La maghrébinité dans l’écriture de l’exil

Insaniyat N° 9 | 1999 | Maghreb : culture, altérité | p.61-65 | Texte intégral


Maghrebinity in writing about exile

Abstract : A search for algerianity in its multiple dimension and on an intercultural level can be read through national literary production, but also and perhaps especially through the written expression of exiled people in France, a place where conflict is more violent because it puts in touch 2 world views, in which everthing is contrary.
In conflictual space, literature about Algerian  emigration becomes a very rich field of investigation, in the sense where it enables an analysis of an intercultural changing behaviour.

Set between two geographical spaces, two civilisations, two cultures and two languages, this writing has perhaps the merit of inducing a going beyond the restricting enclosing barriers and exploring horizons a feat which bring peoples together rather than separate them


Belkacem MEBARKI : Enseignant, Département de Français, ILE, Université d'Oran, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


Notre recherche porte sur les manifestations sociales et culturelles de la société maghrébine en dehors du Maghreb. C’est un travail littéraire qui s’intéresse à l’expression de cette façon d’être dans un ailleurs géographique, social, culturel et linguistique.

L’intérêt grandissant que suscite cette manière de vivre et de dire le Maghreb chez les chercheurs occidentaux d’une part et le peu d’attention qu’y accordent les chercheurs maghrébins d’autre part nous ont poussé  à tenter de développer un contre - regard à cette nouvelle forme d’orientalisme. En effet, la lecture de multiples thèses, d’analyses ou d’actes de colloques nous ont montré que la maghrébinité de l’ailleurs est souvent étudiée à la lumière d’un éclairage culturel occidental à fondement essentiellement ethnocentriste. Ceci posait problème (et le pose peut-être encore) en ce sens où ce regard dominant accentuait notre complexe de dominés en chargeant négativement la maghrébinité de l’exil. Or, à mon avis (cela fut mon hypothèse de départ) le fait de s’expatrier offre la distance requise pour un regard objectif et devient un élément fondamental pour la compréhension de notre manière d’être et de notre vision du monde présente ou future.

La maghrébinité pour moi était, au départ, affaire classée. Cela ne posait aucun problème. « Je suis maghrébin », cela signifiait, simplement, et totalement, que je suis algérien, marocain ou tunisien, nord-africain en tout cas, arabo - musulman comme une certaine idéologie me l’avait inculqué, jusque dans ma façon de parler ou de manger, jusque dans ma manière de marcher ou de respirer, jusqu'à mon entêtement d’occulter mon origine. J’avais subi toute sorte d’occupation de toute sorte de peuple ; je continue à subir le diktat des puissances actuelles. Je m’en suis accommodé tant bien que mal, jusqu'à croire que c’était une fatalité.

Dans cette façon d’être au monde, dans cette forme de maghrébinité, je ne voyais point d’interculturation. Acculturation peut-être, je dirais même certainement ; interculturalité, quelle drôle d’idée, quel délire !

Je parle dans la langue de l’autre, j’écris dans la langue de l’autre, je m’habille comme l’autre, jusqu'à mes rêves et fantasmes, je les structure selon le modèle que m’impose l’autre.

L’autre, l’autre. Il m’envahit et m’exaspère. Il me permet cependant de formuler la première question. La plus simple et la plus importante à la fois. «S’il y a l’autre, s’il y un « il », cela signifie qu’il y a un « ex il » qui est moi, qui est « je », acculturé ou dominé peut-être, mais étant » .

Traversant une phase difficile de son histoire maghrébine, contemporaine du moins, cet étant s’est pris en charge pour se dire en s’assignant d’abord la tâche de s’affirmer en dépervertissant ( dé - père - vertissant ) la parole à caractère colonial, paternaliste, nihiliste même, qui le disait.

Entrer dans une dialectique interculturelle avec l’autre, ce fut d’abord, rechercher des éléments culturels dans le passé de l’ancêtre pour reconstituer son identité éprouvée, niée.

Mohamed Atfiyach, Si M’Hammed Ben Rahal, Tahar Haddad, Mohamed Ould Cheikh, Chukri Khodja, Aly Hammamy et bien d’autres, ont adopté cette écriture de l’identité fondamentale, c’est-à-dire de l’altérité résumée par cette phrase de Malek Haddad dans « Ecoute et je t’appelle, les zéros tournent en rond ».

« Notre folklore, nos modes de pensée et de sentir, et partant d’agir, nous sont propres. Même en  nous exprimant en français, nous transportions le rêve, la colère et la complainte sortie des siècles et des siècles de notre histoire nationale ».

