Pompage de l’eau et désertification dans la Vallée du Draâ moyen : cas de la palmeraie de Mezguita (Maroc)

Insaniyat N°51-52| 2011 | Le Sahara et ses marges | p.65-81 | Texte intégral 


Water pumpage and desertification in the Draâ Valley : the Mezguita palm grove example (Morocco)

Abstract: The Mezguita palm grove situated in the upper Draâ Valley in southern Morocco is characterized by intensive agriculture, thanks to irrigation. Actually with surface water becoming rare because of prolonged drought and the building of the Mansour Eddahbi dam, farmers have turned to pumping underground water to meet their needs for their crops, mainly for date palms and cereals. Nevertheless this uncontrolled way of using water contributes to degrade the oasis eco system; this situation necessitates an elaboration of guides for reflection in order to safeguard the hydraulic potentialities and palm grove patrimony.
Keywords: oasis, intensive water pumping, desertification, safeguarding, eco system.


Aziz BENTALEB: Unité des études et des recherches environnementales, Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), Rabat, Maroc.


La désertification est un phénomène de dimension mondiale qui touche un quart des terres émergées de la planète et met en danger les moyens d'existence d’environ 900 millions d'habitants (PNUE[1], 2002). Au niveau du Maroc, les régions méridionales touchées actuellement par ce fléau se situent au Sud d’une ligne Agadir-Ouarzazate-Errachidia, à l’Est du Maroc (Moulouya (Missour), les Hauts Plateaux et certaines régions du Rif. La Vallée du Draâ moyen se place, quant à elle, en tête des zones qui sont les plus menacées par la désertification et par les problèmes d’épuisement des nappes phréatiques. Cet espace de six palmeraies qui subit des transformations écologiques et socioéconomiques constitue une région subsaharienne au Maroc méridional. Il est limité au nord par le Jbel Saghro, à l’est par la remontée nord du Jbel Bani, au sud par la Hamada du Draâ et à l’ouest par l’Anti-Atlas, dont elle sépare la partie orientale de la partie occidentale par une gorge sous forme de canyon appelé Tarhia.

Sous le bioclimat aride, les processus de désertification dans le Draâ moyen entravent les tentatives de développement durable. La croissance démographique et la gestion devenue inappropriée des zones agricoles et pastorales, ajoutées aux fréquentes sécheresses, ont pressé le processus de déséquilibre écologique. Ceci se manifeste à travers une érosion hydrique et éolienne, la disparition progressive de la biodiversité et la réduction de la productivité des sols.

Figure 1  : La palmeraie de Mezguita dans la Vallée du Draâ moyen 

1. Présentation de la zone d’étude

La palmeraie de Mezguita qui se situe à 64 km d’Ouarzazate constitue l’oasis la plus en amont du bassin du Draâ moyen (fig.1). Elle totalise une superficie brute de 3536 ha et celle cultivable de 2419 ha, sur laquelle se concentre une masse humaine d’environ 35830 habitants, avec une densité agricole moyenne de 14 habitants/km2 (contre 30hab/km2 dans l’agglomération urbaine d’Agdez). L’agriculture dans la zone qui est dépendante de l’eau d’irrigation se caractérise par de petites exploitations agricoles, où les surfaces varient de 1 à 2 hectares (palmier dattier, cultures sous jacentes). L’élevage est généralement sédentaire, composé d’ovins, caprins et bovins.

Palmeraie

1971

1982

1994

2004

Taux annuel 1971-1982

Taux annuel

1994-2004

Mezguita

19504

25003

34442

35830

2,5

0,4

Municipalité d’Agdez

1960

3796

5870

7945

8,5

3,1

Source : RGPH (1971 ; 1982 ; 1994 ; 2004).

L’analyse des données des recensements généraux de 1971, 1982, 1994 et 2004, montre l’importance de la croissance rapide de la population de Mezguita (tab.1). Celle-ci s’expliquerait par l’amélioration des conditions de vie des oasiens, la fécondité élevée (ISF 3,5 contre 3 au niveau national) et la sédentarisation des nomades, qui constituent une grande partie de la population de l’agglomération urbaine d’Agdez. Cette croissance augmente la demande en terres et entraîne comme conséquence des effets dommageables sur l'environnement local.

