Sidi Bel Abbés : une approche sociolinguistique urbaine d’une ville algérienne


Insaniyat N°92 | 2021 |Vivre et (re)penser la ville : nouvelles perspectives| p.  -  | Texte intégral


 


Hadjer MERBOUH: Université Aïn Témouchent, Belhadj Bouchaib, 46 000, Ain Témouchent, Algérie.


Pour approcher la conception de la ville algérienne actuellement, nous proposons une approche inspirée de la sociolinguistique urbaine francophone[1] portée notamment par des chercheurs comme Thierry Bulot[2] pour qui la ville se définit et se saisit principalement par ses discours (écrits, oraux, spécialisés ou non, etc.) : « une ville ne serait pas à proprement parler une ville, mais un discours sur la ville, un discours sur la façon dont on se la représente dans son unité, tout en ne connaissant avec précision qu’une faible[3] partie » (Bulot, 2009, p. 67).

À partir d’une enquête exploratoire et ethnographique[4], cet article propose une confrontation des mises en mots, portant sur Sidi Bel Abbés, afin de tenter de comprendre le processus de fabrication des identités dans cette ville algérienne.

La ville-discours en sociolinguistique urbaine

S’écrivant au singulier, la ville est, par définition, plurielle, elle est « laboratoire [social (Park, 1929)], en mouvement, lieu de l’hétérogène [qui] ne peut être saisi que dans sa complexité » (Moïse, 2002, p. 75), que dans la pluridisciplinarité, ou mieux la transdisciplinarité dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « les sciences de la ville »[5]

Pour la sociolinguistique urbaine, et tout en empruntant aux principes de la géographie sociale et de la sociologie urbaine, la ville est une « matrice discursive » (Bulot, 2003). Ces discours-ville « bien qu’ils ne soient pas la réalité, mais parce qu’ils constituent le seul accès au réel, finissent par devenir le réel » (Bulot, 2008, p. 3).

Principalement sociale, comme le discours, la ville relève du subjectif, des pratiques et des évaluations socio-identitaires que la sociolinguistique urbaine propose d’approcher en analysant « la corrélation entre pratiques et représentations socio-langagières, d’une part, et structures socio-spatiales, d’autres part » (Bulot & Veschambre, 2006, p. 8).

Cette approche discursive de la ville appliquée au contexte algérien intéresse bon nombre de (jeunes) chercheurs[6]. Néanmoins, les sciences de la ville algérienne demeurent, selon Belguidoum (2012, p. 90), en « retard » et en « insuffisance » (Boumaza, 2007). Pour Lakjaa, le problème est que la réflexion algérienne « se fige sur ses paradigmes des années 1970 » (cité dans Remaoun, 2005, p.115). Même si, vers les années 1990 (Madani, 2009), un regain d’intérêt a marqué la recherche sur l’urbain, chose due à la prise en compte de la ville comme phénomène « transversal, objet qui n’est l’apanage d’aucune discipline spécifique mais dont chacun a une responsabilité particulière » (Belguidoum, 2012, p. 91).

C’est dans cette dimension transversale que nous inscrivons la présente réflexion, tout en se référant à la sociolinguistique urbaine. Avant d’exposer cette recherche, passons en revue les particularités de la ville algérienne post-coloniale.

La ville algérienne post-coloniale

L’un des faits marquant de la colonisation française est le retournement[7] de l’espace, en créant « sur le territoire algérien une économie nouvelle et un espace nouveau […]; la marque coloniale sur l’espace a souvent été spectaculaire et le bâti, l’espace local, le territoire national ont été littéralement retournés comme on retournerait un gant » (Côte, 1988, p. 105).

En d’autres termes, cette « bataille de figures » (Jacques Berque cité dans Côte, 1988, p. 130) a consisté à remodeler l’espace traditionnel berbéro-arabo-musulman (courbe et espace fermé) en un espace étrange(r), à tradition européenne (espace ouvert, large, géométrique) adapté et réservé à une population européenne aisée. Cet espace prestigieux constituant le centre-ville commercial et administratif n’a pas été construit pour les Algériens-indigènes dont la grande majorité vit dans des espaces précaires ; ainsi la ville coloniale était-elle duale et discriminatoire : « il en est résulté deux espaces différents à l’intérieur desquels les êtres ont évolué séparément » (Zerdouni cité dans Côte, 1988, p. 110).

Ces espaces européens vidés à l’indépendance ont été occupés par une population algérienne (urbaine et rurale), ce qui a engendré « une nouvelle ville maghrébine peuplée de nouveaux citadins » (Troin, 1985, p. 257). Les habitants de ces nouvelles villes forment aujourd’hui une société néo-urbaine[8].

Pour gérer l’extension urbaine de la postindépendance, la politique algérienne « volontariste » (Côte, 1988, p. 258) a participé à l’émergence d’un espace fragmentaire « sans continuité, sans harmonie » (Chouadra, 2009, p. 4).

Pour synthétiser, les nouvelles villes algériennes sont le résultat d’un processus historique (colonisation et production d’un nouveau modèle urbain, urbanisation post-indépendance) qui a généré de nouveaux malaises identitaires. Ces villes « s’offrent à nous comme une mosaïque de morceaux urbains hétéroclites où leur lecture devient de plus en plus difficile et complexe […] après […] la ville coloniale dualiste, c’est la ville "éclatée" » (Chouadra, 2009, p. 3-5).

