Sociétés urbaines et gestion des déchets dans les villes sud-méditerranéennes : les effets des réformes modernisatrices sur le secteur informel


Insaniyat N°92 | 2021 |Vivre et (re)penser la ville : nouvelles perspectives| p. -  | Texte intégral


Bénédicte FLORIN: Université de Tours, UMR CITERES, Equipe Monde arabe et Méditerranée, 37 000, Tours, France.


 


De manière générale, les récupérateurs de déchets sont relégués dans des quartiers d’habitat et de travail situés aux marges des villes, eux-mêmes étant assignés à la marge de la société urbaine. L’exclusion, dont ceux et celles qui ont « à faire avec » les déchets sont l’objet, est due à la construction historique et sociale de l’indésirabilité, de la figure du paria et de l’intouchable. Ceci ne les empêche pas, paradoxalement, de constituer une main d’œuvre quasi gratuite et sans droits de l’industrie du recyclage. Affectés par une double peine (cohabiter avec l’ordure, être exclu de la ville et de la société), les récupérateurs sont assimilés aux déchets sociaux, contaminés par le déchet qu’ils manipulent (Lhuillier, 2005).

Cette indésirabilité justifie le fait qu’ils ne soient que trop rarement pris en compte dans les mutations en cours dans les pays du nord où ils travaillent aussi, comme dans ceux du sud où les réformes sont notamment impulsées par les bailleurs internationaux. Depuis une trentaine d’années, ces réformes politiques, législatives et administratives des systèmes de gestion des déchets recomposent les relations, rôles et positions des différents acteurs et génère l’apparition de nouveaux protagonistes dans un secteur qui apparaît, somme toute, de plus en plus lucratif. En effet, l’augmentation de la demande en matériaux recyclés ou matières premières secondaires, l’amélioration des techniques de recyclage, où l’on observe une inventivité et une spécialisation professionnelle indéniables, et enfin, l’intensification de l'activité de certaines filières (plastiques, cartons, métaux, etc.) génèrent d’importants flux financiers, suscitant convoitises et concurrences.

Dans une première partie, cet article s’attachera à montrer comment, dans la plupart des grandes villes de la rive sud de la Méditerranée, l’intervention des multinationales, via les partenariats publics privés (coûteux, importés et parfois contestés), ainsi que les incitations fortes à des réformes nationales de modernisation des systèmes de gestion des déchets se réalisent sans les récupérateurs dits « informels »[1] (Charmes, 1987, p. 856) qui restent les grands « impensés » de l’économie circulaire.

Pourtant, les récupérateurs de déchets, en particulier dans des situations de crise de l’économie formelle, sont de plus en plus nombreux. On observe également le développement d’une nouvelle catégorie d'entrepreneurs qui rend compte d'une professionnalisation accrue dans le domaine du recyclage et de la commercialisation des matériaux. Aussi, la seconde partie de cet article montre combien le terme stigmatisant de « récupérateur » masque l’hétérogénéité des positions de ces « travailleurs des déchets » : en témoigne l’émergence d’« entrepreneurs-leaders » qui prennent la parole et tentent de défendre les droits de leur communauté.

Cet article se fonde sur de nombreux entretiens, menés depuis 2007 dans trois quartiers de chiffonniers du Caire, puis à partir de 2011, dans le quartier des récupérateurs de Lahraouine à Casablanca ainsi qu’avec les responsables de la décharge de Médiouna et les employés de la coopérative de Rabat. Cette recherche géo-ethnographique est menée dans une perspective comparatiste puisque s’y est ajouté un travail sur les récupérateurs d’Istanbul, les ferrailleurs de la banlieue parisienne et plus récemment ceux de Beyrouth. La même trame d’enquête permet de reconstituer les histoires de vie des individus et des communautés, les pratiques et circulations professionnelles, les effets et réactions du secteur informel aux politiques publiques[2].

Le secteur informel des récupérateurs : le grand « impensé » des réformes en cours

Heurs et malheurs des expériences de délégations de la collecte des déchets urbains

Depuis plus de deux décennies, les gouvernements et collectivités territoriales locales des pays de la rive sud de la Méditerranée ont conclu des partenariats publics-privés (PPP) qui ont réformé en profondeur les modes de fonctionnement antérieurs. Au Maroc, par exemple, la collecte des déchets ménagers est aujourd’hui assurée par le secteur privé en gestion déléguée dans la quasi-totalité des grandes et moyennes communes urbaines. De même, la création des décharges contrôlées, souvent intercommunales, a imposé une gestion nouvelle et de nouveaux défis technico-économiques de mise aux normes, mais aussi environnementaux, politiques et sociaux. À ces changements s’ajoute « la prise de conscience environnementale » de la part des responsables politiques, locaux et nationaux, et d’une partie de la société civile[3], sans négliger encore le rôle politique, idéologique et financier que jouent dans ces évolutions les acteurs internationaux, qu’il s’agisse des grands bailleurs de fonds, des partenaires bilatéraux européens privilégiés des pays de la rive sud ou de l’Union européenne.

