Figures et plans d’Oran 1931-1936, ou les années de tous les Danger

N°23-24 | 2004  | Oran : Une ville d'Algérie | p. 111-134 | Texte intégral


Diagrams and plans of Oran : 1931-1936 or the years of all the Danger ’s family

Abstract : By applying the so called Cornuded law (of March 19th 1919 and its coming into being in 1926) stipulating the establishment of Town Planning plans Improvement and extension (PAEE) called in the Danger brothers and sons planning company, as early as the 1920’s. they were associated for this occasion with the Oran architect Wollf., these urbanists drew up documents showing a great interest not only in following the evolution of main features of the agglomeration, but also in better understanding the reasons, methods and means considered to apply to the overseas department ,a legislation made before all for the metropolis. It’s the PAEE that Gaston Bardet another famous architect and urbanist had the responsibility of realizing in 1948.
The author tries to make the persons representing an urbanism often called “Culturistic” better known through an analysis which cares about pointing out the attention paid to urban and social morphology; in particular to the relationships between the diverse types of populations depending on their being considered as European or Native.

Key words : Oran - culturistic urbanization - town planning - improvement and extension plans - Rene, Paul and Raymon Danger - Gaston Bardet.


Jean-Pierre FREY : Architecte-Sociologue, Professeur à l'Institut d'Urbanisme de Paris, Université Paris XII-Val de Marne.


Oran doit une part de son histoire à l’intervention de professionnels dont certains furent résidents voire natifs de cette ville, d’autres sollicités en vue de réaliser une tâche particulière pour laquelle ils ne firent que passer. Rares, en effet, sont les villes disposant d’emblée de l’ensemble des compétences requises pour planifier ou gérer au quotidien les multiples opérations faisant d’une ville un objet de planification.

L’histoire proprement urbaine d’une agglomération est une chose, celle de son urbanisme en est une autre. C’est pour accorder une importance toute particulière à cette distinction que nous voudrions détailler ici certains aspects de la façon de procéder dans ce domaine dit de l’urbanisme et de l’aménagement. Le mot « urbanisme » [1] n’apparaît en effet que fort tardivement dans une histoire des villes qui ne devient proprement urbaine qu’avec le développement considérable de l’industrie et d’un exode rural prenant le pas sur le croît naturel de la population des agglomérations. Si la plupart des auteurs s’accordent à voir dans le xixe siècle le moment d’une histoire déjà longue où l’urbanisation devient un processus producteur d’un nouveau type d’espace, caractérisé notamment par sa croissance à la périphérie et la différentiation de ses diverses strates en zones spécialisées selon des principes supposés rationnels et fonctionnels, ils restent souvent trop peu rigoureux pour être attentifs aux particularités proprement épistémologiques et méthodologiques du mode de planification qui s’institue au début du xxe siècle. L’apparition de ce nouveau vocable témoigne, en effet, à la fois de la mise en place de nouvelles procédures, de connaissances renouvelées de ce qu’est la ville et du recours à des professionnels d’un type nouveau encore mal reconnu et identifié : les urbanistes. Certains d’entre eux retiendront notre attention à propos d’Oran : René, Raymon [2] et Paul Danger pour la période 1931-1936 et, encore que dans une moindre mesure, Gaston Bardet pour son intervention couvrant celle de 1936 à 1948.

Les coulisses de la planification

Bien que considérée comme la plus européenne en même temps que la moins française des villes d’Algérie (à cause notamment de l’importance de sa population d’origine espagnole), Oran va voir son histoire urbanistique suivre, voire précéder, les agglomérations françaises de la même envergure dans l’établissement de leurs fameux plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension (PAEE°. C’est un peu subrepticement que René Lespès [3] – dont il faut reconnaître qu’il reste, sinon le meilleur analyste de la ville, du moins une référence incontournable – met le doigt sur cette question dans les chapitres consacrés aux travaux édilitaires qui changent manifestement de nature dans les années 1910. Si le déclassement des fortifications, l’ouverture de nouvelles rues et le prolongement ou la rectification de celles déjà existantes faisaient partie des transformations, embellissements et assainissements alors familiers aux services municipaux [4] – notamment dans leurs tractations avec les militaires, gros propriétaires fonciers et promoteurs de poids par leurs services du génie –, la réorganisation globale de la ville et les réalisations en matière de logement social procèdent d’une législation nouvelle. Elles supposent des choix opérés en connaissance de cause d’une demande sociale en souffrance, d’un côté, des disponibilités foncières en vue de la création de lotissements, de l’autre. Comme dans le cas de Paris, le déclassement des fortifications donna le signal de nouveaux investissements aussi bien sous forme de projet de construction des « espaces libres » que de spéculations autant symboliques que financières sur des zones sortant de leur marginalité pour entrer de plain-pied dans une modernité urbanistique colonisant les périphéries.

« Plus que jamais, la question du déclassement des fortifications et de la cession des terrains militaires était à l’ordre du jour1. [1. […] On citait les précédents des villes d’Alger, de Philippeville, de Bône, de Mostaganem et de Sidi-bel-Abbès, qui avaient obtenu satisfaction] […]

Pendant que les pourparlers traînaient en longueur, un avant-projet de plan d’extension était dressé par le Service des travaux municipaux1. [1. Assemblée municipale séance du 4 janvier et du 3 juin 1924] D’autre part, la Ville se décidait enfin à faire établir un plan général au 1/5000, portant les courbes et les principales cotes de nivellement, dont la confection devait être confiée à un géomètre particulièrement expert, M. Danger, directeur de la Société des plans régulateurs de villes2. [2. idem, séance du 24 février 1931] ».

Lespès, René, Oran, étude de géographie et d’histoire urbaines, Librairie Félix-Alcan, « Du Centenaire de l’Algérie, 1830-1930 », Paris, 1938 (pp.242-244).

Mais cette question-là était plus celle des disponibilités foncières que celle des moyens et techniques à mettre en œuvre pour planifier la ville dans ses nouveaux contours. Au demeurant, comme dans le cas de Paris, ce sont les agents voyers, les architectes et les promoteurs, que l’on dira traditionnels et coutumiers des travaux d’embellissement ou de constructions ponctuelles dans un espace urbain à la structure monumentale et à la forme globale relativement stables, qui se chargeaient des opérations. Ces « notabilités remarquables, MM. Krieger, Monbrun, Galens, Bethenot, Jacques, etc. » [5] firent sans doute de leur mieux pour donner au centre-ville la physionomie avenante voire orgueilleuse qu’on lui connaît depuis. Le développement rapide des faubourgs, la nécessaire articulation entre les infrastructures de la ville ancienne et l’orientation générale des extensions, les exigences grandissantes en matière d’hygiène et d’assainissement des nouvelles constructions – et en particulier celles qui, parce que modestes, supposaient une intervention éclairée des pouvoirs publics pour éviter les défectuosités de toute sorte – appelaient des mesures d’un ordre moins débridé et d’une tout autre envergure. L’abandon du quartier du port comme centre administratif au profit du plateau, le contournement même du boulevard Malakoff – incapable d’accueillir le principal trafic en provenance de la route de Tlemcen vers le port – grâce au boulevard Maréchal-Joffre avaient notamment privilégié le développement d’Eckmühl, au point d’en faire le principal faubourg de la ville. La rue Philippe perdait de son importance et le contournement du fort par la route du Port pour accéder au nouveau centre-ville allait favoriser les extensions moins contraintes par la topographie de Kargentah. Bref, la ville avait brusquement changé de configuration d’ensemble à la fin du xixe siècle et les autorités entendaient profiter des opportunités et obligations de la législation pour la moderniser.

« En 19132, la municipalité émit un vœu pour l’application à l’Algérie de la loi du 22 juillet 1922 [sic, au lieu de 1912] sur les règlements d’hygiène de la voirie privée et la constitution obligatoire de Syndicats de propriétaires. Presque en même temps1, un autre vœu était présenté au Conseil pour la création d’un Office public d’habitations à bon marché, conformément aux lois du 12 avril 1906 et du 23 décembre 1912. […] Le décret du 5 janvier 1922, qui rendait applicable à l’Algérie la loi du 14 mars 1919, survint fort à propos pour déterminer la Municipalité à faire dresser un plan d’ensemble d’aménagement, d’extension et d’embellissement [sic, au lieu d’embellissement et d’extension] de la ville, tel qu’il était prescrit par cette loi. M. Wolf [sic, au lieu de Wollf], directeur des travaux communaux, fut désigné pour la préparation de cet important travail3 ; il était terminé en 1924 et comme avant-projet soumis à la commission supérieure4.

