La fabrique des pandémiesest ledernier livre de Marie-Monique Robin, publié en collaboration avec Serge Morand écologue évolutionniste et parasitologue de terrain, chercheur au CNRS. L’ouvrage collectif est centré sur une série d’entretiens menés avec 62 scientifiques de disciplines variées : infectiologues, parasitologues, épidémiologistes, médecins et vétérinaires, issus des cinq continents. Ces scientifiques ont affirmé en introduction, que le meilleur antidote contre l’émergence de maladies infectieuses est la préservation de la biodiversité (p. 15).
L’ouvrage s’articule autour de sept chapitres. Le premier, intitulé « le retour des pestes », met en avant une réflexion motivée par un premier entretien avec un virologue américain Stephen Morse, auteur de l’expression « virus émergents ». Le virologue interviewé, déclare que :
« dans les laboratoires, on parlait beaucoup de processus évolutionnaire ou de mutation et réassortiment des gènes, mais il manquait une compréhension des facteurs qui permettaient à ces pathogènes zoonotiques - c’est-à-dire d’origine animale-de sauter soudainement à l’homme ».
Ce concept de l’émergence a changé le regard sur les pathogènes et les épidémies. Il constitue un dépassement de la conception pastorienne de la maladie infectieuse qui reposait sur une équation simple : un virus une maladie.
Le deuxième chapitre porte sur une série d’entretiens menés successivement, entre autres, avec Serge Morand, Jean-François Guégan, Rodolphe Gozlan1, Matthew Baylis et Malik Peiris.
Pour ces scientifiques dans leur ensemble, les émergences croissantes de maladies infectieuses sont associées en majorité aux interfaces entre animaux domestiques et faune sauvage. Leurs travaux montrent que la transformation des habitats en faveur d’une agriculture industrielle est la cause de multiples risques sanitaires infectieux. Selon Marie-Monique Robin, si la crise actuelle n’entraîne pas un profond changement dans notre économie mondiale prédatrice des ressources de la planète, cause de crises multiformes, alors préparons-nous aux prochaines épidémies. La solution, ajoute-t-elle, n’est pas de se préparer au pire d’une prochaine pandémie, mais de l’éviter en s’attaquant aux causes, c’est-à-dire aux dysfonctionnements des relations entre les humains et les non-humains, dont les animaux domestiques et la faune sauvage.
Pour Serge Morand (p. 64), la déforestation constitue le premier facteur d’émergence des maladies infectieuses. Selon Jean-François Guégan, l’homme crée, par ses activités, des « territoires d’émergence ». Rodolphe Gozlan montre que l’abattage des arbres a pour effet d’ouvrir de la lumière sur les milieux aquatiques, ce qui permet aux oiseaux de chasser plus facilement les poissons, qui eux-mêmes se nourrissaient de petits insectes invertébrés, lesquels, faute de prédateurs, vont se mettre à pulluler. De plus, l’arrivée de lumière provoque une augmentation de la température et une baisse de l’oxygénation de l’eau, ce qui modifie les conditions physico-chimiques du milieu aquatique ; cela favorise le développement des microalgues (ou périphyton) où la bactérie est présente. Les petits insectes vertébrés broutent ces microalgues et se chargent en mycobactéries, car ils sont ce qu’on appelle des « hôtes compétents », autrement dit aptes à héberger l’agent infectieux.
Matthew Baylis met en évidence le rôle des animaux domestiques dans la transmission des pathogènes. Les animaux domestiques constituent un pont épidémiologique entre les animaux sauvages et les humains.
Pour Malik Peiris, le rôle des élevages intensifs de poulets pour le risque de pandémie de grippe, par exemple, est énorme. D’abord, parce que les poulets des grands élevages sont des clones du point de vue génétique. Quand le virus y pénètre, il peut se transmettre très facilement, puis contribuer à la création de souches virulentes. Cet avis est partagé par Benjamin Roche, qui revient sur la caractéristique du virus de la grippe H1N1.
Que retenir de cet ouvrage, si ce n’est que la situation est tellement grave que les scientifiques doivent impérativement s’engager en faisant pression sur les politiques et en contribuant à la mobilisation des citoyens. Pour cela, il faut que leur savoir montre non seulement qu’un autre monde est possible, mais qu’il est désirable. En apportant enfin une vision d’ensemble, accessible à tous, Marie-Monique Robin contribue à dissiper le grand aveuglement collectif qui empêchait d’agir. Le constat est sans appel : la destruction des écosystèmes par la déforestation, l’urbanisation, l’agriculture industrielle et la globalisation économique menace directement la santé planétaire. Ce qui confirme la thèse de e Didier Raoult (2020, p. 100) « qu’il faut toujours garder à l’esprit que les maladies infectieuses sont des maladies d’écosystème ».
Cette destruction est à l’origine des « zoonoses », transmises par des animaux aux humains : d’Ébola à la Covid-19, elles font partie des « nouvelles maladies émergentes » qui se multiplient, par des mécanismes clairement expliqués dans ce livre. Où on verra aussi comment, si rien n’est fait, d’autres pandémies, pires encore, suivront. Et pourquoi, plutôt que la course vaine aux vaccins ou le confinement chronique de la population, le seul antidote est la préservation de la biodiversité, impliquant d’en finir avec l’emprise délétère du modèle économique dominant sur les écosystèmes.
Aïcha BENAMAR