surtout donnèrent à la ville l'aspect d'un énorme souk-bidonville. La ville devenait un immense bazar, pilier économique de l'islamisme.

Les traits archaïques de l'espace public des islamistes sont en total décalage avec l'image de la ville portée par la population. En effet, l'analyse fait apparaître une nette aspiration de la population à vivre au sein de quartiers à forte urbanité, dont le caractère aménagé, ordonné, aéré, verdoyant, propre et équipé est souligné dans le discours. La revendication de la population, de voir l'éventail des équipements de leur quartier élargi aux cinémas, centres culturels, piscines, hôpitaux, etc., dénote d'une conception de l'urbain perçu en fonction de la modernité et de la qualité de l'équipement. Ce n'est donc pas un hasard, si la description de l'idéal-type urbain par les habitants est illustrée par les quartiers de villes européennes, el kharadj, dont on souligne particulièrement l'organisation et l'ordre (el nidam). Ces deux dernières notions renvoient en fait à la présence et au rôle des pouvoirs publics dont on revendique la manifestation dans la vie quotidienne par l'organisation et la gestion de l'espace urbain.

Face aux carences de tous ordres, les efforts de la population pour améliorer le cadre de vie, le valoriser et affirmer son caractère urbain sont multiples. Les actions de volontariat des habitants pour le ravalement des façades, le nettoyage des espaces extérieurs, la plantation d’espaces verts et l'organisation d'aires de sport se sont généralisées. Toutefois, ces initiatives, parce qu'elles ne sont pas relayées par l’investissement public, restent dérisoires.

3. Rectification/adaptation de l’organisation urbaine : reflet de l’urbanité

L'appropriation de l'espace impliquant le marquage et la symbolisation, et spécifiant les groupes sociaux, devient à ce titre un élément de communication entre les individus à travers l'habitat qui en est le médiateur. La distinction des divers groupes sociaux par le biais des formes d'appropriation relève, également, de leurs différences d'urbanité. La distinction sociale des individus, sur la base des dehors de l'urbanité se justifie d'autant plus dans la société algérienne, que tout itinéraire social est associé au phénomène d'urbanisation. L'urbanité des habitants se manifeste à travers certains signes visibles qui peuvent être différents d'une localité à une autre.

Les modes d'appropriation de l'habitat reflètent d’une certaine manière l'identité culturelle et sociale des habitants, notamment par le biais des conditions concrètes et des moyens réunis par les individus pour se positionner dans l'échelle sociale et gérer leur mobilité. Quand l'habitat n'est pas lui-même le biais par lequel s'effectue la mobilité sociale des individus, il reste, dans tous les cas, l'instrument privilégié pour la communiquer. Pour la population ancienne des quartiers étudiés, l'articulation d'une activité économique à l'habitat ou la location d'une partie de l'espace habitable a constitué une des stratégies les plus sûres pour se garantir une mobilité sociale ascendante. En revanche, les nouveaux arrivants qui semblent généralement privilégier un véritable espace résidentiel sont hostiles au développement des activités dans le quartier. Ainsi, en dehors des polarités déjà constituées, il semble que les anciens et les nouveaux résidents se rejoignent pour préserver l’espace résidentiel. Ce qui ne veut pas dire que le conflit est totalement absent sur cette question. Ce changement au sein de la population ancienne[14] est significatif du chemin qu’elle a parcouru pour atteindre son niveau social actuel.

L’indépendance des couples par rapport à la famille se met en œuvre par étapes plus ou moins longues selon les revenus et le capital social des ménages. Certains passent directement de la maison familiale, où le couple bénéficie d'une seule chambre, à un habitat totalement indépendant, d’autres effectuent une étape intermédiaire constituée par l'immeuble familial. Ce dernier apparaît comme un moyen d'acquérir son propre appartement et ainsi, une indépendance relative. Le couple continue de bénéficier de la solidarité familiale et de profiter des atouts de l'habitat individuel. Lorsque le couple atteint un niveau économique plus important, il envisage de construire sa propre demeure, moins avec le projet de reproduire l'immeuble familial pour futurs jeunes ménages, que celui de la perspective que les enfants soient totalement indépendants. Ainsi, la taille des nouvelles constructions est sensiblement moins importante que les anciennes.