En même temps, les demandes de lotissement se multipliaient1. Un Office public d’habitations à bon marché était créé en 19222, et des dotations de la commune lui étaient attribuées. Des sociétés privées, comme le Foyer oranais, construisaient des cités, telles que celles de Boulanger, de Choupot et la Cité Maraval, dans la région sud extra muros, à l’ouest de la route de la Sénia. »

Lespès, René, Oran, étude de géographie et d’histoire urbaines, Librairie Félix-Alcan, « Du Centenaire de l’Algérie, 1830-1930 », Paris, 1938 (pp.239-241).

Sans doute est-il utile de rappeler dans quel cadre l’Assemblée nationale avait adopté la fameuse loi dite « Cornudet » (du nom de son promoteur à la Chambre), faisant obligation aux villes de plus de 50 000 habitants de se doter d’un PAEE. Contrairement à une idée colportée par l’historiographie architecturale, ce sont moins les travaux d’Haussmann que les réflexions sur le logement des ouvriers et les politiques sociales d’un patronat quelque peu paternaliste et inquiet de la montée des antagonismes qui aboutirent aux premières lois en matière de planification et d’urbanisme stricto sensu. C’est à l’occasion des Expositions universelles et des initiatives qu’eut l’opportunité d’y prendre Frédéric Le Play en matière d’économie sociale et d’enquête sur les familles ouvrières que la question sociale devient celle du logement [6] . Les fameuses habitations à bon marché et la société française du même nom sont en effet créées à l’issue de l’Exposition de 1889, à Paris, par un groupe de leplaysiens [Le Play meurt en 1881] qui, en 1894, sera à l’origine de la création du Musée social. C’est dans ce lieu privilégié de réflexion sur les institutions sociales et d’initiative politique en matière de planification que, à la suite de la création de la fameuse Section d’hygiène urbaine et rurale (SHUR) en 1908, le projet d’un enseignement et d’une législation appropriés à la mise en place de nouveaux outils de planification urbaine a vu le jour [7] . Les fondateurs de la Société française des urbanistes (SFU), alliés à Marcel Poëte, Henri Sellier et Louis Bonnier, envisageront dès 1916 la création d’un enseignement professionnel au sein d’un Institut d’histoire, de géographie et d’économie urbaines et d’une revue d’urbanisme (la Vie urbaine, dont le numéro 1-2 paraîtra en juin 1919) qui seront à l’origine de l’École des hautes études urbaines en 1919, devenue en 1924 l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris (IUUP), d’où seront issus la plupart des urbanistes des villes algériennes, comme, du reste, de la plupart des colonies françaises et des grandes villes du monde.

Il y aura, à partir de ce moment de l’histoire urbaine, au moins deux façons de procéder pour fabriquer de l’espace urbain. La production des édifices, qu’elle soit opérée par des architectes patentés, des ingénieurs, des entrepreneurs ou des particuliers, viendra de façon ponctuelle composer avec l’existant en fonction des disponibilités foncières, de la mitoyenneté et des alignements – pour ce qui concerne la forme urbaine – et avec les règlements sanitaires et de voirie – pour ce qui concerne plus particulièrement l’hygiène et l’assainissement. Bien évidemment, les éléments concernant la demande sociale ainsi que les commandes d’édifices selon la nature des activités et les volumes financiers investis préjugent largement de la qualité et de l’emplacement des constructions. On doit à Maurice Halbwachs d’avoir très tôt attiré l’attention sur le jeu subtil et parfois pervers du tracé des voies et des expropriations sur le marché des terrains et la distribution des groupes sociaux et des activités dans l’espace urbain [8] . Il se passe, en fait, que la morphologie sociale telle qu’elle se développe dans l’espace urbain va dépendre de plus en plus de l’intervention planifiée des pouvoirs publics sur l’espace. La maîtrise globale de l’espace urbain devient donc un des enjeux majeurs de l’image que la ville est susceptible de donner de la société et condamne les intervenants à se doter des instruments leur permettant de suivre cette évolution particulière de la morphologie sociale dans et à travers les grandes lignes d’une organisation de l’espace urbain dans son ensemble, cette nouvelle entité, notamment dans le cas de la grande ville, ne pouvant que difficilement se passer de planification. Les approches ne peuvent donc être que pluridisciplinaires, s’appuyer sur une connaissance renouvelée du terrain, notamment pour faire le point sur la progression des constructions, et tenir compte de données socio-démographiques, au nombre desquelles les recensements occupent une place privilégiée. Mais les enquêtes plus partielles concernant l’hygiène, l’insalubrité aussi bien que telle ou telle catégorie d’édifices ou de population vont jouer un rôle tout aussi considérable.

Dans ce nouveau mode d’intervention des pouvoirs publics qui émerge dans les années 1920, le logement social, destiné à fournir à une population difficilement solvable sur le marché de la construction des habitations présentant des niveaux de confort et d’hygiène qu’une production vernaculaire n’était pas en mesure d’atteindre, va commencer à jouer un rôle considérable dans la production de la ville. C’est bien à cette époque-là, au Maroc si l’on en croit certaines sources [9] , que le mot « bidonville » apparaît. C’est aussi dans les années 1920 que les initiatives des particuliers en matière de lotissement vont produire de la défectuosité à grande échelle, dès lors que les municipalités n’arriveront pas à suivre le mouvement d’équipement et d’assainissement que requièrent ces véritables colonies qui investissent de façon plus ou moins sauvage le périurbain. On peut regretter le peu de travaux de recherche concernant les HBM en Algérie, d’autant que cet ancêtre des HLM et autres logements en ZUP et en ZUHN présentait des qualités proprement architecturales qui se sont malheureusement perdues depuis.

La filiation institutionnelle entre les HBM et les PAEE se retrouverait donc sous la forme d’une articulation synchronique dans la planification, ne serait-ce que par le poids de la demande de ce type de construction dans la plupart des villes de France et d’Outremer et par une législation qui va, avec plus ou moins de bonheur, tenter d’harmoniser HBM, lotissements et planification d’ensemble. On s’écarte ainsi des vues et visées d’un art urbain [10] qui prétendrait entrer dans le détail des édifices existants ou projetés qui, pour prendre place sur l’assiette foncière d’un projet urbain, devaient y figurer de façon précise. René Lespès avait bien senti que l’on avait affaire à quelque chose de nouveau et de spécifique dans la fabrique de la ville, qui venait en quelque sorte doubler les façons habituelles de procéder.

« Un plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement [re-sic] d’une ville qui a déjà un passé ancien, comme c’est le cas pour Oran, ne doit pas être nécessairement un projet définitif visant à refondre tout ce qui peut être défectueux, pas plus qu’un programme de tout ce qui peut être souhaitable dans la cité la plus moderne ; on l’oublie trop souvent. »

Lespès, René, Oran, étude de géographie et d’histoire urbaines, Librairie Félix-Alcan, « Du Centenaire de l’Algérie, 1830-1930 », Paris, 1938 (p. 266).

On est également loin des grands schémas de structure en quoi consistent les schémas directeurs ou de la maîtrise totale et quelque peu totalitaire de l’espace urbain prôné par un Le Corbusier dans sa ville supposée radieuse. On a affaire à un ensemble de documents hybrides comportant des plans, des enquêtes et des règlements pour l’établissement desquels on va devoir faire appel aux compétences d’un nouveau type d’acteur, professionnel de l’urbanisme au statut et aux qualifications toujours ambigus et mal reconnus, mais constituant une population à la meilleure connaissance de laquelle nous entendons contribuer ici. Nous pouvons également espérer rendre compte avec plus de finesse des débats et conflits doctrinaux qui ont traversé les milieux professionnels et politiques de l’aménagement de ces derniers cent ans [11] .