L’exploitation des données publiées par le HCP (Haut Commissariat au Plan) et le RGPH en 2004, montre que la population active dans la zone (15 à 59 ans) est de 49%, soit un taux brut d’activité de 20,3%. Le taux d’analphabétisme et de vulnérabilité à la pauvreté sont respectivement, de 50% et 53,42%. Ceci met en évidence la précarité des conditions socio-économiques des oasiens.

Le choix de cette oasis pour l’étude du pompage, découle du fait qu’elle est caractérisée par la présence d’une nappe de cuvette, circulant dans les formations détritiques du Quaternaire moyen et récent. Celle-ci est devenue parmi les nappes les plus exploitées par le pompage. En fait, la motopompe à eau a des effets remarquables sur le paysage agraire et de plus en plus sur le niveau piézométrique des aquifères.

2. Emergence du phénomène de pompage privé et son évolution dans la Vallée

Le périmètre de la Vallée du Draâ compte parmi les plus importants et les plus anciens périmètres irrigués au Maroc. Les sécheresses répétitives et la limitation des ressources en eau n’ont pas permis la valorisation des énormes efforts consentis en matière d’aménagement hydro agricole. Ainsi, le recours au pompage privé trouve sa justification dans les servitudes de l’eau de surface et dans les aléas climatiques. La disponibilité de l’eau souterraine permet à l’agriculteur d’être autonome vis-à-vis de la programmation des irrigations.

Avant même la construction du barrage Mansour Eddahbi et plus souvent depuis l’époque coloniale, certains puits avaient été équipés pour pallier les défaillances des eaux superficielles. Chamayou[2] (1966) notait l’existence de 205 puits motorisés dans toute la Vallée, tandis qu’une autre étude estimait le chiffre à 185 en juillet 1969 (MEPN[3], 1969). Le nombre de motopompes était en tout cas réduit avant la construction du barrage. Paradoxalement, les pompages privés se sont développés d’une façon massive durant la période de construction du barrage (2001 puits motorisés en 1977 contre 5421 en 1987 et 1441 puits en 1993), car l’intervalle de distribution de l’eau à partir des lâchers du barrage n’est pas adapté aux besoins en eau des cultures qui exigent des irrigations fréquentes (maraîchage, luzerne, henné).

La succession des années de sécheresse était une véritable épreuve pour l’ensemble des infrastructures hydrauliques modernes mises en place. Bien que l’intérêt du pompage ait été connu avant les années de sécheresse, l’organisation de la propriété, son morcellement et son éparpillement ainsi que les coûts de l’équipement n’encouragent pas alors les paysans à se lancer dans cette nouvelle forme de mise en valeur (Jarir M., 1983[4] et Hrou Azizi., 1983[5]). L’usage de cette technique était alors limité à certains domaines et à certains particuliers qui disposaient des moyens nécessaires.

Les raisons d’adoption du pompage (de 1147 en 2000 à plus de 1400 puits équipés en 2008) dans la palmeraie de Mezguita selon l’étude des réponses des exploitants, fait apparaître ces principales causes    (Bentaleb A.[6], 2008) :

* 64% des « adoptants » citent la sécheresse (l’aridité du climat et l’édification du barrage Mansour Eddahbi) pour justifier l’achat de leurs motopompes.

* 20% des exploitants trouvent que la rentabilité des cultures irriguées et la possession des grandes superficies irriguées sont des bonnes raisons pour l’adoption du pompage, notamment dans les extensions de l’Oued Drâa.

 * 7% des exploitants ont évoqué les problèmes de la distribution coutumière de l’eau de la seguia, notamment la priorité de l’amont sur l’aval. Le pompage était donc une solution adéquate pour la gestion privée de l’eau et pour éviter les conflits sur le partage de l’eau de la seguia.

En général, le pompage dans les exploitations de la zone est une stratégie développée par les agriculteurs, afin de faire face aux aléas climatiques, favorisés par l’édification du barrage Mansour Eddahbi. Le tarissement des seguias, le morcellement de la terre, le désir d’avoir une certaine autonomie dans la gestion de l’eau et l’amélioration des revenus agricoles constituent des facteurs prépondérants dans l’adoption de l’innovation de la motopompe. Par contre, l’adoption du pompage mécanique est le seul moyen pour l’irrigation des exploitations nouvelles qui adoptent le système cultural intensif, visant la commercialisation des productions.

