Eleonora CANEPARI et Celine REGNARD (dir.), (2018). Les logements de la mobilité (XVIIe-XXIe siècle). L'atelier Méditerranéen. Paris : Karthala, 316 p.


Insaniyat N°92 | 2021 |Vivre et (re)penser la ville : nouvelles perspectives| p. 81- 83 | Texte intégral


 


Dans la lignée des travaux de l’Ecole de Chicago sur le rapport des migrants à la ville, l’ouvrage fait écho à l’héritage de Bernard Le petit (1999) et d’Henry Lefebvre (1974). L’un, pour avoir mis l’accent sur la capacité des « étrangers » non seulement à s’approprier l’espace de la ville […] mais à le construire grâce à la « création de formes » ; l’autre, pour avoir ouvert la voie à une réflexion sur l’espace comme produit de la société qui l’habite. En ce sens, la convergence des idées développées par les différentes disciplines impliquées, adopte une démarche collective en corrélation avec une large périodisation des hypothèses posées. Elle s’inscrit dans une perspective historique centrée sur la question du logement des populations mobiles du XVIIe siècle à nos jours. L’intention est d’étudier la mobilité sur plusieurs générations, en termes de processus d’installation des migrants et de stratégies relationnelles d’intégration au milieu d’arrivée. Aussi, l’unité de l’ouvrage se comprend-elle à travers celle du territoire investi, limité au champ géographique méditerranéen avec une attention particulière aux travaux des vingt dernières années portant sur la longue durée. À ce titre, les représentations des deux rives : au Nord par la France, l’Italie, la Croatie ; au Sud par la Tunisie et l’Algérie, focalisent leurs approches autour d’interrogations mettant l’accent sur la co-construction de la ville et de ses lieux par les mobilités des individus de « passage ». Comment se conçoivent les projets d’insertion sociale, se structurent les réseaux d’intérêt et se trament les influences intergénérationnelles ?  

Les contributions rassemblées en trois parties, sont davantage motivées par les projets des itinéraires de vie des populations mobiles que par les projets des structures d’accueil institutionnelles. La question du comment étudier les processus mis en œuvre en interaction avec le caractère éphémère de l’occupation de l’espace, examine les interactions de la production formelle et fonctionnelle des lieux investis.

Le premier chapitre intitulé « Logeurs et logés », fédère les interrogations sur la façon dont les logements temporaires s’inscrivent dans les trajectoires individuelles ou collectives et sur la manière dont ces formes d’habiter croisent les catégories socioprofessionnelles, celles d’âge et de genre. Il retrace certains aspects des logiques de regroupement en lien avec l’exploitation des ressources mais aussi l’induction de la précarité socio-spatiale. (Jean-Baptiste Xambo. Anna Badino, Riadh Ben Khalifa, Béatrice Mésini).

Le deuxième chapitre « Du logement aux territoires », fait une lecture historique de l’habitat provisoire en termes soit, de transit au service d’un projet migratoire ; soit, des impacts de la transhumance saisonnière sur l’environnement. Ces approches permettent d’appréhender la notion de territoire en relation avec la mobilité de ceux qui le traversent et s’y installent. (Celine Regnard, Beya Abidi-Belhadj, Luca Salmieri, Filippo Orsini, Massimiliano Crisci, Silvia Lucciarini, Morgane Dujmovic).

En dernier, « Structures plurielles » met en exergue la pluralité des formes et des fonctions qui caractérisent les relais de la mobilité en tant que structures. Elles s’entendent au sens de la production architecturale qui s’organise conformément aux spécificités régionales du point de vue historique, économique, social et culturel. (Eleonora Canepari, Assia Touarigt Belkhodja, Dhaker Sila, Claire Lévy-Vroelant, Julie Chapon).

Somme toute, le statut de la mobilité humaine est reconsidéré à l’interface des formes d’appropriation de l’espace et de son usage par une population temporaire ou saisonnière. Les différentes approches des concepts mis en relation, apportent un éclairage sur l’apparente homogénéité de leur représentation généralement péjorative. Qualifiée de cyclique, régulière ou itinérante, la mobilité d’une population de migrants ou de réfugiés, se traduit dans l’espace par des types de construction éphémère ou durable, manifestement identifiables. Outre la fonction d’hébergement transitoire liée à la dynamique commerciale (marché, auberge, fondouk,…), c’est globalement la nécessité et le dénuement qui ressortent de l’évocation contemporaine de la mobilité. La diversité sémantique des modes d’habiter les lieux-carrefours, renvoie à autant de situations particulières et d’expressions du logement non ordinaire. Une même image symptomatique s’en dégage, qu’elle soit affiliée à l’hôtellerie (garnis, hôtels meublés, bains-douches[1],…) ou à d’autres configurations dépréciatives d’appropriation de l’espace (gourbis, camps de transit, squats, tentes, abris, bidonvilles, caravanes). En renouvelant ainsi le questionnement sur la complexité des flux migratoires en lien aux enjeux environnementaux, l’objectif est de dépasser la dichotomie natifs/étrangers pour [se] concentrer sur des différences déterminées par des temporalités et appréhendées grâce aux notions d’enracinement et de passage. À travers ces façons d’habiter la mobilité, s’élabore l’intégration humaine et spatiale en construisant des édifices et en tissant des relations sociales.

À terme, des perspectives de recherche sont ouvertes en vue de poursuivre la réflexion sur les populations mobiles aspirant à vivre mieux en contexte d’incertitude et d’instabilité plurielles. Le déploiement de la mobilité humaine et ses impacts environnementaux, restent à évaluer en fonction des nouveaux paradigmes économiques en lien avec l’écologie. Ils impliquent de tenir compte des facteurs de socialisation autant dans leurs spécificités que dans leurs altérités, face aux interactions des enjeux territoriaux à l’échelle planétaire.

Ammara BEKKOUCHE

Notes 

[1] Le bain-douche en France sert à se laver le corps ; en Algérie le bain maure ou hammam sert aussi de dortoir ou hôtel zéro étoile, pour louer des lits occasionnellement voire durablement à des étrangers à la ville

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