La Société des plans régulateurs de villes des frères et fils Danger

Lorsque la Municipalité d’Oran décide d’associer l’architecte de ses services à un urbaniste pour la réalisation de son PAEE, qui couvrira en gros la période 1931-1936, les frères Danger ont déjà acquis une notoriété, notamment par le biais de son chef de file. René Danger (1872-1954) a une formation initiale de géomètre DPLG, expert près le tribunal civil de la Seine et spécialisé dans le domaine de l’État. Il acquiert à Paris, en 1905, un bureau de géomètre (l’ancien cabinet Fosse fondé en 1840) que, fort sans doute de son statut de membre du Musée social (et en particulier de la SHUR), il transformera en une sarl (au capital de 240 000 francs et sise 6, rue d’Angoulême, Paris 11e) dénommée Société des plans régulateurs de villes, en 1919, c’est-à-dire au moment de l’adoption de la loi Cornudet. C’est dès 1905 qu’il fait créer, par la direction de l’enseignement technique, le diplôme officiel de géomètre expert. Il fondera la Fédération internationale de cette profession en 1926 et en sera le président d’honneur. Il avait eu l’occasion d’enseigner à Casablanca, au lendemain de la Grande Guerre (de 1918 à 1919), et publiera son Cours dès 1921 en rendant du reste hommage à son initiateur [12] . C’est l’un des premiers traités concernant l’urbanisme, domaine dans lequel il entend entrer de plain-pied en revendiquant un titre d’urbaniste, légitimité qu’il tient essentiellement de son expérience professionnelle et de son appartenance à la SFU, sans doute aussi de ses liens avec Georges Risler. Son entreprise, familiale, fut très liée à l’École des travaux publics dirigée par Léon Eyrolles, éditeur de la plupart de ses ouvrages sur l’urbanisme. Son principal collaborateur fut son frère Raymon (sic), lui aussi géomètre DLPG et également professeur à l’École des travaux publics. Raymon Martin, troisième géomètre expert à enseigner dans la même école, fera partie de l’équipe. Mais, surtout, René va associer à son entreprise sa fille Thérèse, ingénieur de Centrale, et son fils Paul.

Paul Danger (1900-1965) sera lui aussi professeur à l’Ecole des travaux publics et au Conservatoire national des arts et métiers. Architecte DPLG, diplômé de l’atelier Deglane et Nicod de l’ENSBA, il se dotera de formations multiples puisqu’il obtiendra un diplôme d’études supérieures pour la Conservation des monuments anciens de la France, suivra les cours de l’Institut de technique sanitaire au CNAM et surtout sera un élève à l’IUUP, dont il sortit – major, dit-on – en 1941 [13] . Très actif au sein de la SFU et de la SADG où il représentait le volet en même temps délaissé et convoité de l’urbanisme, il n’aura que peu de publications à son actif et se consacrera essentiellement à l’élaboration des plans au sein de l’entreprise familiale [14] .

On peut partir de l’idée que le travail était résolument collectif, sans pouvoir préciser les tâches et prérogatives de chacun, d’autant que le personnel fixe, tel qu’il est présenté dans les années 1930, est « de 60 employés, en dehors des missions exceptionnelles » [15] . C’est ainsi que Ménudier, maire de la ville d’Oran dans la période d’établissement du PAEE au début des années 1930, mit à la disposition des frères et fils Danger le service des Travaux de la ville et de son chef M. Verny, en plus de la collaboration de M. Wollf (dont l’agence était domiciliée 10, rue de la Vieille-Mosquée). De la même façon que Michel Ecochard fut associé à l’établissement du plan de Beyrouth en 1936, Henri Prost l’avait été à celui de Smyrne comme urbaniste conseil en 1924 [16] . On sait que René contribuera à l’élaboration des plans d’Oran, Constantine, Alger, Tripoli, Alexandrette, Antioche et Beyrouth et, particulièrement dans le cas d’Alger et d’Alep, s’attachera, fort de sa formation d’architecte, à des projets d’ensembles monumentaux, à des aménagements de quartiers et de portes de villes. En France, il se consacrera tout particulièrement aux plans des villes de Troyes, Royan et La Rochelle, et se lancera après la Seconde Guerre mondiale dans la rénovation d’îlots insalubres et la réalisation de quelques grands ensembles. Sans prétendre à l’exhaustivité, mais pour donner une idée de l’ampleur des travaux effectués ou des projets établis, mentionnons les PAEE suivants : Marnesie et Ouchak (1923), Smyrne et La Valette, deuxième prix du concours international (1924), Alger, Fort-de-France et Pointe-à-Pitre, esquisse (1929), Oran (1930-1936), Alep, Beyrouth, Alexandrette, Antioche, Bône et Guelma (1931-1932), Tripoli (1931-1936), Damas (1936), Constantine (1938-1940). En métropole, les villes concernées par leurs plans sont Bidart (1926), Thonon-les-Bains et Troyes (1927), Sanary-sur-Mer (1928), Bergerac (1929), Montauban, Caen et Romilly (1930), Auxerre, Gagny, Sedan, Le Mont-Saint-Michel et Houlgate (urbaniste conseil) (1931), Ajaccio, Saint-André-les-Vergers, Sainte-Savine (1932), Périgueux (1933), comme par la suite et à des titres plus divers : Auxerre, Beaucaire, Bègles, Brunehamel, Étampes, Evreux, Gournay, Hendaye, Lisieux, Menton, Marmande, Meaux, Mont-de-Marsan, Nîmes, Royan, Rumilly, La Roche-sur-Yon, Pessac, Tulle et Rodez. Par surcroît, leurs projets furent primés à de nombreuses reprises au point que des médailles d’or leur furent attribuées à l’occasion des Expositions universelles de Bruxelles (1910), Strasbourg (1923), Turin (1926), Barcelone (1929), Liège (1930) et qu’ils obtinrent le grand Pprix de l’Exposition coloniale de 1931.

Le PAEE et les nouveaux grands traits de l’urbanisation d’Oran

Nous ne savons pas ce qu’a pu être l’avant-projet de plan d’extension dressé par le Service des travaux municipaux dont il s’est agit lors des séances du conseil municipal du 4 janvier et du 3 juin 1924. Mais il ne devait pas s’appuyer sur un fond de plan fiable de l’ensemble de l’agglomération puisque c’est pour établir ce relevé que les frères Danger sont sollicités par une décision du 24 février 1931.

« C’est à quoi a répondu le travail poursuivi pendant deux ans par MM. Danger frères, qui ont établi la planimétrie et l’altimétrie sur une triangulation et une polygonation des plus précises. Terminé en 1932, il a été revu et complété en 1934. »

Lespès, René, Oran, étude de géographie et d’histoire urbaines, Librairie Félix-Alcan, « Du Centenaire de l’Algérie, 1830-1930 », Paris, 1938 (p. 260).