Ces réformes des systèmes de gestion s'effectuent dans le contexte général d'une production croissante de déchets et d'un étalement urbain important, faisant de la collecte et du traitement des ordures un enjeu incontournable des politiques urbaines, d'autant plus lorsque les failles des systèmes de ramassage deviennent objet de mécontentement. Aussi, de nombreux articles de la presse marocaine ont-ils amplement rapporté les manquements de la gestion déléguée et l’exaspération des habitants de nombreuses villes, depuis Mohammedia jusqu’à Tétouan, en passant par Rabat et Kenitra. En Égypte, appelées par les habitants « privatisations », les délégations du service de collecte à des multinationales européennes à Alexandrie (en 2000), puis au Caire (fin 2002), dans le cadre de la politique d’ajustement structurel impulsé par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1990, se sont également traduites par une crise rapide : l’opposition de nombreux acteurs (politiques, habitants, zabbâlîn[4] (Safar Zitoun, 2015), récupérateurs et recycleurs du Caire appelés en français « chiffonniers »), la prolifération  de tas d’ordures au Caire en raison des difficultés de collecte et les obstacles administratifs de toutes sortes ont conduit à la rupture des contrats de la plupart des sociétés délégataires (Debout, Florin, 2011). Dans cet exemple, il apparaît clairement que le « parachutage » de modes de faire et de techniques standardisées et sophistiquées, importées et imposées « par le haut », se heurtent à des dispositifs locaux et à des configurations urbaines particulières. Par exemple, la spécificité de la collecte des déchets dans des quartiers dits informels ou dans des tissus urbains de type vieille ville n’avait pas été anticipée par les sociétés délégataires du service. À Alger, la réhabilitation de la décharge d’Oued Smar, annoncée en 2006, puis reportée d’année en année, a finalement été menée par une entreprise turque selon les plans d’études du cabinet libanais Libanconsult. Fin 2012, la fermeture d’Oued Smar, suivie par l’ouverture du site d’enfouissement contrôlé et surveillé d’Ouled Fayet, a provoqué l’exclusion des quelque 2000 récupérateurs de la décharge, liés par une même origine géographique et des liens familiaux forts, qui ont cependant échoué à défendre leur gagne-pain : « les récupérateurs ne semblent pas être, pour le moment, « solubles » dans les solutions institutionnelles préconisées par les autorités » (Safar Zitoun, 2015, p. 104).

Au sein de la région, et ce, dès les années 1990, la Tunisie a été précurseur de la mise en place « (…) de stratégies globales de gestion intégrée des déchets solides municipaux, depuis la collecte jusqu’à l’élimination finale (…) [soutenues] par la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissements (BEI), la coopération allemande (GIZ) et la coopération luxembourgeoise » (Ben Ammar, 2006, p. 128). En effet, en Tunisie, depuis trois décennies, les transformations institutionnelles et politiques, menées dans le cadre de grands programmes nationaux, se sont incarnées dans la réorganisation du système de gestion faisant intervenir une multitude d’acteurs publics, privés, associatifs, avec des expériences localisées parfois innovantes dans certaines filières du recyclage. Mais, de façon plus générale, les défaillances se sont additionnées en Tunisie, expliquées par « l’inadaptation des technologies et l’absence d’analyses spécifiques aux conditions locales, l’insuffisance des analyses nécessaires pour connaître de manière détaillée la nature des déchets (…). Les projets ont été implantés selon des modèles européens, sans aucun développement technologique visant la connaissance et la maîtrise des bases de fonctionnement des divers systèmes de traitement, ni aucune connaissance précise des caractéristiques physiques et chimiques des déchets tunisiens » (Ben Ammar, 2006, p. 128-129).

Au-delà de ces situations précises, de nombreuses villes restent concernées par la multiplication des décharges sauvages et autres « points noirs », par la difficulté à gérer les sites d’enfouissement lorsqu’y travaillent les récupérateurs du secteur informel et, de façon générale, par les inégalités du ramassage en faveur des centres-villes, quartiers aisés et touristiques bien collectés et en défaveur des quartiers populaires, plus ou moins bien collectés. Tout ceci interroge la dimension environnementale — pollutions atmosphérique et phréatique, paysages dégradés, etc. — et la dimension politique puisque ce sont les trois principes fondateurs du « service public » qui sont remis en question : l’égalité de traitement pour tous, la continuité du service et sa « mutabilité » – autrement dit, son adaptabilité aux mutations de la société[5]. Ce qui amène encore à se questionner sur la dimension sociale, puisque, en matière de gestion des déchets, le traitement inégalitaire des citoyens, en fonction, le plus souvent, de la position sociale et du type d’habitat et de quartier, renvoie à un fort sentiment d’injustice spatiale doublé d’un sentiment d’injustice sociale. On en prendra pour preuve ici, parmi d’autres témoignages, les propos d’une habitante d’une cité de type HLM à Casablanca : « On dit que c’est sale chez nous, mais comment voulez-vous que l’on garde notre quartier propre alors que le nombre de bennes est insuffisant, qu’elles ne sont pas vidées assez souvent, qu’elles débordent, qu’elles attirent des chiens et des rats… Personne n’aime vivre dans les ordures et nous non plus ! »[6].

Quant à la valorisation des déchets, elle est partout insuffisante ou inexistante : les sites d'enfouissement et décharges à ciel ouvert prévalent sur le recyclage et il n'existe pas d'industrie intégrée du recyclage à proprement parler, même si quelques expériences sont menées comme sur le site de la décharge d’Oum Azza, en grande périphérie de Rabat, où un centre de tri destiné aux récupérateurs « informels » a été expérimenté. En Algérie, moins de 10% des 13 millions de tonnes produites annuellement sont recyclées. Au Caire, les entreprises européennes délégataires qui devaient, selon les contrats signés, traiter au minimum 20% de leur collecte n’ont jamais procédé au moindre recyclage et, au contraire, ont contribué à l’apparition d’immenses décharges dans le désert. Les premières étapes de la valorisation des déchets restent donc, pour l'essentiel, le fait du secteur informel, en lien avec une myriade d’intermédiaires, pas toujours formels : ce sont les récupérateurs qui ramassent et trient pour revendre à des semi-grossistes ou grossistes, eux-mêmes affiliés au secteur industriel national ou international.

