Mohamed MEBTOUL, Algérie. La citoyenneté impossible?


Insaniyat N°88 | 2020 |Hirak, enjeux politiques et dynamiques sociales -Discours et acteurs| p. 147-149 | Texte intégral



L’ouvrage de Mohamed Mebtoul porte sur les débats autour de la citoyenneté en Algérie. L’auteur est professeur de sociologie à l’Université Oran 2 et chercheur associé au GRAS (Unité de Recherche en Sciences Sociales et Santé).

Issu d’un ensemble de travaux empiriques publiés entre 2014 et 2018, la présente publication scientifique se veut un approfondissement et un renouvellement des analyses antérieures sur la citoyenneté en Algérie. En effet, comme il est indiqué en introduction, l’objectif d’une telle contribution est de mettre en exergue, les multiples éclatements, tensions, injustices, et ruptures sociales, politiques et éducatives corrélée à une citoyenneté « en creux », ne permettant pas l’accès à une reconnaissance sociale et politique de la personne (p. 10). Ainsi, l’auteur s’interroge sur le sens à attribuer à la citoyenneté en Algérie, pensée en l’espèce, comme un processus social et politique à la fois.

L’ouvrage est organisé en cinq parties d’égale importance.

La première est consacrée aux aspects politiques de la citoyenneté. Parmi les objets abordés dans cette partie, on trouve le football et ses retombées sur le politique et la société, l’opacité du politique et la citoyenneté politique. Ces sujets sont analysés à l’aune de la crise de légitimité à laquelle est confronté le système politique algérien, en particulier s’agissant des élections. Configuration perpétuant statu quo promu comme étant la seule alternative « crédible » pour assurer le « bien » de tous les Algériens, mais sans eux et dans une logique très patriarcale.

La deuxième partie se veut une déconstruction de la citoyenneté éducative. En effet, cette dernière représente « un processus orienté sur le développement de l’autonomie de l’élève et de l’étudiant dans une logique d’appropriation active des savoirs » (p. 17). Ceci est dû essentiellement à la nature du fonctionnement du système éducatif algérien (considéré comme sans âme et dépourvu d’identité). De ce fait, les institutions censées produire la citoyenneté éducative (l’éducation nationale et l’enseignement supérieur) sont incapables d’y parvenir.

La troisième partie intitulée « La santé sans la citoyenneté », constitue un regard rétrospectif et analytique du système de soins en Algérie. En décryptant la situation sanitaire, le sociologue observe que la citoyenneté est loin de s’enraciner dans les espaces dédiés aux soins. Pour pouvoir évoquer une santé citoyenne, trois termes sont indispensables et indissociables, la dignité sanitaire, la reconnaissance sociale de l’Autre et la citoyenneté. Dans les faits, les différents acteurs sociaux, les patients, leurs familles et les professionnels de la santé sont dans une réalité sociale des plus précaires. De plus, la non reconnaissance sociale et politique des familles et des patients comme acteurs sociaux incontournables (comme citoyens), élargi davantage le fossé séparant le patient (consommateur pur et simple de soins) et le praticien de la santé.

La quatrième partie, quant à elle, traite de la question du travail. En effet, faute de reconnaitre « le travail » comme valeur centrale dans la société, force est de constater la défiance et la méfiance caractérisant les rapports sociaux. S’agissant de « l’informel », le sociologue observe que ce dernier est au cœur de l’espace politique. De ce fait, le système politique algérien est dominé par des logiques d’inversion. Ces dernières, « sont des manières d’opérer qui sont le contraire de ce que l’on attend « logiquement » de la personne » (p. 145). C’est ainsi que la perspective du « faire semblant », la médiocrité et la norme dominante sont valorisées au détriment de la valeur travail.

La cinquième et dernière partie de l’ouvrage s’interroge sur les jeunes à la marge et l’effacement de leur citoyenneté. L’auteur revient sur la notion de « l’argent » et sa prégnance dans la construction et la destruction des rapports familiaux et sociaux (violence symbolique). Son caractère ambivalent, à la fois source d’intégration et d’exclusion sociale, se décline comme analyseur de la société et le moteur de son fonctionnement et de sa reproduction. Sur « les harraga », M. Mebtoul explique, à partir d’une démarche réfutant les mythes (marginaux et l’ignorance des responsables politiques des raisons de ce phénomène) et les images stéréotypées l’accompagnant la complexité d’un tel phénomène qui ne se réduit pas à une vision fataliste produite autour de ces jeunes. Or, convient-il de considérer leur déni de citoyenneté et leur droit de vivre dans la dignité pour pouvoir comprendre ce processus. À défaut de réalisation de soi donc de citoyenneté effective (en termes de travail, logement, loisirs, etc.) les jeunes à travers leurs trajectoires polymorphes faites de stratégies multiples, s’orientent vers « un ailleurs ».  Ce dernier est jugé comme étant une échappatoire au contrôle patriarcal de la famille, de la hogra (mépris) et de leur situation socioprofessionnelle précaire.

Au terme de cet ouvrage, le sociologue souligne que « la citoyenneté est en perpétuelle déconstruction sociale face à la fragilité des interactions entre les différents agents sociaux » (p. 202). C’est ainsi qu’elle est souvent transgressée, introuvable, voire impossible.

Elle (la citoyenneté) se décline à travers la quête souvent vaine des acteurs sociaux à la recherche d’autres formes sociales leur permettant de mener une vie quotidienne moins aléatoire, plus sereine, mais surtout plus humaine.

Karim SARADOUNI

 

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