3. Impact du pompage sur l’écosystème du Mezguita

3.1. Systèmes de production agricole

La motopompe dans la palmeraie de Mezguita a permis aux agriculteurs d’introduire des cultures rentables et grandes consommatrices d’eau, malgré les conditions pédoclimatiques peu favorables. Ce mode d’utilisation des terres a un impact sur le système cultural des exploitations enquêtées. L’analyse des résultats de la figure N°2 montre les remarques suivantes :

- L’assolement : la superficie agricole totale et le pourcentage de celle irriguée sont marqués par une évolution ascendante après l’adoption de la motopompe. L’extension des exploitations intra-palmeraie et extra-palmeraie se fait soit par le mode d’achat, soit par l’aménagement foncier des terres collectives hors palmeraie après leur distribution.

Figure 2 : Assolement des exploitations avant et après le pompage (%)

 

Source : Enquête du terrain 2008 (figure droite gauche : avant pompage et droite après pompage).

  •  - La jachère : La part des surfaces laissées en jachère semble dépasser largement les 49% de la surface totale avant le pompage, contre seulement 10% après l’adoption du pompage : de nombreux exploitants, sinon la majorité, ont cultivé leurs parcelles successivement pour intensifier le système de la production agricole sans tenir compte de la capacité des facteurs des productions physiques, notamment l’eau et le sol.

Les cultures rentables ne cessent d’augmenter soit en nombre ou en superficie, à cause de leur prix important sur les marchés. La substitution des variétés locales par d’autres sélectionnées (pommier, olivier etc.) est un indice fort des mutations en cours.

3.2. Rotations culturales et valorisation du travail agricole

Les rotations culturales pratiquées avant l’irrigation par l’eau de la nappe ont été généralement du type triennal. Les agriculteurs alternaient les céréales, les légumineuses, le maraîchage et la luzerne. Actuellement, le type de rotation le plus répandu est biennal entre le maraîchage et les céréales, particulièrement le blé tendre. Ce fait s’explique par l’irrigation intensive sur toute l’année qui permet aux agriculteurs de dégager des marges brutes importantes en courte durée. On remarque aussi les faits ci-dessous :

  • - Un déficit d’hommes d’âge compris entre 25 et 45 ans, dû au phénomène d’émigration de cette classe d’âge.
  • - La quasi-totalité des exploitations (sauf celles aux surfaces très réduites) font recours à la main d’œuvre temporaire rémunérée généralement en argent (40 à 50 Dirhams/jour), parfois en nature avec une partie de la production (datte, céréales etc.). Ces employés sont sollicités de façon quasi-systématique pour effectuer les travaux de préparation du sol (labours, planage des casiers) et de cueillette. Selon la disponibilité en main-d’œuvre familiale, le chef de foyer peut également faire appel à des journaliers pour réaliser l’irrigation ou le désherbage. Certaines tâches sont réservées à des ouvriers spécialisés, comme pour toutes les opérations concernant le palmier dattier (taille, élagage, récolte).
  • - L’entraide entre voisins : plus fréquente dans les exploitations traditionnelles et quasiment nulle dans les exploitations hors palmeraies. Lors des récoltes ou de la préparation du sol, plusieurs paysans peuvent s’entraider pour réaliser ensemble les travaux sur leurs exploitations respectives. Le poids de ce système traditionnel d’entraide (Tiwizi) varie d’une zone à l’autre. Cette pratique de solidarité commence à disparaître en raison de l’individualisme qui s’est développé rapidement après l’effritement des structures sociales traditionnelles et l’adoption de la technologie moderne.

3.3. Impact économique du pompage sur les exploitations agricoles

Pour caractériser l’effet direct du pompage sur le budget des exploitants, nous avons analysé uniquement certains paramètres agro-économiques liés à la marge brute de quelques cultures. Comme déjà avancé, les cultures irriguées par le pompage ont un rendement plus important que celles irriguées par la seguia. (tab.2).

Culture

rendement (Qx/ha ou kg/pied)

% de la production commercialisée

avant pompage

après pompage

avant pompage

après pompage

blé tendre

18

28

0

10

Maraîchage

100

220

14

67

Légumineuse

8

14

12

14

Luzerne

550

700

5

7

Olive

4

12

0

0

Amande

4

11

0

5

Pomme

14

20

70

70

Abricot

24

30

70

70

Grenade

16

20

0

5

Dattes

14

25

75

80

Pastèque

250

330

0

85

Melon

210

280

0

30

Henné (tonne)

0,67

2,5

75

90

Source : Enquête du terrain 2008.