Le plan Wollf fut établi en 1927 et nous pouvons faire l’hypothèse qu’il ne répondait pas totalement aux conditions requises soit pour être conforme à l’esprit ou aux termes même de la loi, soit pour emporter l’adhésion des élus. Le laps de temps (près de dix ans entre la décision première et la version soumise à la Commission supérieure de l’aménagement des villes du ministère de l’Intérieur) est considérable et nous rappelle que l’application de la loi Cornudet s’est immédiatement heurtée à de multiples difficultés, au nombre desquelles l’absence d’informations fiables sur l’état des lieux n’est pas l’une des moindres. Les compétences à requérir et la prise en charge financière à mettre en place pour financer les études, notamment pour des urbanistes ne pouvant escompter se payer sur des programmes de construction à l’initiative desquels ils auraient été à travers leurs propositions d’aménagement, en sont une autre. Quoi qu’il en soit (mais cette question mériterait d’être approfondie à partir de sources archivistiques), le plan est prêt en 1934 et Lespès en analyse ses principales caractéristiques, en faisant référence aux deux plans concernant le zoning actuel et le zoning futur de la ville. Nul doute qu’il ait lu le mémoire, mais sans en détailler l’organisation et le contenu. Il retient deux innovations principales : le désenclavement de la région des Planteurs, coupé du reste de la ville, notamment du faubourg Eugène-Etienne, par le ravin Raz-el-Aïn ; l’aménagement d’un « boulevard de ceinture épousant à peu près complètement le tracé des anciens remparts depuis l’extrémité nord du camp Saint-Philippe jusqu’aux anciennes portes de la gare, où il rejoint le circuit périphérique de quarante mètres » [17] . Un plan d’alignement prévoit également une sorte de deuxième périphérique au-delà des principales zones de petites habitations groupées et faisant la transition avec celles proprement périurbaines réservées à l’industrie ou aux villas isolées. Il s’empresse de dire que, si l’on compare ce plan à ceux qui l’ont précédé, on ne peut que constater qu’il reprend des idées émises depuis près de quarante ans en les adaptant à la situation du moment. C’est l’une des caractéristiques des PAEE, comme du reste de la plupart des plans établis récemment. Ils suivent, en effet, la direction indiquée par la ville comme organisme ayant sa propre logique, que la planification doit accompagner en en comprenant les ressorts plus ou moins cachés [18] . Il est donc d’une logique proprement urbanistique que, même en l’absence de connaissance des documents établis antérieurement et à l’analyse de la façon dont le terrain se présente, l’on aboutisse à des propositions similaires. En revanche, et malgré la timidité qu’il constate dans les moyens prévus pour résoudre le caractère défectueux, voire déplorable, de quartiers anciens tels que la vieille ville basse ou le quartier israélite, comme du reste, encore que dans une moindre mesure, ceux de la Vieille-Mosquée, de Saint-Michel, de Saint-Pierre, de Saint-Antoine et du Village-Nègre du nouveau Kargentah, il souligne l’innovation consistant à veiller à une répartition équitable et équilibrée des principaux équipements qui participent de la vie sociale des divers quartiers. Là est sans doute le principal apport des PAEE et de la contribution spécifique des frères Danger. La programmation des édifices d’utilité publique au principe de ce que nous appellerions maintenant les diverses formes de centralité urbaine, et qui vont de pair avec un développement moins planifié des commerces et des activités – notamment de bureau et tertiaire en général –, supposent une analyse fine et constamment actualisée du développement des activités et de la population. Ce type d’approche suppose la définition de ce que les sociologues nomment depuis la fin du xix e siècle la morphologie sociale et que certains urbanistes vont tenter d’articuler avec une lecture iconographique de la morphologie urbaine [19] . C’est bien dans cette optique que René Danger empruntera à René Maunier l’idée que toute organisation des hommes suppose une organisation parallèle des choses [20] . Le dossier de PAEE se distingue donc, à notre sens, des documents antérieurs par l’attention portée à l’analyse socio-démographique de la population, quartier par quartier, à la catégorisation et à la distribution des diverses composantes de cette population ainsi qu’à la résorption des défectuosités de l’hygiène et de l’insalubrité par le biais des équipements et des règlements de construction. La question des activités trouve une réponse plus simple, et également plus simpliste, dans un zonage sommaire car la distribution des activités, à l’exception des activités industrielles polluantes, échappe assez largement à la maîtrise des autorités dans leur localisation précise. C’est en revanche ce dont viendra s’enquérir Gaston Bardet, quelques années plus tard, avec ses fameuses analyses de topographie sociale.

Les documents concernant le PAEE d’Oran que nous avons retrouvés aux Archives de l’IFA sont répartis dans les deux fonds de René Danger [21] et de Gaston Bardet [22] , ce dernier ayant hérité des documents de ses prédécesseurs pour mener à bien son travail. D’après les documents conservés et la nomenclature utilisée, le dossier de PAEE comprenait les onze documents suivants :

- A1 : Plan topographique au 1/5000 [1 grand plan] ;

- A2 : Plan topographique au 1/2000 [6 plans A2 numérotés 1 à 6] ;

- A3 : Rapport d’enquête sur l’état actuel [mémoire de 37 p. 21 x 27 cm + 57 pièces annexes] [23] ;

- B1 : Plan projet d’extension au 1/5000 ;

- B2 : Plan projet d’aménagement au 1/2000 [6 plans B2 numérotés 1 à 6] ;

- B3 : Programme des servitudes [2 exemplaires avec des frappes différentes, 22 p.] ;

- C1 : Rapport justificatif du projet, 34 p. 31 x 27 cm ;

- C2 : [document absent] ;

- C3 : Études de détail [photos et photomontages concernant le ravin Ras-el-Aïn] ;

- C4 : Règlement de voirie [24] ;

- C5 : Règlement sanitaire [25] .

Le rapport d’enquête sur l’état actuel : A3) est un document qui illustre parfaitement cette façon de présenter les choses, en même temps indispensable et quelque peu affligeante, consistant à décliner des registres largement disciplinaires de lecture de la ville pour en dresser un tableau d’ensemble supposé édifiant d’un état physique et social des lieux : chap. 1 : Géographie, chap. 2 : Histoire, chap. 3 : Démographie, chap. 4 : Étude sanitaire, chap. 5 : Étude économique, chap. 6 : Étude administrative et sociale. Notons que ce travers des dossiers opérationnels se retrouve largement dans la plupart des mémoires de fin d’études de l’IUUP, comme du reste dans la plupart des documents actuels d’urbanisme, jusqu’à l’apparition de véritables thèses en urbanisme et aménagement dans les années 1960, c’est-à-dire très tardivement. Il n’empêche que ce mode de présentation, en particulier lorsqu’il s’efforce de faire référence à des faits historiques pour décrire certains aspects de l’espace urbain, manque totalement de pertinence aussi bien dans une démarche de recherche que dans l’ordre d’exposition de ses acquis. Bref, l’exposé tient plus d’un genre littéraire qu’on trouve par exemple dans le Guide bleu que d’une thèse supposant un argumentaire participant d’une démonstration permettant de vérifier la pertinence d’une hypothèse ou tout au moins d’une explication d’un état de fait sur les lieux et leurs usages par la population. Il n’empêche que les textes des urbanistes témoignent de postures intellectuelles, de jugements de valeur, de lectures des lieux et de façons de privilégier tel ou tel aspect de la réalité que le chercheur peut se proposer d’objectiver pour les mieux comprendre. Il pourra éventuellement les remettre en question en en dénonçant les aspects contestables, mais il faut bien reconnaître que les représentations qui les caractérisent font souvent tout simplement partie de l’air du temps et participent du sens commun des membres d’une technostructure naissante.

Le Rapport d’enquête est assorti d’une série de pièces annexes consistant en tableaux, graphiques schémas et de 12 plans en couleur au 1/20.000 (format A3), d’une qualité esthétique remarquable. René Lespès ne détaille guère que deux d’entre eux (le zoning actuel et le zoning futur) dans l’analyse qu’il fait du PAEE. Ces plans se fondent sur le relevé au 1/5000, dont ils reprennent les courbes de niveau et les grands axes comme fond de plan, sur lesquels ils présentent, avec des légendes à chaque fois renouvelées, les grands traits de leur analyse du site ainsi que les grandes lignes de leurs propositions de planification. Détaillons les succinctement.

- Ia. Schéma géographique a) Relief et hydrographie. Il va de soi que Le Murdjadjo et le quartier des Planteurs, d’un côté, le ravin Raz-el-Aïn, de même que celui du Ravin Blanc et le front de mer, de l’autre, mettent en évidence le blocage de l’urbanisation au nord et à l’ouest et, en conséquence, les zones « naturelles » d’extension au sud et à l’est, avec des axes de sortie rayonnants (vers Tlemcen, Misserghin, Mascara, Valmy, Sainte-Barbe-du-Tlélat, Alger, Saint-Cloud et Cristel). Tout indique une relation privilégiée de cette structure viaire avec l’hinterland ou le Maroc plutôt que vers Alger.

- Ib. Schéma géographique b) Géologie. Grés et alluvions anciennes dominent clairement sur tout le plateau.

- II Schéma historique. Le découpage très sommaire en six grandes périodes montre l’ampleur considérable de la ville au XXe siècle, au-delà des enceintes où s’étaient cantonnées jusque-là des extensions non négligeables dans la deuxième moitié du XIXe. Le mémoire signale fort à propos « que les servitudes créées par les terrains militaires ont permis à la ville de conserver le long de l’enceinte une zone assez large non construite », qui amènera tout naturellement la proposition d’une première rocade suivant en gros le tracé de ce qui est logiquement appelé à devenir des boulevards. Rappelons au passage qu’Oran fut sinon une place forte du moins une ville abondamment fortifiée et pourvue de nombreux terrains militaires (et, cela dit au passage, de belles casernes de style arabisant) dont le déclassement a suscité convoitises et intérêts.