Sidi Bel Abbés, une ville dichotomique

C’est en 1845 que des redoutes militaires ont été installées, par les troupes françaises, en face du mausolée « Sidi Bel Abbés ». Ces postes constituaient les premiers jalons de la future ville dénommée « Sidi Bel Abbés » (de l’hagionyme précédent) fondée, ensuite, officiellement par ordonnance royale (en 1847).  En 1859, Sidi Bel Abbés[9] devient chef-lieu de province, « Maison-Mère de la Légion Etrangère » ou « Petit Paris » telle que l’a dénommée Napoléon III (en 1865). Elle est ville nouvelle, ville coloniale et européenne par excellence, écrit Jacques Gandini  (1998, p.5) : « En 1958, […] Sidi Bel Abbés était devenue la troisième grande ville d’Oranie, la plus européenne ».

Cette ville européenne est reconnaissable par son tracé urbain géométrique (le damier), par une architecture haussmannienne et par un système de fortification. Ces glacis ont été construits afin de séparer les habitants européens (principalement Français et Espagnols), des habitants de la partie précaire de la ville (autochtones musulmans, mais aussi indigènes Israélites, Marocains, Espagnols modestes[10]).

De la sorte, Sidi Bel Abbés a été, dès sa naissance, dichotomique (Ainad Tabet, 1999, p. 117) : la partie ou la ville « européenne » (résidentielle) constituant le centre de la ville ; et la partie ou ville « arabe », « musulmane » ou « indigène », baptisée par l’administration coloniale « Village Nègre » puis « Faubourg Bugeaud », et dénommée par les autochtones : « Grâba[11] » (dénomination toujours en usage). Le système des remparts et les toponymes coloniaux ne sont qu’un témoin de la ségrégation-discrimination vécue par les autochtones de cette ville. Qu’en-est-il aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après l’indépendance?

Les différents lieux de cette ville (de la partie européenne notamment) ont reçu une dénomination en langue française, de l’administration coloniale, que nous appelons ici « anciens toponymes » (AT). Ces derniers ont été effacés et remplacés, à l’indépendance (à partir de 1963), par de « nouveaux toponymes » (NT) ; ces noms sont en langue arabe, et s’inscrivent dans les politiques d’arabisation et de récupération spatiale : « dans une logique de récupération, de reconquête, de restitution de l’histoire, de l’identité, de la langue » (Atoui, 2005, p. 39).

Sur le plan administratif, il n’existe, aujourd’hui, à Sidi Bel Abbés-ville, qu’une seule nomenclature toponymique (les NT). Qu’en est-il sur le plan des pratiques socio-toponymiques? Dans cette recherche, nous allons approcher ces pratiques dénominatives et sociolinguistiques (choix des langues), pour les confronter ensuite aux représentations sociales vis-à-vis de Sidi Bel Abbés-ville, et cela en analysant les mises en mots urbaines produits par ses habitants. Le tout participera à concevoir la ville en question, du point de vue de la sociolinguistique urbaine tel qu’énoncé précédemment. 

Méthodologie et corpus de recherche

Pour atteindre cet objectif, nous avons été à la collecte de discours urbains, à l’aide d’un dispositif méthodologique, composés de quatre entretiens semi-directifs réalisés avec quatre jeunes Bélabésiens[12].

Les mises en mots collectées portent sur la ville de Sidi Bel Abbés et favorisent, d’une part, à révéler les représentations de ces habitants (interviewés) vis-à-vis de leur ville ; d’autre part, à collecter-observer les comportements dénominatifs des lieux urbains que se font ces Bélabésiens.

Les enquêtés[13] Saliha, Adel, Bilal et Hichem (pseudonymes), âgés entre 21 et 35 ans, sont d’origine Bélabésienne et habitent différents quartiers[14] de la ville. Ils ont été enregistrés, individuellement, chacun d’eux était appelé (grâce à un guide d’entretien semi-élaboré) à parler de sa ville (ses habitants, lieux, langues, mobilités, différentes pratiques socio-spatiales, etc.).

Après codage, translittération et traduction française (à partir de la derija) des quatre discours collectés, nous avons isolé 127[15] toponymes utilisés par ces interviewés, au fur et au mesure de leurs mises en mots. Ces usages toponymiques seront observés comme pratiques sociolinguistiques urbaines et choix linguistiques.

Discours sur la ville de Sidi Bel Abbés

L’analyse des discours des quatre Bélabésiens, sur leur ville, révèle des représentations contradictoires et les distributions socio-spatiales faites à l’aide de marqueurs de tous types. Nous synthétisons[16], dans les paragraphes suivants, les principaux résultats[17] de cette analyse, tout en nous référant aux segments des discours des interviewés (cf. Annexe). 

Mémoire urbaine et marquage colonial 

Dès le début de leurs mises en mots, les jeunes interviewés Bélabésiens remettent au jour des marqueurs symboliques et matériels qu’ils réinvestissent au profit de l’image de leur ville, tels que la permanence de l’usage du pseudo-toponyme « Petit Paris » rapprochant Sidi Bel Abbés de la capitale Paris (belle architecture) (Segment n° 1).