Autrefois, la vocation principale des cultures de l’étage inférieur était d’abord la satisfaction des besoins alimentaires de la famille et du bétail. En effet, le blé tendre constitue la céréale de base, consommée principalement sous forme de farine (pâtisserie, pain) et de semoule (couscous). Cette céréale est exclusivement autoconsommée dans les foyers agricoles. Sa production est généralement inférieure aux besoins annuels de la famille. En revanche, les fermiers des exploitations nouvelles disposent de surfaces plus importantes et commercialisent environ 10% de leurs excédents.

La vente des produits des cultures maraîchères (tomate, pomme de terre, carotte, navet etc.) et des légumineuses (petits pois et fèves) est rare. Après l’irrigation, environ 67% des maraîchères et 14% des légumineuses sont destinées à la vente dans les marchés locaux. La luzerne occupe une place importante dans l’assolement (plus de 15% en moyenne). Elle constitue un des piliers de l’alimentation animale tout au long de l’année. Sa part vendue dans les souks reste faible avant et après le pompage (5% contre 7%). Elle est exclusivement destinée à l’alimentation du cheptel.

Parmi les produits arboricoles commercialisés, nous retenons principalement les dattes (actuellement 80% contre 70% de la quantité produite avant pompage), les pommes et les abricots (70%), les amandes et les grenades (5%), les olives restent un produit d’autoconsommation en raison de leurs faibles rendements.

Les enquêtes du terrain effectuées dans les exploitations agricoles ont aussi mis en évidence l’importance du melon et de la pastèque dans la zone. Son rendement est passé respectivement de (210-250qx/ha) avant le pompage à (230-330qx/ha) après l’adoption du pompage.

La culture du henné constitue la spécificité des zones d’extension hors palmeraie. Cette plante aromatique (Lawsonia inermis ; en arabe Henna) est une salicaire arbustive originaire de l’Inde, mais très ancienne dans la région. C’est une culture pérenne dont la durée de vie est de 10 à 15 ans. Elle est également très vulnérable à la salinité et très exigeante en eau. Malgré les mauvaises herbes, essentiellement le chiendent qui perturbe fortement la croissance du henné, l’enquête sur les exploitations hors palmeraie a montré que le rendement du henné est passé de 0,67T/ha à 2,5T respectivement avec le pompage. Par cette analyse comparative des rendements pour chaque culture, le calcul de la marge brute de spéculation montre que le pompage a révolutionné les systèmes culturaux, en améliorant la rentabilité économique des exploitants. Les superficies sont ainsi rapportées en hectare afin de mettre toutes les cultures sur la même échelle. Cette logique permet de comparer facilement la rentabilité économique entre les cultures.

Il s’avère d’après ces analyses des rentabilités économiques des activités agricoles que la marge brute totale la plus élevée est enregistrée respectivement par le palmier dattier, les cultures maraîchères, la luzerne, le henné, l’élevage et enfin, on trouve en bas de la hiérarchie des cultures moins rentables, telles les céréales. L’introduction du pompage a permis une nette amélioration du revenu brute de l’exploitation. Il conviendra de signaler que la marge brute procurée par le palmier dattier est respectivement supérieure 57 fois à celles du blé tendre, 6 fois à celle du henné, 3 fois à celle de la luzerne et 2 fois plus à celles des maraîchages. Ceci montre bien, l’importance du palmier dattier dans la constitution des revenus des exploitants. A ce titre, on recommande, la replantation de bonnes variétés de palmiers résistantes au bayoud dans la zone pour améliorer d’une part le budget économique des agriculteurs, et d’autre part, pour préserver l’écosystème oasien par une ceinture de palmiers, qui constitue sans doute un rempart contre la désertification.

3.4. Impact écologique de l’introduction du pompage

L’adoption des innovations du pompage dans la zone a engendré des effets pervers, notamment :

a. L’apparition des nouvelles maladies

Suite à la pratique de l’irrigation, de nouvelles cultures sont apparues et avec elles de nouvelles maladies se sont développées. (Photo 1 et 2).