Les modes d’appropriation mettent en œuvre de nouvelles normes urbaines permettant de valoriser le quartier et de le rapprocher des traits caractéristiques des quartiers huppés. Les types d'habitat qui émergent à travers les constructions récentes ainsi que les transformations qui touchent le parc ancien se caractérisent par une nette tendance à l'extraversion de l'espace domestique. Toutefois, les signes de cette extraversion, en tant qu'expression de l'urbanité différentielle des groupes sociaux, restent plus ou moins contrôlés (F. Navez Bouchanine[15], 1994). Les modalités de gestion de l'extraversion de l'habitat renvoient à une recherche d'équilibre entre le besoin de protéger l'espace domestique et de l'ouvrir sur l'extérieur, autrement dit, de lui conférer un caractère urbain. L'extraversion de l'habitat, processus général qui porte sur les espaces intermédiaires, notamment la façade et les accès, signifie en fait un rapport nouveau de l'habitant à l'espace urbain. L'habitant s'intéresse ainsi davantage au devenir de l'espace urbain et s'investit de plus en plus dans sa mise en valeur. L'extraversion de l'habitat implique, dans la formalisation des espaces intermédiaires entre le chez-soi et l'urbain, un parcours très court sans excès de protection, contrairement à l'espace domestique traditionnel où les séquences de protection du lieu de vie quotidien de la famille sont multiples (seuil, rideau, chicane, skiffa, cour d'entrée, etc.).

Le schème de l’habitat traditionnel totalement introverti a structuré les modalités d'appropriation de la population rurale venue en ville au moment de l'indépendance. Les pratiques de fermeture de l'habitat s'étaient alors généralisées : surélévation des garde-corps de balcon et des clôtures, protection des ouvertures par des rideaux, des roseaux ou de la bâche, etc. Aujourd'hui, un processus inverse retourne progressivement l'espace domestique vers l'extérieur. Les habitants procèdent en effet de plus en plus à la réouverture de la façade sur l'espace urbain en la chargeant des signes de l'urbanité, de l'ostentation et de la distinction. En atteste la diversité excessive des matériaux utilisés et des formes de décoration mises en œuvre. Dans ces processus de réouverture de la façade, le balcon, qui constitue un autre lieu typique partiel de référence urbaine, joue un rôle fondamental dans l'expression de l'urbanité des habitants. Bien que les pratiques sur ce lieu se limitent le plus souvent à l'aération de la literie et occasionnellement à regarder le cortège d'un mariage, le balcon s'est généralisé dans tous les édifices au point de courir sur l'ensemble du volume des constructions. Paradoxalement, l'ouverture de l'espace domestique sur l'urbain s'accompagne de l'édification de clôtures autour de l'espace privé qui ont l'allure de véritables murailles. Cette pratique, qui dans certains cas peut être une forme d'expression de la volonté de maîtriser cette extraversion, renvoie surtout à un souci sécuritaire spécifique au milieu urbain. Outre l'édification de clôtures, l'installation de barreaux sur les ouvertures, le blindage des portes, la mise en place de système d'alarme, etc., sont devenues des pratiques sécuritaires généralisées dont l'importance reste fonction de la richesse du groupe social concerné.