Cependant, les souvenirs de séparation socio-spatiaux entre « ville européenne » et « ville indigène » se maintiennent dans les discours de ces mêmes jeunes (Segment n° 2). Ce marquage mémoriel symbolique qui semble persister aujourd’hui (après l’indépendance et le départ de la population européenne de la ville, depuis plus de cinquante ans) met en avant les sentiments d’« étrangéité »[18]. L’emploi des antonymes (« Arabes » « autochtones » versus « étrangers » et « Français » : Segment n° 2) exemplifie ce sentiment de séparation qui atteint la discrimination spatiale (où « les Français que les Français … la majorité » habitent « des villas » ce qui exclurait les Bélabésiens de cet espace cossu : Segment n° 2, tour de parole Adel134.). Autrement dit, ces souvenirs pèseraient encore sur le sentiment d’appropriation de ces espaces urbains post-coloniaux, pour une génération qui n’a pas connu la période coloniale (transmission générationnelle ?).

Le marquage colonial influe contradictoirement sur la ville de Sidi Bel Abbés aujourd’hui, tantôt, en lui procurant beauté et épaisseur mémorielle et identitaire ; tantôt en renouvelant des sentiments discriminatoires, ce qui affecterait l’appropriation-identité socio-spatiales, notamment vis-à-vis des lieux post-coloniaux de la ville. Ces représentations oppositionnelles touchent la ville entière et la subdivisent en catégorie socio-spatiales.

Catégories et oppositions urbaines

Les discours des interviewés révèlent aussi une fragmentation urbaine de Sidi Bel Abbés en lieux anciens, nouveaux, résidentiels et défavorisés.

Lieux anciens versus lieux nouveaux

Un marqueur temporel (voir la récurrence énonciative des adverbes temporels dans le Segment n° 3 : « ancien », « vieil », « nouveau », et les tours de parole Adel88. et Adel152.) divise la ville de Sidi Bel Abbés en deux grandes catégories : « ancienne » (elle inclut l’ex-dualité « ville européenne » et « ville indigène ») et « nouvelle » (lieux construits après l’indépendance).

Il semble, ainsi, que la conception dichotomique de la ville persiste, mais, avec un certain glissement dans la mesure où l’ex-dualité entre « ville arabe » et « ville européenne » s’estompe cette fois, puisqu’elle forme une seule catégorie des « anciens lieux » (cf. notamment le tour de parole Adel36., Segment n° 3). Nous pouvons parler, de ce fait, d’un changement-évolution des représentations socio-spatiales de cette partie de la ville.

Cette catégorie des « anciens lieux » constitue les lieux « préférés » (Segment n° 3, tours de parole Adel13 et Adel90.) des habitants. Des lieux où se concentrent les « vrais » et les « natifs » Bélabésiens ; ce qui exclut, par maxime de négation, les « faux Bélabésiens » (Segment n° 3, tours de parole Adel136 et Adel138). Ce fragment urbain serait donc positivement représenté puisqu’il constitue, selon les interviewés, la centralité de la ville et conserve son épaisseur historique et identitaire.

Quant à la catégorie des nouveaux lieux, elle se trouve dévalorisée par des marqueurs symboliques et matériels négatifs (Segment n° 4) : la dégradation urbaine, l’insécurité, lieux sans histoire et sans mémoire, l’étrangéité des habitants (non Bélabésiens, non urbains). Ces représentations négatives vis-à-vis des nouveaux lieux se répercutent alors sur l’image de la ville, puisqu’elles affectent son statut même de ville.

En somme, Sidi Bel Abbés a conservé une image dichotomique, et ce sont des marqueurs chronologiques et des contradictions représentationnelles qui divisent la ville en deux catégories : « l’ancienne », belle et à valeur identitaire ; « la nouvelle », sans épaisseur historico-identitaire et sans marquage distinctif. Cette catégorisation est encore segmentée.

Lieux défavorisés versus lieux résidentiels

Une autre différenciation urbaine se trouve imbriquée dans la précédente catégorie : « lieux défavorisés » versus « lieux résidentiels ». La catégorie des lieux défavorisés est contradictoirement représentée par les jeunes interviewés (Segment n° 5) : la dégradation matérielle et symbolique (dégradation urbaine, insécurité, saleté, ignorance des habitants, mauvaise réputation des lieux et des habitants) s’oppose au sentiment identitaire que procurent ses lieux (nostalgie, modestie).

Ces lieux sont opposés à la catégorie des lieux résidentiels (cf. Segment n° 6) qui se trouvent surestimés par quelques avantages urbains (architecture riche, lieux propres et sécurisés et leurs habitants sont instruits, aisés et urbanisés). Toutefois, ces lieux inspirent l’étrangéité, puisque ses habitants ne sont pas Bélabésiens. En plus, ces lieux sont tellement différents des autres que les Bélabésiens risquent de s’y égarer (dans leur propre ville), on dirait que « ce n’est pas l’Algérie-la ville » ajoute un des enquêtés (tour de parole Adel100 et Adel34, Segment n° 6). 

Des ségrégations socio-spatiales opposent la catégorie des lieux résidentiels de celle des lieux défavorisés. La dévalorisation de ces lieux est néanmoins contrebalancée par la force des sentiments identitaires qu’ils procurent. De même, des contradictions caractérisent les représentations vis-à-vis des quartiers privilégiés qui seraient entachés, par l’absence d’un sentiment d’appartenance identitaire au lieu.

