Emmanuel MATTEUDI et al., (2019). Sociétés civiles et innovations sociales au Maghreb. Pour une observation de la contribution citoyenne au développement. Résumé exécutif. AFD, Caisse des Dépôts, Université d’Aix-Marseille, 133 p.


Insaniyat N°92 | 2021 |Vivre et (re)penser la ville : nouvelles perspectives| p. 83- 85 | Texte intégral


 


Ce document est le résultat d'un programme de recherche réalisé par une équipe de l'Université Aix-Marseille entre les années 2017 et 2019, en partenariat avec l’AFD (Agence Française de Développement) et la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations). L’objectif de l’étude est de mettre en exergue, dans le contexte « post-printemps arabe », les apports des actions de développement menées par les sociétés civiles dans trois pays du Maghreb : Tunisie, Algérie et Maroc.

À partir d’une démarche empirique autour d’une exploration des initiatives civiques qui pourraient être considérées comme « innovantes », l’étude s’intéresse à la capacité de la société civile à impulser des changements sociaux dans ces pays. L’étude interroge également l’autonomie de ces sociétés civiles vis-à-vis des pouvoirs publics ainsi que des bailleurs de fonds, qu’ils soient nationaux ou internationaux.

Le rapport est structuré autour de cinq chapitres. Le premier détermine les périmètres méthodologiques et conceptuels de l'étude, en appliquant un protocole de recherche prenant en compte l'implication, la couverture du territoire et les thématiques d’activisme comme principes dans le choix des cas étudiés. En conséquence, l'observation de 71 initiatives d'associations et de collectifs d'habitants (reconnues ou non par l'Etat) a constitué les contours de la société civile appréhendée par cette étude. En effet, les initiatives dans les domaines de l'éducation, de l'emploi, de l'environnement et des activités socio-culturelles constituent la majorité des cas observés. Cependant, convient-il de préciser que les initiatives en matière de droits de l'Homme et de la citoyenneté ont été, elles-aussi, prises en compte.

Pour ce faire, l'étude s’appuie sur des entretiens avec des acteurs et spécialistes de la société civile dans les pays concernés, ainsi qu'avec des représentants des pouvoirs publics et des organismes de coopération internationale (111 entretiens individuels et rencontres collectives, soit 250 personnes au total).

Le deuxième chapitre, intitulé « La longue histoire de la société civile au Maghreb », porte sur l'émergence des sociétés civiles selon l'expérience spécifique des pays du Maghreb. Il commence par une brève présentation de l'expérience des sociétés occidentales et celle de monde musulman. La loi française sur les associations de 1901 constitue, selon les auteurs du rapport, un marqueur entre une société civile traditionnelle et une autre moderne. Cette loi, bien qu'elle ait tenté de formaliser les formes traditionnelles d'organisation sociale et de médiation entre le pouvoir colonial et la société (tribus, zaouïas, twiza, jma’â...), a donné, en revanche, l'opportunité aux populations colonisées de s'organiser dans des formes plus modernes, s’agissant de l’action civique.

Aux indépendances, la société civile s'est trouvée confrontée à des régimes politiques autoritaires qui ont cherché à l'instrumentaliser. Ce n’est qu’au milieu des années 1980, période où les mutations internationales et les crises socio-économiques et politiques internes de ces pays ont enclenché de nouvelles dynamiques politiques et démocratiques.

« Les visages actuels de la société civile » font l'objet du troisième chapitre. En abordant d'abord l'expérience contrastée du « Printemps arabe », les auteurs du rapport ont mis en évidence le poids de la société civile dans chaque pays. Ainsi, le Maroc semble le pays le plus avancé en matière de tissu associatif ; ce qui a donné à la société civile une capacité de s'organiser, voire de se professionnaliser et de se structurer collectivement. En Tunisie, c'est la rupture provoquée après la chute du régime de Ben Ali qui a abouti à la naissance d'une société civile jeune, capable de contrôler le Parlement ou le gouvernement. Quant à l'Algérie, bien que la « Décennie noire » ait empêché la cristallisation d'une société civile puissante et la réalisation du changement pendant le « Printemps arabe », le hirak du 22 février 2019, informe sur l'existence d'une société civile mature, autonome du pouvoir politique et responsable.

Le quatrième chapitre aborde la question des interactions entre la société civile et les pouvoirs politiques à l’ère« post Printemps Arabe ». Se concentrant sur la Tunisie et le Maroc, les auteurs du rapport centrent leur analyse sur les réactions des pouvoirs politiques. Ils mettent tout d’abord en avant les évolutions institutionnelles depuis 2011 (nouvelles constitutions) et une forme de décentralisation ; celles-ci ont conduit à la mise en place des mécanismes permettant à la société civile d’être plus active et plus indépendante.

Dans le cinquième chapitre, sont présentés les résultats empiriques de l'étude, opération effectuée selon une méthode thématique qui s’intéresse, en premier lieu, aux secteurs de l’éducation, de l’emploi, de l’environnement et de la culture. In fine, les conclusions les plus significatives du programme sont examinées, dont les auteurs ont dressé un bilan positif de l'évolution du rôle de la société civile dans la région. L'existence d'initiatives, la capacité à s'autonomiser pour certaines associations à travers l’introduction des pratiques entrepreneuriales dans son fonctionnement, la conversion en force de propositions pour d'autres auprès des pouvoirs publics, la rupture avec des anciennes pratiques et les dynamiques territoriales induites par ces projets, constituent, selon le rapport, comme étant des atouts d'une société civile prometteuse dans la région, mais aussi comme des pistes de recherche qui doivent être davantage explorées à l'avenir.

Cette étude de grand intérêt,  n’évoque pas suffisamment la question du financement de la société civile qui peut être un obstacle à son autonomie. À cet égard, la persistance de la dépendance aux fonds publics risque de transformer les initiatives en réseaux clientélistes au service d'élites politiques autoritaires, tandis que la conversion en coopération internationale peut conduire à une confrontation avec les régimes en place ou à la perte de leur soutien. À cela s’ajoute, comme le soulignent les auteurs, le caractère instable de ces sociétés qui souffrent encore de la crise socio-économique et de la montée du conservatisme religieux, une situation qui peut conduire à des régressions si la société civile n’œuvre pas à veiller à son indépendance en matière de financement et d’action.

Yahia BENYAMINA

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