Figure 1 : Broyeuse de plastique à Lahraouine, Casablanca

 (© P. Garret, 2015)

C'est ainsi qu’en bout de chaîne, les plastiques récupérés dans les poubelles et bennes par les bouâra et mikhala[7] (Allix, Florin, 2017, p. 25) sont acheminés chez les grossistes casablancais, qui les trient et parfois les transforment en billes ou copeaux, pour les exporter en Chine[8]en Espagne ou en Italie.

Figure 2 : Un grossiste en centre-ville de Casablanca

(© P. Garret, 2017)

Le cas tunisien est proche car le plastique ramassé par les collecteurs de rue part à l’étranger pour le recyclage, via les grossistes de Sfax, Sousse et Tunis ; de même, les chutes de métaux non ferreux (cuivre, aluminium) collectionnés à Sfax sont directement acheminés vers les usines de transformation situées en Europe, en Turquie et en Chine[9]À Alger, la communauté très organisée des récupérateurs de la décharge d’Oued Smar était d'une grande efficacité économique : ses ramifications s'étendaient à l'échelle régionale et approvisionnaient une industrie de transformation des déchets plastiques dans laquelle opéraient aussi des entreprises chinoises installées localement. Quant à l'exemple cairote, il constitue une véritable proto‑industrie informelle, très intégrée au secteur formel, dont la structure repose sur la corporation des zabbâlîn qui trie et recycle environ 80% des matériaux récupérés au porte à porte dans les quartiers de composition sociale moyenne et aisée, puis qui vend le produit du recyclage aux industries égyptiennes ou à l’étranger — notons à ce propos que des « bureaux » d’intermédiaires chinois se sont implantés dans le quartier de Manchiat Nasser, où vivent la plupart des chiffonniers du Caire.

Figure 3 : Une rue du quartier de Manchiat Nasser, au Caire

(© P. Garret, 2017)

Enfin, si le déchet apparaît comme une ressource très convoitée et faisant l’objet d’une concurrence croissante entre les acteurs, de nombreuses entreprises étrangères, à la suite de déboires répétés, ont abandonné la collecte, comme nous l’expliquait officieusement un responsable de Véolia : « Pour Tanger, on va laisser les Libanais [l’entreprise Averda] collecter, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas la même culture, eux, ils savent faire et ils cassent les prix. Pour nous, à ce prix à la tonne, ce n’est pas rentable. Et puis, ici, c’est trop compliqué, il y a des embrouilles et, nous, on doit d’abord satisfaire nos actionnaires. Alors, les accidents de travail, ça fait désordre et nos actionnaires n’aiment pas du tout. On va se concentrer sur d’autres secteurs plus rentables »[10]. Ainsi, après une période d’engouement et d’investissements de la part des multinationales des déchets pour les pays des suds (entre les décennies 1990 et 2010), nombre d’entre elles se sont désengagées de ce secteur, parfois à la suite de procès en justice contre les États[11].

Le paradigme de la modernisation à l’encontre du secteur informel

Dans les exemples évoqués ci-dessus, les politiques de réformes des systèmes de gestion des déchets convergent et s'effectuent le plus souvent « contre » la filière informelle : celle-ci est au mieux ignorée, ou fait occasionnellement l’objet de médiatiques tentatives d'intégration (sans pour autant être formalisée), mais reste le plus fréquemment destinée à disparaître. Le paradoxe réside ici dans le fait que les discours environnementalistes ne résistent pas, dans le domaine des déchets, aux motifs économiques, financiers et sans doute encore davantage à la motivation de modernisation de leur gestion : en effet, ce paradigme modernisateur, construit en référence aux systèmes de gestion des déchets européens et à leurs techniques, ne peut a priori envisager ni même « penser » une intégration des récupérateurs qualifiés d’« informels », perçus comme d’emblématiques représentants de la pauvreté, de la saleté et de l’archaïsme, d’autant plus qu’ils sont visibles par les citadins et les touristes dans les espaces publics urbains[12] (Florin, Garret, 2019) ; tout ceci, sans oublier la concurrence que ces biffins modernes peu contrôlables, mobiles et efficaces porteraient aux entreprises du secteur formel.

Les représentations négatives à l’égard des récupérateurs de rue ou des décharges superposent ainsi une série de stigmates qu’ils véhiculent en tant qu'individus ou communautés et qui participent d’un « impensé » de la vertueuse économie circulaire émanant des politiques publiques et des acteurs privés dominants. Sans doute faut-il préciser que le concept d’économie circulaire a été conçu par ces mêmes grandes multinationales, tout occupées à la gestion des déchets, dont le manifeste prône des « (…) business models circulaires (…) où l’omission de la dimension sociale est totale, un modèle qui a infusé dans les plans d’action des pouvoirs publics » (Defalvard & Deniard, 2016, p. 74).

Fortement intégrés par les récupérateurs eux-mêmes, les stigmates portés à leur encontre expliquent aussi leurs stratégies de discrétion, voire de défiance et d'exclusion volontaire. Ce n'est qu’à partir du moment où la question des déchets devient un problème public, médiatisé et faisant l'objet de controverses que les récupérateurs et leurs activités peuvent, dans certains cas et de façon variable, être mis sur le devant de la scène.