Norme sociolinguistico-urbaine

La derija[19] constitue le marqueur sociolinguistique de Sidi Bel Abbés, puisqu’elle individualise la ville (son urbanité) et ses habitants. Elle est l’expression identitaire de la ville : langue du quotidien urbain, langue des différentes catégories locatives (cf. Segment n° 7, et les pronoms « nous-notre »).

Telle que décrite par les enquêtés, la derija est une langue plurielle (contacts avec l’arabe et le français notamment ; sur le plan graphique aussi : Segment n° 8), ce qui lui procure un caractère souple, emprunteur, créatif et juvénile. Cependant, des problématiques statutaires laissent transparaître les représentations négatives que se font les locuteurs de leur langue (Segment n° 8, les tours de parole : Adel214., Adel218. et Adel220).

D’autres langues participent au marquage spatio-linguistique de la ville de Sidi Bel Abbés : l’arabe, le français et timidement l’espagnol, qu’on rencontre surtout au contact de la derija.

Après cette synthèse sur les représentations socio-urbaines des Bélabésiens (enquêtés), passons à l’exploration des pratiques toponymiques comme comportements à la fois socio-spatiaux et sociolinguistiques. 

Discours dénominatifs ou pratiques toponymiques

Le tableau « Pratiques toponymiques des Bélabésiens » (Annexe, tableau 1.) synthétise, en pourcentage arrondi, les fréquences des usages toponymiques (au total 127 noms collectés) faits par les mêmes quatre interviewés Bélabésiens[20].

Nous remarquons que ces habitants recourent à différents[21] types toponymiques pour désigner les lieux de leur ville (collectés dans leurs précédentes mises en mots urbaines), et donc à différentes langues.

Ces types de toponymes[22] sont au nombre de six, dont trois formes principales, que nous appelons :

  • « anciens toponymes » (AT), des noms (européens) en français attribués par l’administration coloniale (officiels donc, ou ex-officiels) lors de la construction de la ville (supra) ;
  • « nouveaux toponymes » (NT), des noms officiels en arabe (standard) attribués au lendemain de l’indépendance (à ce jour) aux lieux urbains ;
  • « toponymes populaires » (TP), des toponymes officieux (composés par les habitants) dont la langue est principalement la derija et les contacts derija-français, derija-arabe et derija-espagnol. Nous distinguons trois sous-types de TP : les TPI (toponymes populaires innovants) sont des formes inventées par la société (le « I » de « innovation » toponymique) ; les TPAT (TP formés à partir d’anciens toponymes, AT) et TPNT[23] (TP formés à partir de nouveaux toponymes, NT) sont des formes « mi-officielles » par leurs substrats institutionnels, anciens et nouveaux toponymes (AT et NT).

L’usage quantitatif (tableau 1) de ces formes dénominatives donne les résultats suivants : la moitié (51%) des usages renvoient aux toponymes du type officiel dont 30% sont des anciens toponymes coloniaux (AT) en français, ce qui constitue le type onomastique le plus utilisé ; et 21% des nouveaux toponymes (NT) en arabe. Les formes officieuses/populaires (TP en derija et contacts linguistiques) sont utilisées à 49%. Parmi les toponymes populaires (TP), le recours au sous-type toponyme populaire innovant (TPI) est le plus élevé (23%), suivi de celui des toponymes populaires anciens (TPAT) et des toponymes populaires nouveaux (TPNT) (respectivement 19% et 07%).

Mais comment peut-on interpréter l’usage simultané de ces formes dénominatives-linguistiques, à la fois, officielles et officieuses ? Que nous disent-elles sur la ville de Sidi Bel Abbés ?

Territorialité et identité : lectures interprétatives

Parce que le territoire urbain est un discours qui se définit, en sociolinguistique urbaine, comme l’ensemble des « représentations, des attitudes et des comportements » (Bulot, 1998) ; ces espaces énonciatifs « donne[nt] sens et valeur à l’ensemble des pratiques [sociales] » (Bulot, 2009, p. 66). Ainsi, une confrontation des représentations et des pratiques socio-spatiales donne à lire le territoire urbain.

Passons donc à l’interprétation des données précédentes (représentations urbaines et usages sociolinguistiques-toponymiques.

Les anciens toponymes (AT) sont parmi les toponymes les plus utilisés par les enquêtés Bélabésiens. Ces anciennes formes officielles (qui ont été remplacées depuis l’indépendance par des nouveaux toponymes, NT) résistent encore dans l’usage aujourd’hui[24] (à l’exemple de Place Carnot, Rue Jean Jacques, Rue Mogador), ce qui peut être interprété doublement. D’abord, comme un autre marqueur de l’étrangéité de la catégorie des lieux anciens de la ville (espaces coloniaux, souvenir de ségrégation urbaine, et autres représentations négatives vis-à-vis de cette catégorie urbaine). Par ailleurs, et paradoxalement, l’usage des anciens toponymes (AT) contribue à rafraîchir, au quotidien, la mémoire collective, de sentiments positifs associés à l’ancienne ville (voir à ce propos les représentations positives qui s’y associent : beauté, épaisseur mémorielle et identitaire), ce qui participe à soutenir l’épaisseur mémorielle et donc identitaire de ces lieux urbains. Ces comportements s’inscrivent dans des pratiques de rejet-valorisation/appropriation socio-spatiale.

