Adrar, des ksour à la grande ville

Insaniyat N°51-52 | 2011 | Le Sahara et ses marges | p.149-163 | Texte intégral


Adrar from ksour to town

Abstract: State intervention in the oasis space has brought about many changes. From a township of almost 5000 inhabitants, Adrar the County (Wilaya) administrative center, has become a real town, somewhat artificial-by concentrating the majority of its population and tertiary activities both authority and management. The town which counted 42 735 inhabitants in 1998 and 63 039 in 2008, by centralizing the main public facilities, and attracting a more and more qualified population ,has spread out spatially due to an important habitat production.
The setting up of collective equipment and new administrative organization for the local population required additional selective recruitment among the immigrant population .Both the executive staff and the technical personnel not available on site, come mainly from the north of Algeria and secondly from the southern counties. Growing needs becoming more and more important, thanks to this new immigration, have allowed a variety of commercial activities and services, particularly in the county head seat, Adrar. Furthermore, these same activities have mainly drawn commercial populations from the Tell area.
However this new rapid urbanization seems fragile, because it is upheld by a mainly external population coming from elsewhere, whose only concern is a fast enrichment and a return to their hometown.
These regional development perspectives have they not already been compromised from the beginning? A fragile space, limited resources, an important temporary short stay population, local youth exodus to the more attractive north….are the main characteristics of Adrar to which one must add a marked central consumption space for the county head town, leaving little chance for the other regional “towns” to develop.

Keywords: Adrar - ksour - urban changes - migrations - tertiary activities.


Sidi Mohammed TRACHE :  Maître de conférences, Université d’Oran, 31 000, Oran, Algérie. 
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


Au Sud-ouest de l’Algérie, à près de 1400 km d’Oran, se dresse la ville saharienne d’Adrar, dont le nom en berbère (Adghagh) semble signifier « montagne, rocaille » (Faradj M., 1977), et dont la transcription française en a fait Adrar. Sa wilaya est limitée au nord par celle d’El Bayadh, au nord-ouest par Béchar, à l’ouest par Tindouf, au sud-est par Tamanrasset et au nord-est par Ghardaïa.

D’abord lieu de refuge important par ses oasis, Adrar devient un véritable carrefour commercial entre le Nord et le Sud qui stimulera de grands mouvements migratoires avec la pénétration arabe dès la seconde moitié du 10e siècle. A partir de cette période, les vagues migratoires se succèdent au rythme des évènements qui ont secoué le Maghreb, alternance continuelle de phases d’accalmie et d’isolement et de conquêtes extérieures (Martin A., 1908)[1] et ce, jusqu'à la pénétration coloniale. Celle-ci laissera ses premières empreintes par l’implantation d’un casernement au nord des ksour, suivi de petits lotissements coloniaux qui vont enclencher un mouvement d’urbanisation de cet espace oasien dont la vocation était jusque-là agricole. Les ksour d’Adrar vont très vite basculer vers des activités tertiaires générées par les investissements des pouvoirs publics. En effet, la promotion administrative d’Adrar au rang de chef lieu de wilaya en 1975, à la faveur d’un nouveau découpage administratif, lui permet d’acquérir de nouvelles fonctions, typiquement urbaines. Celles-ci vont donner un nouveau visage aux ksour d’Adrar tant sur le plan social que spatial : une croissance spatiale rapide accompagnée d’un déclin fonctionnel et structurel des ksour[2] (Hammouzine A., 2003) ainsi qu’une immigration intense. C’est ainsi que, de 4468 habitants en 1966, la ville passe à 28 580 en 1987, 43 142 en 1998 et 63 039 en 2008.

L’intervention de l’Etat dans l’espace oasien a entraîné de nombreuses mutations tant sociales, qu’économiques et spatiales. Depuis trente ans, l’initiation d’un nouveau type d’organisation spatiale va totalement bouleverser les composantes de cet espace, essentiellement rurales à l’origine.