La morphologie des quartiers d’habitat individuel est très différente selon qu'ils soient anciens ou récents. Dans le premier cas, le bâti est très dense tandis que dans le deuxième, il a une forme plus aérée grâce à un réseau de voiries mieux calibré. Ainsi, l'occupation et l'appropriation des nouveaux quartiers, que ce soit ceux produits illicitement ou ceux des lotissements réglementés, sont fonction de l'accessibilité aux voitures. Même les transformations que connaissent les cités de recasement, en particulier celles qui consistent à organiser l'extension de la maison sur le domaine public, tiennent compte de la circulation automobile. Il y a ainsi une sorte de rectification progressive de l'espace public dans les quartiers d’urbanisation informelle prenant en compte l'accessibilité des voitures, laquelle est considérée comme un attribut de l'espace urbain. Ainsi les dessertes ont des gabarits de plus en plus importants et la présence des garages s'est généralisée dans l'habitat grâce à la réorganisation des accès.

L'introduction d'une activité économique dans l'espace domestique n'est pas étrangère à l'intégration de l'élément voiture dans la façon de penser et de produire l'espace urbain. Cependant, la volonté de valoriser les quartiers et d'améliorer une image qui renvoie aux oppositions quartiers riches donc quartiers organisés, quartiers pauvres donc quartiers anarchiques, sont les véritables moteurs de ces rectifications/adaptations de l’espace résidentiel.


Notes

[1] Frey, Jean-Pierre, La Ville industrielle et ses urbanités. La distinction ouvriers/employés. Le Creusot 1870-1930, éd. Pierre Mardaga, coll. Architecture et Recherches, N° 25, Bruxelles, 1986.

[2] Verpraet, Gilles, La socialisation urbaine. Transitions sociales et transactions culturelles dans la cité périphérique, Paris, L’Harmattan, coll. Villes et entreprises, 1994, 255 p.

[3] Goffman, Erwing (1ère éd. 1974), Les Rites d’interaction, Paris, Editions de Minuit, coll. Le sens commun, 2003, 230 p.

[4] Raymond, Henri, « Urbain, convivialité, culture », Les Annales de la Recherche urbaine, n° 37, 1988, pp. 3-8.

[5] Cet habitat, informel dans les années 1970, a été généralement régularisé dans la décennie qui a suivi.

[6] Des opérations de lotissements sous la forme de coopératives ont été mises en œuvre, fin des années 1990 et début 2000, dans les enclaves et dans le prolongement des urbanisations plus anciennes. 

[7] Ces catégories ont du mal à maintenir leur niveau de vie, avec des revenus salariaux qui stagnent, face à une forte inflation.

[8] Dans cette réflexion, les modèles socioculturels sont à la base des relations sociales au sein comme en dehors de la famille. Ils régissent les relations parents/enfants, le statut de la femme dans la famille, le rapport de l'individu aux autres membres du corps social et ses modes de sociabilité.

[9] Mernissi, Fatima, Sexe, idéologie et Islam, Paris, Tierce, 1983.

[10] L’immeuble familial permet au couple d’avoir son propre appartement, ce qui lui donne une relative autonomie par rapport à la famille élargie.

[11] Bidonville démoli au cours des années 1980.

[12] Wirth, Louis, The Ghetto, Chicago, University of Chicago Press, 1928.

[13] Ces anecdotes sont relatées par des urbanistes du CNERU, chargés d'élaborer les documents d'urbanisme pour les municipalités.

[14] Le développement de l’habitat informel dans la périphérie algéroise et la pratique d’intégrer une activité économique au sein de l’immeuble familial ont permis l’émergence de nouvelles polarités urbaines dont l’offre de biens et de services s’avère large et répartie sur l’ensemble de l’agglomération. Cette dynamique a accroché ces territoires marginalisés à l’économie de l’agglomération et a concouru à leur valorisation. Le tissu économique informel ainsi créé a offert des emplois qui ont permis aux ménages de sortir de la précarité et d’offrir aux enfants des débouchés.

[15] Navez Bouchanine, Françoise, « Que faire des modèles d’habiter ? », in Architecture et Comportement, Volume 10, n°3, Lausanne, 1994, pp. 295-316.

 

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