L’usage des nouveaux noms officiels NT (tels que Madina l’Munawara, Ban Ħamûda, Maqam[25]) semble participer à marquer l’appropriation des lieux de la ville (anciens ou nouveaux), comme nous l’avons déjà signalé précédemment (cf. Lieux anciens versus lieux nouveaux). Toutefois, ces deux formes officielles de toponymes (anciens et nouveaux, AT et NT) sont, quelque part, refusées par les habitants interviewés, puisqu’il existe un autre mode de dénomination des lieux à Sidi Bel Abbés : la toponymie officieuse-populaire.

Les toponymes populaires anciens (TPAT), comme « Filâĝ Thiers » [26], dont le substrat est « village Thiers » (ancien toponyme, AT) et les toponymes populaires nouveaux (TPNT), comme « La Magṭa » [27] qui vient du nouveau toponyme (NT) arabe « ʼalmaqṭaʿ»[28]) s’affichent comme toponymes hybrides. Hybridité linguistique des noms, entre langues statuées (nationale et étrangère : l’arabe et le français) et langue non statuée mais norme sociolinguistico-urbaine et identitaire de Sidi Bel Abbés, la derija.

Nous suggérons, ainsi, que le recours à ce nouveau marquage dénominatif qui ne dissimule pas ces « substrats » toponymiques-linguistiques (anciens et nouveaux toponymes, AT et NT), soit une forme de refus-rejet de certaines particularités locatives (lieux souffrant de dégradations urbaines, de sentiments de désappropriation, étrangéité des habitants non urbains) ; et soit une preuve à l’appui du changement et de l’évolution urbaine.

Pour soutenir ce processus de compensation de certains malaises socio-spatiaux, les habitants refaçonnent des toponymes officiels pour en construire d’autres nouveaux puisqu’à nouvel espace urbain, nouveau marquage (ici marquage toponymique) et vice versa.

Par ailleurs, on peut émettre l’hypothèse que les toponymes populaires anciens (TPAT), les toponymes populaires nouveaux (TPNT) et surtout les TPI, toponymes populaires-innovation (comme Ʈrig Àllafʢa, Filâʒ l Karʈun)[29], par leur référence à la norme socio-spatiale derija, rajouteraient plus d’épaisseur identitaire aux lieux qui en manquent (cf. les sentiments de discrimination et d’altérité des lieux résidentiels) ; chose qui participerait à la réappropriation de ces lieux de ville.

Ainsi, les différentes formes de toponymes populaires correspondraient à des formes de refus des anciennes formes socio-spatiales et politiques (décontextualisées et décontextualisantes), puisque « la néotoponymie révèle les déséquilibres, les tensions, les conflits » (Lajarge et Moïse, 2008, p. 79) ; mais aussi donc des changements, des évolutions et des constructions identitaires. Ces dénominations sociales seraient la voie/voix d’un renouvellement urbain et d’une réappropriation des espaces publics qui témoignent de l’évolution-changement représentationnels et socio-spatiaux, de la ville de Sidi Bel Abbés[30] : « l’émergence d’un néologisme [toponymique, dans notre cas] est là pour traduire une nouvelle manière d’identifier les éléments de l’environnement, ce qui correspond à une mutation de l’univers représentationnel » (Mannoni, 2010, p. 59). Ces nouvelles frontières urbaines se dessinent en transgressant les frontières-normes linguistiques (par contact de langues dans les toponymes populaires anciens, TPAT, et les toponymes populaires nouveaux, TPNT), et/ou par innovation sociolinguistique.

Conclusion

Nous dirons, aujourd’hui plus d’un siècle et demi après sa naissance, après des retournements, (dualisme et fragmentation) que la ville de Sidi Bel Abbés est plurielle et conflictuelle par l’imbrication de quatre catégories urbaines. Ces dernières s’opposent en elles-mêmes et entre-elles, et sont individualisées à l’aide de marqueurs de toutes formes (marqueurs anciens, nouveaux, renouvelés, matériels ou symboliques). Les marqueurs toponymiques-sociolinguistiques qu’utilisent les habitants sont aussi pluriels que les lieux urbains dénommés, par leur plurilinguisme, contacts de langues, et leur référence à la derija, norme sociolinguistico-urbaine de la ville (avec ces particularités : sentiments identitaires, contacts et créativités linguistiques, maux statutaires).

La territorialité de la ville de Sidi Bel Abbés, déduite des discours socio-spatiaux (confrontation des représentations oppositionnelles et des comportements sociolinguistiques-urbains), se définit par un jeu de stratégies identitaires relevant de ce mouvement oppositionnel entre, d’une part, des stratégies de rejet et désappropriation des déséquilibres urbains (voire les sentiments de ségrégation socio-spatiale et les malaises identitaires) ; stratégies de compensation-(ré)appropriation (évolution représentationnelle) ; et de revendication-affirmation d’un nouvel espace de ville, d’autre part.

Ainsi, la mise en mots de Sidi Bel Abbés (représentations et pratiques urbaines) faite par nos enquêtés[31] mène à lire ses facettes identitaires ; en effet, « parler d’espace, c’est parler de soi-même » (Guerin, 1989, p. 18). Il s’agit d’une jeune ville plurielle et conflictuelle qui tente de dépasser ses conflits internes hérités du passé et des différentes phases de son développement depuis l’indépendance) par un jeu de stratégies identitaires oscillant entre logique de rejet/renouvellement urbains. Ces stratégies tissent les nouvelles frontières urbaines d’une identité sociale dont on peut émettre l’hypothèse qu’elle est en construction.