La majorité des agriculteurs, notamment ceux des exploitations hors palmeraies ont commencé à intensifier l’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires après l’adoption du pompage. 70% des agriculteurs ont déclaré l’apparition au moins d’une maladie sur leurs champs irrigués. De plus, l’irrigation intensive a favorisé le développement d’une phanérogame appelée "cuscute" sur la pomme de terre. La courgette, l’oignon, la tomate et les carottes sont touchés par des ravageurs et des mauvaises herbes notamment les pucerons et la noctuelle. Il s’agit d’une plante sans racines ni feuilles qui s’accroche aux plantes hôtes le long de la tige. Ce parasite constitue un sérieux danger, car aucun traitement d’après les agriculteurs ne se révèle efficace. En effet, les céréalicultures sont soumises au cours de la période printanière à des attaques systématiques de Sésamies (Sésamia calamistis - insectes foreurs des tiges et des épis) et de la folle avoine. L’arboriculture a subi également l’influence au moins d’une maladie qui touche en particulier le pêcher, l’amandier et l’abricotier. Il s’agit d’une croûte noire, connue localement par l’appellation de « Tamsloularte » et recouvrant la tige de l’arbre.

Le milieu oasien enquêté est donc actuellement favorable au développement des maladies cryptogamiques et des insectes ravageurs des cultures basses. Les paysans mentionnent assez fréquemment que les produits phytosanitaires constituent l’une des causes initiant la bonne production agricole, notamment dans les fermes hors palmeraies. Le recours à des pesticides est très fréquent, on le trouve plutôt chez des exploitants ayant davantage des cultures maraîchères génératrices de revenus.

b. Evolution de niveau de la nappe

Les principaux aquifères de la palmeraie de Mezguita sont des nappes alluviales peu profondes. Le taux de renouvellement des nappes est quasiment dépendant des lâchers du barrage dans les oasis traditionnelles et de l’importance des précipitations dans les oasis nouvelles. La surexploitation des nappes profondes engendre un appel d'eaux plus salines (Hachicha M et al, 1995[7]).

L’analyse du niveau piézométrique de la nappe met en évidence la mauvaise situation des ressources souterraines. En effet, le volume pompé dans les extensions (62844,29m3/an/par exploitation) est presque 2fois (1,70fois) supérieur à celui prélevé dans les oasis traditionnelles (36849,13m3/an/par exploitation). Ce fait, montre la surexploitation des ressources souterraines et l’accentuation de la baisse du niveau piézométrique qui est en relation avec le phénomène de la diffusion des motopompes dans la région ; ce qui force les agriculteurs à approfondir leurs puits pour avoir une eau suffisante.

 

Profondeur totale (m)

Niveau

piézométrique 1993 (m)

Niveau

piézométrique 2008

Rabattement (m)/an

 

A date moyenne de creusement (1993)

2006

Palmeraie

10,61

12,85

8,7

11,50

0,17

Hors palmeraies

14

17,57

12

15,75

0,23

Source : Enquête du terrain, juin 2008.

 La profondeur totale moyenne des puits à la date moyenne de creusement (1993) était de 10,61m pour toute la palmeraie et de 14m pour les zones hors palmeraies. Actuellement, la profondeur moyenne est de 12,85m en palmeraie et 17,57m hors palmeraies à cause de la pression sur les ressources en eau. Le niveau piézométrique dynamique au cours des années de pompage a connu une diminution considérable. Il est passé de 8,7m en 1993 à 11,50m en 2008 dans les exploitations traditionnelles (soit un rabattement annuel de la nappe de 0,17 m par an) et de 12m à 15,75m dans les exploitations hors palmeraie, soit un rabattement annuel de 0,21m (tab.3).

Photo 3 : Cas d’une exploitation moderne abandonnée en raison de l’épuisement de la nappe

Source : Aziz Bentaleb, Ouriz le 22 Mai 2006.

Le pompage non contrôlé a eu des effets pervers sur l’environnement et sur la durabilité de l’agriculture oasienne (photo.3). Donc, la survie du milieu oasien et ses extensions dépend d'abord de la bonne gestion de ces ressources peu renouvelables.

c. Qualité des eaux souterraines

Lors de nos enquêtes, nous avons mesuré la conductivité électrique (CE) des eaux à l’aide d’un conductimètre. La salinité (g/l) étant déterminée en multipliant la valeur de la conductivité électrique (ms/cm) par le coefficient 0,743.