- III. Densité de la population. Le découpage en 4 zones opéré à partir des données du recensement de 1936 fait apparaître une densité variable de moins de 50 (pour les zones résidentielles les plus excentrées) à plus de 700 habitants à l’hectare (pour le quartier « indigène » de Lamur, celui du Village nègre n’étant pas détaillé). À regarder de plus près la composition de la population telle qu’elle est présentée à partir du recensement, sur une ville qui compte environ 200 000 habitants, les Français ne représentent que 58 %, les Musulmans 23 % et les étrangers 16 %. Bien évidemment la distribution de ces trois catégories sommaires d’habitants est très inégale selon les quartiers. La population musulmane ne domine clairement qu’à Lamur (91 % et la densité la plus forte de l’ensemble de l’agglomération : 727 hab./hec.), Lyautey (91 % également, mais avec une densité très faible de 27), Sanchidrian (87 %) et au Fbg Médioni (61 %). À Courbet, Cuvelier, Cité Petit, Raz-el-Aïn, les choses sont plus équilibrées puisqu’on est à environ 30 % et 40 % pour Sananès. Pour ce qui est du logement social, il conviendrait de regarder immeuble par immeuble pour avoir une idée du sort réservé aux ayants-droit des deux communautés. Notons simplement que la Cité Giraud comporte un chiffre strictement égal de 123 personnes de chaque communauté alors que la population européenne domine clairement au Foyer oranais où apparurent les premiers HBM de la ville.

- IVa. Schéma sanitaire. Le Bureau municipal d’hygiène semble principalement s’inquiéter de la tuberculose et de la typhoïde. Le plan — d’une grande beauté esthétique par ses légendes colorées — identifie les quartiers insalubres (notamment La Calère, Raz-el-Aïn, Chollet, Lamur, Lyautey ainsi que, dans le centre, St-Pierre et St-Charles). Les hôpitaux et dispensaires largement implantés dans les zones périurbaines dites « d’ensoleillement total » semblent garantir une bonne desserte de la ville par les établissements de santé.

- IVb. Espaces libres publics actuels. Notons simplement que la dénomination « espaces verts » n’existait pas encore et que la légende permet de faire la différence entre les promenades et jardins, les places (toujours peu ou prou plantées) et les terrains de sport. Les cimetières et champs de manœuvre figure à juste titre sur cette carte qui repère plus les zones non bâties que la nature précise de la végétation. En revanche, les données statistiques concernant l’import-export, le mouvement des navires et des marchandises, comme, à la suite, les trafics ferroviaires et routiers des marchandises et des voyageurs, viennent à l’appui d’une évaluation d’une sorte de dynamique urbaine (qui fléchit du reste à partir des années 1930) qui se solde par des tableaux du nombre de permis de construire déposés de 1924 à 1935 et aux autorisations accordées dans les divers quartiers en 1934.

- Va. Zoning actuel, Vb. Schéma de la circulation actuelle vers l’extérieur et Vc. Schéma de la circulation locale actuelle sont des plans qui récapitulent des données qui ne sont pas détaillées dans des tableaux comme pour les autres rubriques. Le zonage ne fait guère que transcrire les grandes catégories de tissus urbains en mettant à profit les terrains militaires, glacis et autres zones non œdificandi pour préfigurer le premier et le deuxième « circuit périphérique » tels qu’ils seront projetés dans le plan général tel que Lespès le commente [26] . Relevons simplement que les tramways occupent une place de choix tant dans la circulation proprement urbaine que dans la desserte des faubourgs et que les transports en commun en général sont privilégiés par rapport à des véhicules individuels il est vrai encore en nombre peu important à cette époque. Il n’empêche que le désengorgement du nouveau centre à partir de la Place d’Armes devenait problématique et que le planVb prévoit une ligne de chemin de fer d’Oran à Hammam-Bou-Hadjar le long de la RN6 et démarrant non loin de la gare routière prenant place sur les terrains libres en face du Fort Saint-André. Plusieurs gares étaient du reste prévues selon les grandes destinations et axes de sortie de la ville. Alger, Oujda et Colomb-Béchar restent desservies par la gare du PLM permettant par ailleurs les branchements sur la zone industrielle des lacs et de La Sénia.

- VIa. Schéma administratif et VIb. Schéma scolaire offrent les images d’une structure urbaine dont la centralité se compose des principaux édifices publics de la ville, et plus particulièrement des écoles pour ce qui est du deuxième document. Il s’agit bien là d’une carte scolaire qui vise à la meilleure desserte possible des différents quartiers, encore que les zones majoritairement occupées par les populations musulmanes apparaissent moins bien dotées que les autres. Notons que la zone Lyautey-Lamur-Médioni bénéficie de ce qui semble être la seule école musulmane officielle de la ville.

- Zoning futur. Il récapitule les grandes orientations du PAEE telles qu’elles sont détaillées dans le dossier C1 Rapport justificatif du projet. Un aspect retiendra plus particulièrement notre attention : la zone B, qu’on peut dire « des faubourgs » compris entre les deux premiers circuits périphériques et différenciée en B : zone de petites habitations groupées et B’: quartier musulman. Zone C’: Les Planteurs mise à part, le plan prévoit d’organiser une cohabitation des populations selon qu’elles sont musulmanes ou pas dans cette sorte de couronne entre la zone A : de commerces et d’habitations collectives et les zones proprement périurbaines réservées aux villas isolées (C), aux industries (D) ou au maraîchage (E).

De la différenciation culturelle des quartiers d’Oran dans la planification

Le Programme des servitudes, B3, document qui va s’attacher à fixer le cadre réglementaire de la mise en application du plan, va nous permettre de préciser les mesures spécifiques concernant l’habitat des populations indigènes musulmanes. Alors que rien n’est dit concernant ni le quartier juif ni les zones dont on sait qu’elles sont occupées par des populations d’origine particulière – notamment la « ville nouvelle » dite aussi « village nègre » – on va ici indiquer :

« Zone B’- Zone musulmane de petites habitations groupées, plus spécialement affectées aux quartiers possédant les caractéristiques traditionnelles des cités musulmanes : maisons à terrasse avec patio intérieur et rues à arcades ».

B3 : Programme des servitudes, p. 3.

On retrouve cette spécification particulière des lieux dans le règlement fixant le maximum de surface constructible par lot, qui est des 3/4 pour cette zone B’(cf. article 28) alors qu’il n’est que des 2/3 dans la zone B (cf. article 22) et de 1/4 dans la zone C dite de villas isolées, et surtout dans l’article 25 qui oblige toute construction de la zone musulmane à comporter une terrasse dont la balustrade ne devra s’élever à plus de 8 m de hauteur alors que le faîtage des maisons européennes pourra atteindre 20 m. Manifestement, il s’agit de veiller à une hygiène des populations qui passe par l’image architecturale d’une salubrité qui doit faire bonne figure dans l’espace urbain. Cette façon d’investir le maximum de terrain disponible au détriment du jardin, et qui caractérise à l’heure actuelle l’habitat vernaculaire individuel de pratiquement toute l’Algérie, était donc déjà sensible à l’époque. La lutte contre l’exiguïté des constructions et les densifications abusives de cette zone B’amènera l’interdiction des constructions sur des parcelles de moins de 8 m de front de façade, 12,5 m de profondeur et de 100 m2 de superficie. Sur une même largeur de façade, la tolérance sera de 18 m de profondeur et de 144 m2 de superficie dans la zone B.

Dans le cas d’un lotissement nouveau, les lots ne devront pas avoir moins de 10 m de largeur, 15 m de profondeur moyenne et une surface de 150 m 2 en zone B’, alors que, dans les faubourgs européens, les exigences seront respectivement de 12 m, 20 m et 240 m2. Pour les villas isolées des quartiers C nettement conçus comme résidentiels, on sera à 15 m, 25 m et 375 m2. Ces dispositions réglementaires sont somme toute assez logiques et visent plus une amélioration que nous dirons intelligente et nuancée des divers types d’habitat et d’édifices qu’elles ne chercheraient à produire de la ségrégation.