À l’objectif de définir sociolinguistiquement la ville, la réponse (et toutes réponses-recherches) ne peut-être complète ni définitive (supra) ; mais elle permet[32] de rendre compte de certains processus de construction identitaire (plurielle) ayant lieu, aujourd’hui, dans la ville de Sidi Bel Abbés. Un processus qu’il faudra suivre, d’abord en multipliant les recherches inter-/trans-disciplinaires, qui devraient « écouter » la ville dans son contexte réel, puisque « la ville algérienne n’est ni la ville coloniale telle qu’héritée, ni la ville occidentale telle que projetée, mais une véritable création urbaine originale qui mérite d’être étudiée en tant que telle » (Lakjaa, 2008, p. 452).

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Annexes

Tableau 1 : Pratiques toponymiques des Bélabésiens

Toponymes officiels

 

Toponymes populaires (TP)

(derija, derija et contacts linguistiques avec le français et ou l’arabe)

AT

(français)

NT

(arabe standard)

TPI

 toponymes populaires innovants

TPAT

Toponymes populaires anciens

TPNT

Toponymes populaires nouveaux

30%

21%

23%

19%

07%

51%

49%

Source : Merbouh, 2016.

Corpus

Le corpus de cette recherche est composé des discours réalisés avec les quatre interviewés Bélabésiens. De ce corpus, nous avons sélectionné, pour cet article, quelques segments à analyser.

Les segments de corpus présentés ci-dessous maintiennent leur système de transcription d’origine (Merbouh, 2016) : chaque tour de parole (nous avons écarté ceux de l’enquêtrice-nous) est désigné par le pseudonyme de l’enquêté suivi du numéro correspondant à la prise de parole dans l’entretien en question.

Les segments sont traduits littéralement de la derija au français, nous retenons cependant la translittération (de Arabica) des toponymes (derija et arabe).

Segment n°1

Bilal18. Pourquoi belle ? Bon comme je te dis parce qu’on l’appelait P’tit Paris parce qu’il y a l’oued qui la subdivise comme Paris.

Adel102. … Balʿabâs on l’appelle P’tit Paris Balʿabâs ressemble à Paris par une rivière qui divise toute la ville comme à Paris …

Bilal24. l’architecture tu as vu nous avons des constructions de Français/ tu comprends.

Adel13. Les anciennes constructions sont meilleures / … l’ancien bâti garde toujours un certain charme un charme ...

Adel160. … avant on construisait de façon similaire avec harmonie … les bâtis de la France sont meilleurs l’ancien bâtis est beau / construit par la France un bâti beau ancien et tout … 

Adel162. Pour tout: le monde les vieilles constructions sont belles parce que solides …

Segment n°2

Hichem60. alors la majorité des Arabes étaient présents à Grâba.

Hichem58. (bruit) lGrâba par exemple lGrâba: avant était habitée par les les: les autochtones de Balʿabâs parce que les Français étaient centrés dans le Centre Ville La Magṭa et tout et les autochtones centrés à lGrâba.

Bilal50. bon ils (les Français) étaient à La Magṭa au Centre Ville …

Adel134. Les Français que les Français ils habitaient Filâĝ Thiers dans les villas de Filâĝ Thiers / les quelques villas de Mont Plaisir … c’est là où résidaient la majorité des étrangers …

Adel136. Pour que ceux d’ici les étrangers vivent ensemble et que les Arabes vivent ensembles.

Segment n°3

Bilal26. bon il y a La Magṭa il y a Grâba il y a Sidi Yasîn// les anciens quartiers.

Hichem48. nouveaux nouveaux les anciens sont connus … 

Saliha22. les anciens lieux Filâĝ ʼRîḥ lKampu Siti Mimûn …

Saliha60. … un vieil ancien quartier à Sid Ĝilali …

Saliha24. les nouveaux lieux comme nous disons: Sid Ĝilali euh: …

Adel88. Non toute la ville elle est scindée en deux.

Adel52. … en fait actuellement Sidi Balʿabâs s’est divisée en deux villes …

Adel13. Les anciennes constructions sont meilleures / … l’ancien bâti garde toujours un certain charme un charme ...

Adel90. Ils (les Bélabésiens) préfèrent ce qui est ancien.

Adel36. Place Carnot (de la ville européenne) Grâba (principal quartier de la ville indigène) à Grâba il y a surtout les vrais Bélabésiens lGrâba est surpeuplé les matins / … ceux là ce sont les anciens lieux …

Adel38. (silence) Place Carnot (ancien lieu) on n’y trouve que les natifs de la ville (enfants de la ville) ceux qui supportent l’USMBA (équipe bélabésienne de football) / …

Segment n° 4

Adel15. Rien aucune histoire sur ces récents bâtis.

Saliha132. écoutes je te dis une chose la ville (nouvelle) ressemble à un village rien de particulier.

Bilal124. il y a beaucoup de personnes qui sont venues des environs (de la ville) et tout/ ce ne sont pas des Bélabésiens originaires.

Saliha128. A Balʿabâs on trouve plus d’étrangers que de Bélabésiens…

Adel58. Avant au temps du terrorisme / les gens qui habitaient hors de la ville avaient vendu leurs biens pour s’installer en ville.

Segment n° 5

Saliha86. … Filâĝ Thiers et tout près le Landau là où c’est préfabriqué c’est des baraques.