Ce même Malek Haddad de continuer un peu plus : « Avec la fin du régime colonial et de ses conséquences lointaines, de ses séquelles, disparaîtront les non-sens  les paradoxes que nous sommes. L’Algérie aura alors des écrivains authentiques et hautement représentatifs (...) totalement algériens et passionnément  attentifs  à toutes les rumeurs du monde ».

Partant de ces remarques de Malek Haddad, la maghrébinité dans sa forme actuelle serait-elle l’écriture de l’histoire et de la conscience nationale ou la participation à la cacophonie du monde ? Ou les deux à la fois ?

A mon sens, c’est ce paradoxe né de la difficulté de vivre simultanément l’unité et la pluralité dans sa forme actuelle qui provoque la recherche de l’interculturel dans la modernité. Je participe à la rumeur  du monde pour tenter d’ébranler l’autre dans la certitude qu’il a pour ses croyances  et ses modes de penser sont les seules valables  et qu’ils doivent s’appliquer aussi à mon univers. Ceci n’entend, pas entendu, que je désire installer un ethnocentrisme en face de d’un autre, ou à se placer. Je dois accepter de mettre en doute mes certitudes et accepter que les systèmes de référence de l’autre, tout comme les miens, sont le produits d’une culture en perpétuel mouvement. Ce mouvement est celui d’une société certes, mais il est surtout celui du «je» dans on éternelle quête du »moi » originel.

Or, suivre le «je» dans la quête de sa plénitude ne peut se faire dans une maghrébinité close, celle de l’histoire nationale, celle d’un lieu de dire fermé.

Comme tous les grands aventuriers de l’humanité, habités par l’insatiable désir de dépassement  de soi, ce «je» ne peut rester enfermé dans son espace historique à dimension idéologique nationale réductrice.

Pour vérifier mon hypothèse, j’ai décidé de suivre l’expression maghrébine hors de ses frontières géographiques politiquement connues pour voir comment un tel discours peut dépasser son blocage psychologique qui le maintenait dans une espèce d’anosmose pour raison de vérité unique et voir, par la même, comment il peut remplir son rôle dialogique dans la cacophonie du monde. La vérification d’une telle hypothèse ne peut s’effectuer de manière efficace que dans la littérature de l’exil. Je ne dirais pas la littérature de l’émigration car cela ne répondait pas à mes attentes puisqu’une telle expression reste référentielle.

En effet, le «je» en quête du «moi» plein nécessite une errance, qui part du lieu d’ancrage identitaire vers un espace ouvert qui, lui, n’obéit pas à une référence précise, et dans lequel le signifiant prend toutes libertés pour signifier un étant et lui permettre ainsi de mieux se réapproprier l’origine. Cette quête passe nécessairement par la connaissance de l’autre  dans un ailleurs ; c’est-à-dire  dans un espèce d’espace qui relève de la mystique, où le «je» retrouve un «tu» dans une entreprise interculturelle, transculturelle, androgyne serais-je tenté de dire, qui permet de tendre vers l’harmonie, vers l’osmose, vers la pureté originel peut-être.

Ce «je» maghrébin en présence d’un «tu» miroir du moi dans un ailleurs, c’est l’écriture de l’exil qui en rend le mieux compte, car le «je» en dialogue avec le «tu» devient facilement un ex-il. C’est ainsi que j’ai relu un certain nombre de romans de la maghrébinité exprimée hors de son lieu d’énonciation naturel. Malek Haddad, Mouloud Feraoun, Tahar Ben Djelloun, Mohamed Dib, Rachid Boudjedra, pour ne citer que ces quelques expatriés.

Il ressort de cette écriture un fait commun troublant : celui de la violence à l’endroit d’une identité bloquée au niveau de l’altérité pour je ne sais quel besoin de garder au maximum sa différence avec l’autre.

Cette violence est encore plus dramatique dans une autre forme de maghrébinité, celle qui a coupé toutes les passerelles du retour, celle qui dit le tragique d’un exil sans issu, d’une errance sans fin. Celle de Azouz Begag, de Farida Belghoul, Sakina Boukhedenna, Mehdi Charef, Kassa Houari, Ferrudja Kessas, Nacer Khettane, Akli Tadjer, Ahmed Zitouni, Leila Sebbar...Celle de ces écrivains Beurs à qui une certaine critique qui, au nom de la théorie du nivellement culturel et de la nome occidentale refuse le statut d’écrivains, comme elle refuse d’ailleurs à la littérature maghrébine d’être une littérature tout court. « Parlez des petits problèmes spécifiques au Maghreb, ceux de l’humanité vous dépassent » nous suggère-t-on.