La variabilité de la salinité des eaux des points d’eau étudiés est fonction des caractéristiques hydro-pédologiques et géomorphologiques de l’oasis, mais aussi du contexte géomorphologique de la région et de l’emplacement des puits par rapport à l’axe de l’oued Draâ. L’interprétation des résultats de la figure N°2, montre que la qualité des eaux souterraines présente de fortes variations latérales et verticales en fonction des variations lithologiques de l'aquifère et des activités agricoles. La salinité très variable à l’échelle spatiale, suit d’une part un gradient croissant allant de l’amont vers l’aval hydraulique, et d’autre part un gradient latéral de la palmeraie vers ses extensions.

La CE est la plus élevée au niveau des oasis traditionnelles avec des variations remarquables entre la palmeraie (1 et 1,50g/l) et ses bordures extrêmes (0,56-0,99g/l) d’une part ; et entre la palmeraie et ses extensions ‘‘oasis modernes’’ (0,33-0,55) d’autre part. La moyenne générale de Ph obtenue pour toute la zone est de l’ordre 7,46. Ces valeurs varient entre 7,1 et 7,5 dans la palmeraie traditionnelle et entre 7,5 et 7,9 dans les oasis nouvelles. La basicité du Ph peut être liée à l’abondance des ions sodiques et leur effet alcalisant.

Figure  2 :  : Evolution spatiale de la salinité des eaux souterraines dans la palmeraie de Mezguita et ses extensions (g/l)

Le diagnostic et l’examen des résultats de CE, nous ont permis de déceler 3 zones à conductivités électriques différentes :

  •  - zone fortement saline : elle est située soit dans l’axe de l’oued Draâ, soit en aval de la palmeraie (sauf Tirazouine). Ce rayon représente 76,66% des totaux des puits enquêtés, dont la CE varie entre 1g/l et 1,50g/l. Ce résultat montre la dégradation de la qualité des eaux des puits en allant soit vers le sud de la Vallée (en raison des facteurs topographiques et climatiques) soit en direction de l’oued à cause de l’infiltration des eaux superficielles, lors des lâchers du barrage chargés en sel.
  • - zone moyennement salée : cette bande représente 10% de points d’eau enquêtés. Elle se situe généralement dans les bordures extrêmes de la palmeraie (Ouriz et Tafergalte). Le CE varie entre 0,56 et 0,99g/l. Ce résultat fait apparaître l’amélioration de la qualité des eaux lorsqu’on s’éloigne latéralement de l’oued Draâ.
  • - zone moins salée : elle constitue un ruban étroit correspondant aux oasis modernes développées récemment hors la palmeraie traditionnelle (13,33%). Elle est caractérisée par de faibles teneurs en sel, du fait que la CE oscille entre 0,33 et 0,55 g/l. L’alimentation de la nappe repose alors sur les précipitations et les crues des ruisseaux. L’installation de l’agriculture orientée vers la commercialisation dans ses oasis menace sans doute la pérennité et la qualité des eaux souterraines, en raison du surpompage anarchique et de l’utilisation abusive des intrants.

En fait, 95% des agriculteurs de la zone utilisent les fertilisants azotés et diverses sortes d’engrais. Ce sont les engrais d’azote ammoniacal sous forme de chlorure, de phosphate sous forme d’anhydride phosphorique (P2OS), outre les engrais complexes ternaires de type 19-38 et NPK de type 14-28-14, plus proches d’une fumure de fond qui est employé fractionné, sous forme d’un à deux apports par cycle.

La protection de l'environnement des oasis contre la dégradation de la qualité des eaux est indispensable. La problématique de la maîtrise des eaux et de leurs sources de pollution peut être résolue si l'on appréhende tous les éléments du bilan hydrique et si on intègre la culture de la gestion de l’eau au sein des usagers agricoles.