En a témoigné la contestation de grande ampleur émanant des chiffonniers du Caire, mais aussi – et de façon inattendue – des Cairotes eux-mêmes, opposés à la « modernisation du service » et revendiquant de pouvoir garder « leurs » zabbâlîn (Debout, Florin, 2011). Mais ici, encore une fois, la réforme imposée par le haut, sans concertation ni prise en compte du travail de ramassage et de recyclage mené depuis les années 1930 par les zabbâlîn, a fait basculer ces derniers de l’informalité à l’illégalité, provoquant la crise de grande ampleur évoquée plus haut.

Figure 4 : Atelier de recyclage du plastique à Manchiet Nasser, Le Caire

(© P. Garret, 2017)

De fait, les réformes dans le secteur des déchets tendent, un peu partout, à interdire aux récupérateurs l'accès aux déchets : soit par la fermeture des décharges, soit parce que les délégations de service de collecte à des entreprises privées, nationales ou internationales, rendent illicite la récupération des déchets dans les bennes et conteneurs, soit parce que la modernisation des dispositifs de collecte (par exemple, les bennes à très petites ouverture, ou enterrées) complique la collecte. À Casablanca, un grossiste informel nous expliquait : « On fait sortir les déchets avec un crochet et il y a aussi des enfants qui entrent dans ces bennes… Oui, c’est dangereux, mais ne pas avoir à manger, c’est dangereux aussi… »[13].

Figure 5 : Vue d’ensemble du quartier de Lahraouine, à Casablanca[14]

 (© P. Garret, 2016)

À Alger, le report de la fermeture de la décharge d’Oued Smar s’inscrivait dans une optique de pourrissement de la mobilisation de la communauté des récupérateurs, obligée de puiser dans ses propres ressources pour se reconvertir à d’autres activités.  Il en est de même à Sfax où la décharge héberge encore des récupérateurs même si sa fermeture semble imminente et, en Tunisie, plus généralement, « le secteur informel semble donc jouer un rôle fondamental de maillon de départ dans la chaîne de valorisation : or, il n’est pas reconnu – et plutôt non désiré – par les autorités publiques » (Moretto, Azaitraoui, 2015, p. 395). Au Caire, de vastes décharges « officielles » se sont constituées : or, ces dernières ne répondent que très imparfaitement aux normes techniques basiques et y travaillent de nouveaux récupérateurs solitaires aux conditions de vie épouvantables et d’autant plus vulnérables qu’ils n’appartiennent pas à la communauté des zabbâlîn. Ailleurs, on peut observer un statu quo à l'instar de ce qui se passe à Casablanca où les autorités, pour éviter un conflit social, mais aussi sous la pression de quelques potentats locaux qui en tirent grand profit, laissent les 600 récupérateurs de la décharge de Médiouna trier nuit et jour les 4 000 tonnes de déchets qui y sont déversées. Ce contexte inextricable empêche la fermeture programmée depuis longtemps de Médiouna et provoque un conflit entre la société américano-marocaine de gestion et les autorités municipales.

Figure 6 : La décharge de Médiouna vue de l’extérieur [15]

(© B. Florin, 2012)

Il ne s'agit pas ici d'idéaliser les récupérateurs – et le contexte de leur travail pose de cruciales questions de santé et éthiques –, mais de les considérer comme un acteur de premier ordre puisqu’une grande partie du recyclage des déchets ne s'effectue que parce qu'ils collectent, trient et parfois recyclent eux-mêmes. À cet égard, il est intéressant de noter que de nouveaux « entrepreneurs des déchets » apparaissent : souvent anciens récupérateurs de rue, ils ont pu, à force d’épargne, acheter du matériel de broyage, employer des collecteurs et constituer des petites entreprises occupées aux premières étapes du recyclage. Nous y revenons dans la seconde partie de cet article consacrée aux expériences d’intégration des récupérateurs mises en œuvre par les politiques publiques, aux mobilisations de ces nouveaux entrepreneurs-leaders qui tentent de se mobiliser pour défendre leurs droits au travail.

Sortir les récupérateurs de la marge urbaine et de la marge sociale ?

Les politiques publiques entre gestion du déchet et gestion de la pauvreté. Les exemples de la décharge de Médiouna (Casablanca) et de la coopérative de Rabat

Au Maroc, en janvier 2007, est acté un Plan national des déchets ménagers (PNDM) qui initie un programme de traitement des déchets solides et constitue un signal clair donné aux collectivités locales. La réforme engage ces dernières à mettre en œuvre des projets intégrés pour réduire les déchets et augmenter le recyclage afin d'atteindre un taux de valorisation des déchets de 20 % en 2020 (Dhuy, Azaitraoui, Moretto, 2013, p. 14). Ce Plan parachève la loi n°28-00 de 2006, qui, parmi d'autres choses, imposait au niveau des provinces, l'établissement de Plans directeurs de gestion des déchets ménagers, applicables à partir de 2011 et ce, pour une période de 10 ans[16]. Au-delà des subtilités techniques, ces réformes fondent une nouvelle façon de penser la gestion des déchets en incitant à la concertation entre les acteurs, puisque doivent travailler ensemble les représentants des conseils de communes, ceux du conseil préfectoral ou provincial, ceux de l'administration, des organismes professionnels concernés par les déchets, des associations de quartiers, des associations de protection de l'environnement. De même, les coopérations intercommunales sont encouragées ainsi que la participation de la « société civile » car les plans doivent être soumis à enquête publique. Mais, ni la loi n° 28-00, ni le PNDM pourtant régulièrement actualisé, n'évoquent le rôle du secteur informel, et encore moins celui des récupérateurs, alors même que sont prévus « des centres d’enfouissement et de valorisation au profit de tous les centres urbains (100%) en 2020 ».