On accuse  les Beurs de n’avoir aucun ancrage identitaire. Vrai ou faux, cela importe peu, mais cela dénote en tout cas une certitude, qui m’encourage personnellement à persévérer dans ce sens  de la recherche : c’est que la littérature des Beurs est observée de l’extérieur avec un regard d’étranger, par des critiques européennes, ou même maghrébines prisonnières de leur altérité archaïque, qui n’en voient qu’une manifestation de marge de deux discours bien normés.

Or, si nous considérons, sur le plan du paradigme identitaire, de l’altérité et la similarité comme deux situations à la fois opposées et complémentaires, dans ce sens où l’altérité ouvre sur un discours idéologique mais en même temps psychologiques et où la similarité ouvre sur un discours sociologique mais en même temps ontologique, nous comprendrons que l’Écriture des enfants de l’exil n’est pas celle d’une simple ghettoïsée  et diabolisée.

J’ai longtemps lu cette Écriture comme l’expression d’une périphérie par rapport à deux centres opposés. Il me semble désormais qu’il faille orienter la recherche dans le sens du brouillage du concept d’une identité réduite à son expression de double écart par rapport à deux discours de référence.

Pourquoi ?

Parce que, me semble-t-il, au-delà de la reconfection d’une identité dans un espace d’exil, cette manière d’être au monde offre au «je», maghrébin d’origine, un espace de quête du moi, dans lequel il a la possibilité de se mêler à un «tu» culturellement différent dans un jeu interculturel, qui ouvre sur un espace transculturel (j’étais tenté de dire transcendantal).

A titre d’exemple,, méthodologiquement parlant, le choix des noms de personnages se fait presque toujours selon un champ sémantique qui obéit à un code onomastique qui va dans le sens de cette transculturalité.

Béni (dans le titre de Begag ; Béni ou le paradis perdu) renvoie en même temps à l’orient et à l’occident. Begag nous dit à ce propos, en page 35 :

 Ben Abdallah, alias Béni. Béni, c’est moi, «mon fils» dans la langue du prophète, Béni dans celle du Christ, anagramme de «bien» dans celle du Petit Robert .

Nous voyons bien qu’à travers ce jeu onomastique pratiqué par les Beurs et à travers les stratégies d’écriture qu’ils adoptent, le «je» maghrébin crée un discours au point de jonction avec le «tu» de l’interlocution nouvelle ou au point de disjonction avec le moi de l’altérité première pour se cristalliser dans un croisement culturel qui devient le nouvel espace de l’identité dans son niveau de similarité. Leila Sebbar affirmait sa quête de cette forme d’identité dans une lettre à Nancy Huston, canadienne d’origine qui vit en France ; lettre rapportée par Michel Laronde dans son livre Autour du roman beur.

Elle dit ceci :

Mes livres sont le signe, les signes de mon histoire de croisée, de métisse obsédée par sa route et les chemins de traverse, obsédée par la rencontre surréaliste de l’Autre et du Même, par le croisement entre nature et hybride de la terre et de la ville, de la science et de la chair, de la tradition et de la modernité, de l’orient et de l’occident.

Que d’oppositions binaires ! Elles sont communes à tous les discours des exilés.

C’est pour cette raison que j’ai jugé utile, sur le plan méthodologique d’axer davantage mes recherches autour de ce concept de binarisme très utilisé dans l’approche structurale du texte littéraire.

En effet, pour qu’il ait discours interculturel, il faut qu’il y ait au moins deux pôles qui s’opposent, d’une manière ou d’une autre. Tout le but de la recherche consisterait alors d’étudier comment s’effectue le dépassement de cette opposition.

Je peux bien entendu, à l’intérieur de cette opposition, construire, le moi culturel dans son identité collective sur le plan horizontal du discours en recourant à la négation continuelle. Mais cette opération comporte un risque énorme ; en niant l’autre, je me nie moi-même, ou la limite, j’évoluerai dans le régionalisme ou le racisme, étant certain de détenir la vérité unique.

Je peux aussi, volontairement, par le fait de l’exil que j’assumerai, me placer à la périphérie d’une norme culturelle centrale et créer un décalage sur le plan diachronique du discours. Cette opération me permettra de distiller des éléments de ma culture en direction du centre qui bloque ma quête et dont je veux faire éclater la clôture pour mieux le traverser. Je ne veux pas m’y installer en tout cas, car mon lieu d’ancrage est situé au-delà, dans un espace transcendantal. En procédant de la sorte, j’introduis une nouvelle dialectique du rapport Même/Autre en maniant ces concepts de façon à les faire signifier positivement, c’est-à-dire en cassant de provocation en provocation, de transgression en transgression, de glissement en glissement, l’idée du nivellement culturel imposé par les centres idéologiques et qui a donné l’orientalisme, ou l’occidentalisme, classiques, qui empêchent, chacun selon sa norme, le «je» d’évoluer, en passant par l’autre, vers le moi originel.

 

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