Les auteurs du plan précisent en effet :

« L’élément arabe primitif n’a pas à ORAN conservé sa cité particulière comme il en existe par exemple à Fez, à Marrakech ou Rabat ; les guerres et les invasions sont peut-être la cause de cette disparition. A cet élément musulman primitif, des éléments ruraux se sont surajoutés, attirés par la prospérité du port et les transactions économiques générales. Cette population n’a pas pu se grouper autour d’un centre musulman ancien, puisque nous venons de dire que celui-ci n’existait guère et elle s’est répartie non pas en un seul endroit de la ville, mais au contraire d’une façon assez dispersée. Il s’est formé des quartiers comme le village nègre ou le quartier Lamur qui, s’ils contiennent un élément composé en majeure partie de musulmans, ne forment pas des cités musulmanes caractéristiques. Il n’existe pas à ORAN de Cité arabe avec les petites ruelles habituelles, les maisons fermées sur la rue et ouvertes sur un patio, mais seulement des quartiers de tracé et d’aspect européens avec une population musulmane.

Il nous a donc paru nécessaire, ainsi que cela a été fait déjà dans certaines villes du Maroc, de préparer la création de cités à tradition vraiment arabe, sans leur conserver, cela va sans dire, les inconvénients habituels des cités d’autrefois, c’est-à-dire manque de tout-à-l’égout, de confort et d’hygiène.

Il nous a donc paru intéressant de ménager près d’un centre déjà actuellement occupé par des musulmans, un emplacement réservé pour une cité nouvelle qui pourrait être le noyau d’un quartier plus étendu par la suite et qui restituerait non seulement par son plan, mais aussi par les servitudes imposées aux propriétaires, l’aspect traditionnel si agréable et si intime des vrais quartiers arabes. »

Rapport justificatif du projet, C1, pp. 4-5.

La rubrique particulière consacrée à cette question dans le chapitre IV concernant l’organisation de détail des quartiers reste cependant timide et compte plus sur l’organisation des équipements et de l’espace public que sur des réalisations exemplaires de logement social pour atteindre de tels objectifs, qui plus est au conditionnel.

« b) Quartiers musulmans.

L’artère axiale des nouveaux quartiers musulmans serait constituée par l’avenue Lamur élargie à 20 m. Un centre social et une cité musulmane sont prévus à l’extrémité de cette avenue ; on aurait 2 petites places, l’une à usage de marché, l’autre à usage de place de rassemblement comportant au besoin : salle des fêtes, mosquée, fontaine, etc.

La composition de ce petit centre musulman est prévue de façon que les rues nouvelles et l’ensemble même gardent le caractère intime et fermé des cités arabes.

Des petites places sont réservées assez souvent de façon à ménager des espaces libres et à ne pas avoir une densité exagérée de constructions.

L’extension de cette cité musulmane est réservée dans l’avenir dans la zone comprise entre le chemin de Valmy dit du figuier et la zone industrielle riveraine de la voie ferrée. »

Rapport justificatif du projet, C1, p. 32.

Il va sans doute de soi pour les urbanistes, comme pour nous du reste, que les populations musulmanes habitant les autres quartiers de la ville devaient être logées à la même enseigne que les autres citadins, même si on peut supposer sans grand risque de se tromper que les parties les plus dégradées ou les moins confortables du parc immobilier leurs étaient non pas réservées, mais dévolues en fonction d’un pouvoir d’achat en moyenne plus faible que celui des autres catégories de population de la ville. Il faut bien évidemment rester particulièrement prudent en la matière car les situations précaires et l’insalubrité des habitations, surtout depuis la Première Guerre mondiale et jusque dans les années cinquante (et à l’exception des bidonvilles qui vont fleurir dans les grandes villes, notamment avec le plan Challe) frapperont toutes les catégories de nouveaux arrivants dans la ville, quelles qu’aient pu être leur origine géographique, leur nationalité ou leur confession. Les romans d’Albert Camus ou d’Emmanuel Roblès en témoignent.

C’est en adoptant la méthode de répartition en échelons d’après sa fameuse topographie sociale que Gaston Bardet [27] , chargé d’actualiser le plan d’aménagement et d’extension de la ville en 1948 [28] , relèvera sans peine les disparités d’occupation des divers quartiers de la ville et les différences d’équipement qui sont d’autant plus visibles que « la division en arrondissements et en quartiers – préalable au plan d’équipement – aura pour but de remédier autant que faire se peut à cet état de fait. » Chaque échelon correspond aux divers quartiers de la ville. Cette division est celle selon laquelle s’opère la collecte des données sur la population lors des recensements. Bardet ausculte les quarante échelons que compte la commune d’Oran en mettant en évidence les différences de peuplement à partir des données du recensement de 1936, mais surtout les déséquilibres en matière d’équipements, d’infrastructures et de caractéristiques du bâti tels qu’ils apparaissent au lendemain de la guerre. On sait par ailleurs que la situation sanitaire et la misère d’une partie grandissante de la population inquiétaient les édiles, qui n’hésitèrent pas à mettre à contribution des médecins et autres enquêteurs pour faire le point sur l’état de la population dans les divers quartiers de la ville [29] . Le tableau récapitulatif fait clairement apparaître les différences démographiques, qui sont souvent des différences de densité compte tenu de la nature du bâti, et permet de repérer les éventuels problèmes d’inégale répartition aussi bien de la population que des équipements. Avec respectivement 18 156 hab., 16 300 hab. et 12 157 hab., Lamur, le Village nègre et le quartier israélite apparaissent largement en tête, la plupart des autres échelons comptant entre 1 000 et 6 000 habitants. Sur Lamur, Bardet note :

« Cet échelon représente un entassement indescriptible, un grouillement inimaginable, une promiscuité effarante, un conglomérat humain qui concentre sur lui l’une des densités d’habitation les plus grandes de la commune dans un espace extrêmement réduit et dépourvu d’hygiène. Le faubourg de Lyautey s’agglomère à celui de Lamur ; on y trouve le même entassement. Agglutinés l’un à l’autre, ils ne se peuvent dissocier dans cette étude.

Cet échelon, essentiellement résidentiel et d’artisanat indigène, renferme une population d’asociaux mélangés à d’autres catégories — les arabes ignorant la répartition en classes.

Tout est à y faire pour l’améliorer et le rendre viable. »

Bardet, Gaston, Répartition en échelons d’après la topographie sociale, Paris, février 1948 (échelon 29).

Du Village nègre, il déclare :

« Ce n’est pas un quartier, c’est une vraie ville indigène : la ville nouvelle comme l’appellent ceux-ci, le village nègre comme l’appellent les Européens.

Du volume de plusieurs échelons, mais en constituant, en fait, un seul, énorme, hors d’échelle, c’est une agglomération qui possède les caractères particuliers à l’habitat indigène : rues relativement étroites bordées de boutiques sans vitrines, murs aveugles derrière lesquels se presse une vie bruissante, bourdonnante, mais non bruyante. Rues encombrées de promeneurs ou de gens actifs travaillant partiellement sur la chaussée, de groupes de bavards ou d’enfants encroûtés ou gracieux, pas d’animaux, peu de voitures et [si] ce n’est dans les grandes artères. »

Bardet, Gaston, Répartition en échelons d’après la topographie sociale, Paris, février 1948 (échelon 18).

Et de décompter près de 20 écoles coraniques, 4 mosquées, 9 bains maures et le dispensaire indigène du boulevard Bourbaki.

Quant au quartier israélite, il le décrit de la façon suivante :

« Cet échelon, qui présente un caractère de surpopulation très particulier est plus particulièrement habité par le petit peuple des gagne-petit israélite, on y trouve également ceux de leurs riches coreligionnaires qui n’ont pas encore émigré à Kargentah.

Les rues de l’Aqueduc et du Mont Thabor sont caractérisées par les maisons d’illusion [sacré Bardet ! [30] ] qui s’échelonnent tout au long de celles-ci. »

Bardet, Gaston, Répartition en échelons d’après la topographie sociale, Paris, février 1948 (échelon 4).

Les maisons peuvent y monter jusqu’à cinq étages et la faible largeur des voies en fait en effet un des quartiers les plus sombres et les moins bien ensoleillés de la ville.

Nous ne détaillerons pas plus avant le travail de Bardet, faute de temps et de place dans ce bref aperçu de la planification d’Oran. Ceci d’autant plus que des dossiers similaires ont été établis par ses soins sensiblement à la même période sur d’autres villes d’Algérie, notamment Mascara et Constantine, et qu’il serait très instructif de se donner les moyens de les comparer.