Pourtant, en 2011, un rapport officiel intitulé Analyse des impacts sociaux et sur la pauvreté de la réforme du secteur des déchets solides ménagers au Maroc est commandité par le secrétariat d’État chargé de l'Eau et de l'Environnement, la Banque mondiale, le PNUD et la coopération belge[17]: ce document étudie les rôles des récupérateurs et les évalue à environ 10 000, tout en notant la diminution de leur nombre en raison de la multiplication des sites contrôlés auxquels ils n’ont plus accès. Il propose encore leur intégration via des coopératives, à l'instar de celles d’Attawafouk, à Rabat, et d’Attadamoun, à Meknès, présentées comme des modèles novateurs et exemplaires[18]. En réalité, l'intégration du secteur informel s'y est effectuée a posteriori, parce que les contraintes posées par la présence des récupérateurs en ville et encore davantage dans les décharges les ont rendus incontournables et les ont imposés de facto comme des acteurs à prendre en compte. De plus, dans les exemples de Rabat, Meknès ou Casablanca, les autorités ont très explicitement délégué la question aux sociétés privées chargées de leur gestion, ce qui, à Casablanca, reste toujours complexe et conflictuel.

Figure 7 : À l’intérieur de la décharge de Médiouna[19]

(© B. Florin, 2012)

À Rabat, en 2010, à la suite de la fermeture de la décharge d’Akreuch, une partie des récupérateurs est regroupée dans une coopérative de tri pour travailler sur le nouveau site d’enfouissement technique d’Oum Azza, géré par la société française Pizzorno Environnement — à Meknès, il s’agit d’une filiale de Suez Environnement. Plus d’une centaine d’anciens récupérateurs, dont des femmes, trient désormais les déchets recyclables qui défilent sur un tapis mécanique, six heures par jour en continu. En l’absence de financements publics, leurs revenus demeurent entièrement dépendants de leur rendement et du marché́. Ces revenus n’excèdent pas 14 dirhams (1,40 €) de l’heure, soit la moitié́ de ce que beaucoup d’entre eux pouvaient gagner en une heure de travail dans la décharge d’Akreuch. Il ne leur est plus, non plus, possible de revendre des objets de petite valeur trouvés parmi les déchets car le règlement de la coopérative leur interdit désormais de les garder et, de toutes façons, les matériaux arrivent souillés et compressés par leur passage dans la benne-tasseuse. De plus, ils sont considérés comme des travailleurs indépendants et doivent payer eux-mêmes les cotisations pour la sécurité sociale, soit 25 % de leur salaire contre 7 % pour un salarié classique. Ainsi, près des deux tiers des trieurs ne se sont pas déclarés à la caisse nationale de sécurité sociale, n’y voyant aucun avantage. Ceux qui se déclarent sont des chefs de famille qui ont au moins trois enfants et perçoivent un montant d’allocations presque équivalent au montant de leurs cotisations. Les conditions de travail sont à peine meilleures que celles de la collecte en ville ou même dans l’ancienne décharge : sans tri à la source, les trieurs doivent extraire les matériaux recyclables d’un mélange de déchets ménagers, industriels et hospitaliers, alors qu’à Akreuch, ils pouvaient notamment reconnaître et délaisser les bennes-tasseuses venant des hôpitaux. S’ils portent aujourd’hui des gants, ceux-ci ne les protègent pas, par exemple, des seringues usagées. Abdallah, employé de la coopérative, explique encore que le manque à gagner est dû à la soustraction d’une grande quantité de matériaux par les récupérateurs, de plus en plus nombreux en ville[20]. C’est également la coopérative, et non Pizzorno, qui doit prendre en charge l’entretien et la réparation des machines (tractopelle, élévateur, trieur mécanique « trommel », tapis de tri), ce qui grève fortement le budget de la coopérative.

Alors que l’État, la Banque mondiale, la société gestionnaire du site et les médias marocains font la promotion d’une expérience réussie et d’une « inclusion sociale » qu’ils érigent en success story à répliquer dans d’autres grandes villes du pays, « l’intégration » des récupérateurs d’Akreuch n’a pas modifié́ substantiellement leurs conditions de travail, ni réellement amélioré leurs conditions de vie, car ils ont été relogés dans une cité d’habitat économique, isolée et loin de la capitale. Quant à la dimension environnementale, précisons que la coopérative ne parvient à extraire que 5 000 des 850 000 tonnes déversées annuellement dans la décharge. En revanche, l’inclusion économique au profit de l’entreprise gestionnaire, elle, a bien lieu puisque les matériaux triés sont préemptés sur place et au plus bas prix fixé par Pizzorno, puis vendus et transportés directement aux entreprises de recyclage, sans passer par les intermédiaires semi-grossistes (Allix & Florin, 2016, Florin, 2018).

