Ali BENSAAD (coord.), (2020), Migrations africaines au Maghreb et au Moyen-Orient. Migrations Société. 179, (32), 212 p.


Insaniyat 98, octobre-décembre 2022, p. 111-11

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La revue Migrations Société a consacré son numéro 179 aux migrations africaines au Maghreb et au Moyen-Orient. Le dossier thématique coordonné par Ali Bensaad contient treize articles.

Ce numéro parait neuf ans après les importantes transformations politiques qu’a connues le Monde arabe, et qui ont provoqué une instabilité politique et sécuritaire, en Afrique du nord et au Moyen-Orient, mais aussi au Sahel. Cette situation a influencé les migrations africaines dans le sens où on assiste à une accélération des flux migratoires, la création de zones grises pour les migrants, mais également le travail sous la contrainte en Lybie des migrants et leur « incorporation » dans les milices armées.

Ce dossier s’articule autour des motivations des migrants, les routes qu’ils empruntent et les dangers auxquels ils sont confrontés.

Le premier article d’A. Bensaad intitulé « Une présence africaine invisibilisée au Maghreb et au Moyen-Orient » revient sur la nécessité de sortir de la centralité de l'approche européenne de l'immigration africaine, et la pertinence de suivre les changements qui s'opèrent sur le terrain, car le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord ne sont plus une zone de transit pour les subsahariens, elle constitue également une destination finale. A. Bensaad a mis en lumière les difficultés rencontrées par les migrants au Maghreb et au Moyen-Orient, notamment en matière de xénophobie et d’intolérance.

La contribution de l’historien Antonio M. Morone « Les migrations africaines dans la Libye poste 2014 : guerre, crise économique et politiques d’endiguement » porte sur l’évolution de la situation des migrants subsahariens en Libye depuis 2011. L’auteur a mis l’accent sur la Libye comme couloir migratoire majeur vers l’Europe. Cette situation  a créé une nouvelle dynamique migratoire qui a connu une croissance rapide depuis la chute du régime de Kadhafi. Des organisations criminelles transfrontalières ont pu ainsi se développer grâce à ce phénomène. Ces organisations gèrent le circuit des migrants africains, depuis l’Afrique subsaharienne, jusqu’à leur destination finale, en passant par le grand Sahara, l’Afrique du nord et la Méditerranée. La crise en Libye a ainsi accéléré les logiques de mobilité clandestine.

L’article de C. Cassarini,  « L’Immigration subsaharienne en Tunisie : de la reconnaissance d’un fait social à la création d’un enjeu gestionnaire », s’appuie sur les résultats d’une enquête de terrain réalisée en Tunisie entre 2016 et 2019. Ce travail est pensé autour des différents mécanismes de la politique de gestion humanitaire de la migration subsaharienne en Tunisie depuis 2011. L’auteure  aborde les frontières et les souverainetés des Etats durant les périodes de crises, ce qui mène vers le débat traditionnel entre la sécurité nationale et la sécurité humaine, et aussi la sécuritisation du dossier migratoire. C. Cassarin a mis l’accent sur les différents types de migration en Tunisie : étudiants, travailleurs-migrants, aventuriers, réfugiés, demandeurs d’asile, etc. Elle a étudié la migration subsaharienne comme fait social, en particulier, quand elle aborde la question de l’intégration de ces derniers, leur insertion dans le tissu économique et leur participation dans la vie politique et religieuse en Tunisie.

Les évolutions qu’ont connues les migrations contemporaines à travers le cas algérien sont abordées dans l’article de S. Chena, qui évoque à titre d’exemple, le caractère individuel des migrations, la non-linéarité du parcours et leur féminisation (environ de la moitié des migrants sont des femmes, p. 62). Tout ce système migratoire est influencé par les turbulences socio-économiques, l’aggravation de la situation politico-sécuritaire, et les crises climatiques de longues durées. Selon l’auteur, l’accroissement des formes irrégulières de la migration est le résultat des politiques migratoires restrictives des pays européens. S. Chena est revenu sur l’installation des subsahariens dans les villes du grand sud algérien et leur insertion dans l’économie locale à travers les différents métiers (artisanat, confection, commerce frontalier, etc.). Dans ce cas, il semble intéressant de rappeler que l’Algérie a connu une crise économique persistante, ce qui limite ses capacités de recevoir des nombres importants de migrants.