  1.  Réhabilitation et reconstitution de l’écosystème oasien du Mezguita

Sur le plan agricole, les facteurs climatiques, socio-économiques, institutionnels et la faiblesse du système de transfert de technologies vers les producteurs sont les principales contraintes pour l’amélioration de la production agricole. En dépit de toutes ces contraintes, l’ingéniosité des pratiques traditionnelles, le savoir faire local et l’exploitation judicieuse des potentialités existantes pourra permettre de lever la plupart des handicaps identifiés et favoriser le développement d’une agriculture soucieuse et respectueuse de la diversité biologique. Pour ce faire on recommande :

  • - Le renforcement des stratégies de développement du secteur phoénicicole à travers le plan de Restructuration des Palmeraies Nationales lancé depuis 1986. Cette opération permettra non seulement de reconstituer le patrimoine phoénicicole national dévasté par le Bayoud, mais aussi de corriger la densité de peuplement et d’améliorer la qualité de la production des dattes dans un échéancier convenable.
  • - L’encadrement de la phoeniciculture en matière d’irrigation et de techniques de plantation et d’entretien, de récolte, de stockage et de commercialisation.
  • - La valorisation de la datte locale par la commercialisation et par l’agro-tourisme. Par ailleurs, il faudra valoriser l’utilisation des dattes aussi bien pour l’alimentation du bétail que pour la consommation humaine tant au niveau national qu’international. A ce titre, il apparaît souhaitable d’encourager l’installation d’unités de fabrication d’aliments de bétail à base de déchets de dattes au niveau régional, ou à la rigueur, d’encourager les agriculteurs à s’équiper de broyeurs de dattes (MADRPM, 2000[8]). D’autre part, il faudra étudier les possibilités de transformation de la datte industrielle pour la consommation interne ou l’exportation.
  • - Faire des études du marché et l’organisation du circuit de commercialisation de la datte. Dans ce domaine, il est a priori nécessaire d’entreprendre une prospection des marchés tant au niveau national qu’international. L’étude devrait être confiée à une société spécialisée dans la commercialisation des produits agricoles et ayant une renommée internationale (Haddouch M., 2005[9]). L‘amélioration du circuit de commercialisation des dattes serait conditionnée par la mise en place d’un marché régional des dattes dans lequel seront également présentées les autres productions de la zone (henné, race D’mane, etc.). Cette solution permettra aux agriculteurs de tirer un meilleur profit de leur production en récupérant une part de la marge accaparée par les intermédiaires et d’assurer une meilleure ouverture du marché local sur les grands marchés du pays. L‘idée est ainsi de transférer le marché des dattes actuellement sis à Marrakech sur Ouarzazate. Il faudra par ailleurs renforcer les activités de la société “Dattes de Zagora” en matière d’investigation de marchés aussi bien nationaux qu’internationaux.
  • - Réduire les superficies des cultures grosses consommatrices d’eau (luzerne et henné….) car elles contribuent à fragiliser les sols et à les appauvrir notamment par l’utilisation des techniques non appropriées (recours à la mécanisation sur des sols squelettiques). Ainsi, il faut limiter les choix culturaux contre-indiqués « monoculture de henné, plantation fruitière ou de maraîchage » développés dans les oasis modernes hors palmeraies traditionnelles. Le choix des espèces à planter doit tenir compte de leurs exigences écologiques ainsi que des caractéristiques édaphiques des sites d’intervention.

Dans le domaine du développement des ressources en eau, l’action doit être axée notamment sur les opérations suivantes :

  • - Satisfaction des besoins en eau des plantations, d’où la nécessité de l’intensification de la recherche pour la maîtrise des ressources en eau.
  • - L’amélioration de la maîtrise des eaux superficielles, en particulier les crues, par l’aménagement et la réhabilitation des ouvrages hydrauliques. Les programmes d’irrigation dans les périmètres de Grande Hydraulique doivent tenir compte davantage des besoins en eau du palmier dattier, en assurant la fourniture d’eau au moins pendant les stades critiques de son développement. Tous les témoignages concordent pour dire que le barrage n'est pas accepté par la population qui n'y voit pas d'effets positifs (l’arrêt du limon, envasement, etc.), la retenue est accusée de « tuer la palmeraie » ou moins d’accélérer le processus de la dégradation de l’écosystème oasien « salinité, ensablement etc. ».
  • - La recharge artificielle des nappes par des eaux du barrage Mansour Eddahbi, et cela durant chaque trimestre pour préserver le patrimoine agricole. Il est nécessaire donc d’effectuer des études qui auraient comme objectif d’établir un bilan des ressources au niveau local et global et établir un plan global de gestion des ressources avec pour orientation générale un développement durable.
  • - Le renforcement des services publiques d’appui aux petites et moyennes exploitations pour soutenir l’accès aux nouvelles technologies d’irrigation qui économisent l’eau, tel que le goutte à goutte.
  • - L’encouragement de la mise en place des coopératives pour l’exploitation des eaux en commun (pompage collectif).
  • - La mise en application de la loi 10-95 sur la gestion de l’eau et l’adoption d’une approche globale visant l’économie de l’eau. Il faut freiner la diminution progressive de la nappe et arrêter le creusement massif et incontrôlé des puits et des forages.