Figure 8 : Tri des plastiques dans la coopérative d’Oum Azza, Rabat

(© B. Florin, 2015)

L’émergence des entrepreneurs et la défense des droits des « travailleurs des déchets »

Si l’on peut entrer dans le travail de récupération des déchets à la suite d’une faillite, d’un accident de parcours ou par opportunité pour compléter des fins de mois difficiles, au Caire ou à Casablanca, les généalogies familiales et professionnelles montrent que les chiffonniers l’ont été, le plus souvent, de père en fils – et les trieuses, de mère en fille au Caire. Or, progressivement, les parcours professionnels ont divergé pour ceux qui ont pu accumuler un capital, acquérir des savoir-faire, embaucher des ouvriers, acheter des véhicules et qui, peu à peu, sont devenus des « businessmen des déchets »[21] et, parfois, porte-parole de leur communauté́. Ne collectant plus eux-mêmes, ces entrepreneurs se sont éloignés de la manipulation directe du rebut, ressource essentielle au bon fonctionnement de leurs activités de vente ou de recyclage.

Au Caire, la spécialisation professionnelle, l’ingéniosité et l’adaptabilité́ des techniques de recyclage, les compétences en termes de négociation, de commercialisation, d’adaptation à la demande du secteur formel et l’insertion dans des réseaux industriels rendent compte de la professionnalisation de ceux qui, enfants, récupéraient la nourriture pour les cochons et qui, aujourd’hui, sont devenus des patrons influents d’un système que personne n’a vraiment organisé́. L’ascension professionnelle n’est pas généralisée, mais elle est devenue possible et se manifeste par les efforts consentis pour la scolarisation des enfants, l’amélioration de l’habitat et la construction de nouveaux immeubles, qui s’est encore intensifiée depuis la « révolution » de 2011. Ici aussi, la hiérarchie professionnelle est liée à la hiérarchie des matériaux : les métaux, du fait de leur valeur, occupent la meilleure place mais, autre exemple, le recyclage, a priori moins rentable des cartons nécessite pourtant de grandes surfaces de stockage et témoigne donc de l’importance des capitaux investis. Parmi les 1000 ateliers de recyclage de Manchiat Nasser, on trouve des machines importées et coûteuses de transformation du plastique, parfois aussi copiées localement. De même, les réseaux de commercialisation des matériaux se sont complexifiés : les grossistes en ville achètent des objets en plastique recyclé de consommation courante (seaux, cintres, etc.) ; les cartons compactés ou canettes sont vendus aux usines du secteur formel ; les boulettes de plastique ou palettes de bouteilles compressées sont destinées aux entreprises des villes nouvelles ou sont exportées à l’étranger ; les accords se multiplient entre chiffonniers des villes de province et patrons d’ateliers de Manchiat Nasser pour valoriser, dans la capitale, les déchets. Ainsi, les matériaux circulent de plus en plus et sur de plus longues distances à l’échelle du territoire national et international.

Figure 9 : Atelier de recyclage moderne au Caire

 (© P. Garret, 2017)

La professionnalisation et l’intégration au secteur formel du recyclage de ces entrepreneurs leur permet d’affirmer leur position au sein des groupes et communautés. Dans les grandes villes, tous savent quotidiennement ce qui est plus rentable de collecter, se tenant très au courant de la fluctuation des cours mondiaux grâce à leurs téléphones portables. Dans les centres-villes ou proches périphéries, lorsqu’ils n’y sont pas chassés par les grands projets de rénovation urbaine, les camions et dépôts des intermédiaires grossistes se multiplient, témoignant, encore une fois, de l’émergence de cette nouvelle catégorie entrepreneurs des déchets.

On l’a vu, les récupérateurs sont rarement conviés aux discussions afférentes aux réformes, cependant, les entrepreneurs-leaders élaborent un discours de légitimation sur leur rôle dans la société et sur la dimension écologique et économique de leur travail. Leurs arguments reposent sur le nombre de familles qui vivent des déchets et la paix sociale que procure le travail, plutôt que de s’adonner « à la mendicité ou à la criminalité ». Dans tous les exemples, l’argument de la contribution environnementale se répète : sans eux, les déchets seraient abandonnés dans la nature ou se retrouveraient dans les océans. La dimension militante peut s’ajouter à la nécessité économique comme en témoigne un jeune homme à Alger : « Une fois la nuit tombée, je sors à bord de mon fourgon pour sillonner les quartiers des villes à la recherche des poubelles. Je le fais la nuit pour ne pas gêner la circulation automobile. Des fois, nous ne rentrons que vers 1h [du matin]. Quand on fouille, il y a souvent ces regards braqués sur nous. Des yeux qui nous guettent. Chacun se fait sa propre idée, peut-être du mépris ou de la pitié. Sincèrement, ça ne m’intéresse pas, tant que j’œuvre pour le bien de tous (…). D’un côté, nous préservons la nature et notre cadre de vie immédiat. De l’autre côté, nous donnons une autre vie à ces déchets qui serviront dans la fabrication de divers objets »[22]. Au Caire, les zabbâlîn mettent en avant expertise, compétences professionnelles et taux de recyclage exceptionnel, reconnus dans le monde entier, sauf chez eux. Ces dimensions sociales, environnementales et économiques fondent leurs mobilisations pour une reconnaissance sociale et politique davantage qu’une formalisation de leurs activités.