Un paradoxe philosophique sur la question de l'immigration a été évoqué par D. Perrin, sur deux niveaux : le premier revient sur les textes juridiques, entre ce qu'ils énoncent explicitement et clairement, et ce qui se déduit de leur contenu. Alors que le second niveau est plus en rapport avec les pratiques de migration vers la rive nord de la Méditerranée : les migrants se considèrent comme des victimes en raison des conditions sociales et économiques dans leurs pays d’origine, ou encore de toutes les difficultés qu'ils rencontrent lors de la migration. En revanche, il existe des partis qui considèrent ces migrants comme des délinquants qui se rendent en Europe pour continuer leurs pratiques et font peser un danger sur leurs sociétés. Aussi, les pays européens ont ainsi le droit « se protéger » en empêchant les migrants d'entrer sur leurs territoires. D. Perrin a conclu que le dossier migratoire est devenu l'otage des intérêts économiques et géopolitiques des pays, surtout en l'absence d'un équilibre de forces entre les trois espaces concernés par ce dossier : l’Europe, le Maghreb et l'Afrique subsaharienne.

Cl. Warin joint sa voix à celle de D. Perrin, pour la question de la sécuritisation de l'immigration, puisqu'elle confirme les efforts des pays européens pour entraver l'arrivée des migrants sur leurs terres, en renforçant les contrôles aux frontières et en signant un ensemble d'accords avec les pays d'origine et de transit, selon lesquels les migrants sont entravés et encerclés, afin de les empêcher d'atteindre leurs destinations finales. Selon Cl. Warin, l’Union Européenne a introduit une politique d’externalisation (affronter et contenir l’immigration clandestine au niveau des pays d’origine et de transit) pour contrôler  les flux migratoires venant de l’Afrique de l’Est. La chercheure est revenue en détail sur la réalité politique et sécuritaire de la région de l'Afrique de l'Est, dominée par l'instabilité, la croissance des conflits armés internes, en plus des faibles indicateurs économiques et sociaux dans la plupart de ces Etats.

Dans la contribution de S. Bava et K. Boissevain, « Les répercussions des migrations africaines et leurs interactions avec la situation religieuse existante en Tunisie et au Maroc », il est question des dispositifs sécuritaires qui empêchent les migrants de pouvoir rejoindre l'Europe. Une partie reste en Tunisie et au Maroc dans l’attente d’une opportunité pour réaliser la traversée. Aussi, des paroisses chrétiennes dans les deux pays accueillent temporairement les migrants de religion chrétienne. Par conséquent, le pourcentage de chrétiens dans les deux pays augmente, mais cela est temporaire, car avec la disponibilité des conditions de transit vers l'Europe, la communauté chrétienne se rétrécit à nouveau.

Parmi les articles de ce dossier, on trouve celui rédigé par H. Zeghbib qui évoque la dissimulation délibérée du phénomène de migration horizontale, qui est un phénomène répandu dans les pays du Maghreb, contrairement à la mise en évidence de la migration verticale de l'Afrique subsaharienne vers l'Europe à travers l'Afrique du Nord. Le chercheur a présenté un diagnostic multidimensionnel de ces pratiques, incluant ce que l'on peut considérer comme une sécuritisation de la question migratoire. Un aperçu historique est établi autour de l'inter-migration dans les pays du Maghreb, notamment en ce qui concerne les conditions politiques particulières de chaque pays, et la nature des relations prédominantes entre les systèmes politiques existants.

À la lecture de ces contributions, il ressort que le Sahel est une région centrale dans la problématique de l'immigration clandestine vers l'Europe. Il est clair que les raisons de la migration sont multiples, y compris des raisons politico-sécuritaires, telles que l'instabilité et les conflits armés, et des raisons socio-économiques, telles que la pauvreté et le chômage, en plus des changements climatiques accompagnés de sécheresses. Toutes ces causes ont conduit un grand nombre de subsahariens traverser le grand Sahara, l'Afrique du Nord, puis la Méditerranée pour gagner la rive nord. Tout cela est compensé par les efforts des pays européens pour stopper les vagues d'immigration, en criminalisant l'immigration.

La meilleure issue pour les migrants est d'atteindre la rive nord de la Méditerranée, ou du moins de s'installer momentanément dans les pays d'Afrique du Nord, mais dans de nombreux cas, ils finissent entre les mains de groupes criminels, ou pire, un grand nombre d’entre eux meurent dans le désert, ou se noient lors de la traversée de la méditérrannée.

Larbi BENAMARA

 

 

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