Hichem136. c’est: c’est populeux c’est bruyant.

Hichem162. … des quartiers non: c'est-à-dire qui manquent de sécurité ou/ oui ʼaḥyâʼ qui n’ont pas de bons habitants ou:

Bilal122. c’est comme ça ces habitants ne sont pas polis …

Saliha116. en dehors de ces lieux il y a des quartiers com: comme dans le quartier de Ban ḥamûda Ban ḥamûda on trouve on trouve des blocs qui sont un peu: louches de mauvaise réputation on trouve ça partout.

Adel40. … ils ici (quartier populaire)… ils se sentent simples vivant modestement.

Adel92.On a tous des souvenirs dans les quartiers populaires / soit on y est né soit on y habite …   

Segment n° 6

Hichem6. h : c’est un joli quartier de toute façon avec des villas:/…

Adel17. Madina lMunawara ah les riches …

Adel27. Les gens qui y habitent sont beaux (rire).

Adel148. … lMadina lMunawara est un beau quartier pourquoi un beau quartier ? Parce que la première des choses est que les habitants et voisins … / ces gens sont tous instruits là-bas.

Adel30. Non pas des Bélabésiens leur majorité n’est pas Bélabésienne.

Adel150. Des Bélabésiens et des étrangers à la ville / des étrangers pas des villageois non des étrangers c'est-à-dire des Tlemceniens euh: des Algérois …/ c'est-à-dire ils sont venus d’autres villes mais de villes aisées riches tu me comprends …

Adel34. Ce n’est pas l’Algérie bien sûr …

Adel17. Madina lMunawara ah les riches oui je reste surpris moi (rire) à lMadina lMunawara je suis surpris où suis-je à Sidi Balʿabâs ?

Adel100. Je m’égare parce que c’est lMadina Munawara ! (rire).

Segment n° 7

Adel182. Langage ? (silence) derija et à Balʿabâs tous parlent de la même façon.

Adel126. Par exemple « ḫayî » … la prononciation de « ḫayî » on ne la prononce pas n’importe comment / moi d’une simple épellation de ce mot je pourrai dire s’il s’agit du vrai « ḫayî » ou de « ḫayî » de vingt deux virgule (vingt deux est le chiffre administratif de la ville de Sidi Bel Abbés).

Adel279. / tu le trouves (qui parle derija) ici (Sidi Yasîn lieu de l’entretien) dans n’importe quelle ħuma dans n’importe quel quartier même à lMaqam (lieu résidentiel) normal.

Adel176. La langue qu’ils parlent (à Sidi Bel Abbés) ? arabe bélabésien notre langue.

Adel190. … dans notre langage / avec notre langage …ils parlent tous comme ça …

Segment n° 8

Adel386. Tout ça fait partie de la derija oui ça fait partie de derija quartier place ḥûma.

Adel190. Oui une langue (derija) composite (rire) comme nous on a même on parle en français dans notre langage / avec notre langage on peut parler français tu me comprends par exemple on écrit « kirâk dâyar » (« comment vas-tu ») on l’écrit en français dans un sms (signe avec portable) (rire) un étranger serait surpris en voyant ça (rire) / comme ça comme je parle des fois euh par exemple « ça va bien » ils parlent tous comme ça /…

Adel408. Non ils écrivent en derija normal derija en lettres arabes …

Adel214. Il (un étranger du pays) ne pourra pas te comprendre ce n’est pas une langue.

Adel218. … elle est absente du dictionnaire des langues du monde cette derija n’est-ce pas ou j’ai tort ?

Adel220. Derija (rire) ce n’est pas possible (réponse sur une proposition de l’enseignement de la derija) ceci est inconcevable pour moi.

Notes 

[1] À distinguer de “Linguistic Landscape Studies” ou “linguistic cityscape”. Lire, à ce propos, une intéressante analyse comparative de Bulot, Th. (2011). Sociolinguistique urbaine, Linguistic Landscape Studies et scripturalité : entre convergence(s) et divergence(s) . Cahiers de Linguistique, 37/1, 5-15. 

[2] Depuis 2017 (2018, 2019 et en préparation pour la fin 2020), un hommage est rendu aux travaux de Thierry Bulot, sous formes de colloques nationaux organisés (avec publication des actes) par des sociolinguistes Algériens (Wafaa Bedjaoui, Noudjoud Bergout, Réda Sebih et Souheila Heddid ont été les organisateurs des ces rencontres scientifiques).

[3] Ce qui « autorise », quelque part, à limiter son échantillon de recherche.

[4] En suivant une démarche qualitative, dans laquelle « on recherche et on propose en priorité des significations et non des chiffres (Blanchet, 2011, p. 16). Nous rappelons, à l’occasion, que le corpus en sociolinguistique, discipline de référence de la présente réflexion, « a perdu en hétérogénéité et en représentativité, ce qu’il a gagné en intensité représentationnelle et en exemplarité […]. C’est dire si le corpus revêt aux yeux d’une certaine sociolinguistique une valeur qui ne doit rien à son volume (Boyer, 2002, p. 100).

[5] Ou « sciences de la ville et des territoires » comme propose de les nommer Paquot (Paquot T., Lussault M., Body-Gendrot S.  (Eds). (2000). La ville et l´urbain, l´état des savoirs. Paris : La Découverte.