Enfin, nous suggérons que d’autres études approfondies soient menées en orientant les investigations vers l’étude de la nappe phréatique afin de déterminer les seuils de creusement et de prélèvement d’eau. L’étude des effets de l’utilisation massive des engrais azotés sur la nappe phréatique et l’étude de l’impact écologique de la motopompe sont recommandées. Il est donc important d’inventorier de manière précise les ressources hydrogéologiques des différentes zones et de les mettre en relation avec le niveau d’exploitation et l’environnement local.

Conclusion : Rendre l’âme aux oasis pour la sauvegarde du patrimoine naturel et culturel

En milieu oasien, l’eau est une ressource rare, ce qui a poussé les sociétés traditionnelles à élaborer des systèmes d’irrigation qui répondent aux modes d’une gestion sociale très complexe, assez bien adaptée au contexte local. Or, depuis les années 1980, on assiste à une période d’assèchement du climat et à une raréfaction de la ressource en eau. Face à cette crise climatique, le système traditionnel des seguias, de même que la tentative de modernisation du système d’irrigation du Draâ basée sur le barrage montrent leurs limites. Parallèlement, l’exploitation incontrôlée des ressources en eau, reste basée sur un système d’irrigation par submersion d’où le risque d’augmenter la vulnérabilité de ces espaces déjà naturellement fragiles. Toutes les oasis de la zone sont condamnées à mort si les évolutions actuelles se poursuivent.

Donc, la valorisation sociale et économique de l'eau pourrait sembler une autre alternative, notamment par le choix de cultures moins exigeantes en eau, le passage au goutte à goutte qui semble être une technique plus économe et la sensibilisation des agriculteurs sur l’importance de la gestion de l’eau dans la durabilité de l’écosystème oasien devient une urgence pour lutter contre les facteurs de désertification et la sauvegarde du patrimoine naturel et culturel des oasis.


Notes

[1] PNUE, « Le Sommet saura-t-il redonner l'élan nécessaire au règlement du problème de la désertification ? » Revue Homme Terre Eau, N° 116, volume 25, Montpellier, Mars 2002, 20 p.

[2] Chamayou, J., « Hydrogéologie de la Vallée du Draâ moyen », thèse du doctorat de l’université (Lille II), 1966, pp.20-50.

[3] MEPN, « Ministère de l’équipement et de la promotion nationale » DRE de Ouarzazate, Rapport hydraulique de l’oued Draâ », Rabat, 1969.

[4] Jarir, M, « Er-Rachidia et l’organisation régionale de la Vallée du Ziz. Exemple d’aménagement hydro-agricole dans le présaharien marocain », Thèse de doctorat de 3éme cycle, Université François Rabelais Tours ; UFR d’aménagement, géographie et informatique, volume 1, 1983, p. 82.

[5] Hrou, A., « Enclavement et développement au Maroc : cas de la province d’Errachidia », thèse de doctorat, Tome 1, Université Aix Marseille II, institut de géographie et d’aménagement, 1983, p. 415.

[6] Bentaleb, A., « Dynamique de la désertification dans le Draâ moyen : analyse et perspectives », Thèse de doctorat national en géographie, Université Mohamed V, Rabat, 2008, pp. 95-100.

[7] Hachicha, M. ; Mtimet, A. ; Zidi, Ch. et Job, J. O., « La salinisation des sols et la gestion des eaux dans les oasis », Actes de Séminaire : Tozeur, 8-9 décembre 1993, Sols de Tunisie, Bulletin de la Direction des Sols n°16, 1995.

[8] MADRPM, « Etude socio-économique de la réserve de la biosphère des palmeraies Sud Marocaines », DPV, Agadir, 2000, pp.30-42.

[9] Hadouch, M., « Situation actuelle et perspectives de développement du palmier dattier au Maroc », ORMVAO, Ouarzazate, Service de la production agricole, 2005, pp. 30-35.

 

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