Figure 10 : L’entrepreneur Mustapha, quartier de Lahraouine, Casablanca[23]

(© P. Garret, 2015)

Conclusion 

Depuis plusieurs décennies, les récupérateurs urbains suscitent, au niveau des institutions internationales de développement et dans les pays dits des Suds, des débats publics oscillant entre le choix d’une gestion caritative déterminée par des représentations univoques de leur pauvreté, une politique d’intégration, parfois non dénuée d’instrumentalisation, le laisser-faire et la répression. À ces mesures qui s’imposent à eux, certains opposent des arguments et tentent de s’organiser pour légitimer leurs activités ainsi que leur rôle dans la société et pour l’environnement. Certes, des expériences d’intégration, présentées comme exemplaires par les politiques, médias et organismes de coopération bilatérale et internationale, voient le jour, et témoignent que la mise en décharge n’est plus considérée comme la seule alternative. Mais, de fait, dans la plupart des cas, les politiques de gestion des déchets optent pour l’enfouissement contrôlé plutôt que la valorisation. Elles interrogent aussi sur la façon de considérer le secteur informel, concurrent déloyal du secteur privé même s’il l’alimente à bas prix : faute de pouvoir faire disparaître ce symptôme de la pauvreté urbaine, la solution serait de le contrôler, par exemple, via les coopératives, mais s’agit-il ici de gérer le déchet ou de gérer la pauvreté urbaine ?

Enfin, sur un autre plan, les questions autour des déchets urbains, des places et rôles des « travailleurs des déchets » composent une problématique scientifique d’une actualité encore accrue par le contexte de croissance urbaine, d’évolution des modes de consommation et de crise écologique. La dimension heuristique du déchet n’est plus à démontrer : il constitue un « fait social total, mais aussi technique, scientifique, anthropologique, corporel et moral, métaphysique et finalement matériel » (Beaune, 1998, p. 10). De plus en plus nombreux, les travaux de chercheurs, thèses et mémoires d’étudiants de différentes disciplines témoignent de l’intérêt grandissant pour ces questions et proposent de nouvelles clés de lecture des villes et des sociétés urbaines. Nous ne pouvons ici que souhaiter le renforcement et la circulation de ce nouveau champ de la recherche urbaine qui pourrait également inspirer les politiques publiques.

 

 

Bibiographie

Allix, E., Florin, B. (2016). Indésirables dans la ville, utiles dans l'ordure. Les récupérateurs de déchets au Maroc, n° 96, Géographie et culture, « Les indésirables ».

Beaune, J.-C. (1998). « Préface », dans Harpet C., Du déchet : philosophie des immondices. Corps, ville, industrie. Paris : L’Harmattan.

Ben Ammar, S. (2006). Les enjeux de la caractérisation des déchets ménagers pour le choix des traitements adaptés dans les pays en développement : résultats de la caractérisation dans le grand Tunis. Mise au point d’une méthode adaptée. [Thèse de doctorat en géosciences.L’institut National Polytechnique de Lorraine].

Charmes, J. (1987). Débat actuel sur le secteur informel. Revue Tiers-Monde, (112), p. 855-875.

Cirelli, C., & Florin, B. (dir.), (2015).  Sociétés urbaines et déchets. Une comparaison internationale. Tours : Presses Universitaires François Rabelais, coll. Villes et Sociétés.

Corteel, D., Le Lay, S. (dir.), (2011). Les travailleurs des déchets. Toulouse : Érès.

Debout, L., Florin, B. (2011). Les contradictions du nouveau système de déchets au Caire. Conflits, négociations et stratégies d'acteurs. Egypte-Monde arabe, 8. Développement durable au Caire : une provocation ? Le Caire : CEDEJ.

Defalvard, H., Deniard, J. (2016). Les organisations de l’économie sociale et solidaire dans l’économie des déchets et du réemploi en Île-de-France : une approche institutionnaliste. Mouvements, (87), p. 69-81, https://bit.ly/3wkB21w

Dhuy, E., Azaiatraoui, M., Moretto, L. (2013). Systèmes de gouvernance locale des déchets et articulation avec les contextes national et régional à Beni Mellal (Maroc). Dans Regards croisés sur le système de gestion des déchets urbains au Maghreb : le cas de Bani Mellal au Maroc, Sétif en Algérie et Sfax en Tunisie. Gedum / Ciudad, Reus : Ajuntament de Reus.

Florin, B. (2018). Gérer la pauvreté ou gérer le déchet ? La formalisation du secteur informel au risque de l’exclusion (Rabat, Casablanca).S. Jaglin, L. Debout, I. Salenson (dir.), Dans Du rebut à la ressource. Valorisation des déchets dans les villes du Sud, Paris : AFD, p. 91-114.

Florin, B., Garret, P. (2019). Du ferraillou au ferrailleur. Faire la ferraille’ en banlieue parisienne : glaner, bricoler et transgresser. EchoGéo, (47).

Lhuilier, D. (2005). Le sale boulot. Travailler, (14), p. 73-98.

Moretto, L., Azaitraoui, M. (2015). La valorisation des déchets urbains à Sfax (Tunisie) : entre réformes publiques et récupération informelle. Sociétés urbaines et déchets. Une comparaison internationale. C. Cirelli et B. Florin (dir.), Tours : Presses Universitaires François Rabelais, (coll. Villes et Sociétés), p. 367-396.

Safar Zitoun, M. (2015). La reconversion économique des récupérateurs de la décharge d’Oued Smar (Alger) ou le dilemme communautaire. Sociétés urbaines et déchets. Une comparaison internationale. C. Cirelli et B. Florin (dir.). Tours : Presses Universitaires François Rabelais, (coll. Villes et Sociétés), p. 101-120.

 

[1] Le terme « informel » apparaît en 1972 dans un rapport du Bureau international du travail (BIT). Appartiennent au secteur formel, les travailleurs qui cotisent, ont une sécurité sociale et une forme d'assurance, un revenu avec une feuille de salaire, par opposition à ceux qui appartiennent au secteur informel. Les récupérateurs de déchets que nous avons rencontrés sont clairement dans l'informel si l'on s'en tient à cette définition, en dépit de l'hétérogénéité de leurs positions socio-professionnelles. Ainsi, « (…) le secteur informel constitue un terme générique et pratique recouvrant toutes ces stratégies de survie, ces modes de subsistance de couches pauvres, déshéritées, déracinées, en un mot marginales ».