Cette description un peu catastrophique des quartiers caractérisant la population musulmane pose aux chercheurs la question de savoir, entre autres choses, si la situation a évolué en se dégradant au lendemain de la guerre, au point que la situation est tout autre que dans les années 1930, ou bien si, outre le fait qu’il ne s’agit pas des mêmes urbanistes, c’est le regard porté sur la ville et sa population qui s’est transformé. Les deux raisons se conjuguent sans doute. D’abord parce que la période de la Seconde Guerre mondiale en Algérie, encore trop mal connue, semble avoir été celle d’une misère urbaine accrue corrélative d’une détresse des paysans de la campagne et d’un exode qui amène une détérioration des quartiers et des conditions d’habitation, ensuite parce que le marché de la consommation de masse naissant devait principalement profiter aux salariés, laissant les populations indigènes les plus démunies sur le bord du chemin. Il faudrait tout de même s’enquérir des conditions de vie des autres catégories de la population, car il me semble bien que le déficit en logements et les travaux d’amélioration de la ville dans son ensemble laissaient fortement à désirer au point que le Plan de Constantine arrivera trop tard pour sauver la mise des autorités. Mais, manifestement, le défi existe toujours.

Bibliographie chronologique de René Danger et Cie

• Danger, René

- Surfaces et divisions de surfaces, calculs trigonométriques suivis d’une table des carrés des nombres de 1 à 10 000 , Paris, Vve C. Dunod, 1901, In-16, XII-104       p., pl.

- Cours de topométrie urbaine, lever des plans de villes , professeur M. René Danger, géomètre des domaines de l’État, Paris, École spéciale des travaux publics, 1921, X-215 p., planches.

- Traité pratique d’arpentage, notions générales, lever des détails, nivellement, bornage, cadastre, remembrement, cubage des bois, formulaire, ouvrage illustré de 172 figures et hors-texte, Paris, Libr. Garnier frères, l928, In-16, III-306 p.

- Cours de topométrie urbaine, lever des plans de villes, deuxième édition, professeur M. René Danger, géomètre des domaines de l’État, Paris, Léon Eyrolles éditeur, coll. Encyclopédie industrielle et commerciale, 1929, II-212 p., fig., planches.

- la Technique des lotissements, Paris, Léon Eyrolles éditeur, 1930, 108 p.

- « L’emploi des photos d’avion comme base du dessin graphique des objets à la surface du sol », Urbanisme n° 34, 1933, p. 133.

- Cours d’urbanisme, préface de M. Risler, Paris, Léon Eyrolles éditeur, coll. Encyclopédie industrielle et commerciale, l933, In-4°, 359 p., fig.

- Peut-on Etablir un cadastre type international ?, London, Wyman & Sons Ltd, [1934], In-8°, 28 p., Ve Congrès International des géomètres, Londres, 1934 [Bib. du CNAM : Cote Br 1641].

- « La circulation de grand trafic dans la traversée des agglomérations », Urbanisme n° 35, 1935, pp. 151.

- « L’urbanisme en Syrie », Urbanisme n° 55, 1937.

- « Le remembrement urbain », Urbanisme n° 52, 1937, p. 39.

- « Préparation, procédure d’appropriation et réalisation des plans d’aménagement », Urbanisme n° 63, 1938, p. 315.

- le Géomètre-Expert, Ministère du travail, Centre national de documentation scolaire et professionnelle, Bureau universitaire de statistique, étude professionnelle n° 31 (l946), in-8°, 84 p., fig., plans.

- Traité d’arpentage, Paris, nouvelle édition, Garnier frères, 1947, In-16, III-339 p., fig., pl.

- le Géomètre-Expert, monographie, diplôme, Réglementation et formation , par René Danger [Mise à jour septembre 1947], Ministère du travail, Bureau universitaire de statistique et de documentation scolaires et professionnelles, monographie n° 31, (l948), in-8°, 80 p., fig., plan.

- Bureau universitaire de statistique et de documentation scolaires et professionnelles, le Géomètre-Expert par René Danger, monographie, diplôme professionnelle, avant-propos de Louis Ragey, ministère de l’Éducation nationale, ministère du Travail, Bureau universitaire de statistique et de documentation scolaires et professionnelles, l952, In-8°, 65 p., fig.

• Danger René, Danger, Raymon, et Danger, Paul, Caen, l’aménagement et l’extension de Caen, capitale de la Basse-Normandie, s.l., 1935, In-8°, 28 p., fig., plan hors texte.

• Danger, René, et Roussilhe, André, Cours de topométrie urbaine, lever des plans de villes, professé à l’Institut de topométrie au CNAM, 3 e édition revue et corrigée, Paris, Eyrolles, 1950, 140 p., fig., plans.

- « Opinion », Urbanisme n° 1-2, 1952, p. 42.

• Danger, René, et Morelle Georges, Expertise d’évaluation immobilière, Paris, Eyrolles, Bibl. de l’Institut de topométrie au CNAM, 1952, Gr. in-8°, 143 p., graphiques.

• Danger, René, et Roussilhe, André, Cours de topométrie urbaine, lever des plans de villes, professé à l’Institut de topométrie au CNAM, 4 e édition, Paris, Eyrolles, 1954, 140 p., fig., plans.

• Danger, René, et Morell, Georges, Expertise d’évaluation immobilière, Paris, 2e édition, Eyrolles, Bibl. de l’Institut de topométrie au CNAM, 1957, In-8°, 148 p., fig., multigraphié.

• Danger, Raymon, Cours de relevés d’architecture, Paris, 3e édition revue et corrigée, Eyrolles, Bibl. de l’Institut de topométrie au CNAM, 1962.

Préfaces

• Liger, E., Guide pratique de topographie usuelle à l’usage des élèves-ingénieurs, des élèves-topographes et des aspirants aux examens et concours des Ponts et Chaussées, Paris, 2 e édition par Marcel Gazeau, préface de René Danger, Dunod, 1942, In-8°, I-115 p., fig.

• Grelaud, Frédéric, Barème du forestier, Paris, Préface de René Danger, Garnier frères, 1947, In-16, 406 p., fig., planche.


NOTES

[1] - Frey, Jean-Pierre : Généalogie du mot “ urbanisme ”.- In : Urbanisme, n° 304, janvier-février 1999.- p.p. 63-71.

[2] - Incongruité source d’erreurs incessantes, le prénom du frère de René s’écrit bien sans le “ d ” final habituel.

[3] - Lespès, René : Oran, étude de géographie et d’histoire urbaines.- Paris, Lib. Félix Alcan, 1938, coll. du Centenaire de l'Algérie, 1830-1930, 509 p.

[4] - Cayla, Emile : Embellissement d'Oran, Avant-projet de déplacement et de reconstruction du parc aux fourrages et des quartiers de cavalerie, percement du boulevard Nord, prolongement du boulevard Malakoff.- Oran, impr. P. Perrier, 1891.- 31 p.

[5] - Cayla, Emile : Embellissement d'Oran, Avant-projet de déplacement et de reconstruction du parc aux fourrages et des quartiers de cavalerie, percement du boulevard Nord, prolongement du boulevard Malakoff.- Oran, impr. P. Perrier, 1891.- 31 p., p. 18

[6] - Topalov, Christian sous la dir. de, Laboratoires du nouveau siècle, la nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914.- Paris, Éd. de l’EHESS, 1999.

[7] - Mettant à part les recherches fondamentales, mais spécialisées, d'Eugène Hénard, l'orbe de l'année 1907 peut être fixée pour l'éclosion de l'urbanisme synthétique. Cette époque est marquée, en effet, principalement par les révélations des travaux de Stubben en Allemagne, d'Unwin en Angleterre, de Marcel Poëte en France, ainsi que par la féconde action du Musée Social qui groupait des spécialistes tels qu'Eugène Hénard, Forestier, Jaussely, Bonnier, Auburtin, Prost, de Souza, de Clermont, Benoît-Lévy, Juillerat, Georges Risler et Jules Siegfried. […] Tous ces efforts allaient permettre la réussite de deux sortes de travaux. Les premiers, ceux du Musée Social visant une réalisation humanitaire, aboutirent, après douze ans de lutte, à la promulgation de la loi Cornudet. Les seconds, visant l'esprit de la science elle-même, étaient le fruit d'un chercheur isolé.