[6] Nous faisons référence, entre autres publications et recherches universitaires, aux travaux portant sur le contexte algérois, sur Batna, Tizou Ouzou,  Constantine, Mostaganem, Sidi Bel Abbés, Ain Témouchet (Bedjaoui, Benaldi, Berghout, Bestandji, Boumedine, Boussiga, Chachou, Djerroud, Lounici, Heddid, Mefidene, Merbouh, Sebih, etc.).

[7] Les villes du Nord de l’Algérie ont connu trois sorts, résume Marc Côte (1988) : des médinas (villes précoloniales) ont été rasées et reconstruites à l’européenne (Tiaret, Mascara, Oran, Médéa et Jijel) ; d’autres médinas ont été à moitié détruites (Alger, Tlemcen ou Constantine) ; et le troisième cas, qui intéresse cette recherche, est celui des « nouvelles villes », de création ex-nihilo.

[8] Parce que composées principalement de population rurale venue par vague successive vers la ville notamment durant la guerre d’indépendance, les années qui ont suivi l’indépendance et durant la décennie noire (1999-2000). 

[9] Notons que la ville de Sidi Bel Abbés n’a pas été créée ex-nihilo, comme le postulait la politique coloniale de l’époque (lire à ce propos Ainad Tabet (1999)).

[10] Pour plus de détails sur la population à Sidi Bel Abbés, de cette époque, lire Ainad Tabet (1999, p. 110-113).

[11] De « gourbi » (dial. algérien), habitation précaire et en désordre.

[12] Nous utilisons le gentilé en français « Bélabésien » le plus répandu (et non « Bélabéssien » ou « ʕabbassi » en derja).

[13] Critères de choix des enquêtés : âge (jeunes, qui n’ont pas connu la ville coloniale de Sidi Bel Abbés), origine (vérification du lieu de naissance –la ville-de l’interviewé et de ses parents directs), lieux d’habitat (différents quartiers urbains anciens / nouveaux).

[14] Anciens (Saliha et Adel habitent Sidi Yacine, Bilal habite filâʒ Thiers) et nouveau (Hichem habite Madina l’Munawara), nom donné par l’APC Fis à ce quartier.

[15] Dans les quatre discours et en soustrayant les toponymes en répétition.

[16] Merbouh, 2016, 2018a, 2018b.

[17] Ces résultats (fragmentations et représentations socio-spatiales) se recoupent avec ceux déduits d’une analyse de discours (numériques) portant sur la ville de Mostaganem (Chachou, 2019). Lire également la recherche de Djerroud (2009) sur les quartiers d’Alger qui analyse la catégorisation spatio-linguistique des lieux résidentiels/populaires.  

[18] Vis-à-vis de l’ex-population coloniale-européenne.

[19] Nous parlons de la derija de la ville qui prédomine face aux autres variétés derijas (topolectes surtout) co-présentes à Sidi Bel Abbés. Il s’agit d’une propriété de phagocytage propre aux langues/variétés urbaines, comme l’énonce Calvet « la ville […] est une grande dévoreuse de langues » (2005, p. 26).  

[20] Il s’agit des jeunes Saliha, Adel, Bilal et Hichem. Les toponymes en question (nom des lieux urbains à Sidi Bel Abbés) ont été recueillis des discours de ces enquêtés (cf. Discours sur la ville de Sidi Bel Abbés).

[21] Nous n’insistons pas sur les nuances quantitatives entre l’usage de tel ou tel type toponymique.

[22] Cf. Le cas de Sidi Bel Abbés-ville. Quelques exemples de noms, pris des discours des interviewés, sont proposés dans les paragraphes qui suivent.

[23] Ces formes hybrides, les toponymes populaires anciens (TPAT) et les toponymes populaires nouveaux (TPNT), sont obtenues par diverses opérations linguistiques telles que la traduction, le glissement sémantique, la troncation et diverses adaptations morphosyntaxiques et phonétiques par contacts de langues.

[24] Lire également les résultats des recherches sur la toponymie d’Alger (Atoui, 2005) et Bedjaoui (2017).

[25] En français, respectivement, « la ville radieuse », patroponyme, « la stèle».

[26] Altération phonétique (adaptation derija) de « village » en /fila:ʒ/.

[27] Altérations phonétiques, dont une opération de « francisation », avec la suppression du phonème /ʕ/ et l’ajout de l’article français « la ».

[28] En français, « la section ».

[29] « Ʈrig Àllafʢa » est composé du choronyme « rue » en darja ([ʈri:g] dérivé de l’arabe [ʈari:q] en ôtant le son [a] et en modifiant le son [q] en [g] de la darja de la ville + en darja-arabe « Àllafʢa » (le serpent). « Filâʒ L Karʈun » de « village » en darja dit [fi:la:ʒ] (en optant pour le son [f] comme le [v] n’est pas d’usage [vilaʒ]) + en darja [karʈun] du français « carton ».

[30] Par ses habitants, ceux de la jeune génération Bélabésienne (cf. Méthodologie et corpus de recherche) de la postindépendance, celle qui n‘a pas vécu la dualité et la ségrégation coloniales de sa ville.

[31] Nous rappelons qu’il s’agit d’une enquête qualitative et expérimentale.

[32] « Bien qu’ils [les discours] ne soient pas la réalité, mais parce qu’ils constituent le seul accès au réel, finissent par devenir le réel (Bulot, 2008, p. 3).

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