Sadek BENKADA (2019). Oran 1732-1912. Essai d’analyse de la transition historique d’une ville algérienne vers la modernité urbaine, Oran : Editions CRASC.


Insaniyat N°92 | 2021 |Vivre et (re)penser la ville : nouvelles perspectives| p.86-88  | Texte intégral


 


L’ouvrage de Sadek Benkada, issu de sa thèse de doctorat soutenue le 16 juin 2008 à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Oran, s’articule autour d’une étude exhaustive de la ville Oran, à différentes temporalités historiques : espagnole, ottomane et française. Cette somme conséquente et documentée (notices biographiques, liste des maires d’Oran de 1832 à 1912, index des noms de rues, plans, tableaux, cartes, etc.) a pour objectif d’identifier les changements et les mutations intervenus dans le processus d'urbanisation de la ville d'Oran durant ces  trois périodes.

Partant des travaux de Djilali Sari, Bernard Lepetit, Georges Duby, Jacques Le Goff, Marcel Roncayolo, Jean-Claude Perrot, d'Antoine Picon, Henri Lefebvre, Manuel Castells, Jean Lojkine et Christian Topalov et d’autres auteurs, Sadek Benkada a construit son travail sur une exploration au plus près de l’objet dans toutes ses déclinaisons (politique, anthropologique, historique, sociale, culturelle …). Son investigation de la ville et de ses interstices est menée au scalpel ou le souci du détail est remarquable. Enfin, la mobilisation des très riches et nombreuses sources (documents, plans, figures, cartes, etc.) apporte à cet ouvrage publié par le CRASC d’Oran en 2019 une plus-value certaine.

Aussi, l‘organisation de l’ouvrage reflète la profondeur et la complexité de cette recherche, dans le sens où elle rend compte de différents aspects relatif à l’histoire urbaine de la ville d’Oran corrélée à la politique et à la sociologie. D’abord (la première partie), l’importance physique et intrinsèque du site (Oran) et son articulation avec la structure urbaine (tissu et réalisations) ainsi que les choix et les arbitrages s’agissant de l’implantation des populations. S’en suit une incise sur le port d’Oran comme marqueur historique et économique de la région.

Dans la deuxième partie, l’étude porte sur la « reconquête » et le « re-peuplement », à partir de 1792, au temps du Bey Mohamed el Kébir qualifié par l’auteur de « conquérant » et d’ « aménageur », cela avec tout ce que ces processus lourds induisent comme transformations urbanistiques, en particulier le statut juridique du sol et de la propriété. Dans ce contexte, la fondamentale question de l’origine et la formation du nouveau peuplement est ainsi que celle de la « reconstitution » de communauté juive sont bien rendues.

La troisième partie concerne l’aspect plus technique de cette histoire : la politique beylicale de reconfiguration de l’espace urbaine, les agencements des cimetières, les lieux de mémoire, etc.  Dans cette optique, L’auteur détaille les différences formes de cette organisation (intra-muros et extra-muros, faubourgs …). Les cimetières, quant à eux, un des sujets de prédilection de Sadek Benkada, sont localisés et datés. Enfin, cette recherche renvoie, en l’espèce, à ce qu’appelle l’auteur une « conscience territoriale », car la toponymie est synonyme de « langage du territoire » (p. 167) où histoire et mémoire(s) s’entremêlent.

Dans la quatrième partie, l’ouvrage ne fait pas l’économie d’autres aspects tels les équipements urbains et les lieux de l’économie (urbaine). Ils font ici l’objet d’analyse à l’aune de l’importance majeure des transformations apportées par le bey Mohamed el Kebir. Les édifices religieux, les réseaux d’alimentation en eau et d'assainissement, les équipements publics, les établissements collectifs, les espaces d’échanges et de production, le commerce maritime témoignent d’une dynamique urbaine et économique de grande ampleur.

Les deux dernières parties, quant à elles, renvoient à la période militaire française en Algérie (1831-1847). C’est le début d’une militarisation ou emprise de l’armée sur la réalité et tissus urbains à Oran. S’appuyant sur un corps d’élite, les ingénieurs militaires, ce processus va complètement transformer la ville et sa proche région. C’est la période également de l’émergence en Algérie de la représentation cartographique et de l’archéologie militaire. S’en suit, une cohabitation-partage entre les pouvoirs civil et militaire (administration bicéphale) qui sera marquée par des conflits de compétences entre les officiers du Génie (militaire) et les ingénieurs civils. Enfin, l’auteur revient à la modernité (coloniale) de la ville et son port où le savoir et les techniques militaires ont joué un grand rôle dans une vision où l’archéologie, l’histoire espagnole  et le monumentalisme étaient encouragés.

Dans cette contribution, l’auteur a mobilisé diverses disciplines qui ont apporté une plus-value à ce travail : l'histoire,  l'anthropologie,  la géographie, la démographie, la cartographie, etc. Dans l’ « Avant-propos » de l’ouvrage, l’auteur explique bien les motivations « personnelles, affectives et intellectuelles » ayant été à l’origine de sa réflexion : une obligation morale de publier, un souci permanent de réinterroger les sources et les enrichir, un travail minutieux et laborieux de cadrage de la problématique de la périodisation, si importante et fondamentale dans cette histoire ou s’entremêlent et se chevauchent plusieurs histoires, etc.

Par ailleurs, ce qui interpelle le plus dans cet ouvrage académique est l’inscription d’Oran et de son passé dans un cadre où la modernité est omniprésente ; la ville est présentée comme étant un « modèle de ville occidentale » ayant vocation à exprimer une « modernité urbaine », sans que cette description n’évacue une histoire plus lointaine de la région, l’andalouse par exemple. Aussi dans la restitution que fait Sadek Benkada des différentes politiques urbaines, l’identification des acteurs, qu’ils soient collectifs, individuels, institutionnels ou informels est mise en exergue.

Pour conclure, l’idée-mère de cette thèse est que la ville d’Oran a été pensée comme un instrument au profit de la colonisation de peuplement comme l’explique avec pertinence Coquery-Vidrovitch (citée par l’auteur dans la présentation de l’ouvrage, p. 32).

Houria DJILALI

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