Ce dernier, M. Marcel Poëte, admirablement placé pour centraliser et synthétiser toutes les recherches sporadiques sur la question, posait, dès 1908, les premières bases de ses méthodes et doctrines pour l'évolution des villes, qu'il devait depuis affirmer sans arrêt. Cherchant à harmoniser les tendances des traceurs esthètes ou géomètres avec celles des géographes, des historiens, d'architecture urbaine, des hygiénistes ou des économistes, il voulut, en clinicien, faire de l'urbanisme une science de l'observation."

Bardet, Gaston : Naissance de l'urbanisme :- In : Urbanisme, n° 28, juillet-septembre 1933.- p. 361 ; article repris dans Pierre sur pierre. Construction du nouvel urbanisme.- Paris, Editions L. C. B. Section Bâtiment, (1945).- 290 p., p.p. 3-6.

[8] - Halbwachs, Maurice : Les Expropriations et le prix des terrains à Paris, 1860-1900.- Thèse pour le doctorat de Droit, 415 p. publiée à Paris chez Cornély, E. en 1909 ; Halbwachs, Maurice : La Politique foncière des municipalités.- Paris, Lib. du Parti socialiste, 1908, coll. Les Cahiers du socialisme, n° 3, in-16.- 31 p. ; Halbwachs, Maurice : La Population et le tracé des voies à Paris depuis un siècle.- Paris, PUF, 1928.- 275 p. et 2 plans de planches hors texte.

[9] - Notamment : Écochard, Michel : Casablanca, le roman d’une ville.- Paris, Éd. de Paris.- 144 p.

[10] - Gaudin, Jean-Pierre : Desseins de villes, “Art Urbain” et Urbanisme.- Paris, L’Harmattan, 1991, Gaudin, Jean-Pierre : sous la dir. de, Les Premiers urbanistes français et l'art urbain, 1900-1930.- coll. In extenso n° ll, Paris, Ecole d'Architecture Paris-Villemin Ed., 1987.

[11] - Frey, Jean-Pierre : Quand Architectes et Architectes-Urbanistes parlent de la ville : deux définitions différentes de l'Urbanisme ?- in : Boudon, Philippe : Langages singuliers et partagés de l'urbain.- Paris, L'Harmattan, 1999.- p.p. 45-73.

[12] - “ Toutefois, j’ai le devoir de rendre hommage à M. le Maréchal Lyautey, en ce qu’il a été plus particulièrement l’animateur du présent cours. En effet, ce remarquable administrateur a eu l’idée hardie pour notre époque et la France, de créer au Maroc une école officielle de géomètres. J’ai été appelé, à la fin de la guerre, à y professer le cours des plans de villes. C’est le programme de ce cours qui, développé, amendé, forme le fond du présent ouvrage ” : Danger, René : Cours de topométrie urbaine, lever des plans de ville.- Paris, Ecole spéciale des travaux publics et de l’industrie, Léon Eyrolles, 1921, X-521 p. et pl., avant-propos

[13] - Paul Danger obtient en avril 1938 un “ DES pour la connaissance et la conservation des monuments anciens de la France ” (cf. Rapport annuel 1937-1938 des comptes-rendus du Conseil d’administration de l’IUUP). Son cursus de première année de l’IUUP est validé le 8 juin 1939, celui de sa deuxième année, le 16 octobre 1940. En revanche, nous pouvons affirmer qu’il ne sera jamais diplômé faute d’avoir soutenu un mémoire l’année suivante, sans doute à cause de la guerre. Il n’apparaît pas dans la liste des diplômés et disparaît de celle des inscrits. Contrairement à ce qu’indique la notice biographique de l’IFA le concernant, il fut diplômable, mais pas diplômé, sauf à avoir bénéficié d’une mesure exceptionnelle dont nous n’avons pas trouvé trace.

[14] - On peut évidemment se poser la question de savoir s’il avait la même vision de l’urbanisme que la génération précédente de géomètres et si on lui confiait des tâches particulières en vertu de sa formation spécifique d’architecte DPLG et d’urbaniste DIUUP.

[15] - Cf. Archives de l’IFA. Le fonds d'archives conservé au centre d'Archives de l'Institut Français d'Architecture ne correspond qu’à une petite partie des archives de la Société des plans régulateurs de villes et ne reflète que très partiellement son intense activité qui débute dès 1923. Il ne concerne que huit projets établis entre 1930 et 1944 dont deux seulement pour la France (Périgueux et Rodez), trois pour l'Algérie (Oran, Constantine et Bône), deux pour le Liban (Beyrouth et Tripoli) et celui de Damas avec Michel Ecochard.

[16] - Frey, Jean-Pierre : Henri Prost (1874-1959), parcours d’un urbaniste discret (Rabat, Paris, Istanbul…).- In : Urbanisme, n° 336 : Utopie(s), mai-juin 2004, pp. 79-87

[17] - Lespès, René : Opus cité.- p.p. 258-259.

[18] - C’est en tout cas la ferme recommandation de Marcel Poëte et des urbanistes dits “ culturalistes ” qui adhèrent aux idées transmises à l’IUUP et portées par la SFU dans l’entre-deux-guerres.

[19] - Halbachs, Maurice : Morphologie sociale.- Paris, A. Colin, 1938.- Coll. Armand Colin, section de philosophie, n° 211. Cf. également sur la place accordée aux questions les questions de morphologie dans les analyses sociologiques de l’urbain : Frey, Jean-Pierre : ”Paul-Henry Chombart de Lauwe : la sociologie urbaine française entre morphologies et structures”.- in : Espaces et société, n° 103 : Paul-Henry Chombart de Lauwe et l’histoire des études urbaines en France, Paris, L’Harmattan, 2001.-p.p. 27-55 ; Frey, Jean-Pierre, “ Prolégomènes à une histoire des concepts de morphologie urbaine et de morphologie sociale ”, in : Morisset, Lucie K., Noppen, Luc : Les Identités urbaines, échos de Montréal, Québec, Éd. Nota bene, 2003, 318p..- p.p. 19-35.

[20] - Danger, René : Cours d'urbanisme (Technique des plans d’aménagement des villes), préface de M. Risler.- Paris, Librairie de l’enseignement technique, Léon Eyrolles Éditeur, 1933.- Coll. Encyclopédie industrielle et commerciale, 359 p.

[21] - Carton [116-IFA-4]

[22] - Carton [161-IFA-002] contenant le dossier A3 du PAEE de Danger et Wollf et carton [161-IFA-015/1] contenant également des documents concernant Constantine et Philippeville.

[23] - Document absent des archives Danger mais contenu dans le carton [161-IFA-002] des archives Bardet.

[24] - Gouvernement Général de l’Algérie, Département d’Oran, Ville d’Oran, Règlement Sanitaire de la Commune d’Oran (décret du 5 août 1908), Règlement général de voirie, Oran, impr. Hassoun, 1934, 85 p.

[25] - Gouvernement Général de l’Algérie, Département d’Oran, Ville d’Oran, Règlement Sanitaire de la ville d'Oran (décret du 3 Août 1908), Éd. Solal, Aind et Cie, Oran, 1911, 34 p.

[26] - Lespès, René : Op. cité.- p. 256.

[27] - À défaut de lire les textes de Bardet lui-même, on pourra consulter : Frey, Jean-Pierre : “[Jean-] Gaston Bardet. L’espace social d’une pensée urbanistique“, in : Les Études sociales, n° 130 : Voyages d’expertise, 2° semestre 1999, pp. 57-82 et Frey, Jean-Pierre, ”Gaston Bardet, théoricien de l’urbanisme “ culturaliste ””, in : Urbanisme, n° 319, juillet-août 2001.- p.p. 32-36.

[28] - Bardet, Gaston : Commune d’Oran, répartition en échelons d’après la topographie sociale.- Paris, février 1948, texte multigraphié non paginé, Fonds Bardet des Archives de l’IFA.

[29] - Benkada, Saddek : Un demi-siècle d’extension de l’espace périphérique oranais, à travers quelques exemples de politiques d’urbanisation (1948-1998) ”.- In : Insaniyat, n° 13, janvier-avril 2001.- p.p. 95-104.

[30] - Interjection de JPF. C’est en effet le quartier des maisons de passe, closes, des bordels, en somme, et ce type d’activités tenaces perdurent…

 

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