[2] Je précise, sans les détailler ici, que ces recherches ou leur valorisation ont fait l’objet de différents financements publics (ADEME, ANR, AFD, etc.).

[3] À l’instar de la contestation des résidents du très chic quartier fermé Casa Green Town, voisin de la décharge de Médiouna à Casablanca, qui font pression sur les autorités pour la fermeture de celle-ci. Ce NIMBY - Not in my Back Yard –repose sur un double argument convoquant la proximité des déchets et les « activités illégales des pollueurs de la décharge », à savoir les récupérateurs qui y travaillent.

[4] Le mot pluriel zabbâlîn, déclinaison de zibbala, déchet, ordure, poubelle, qualifie les « chiffonniers » du Caire, terme réducteur de leur polyactivité. On trouve également l’usage de ce mot à Alger.

[5] Ces trois principes, issus de « la loi de Rolland », sont ceux que l’on retrouve peu ou prou admis dans les pays concernés. En ce qui concerne les « mutations de la société », il s’agit de l’évolution démographique et économique et des attentes sociales évolutives des populations en fonction de chaque contexte spécifique.

[6] Entretien avec une habitante de la cité Attacharouk (13/01/2015).

[7] Bouâra dérive du français « éboueur » et ne semble être utilisé qu’à Casablanca ; mikhala qualifie les « fouilleurs » dans les bennes ; habbacha désigne les récupérateurs des décharges.

[8] Ceci avant la fermeture du marché chinois aux importations de plastique du reste du monde, début 2018, créant une crise mondiale du déchet recyclable. Le report des exportations s’est, dans un premier temps, fait vers l’Asie du sud-est (Vietnam, Thaïlande, etc.), puis vers des pays moins régulés (Turquie notamment). Voir à ce sujet les très nombreux articles et documentaires sur le net.

[9] On voit bien ici l'intérêt qu'il y aurait à impulser des recherches, par exemple, sur les circulations du plastique depuis les pays du Maghreb vers l'Europe ou l’Asie ou vers la Turquie pour le métal, etc.

[10] Discussion, anonymisée ici, avec un conseiller de l’AFD (Agence française de développement, organisme public français) détaché auprès de la multinationale Suez, deuxième groupe mondial de la gestion de l’eau et des déchets (Marseille, 18/07/2017).

[11] Voir ainsi le retentissant procès intenté par Véolia contre l’État égyptien : https://bit.ly/36f0Jpx

[12] Précisons que notre travail sur les ferrailleurs de la banlieue parisienne conduit à la même analyse des effets de ces stigmates, très accentués lorsqu’il s’agit de récupérateurs roms ou migrants.

[13] Entretien avec Mustapha, 60 ans, patron-recycleur à Lahraouine depuis 1983 (11/01/2015).

[14] Légende. Les activités de tri, recyclage, empaquetage et revente se réalisent dans des gelssas (ou golssas), mot dérivé du verbe « s'asseoir » (pour trier), même si l'observation montre que les bouâra s'assoient rarement. Ici, environ 2000 personnes travaillent et résident dans des bidonvilles ou douars (villages) contigus et, plus rarement, dans des habitations de fortune dans les gelssas mêmes.

[15] Légende. Les récupérateurs de la décharge, où 750 bennes-tasseuses déposent quotidiennement 4000 tonnes de déchets du Grand Casablanca, travaillent et habitent les douars voisins. Sur la décharge, cohabitent des éleveurs de bétail (environ 1000 vaches, chèvres et moutons), des collecteurs de déchets verts destinés à être revendus aux paysans, des vendeurs de thé et de nourriture ainsi que des mouettes et des rats. La décharge est un monde clos, violent, mafieux où le travail est pénible, dangereux
et stigmatisant.

[16] Voir le site internet officiel du PNDM. https://bit.ly/3yt3C2g

[17] Le rapport est consultable à cette adresse : https://bit.ly/3jNi7Kg

[18] Une trentaine de petites coopératives et associations ont été créées, mais celles de Rabat et Meknès restent la référence en la matière.

[19] Légende. On voit ici les différents acteurs : au premier plan, les affaires d'une femme récupératrice (à droite) qui vit de façon quasi permanente sur le site ; des charrettes avec cheval, les camions-bennes de collecte, les camions des grossistes, le tracto-pelle de la décharge, des moutons (à droite, formant des sortes de boules noires), des vaches, etc. Non visibles sur cette photo, les intermédiaires se tiennent sous des parasols avec leurs peseuses.

[20] Entretien du 13/01/2015 à Oum Azza.

[21] Expression en « franglais » employée telle quelle par Romani, recycleur, patron et l’un des leaders de la communauté des zabbâlîn au Caire.

[22] Al Watan, 26/12/207, repris par Courrier International. https://bit.ly/2SOq4DF

[23] Légende : Mustapha (à droite) entrepreneur-leader des récupérateurs de Lahraouine (Casablanca). Lors d’un colloque organisé à Rabat où nous l’avions invité, Mustapha réclame publiquement : « donnez-nous seulement l’eau et l’électricité et vous verrez de quoi nous sommes capables ! ». Bien que très applaudi, sa demande de création d’une association des récupérateurs est toujours refusée par les autorités.

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