1. Un développement urbain manifeste

1.1 Une extension urbaine bipolaire, rapide et très étalée

La ville d’Adrar a connu son premier véritable développement spatial à la fin des années 1970. Sa promotion administrative au rang de chef-lieu de wilaya active davantage cette extension par l’implantation massive d’équipements collectifs et de nouvelles structures d’encadrement des populations locales. On assiste, alors à un boom spatial où la ville s’étend indéfiniment et multiplie sa surface par plus de dix en une vingtaine d’années, Adrar sort des ksour vers une ville nouvelle, créée de toutes pièces (figure1). L’essentiel de cette extension se fait à partir des années 1980. Cette urbanisation accélérée, très étalée et spécifique à la ville d’Adrar, est intimement liée à ses nouvelles fonctions de commandement et de gestion d’un espace wilayal qui, lui–même, est très étendu. Les nombreux programmes d’habitat social et les lotissements s’accompagnent du développement de grands équipements tertiaires : sièges de la wilaya et de la commune, banques et assurances auxquels s’ajoutent de manière ponctuelle les équipements sociaux publics (lycée, collèges et écoles, nouvel hôpital, centres de santé…).

 Figure 1 : L’extension de la ville d’Adrar

 

Spatialement, l’urbanisation d’Adrar se fait à partir des premiers lotissements coloniaux (centre-ville actuel) dans un premier temps et se développe ensuite de manière classique autour de ce tissu ancien vers le nord, le nord-ouest et le nord-est. L’implantation coloniale depuis 1900 a permis quelques réalisations publiques qui ont donné une structure en damier au développement de la ville avec les groupes scolaires, lycée, hôtel de la grande place, marché, église et hôpital…

Adrar se détache du système traditionnel ksourien et s’oriente dès lors vers un modèle urbain moderne en bénéficiant d’un Programme spécial de développement de wilaya dès sa promotion au rang de chef-lieu de wilaya en 1975. Il lui permet de réaliser ses structures d’encadrement, d’implanter ses structures administratives et financières qui seront suivies de grands équipements collectifs de proximité et d’importants programmes de logement d’accompagnement. Les politiques immobilières, et foncières surtout, des années quatre vingt[3] sont à l’origine d’une urbanisation soutenue mais aussi le résultat d’un important dysfonctionnement urbain de la ville d’Adrar. En effet, les lotissements programmés durant cette période par les collectivités locales n’ont pas été tous réalisés[4] laissant ainsi d’énormes espaces vides ; ils ont constitué une véritable entrave à une harmonie urbaine, notion absente des plans d’urbanisation.

Parallèlement à l’urbain planifié, naît un quartier intra-muros dans l’illégalité la plus totale (Bni ousket)[5] abritant des populations migrantes provenant de diverses régions sahariennes et en particulier du Mali et du Niger (Foundou Gauma A., 2006). Dès lors, et devant cet état de fait, Adrar étend son espace sur deux sites. Dans un premier temps, la ville s’étend en direction de l’ouest ("Ville Nouvelle" Sidi Mohamed Belekbir) pour changer ensuite et prendre, en rompant avec l’urbanisation antérieure, la direction de l’agglomération de Tililane au nord-est de la ville d’Adrar ("Ville Nouvelle" de Tililane). Ces deux espaces sont à la limite du boulevard périphérique qui ceinture la ville d’ouest en est. Ils peuvent être assimilés à des espaces périurbains dans la mesure où ils sont excentrés par rapport au centre-ville d’Adrar. Ils se sont développés, le premier sur un site vierge, le second sur l’agglomération secondaire de Tililane.

Cet étalement urbain s’imposait comme choix d’urbanisation eu égard aux lotissements ceinturant la ville qui posaient des problèmes urbains conséquents dans la mesure où ils ont généré des interstices importants entre les urbanisations nouvelles et la ville ancienne. D’autre part, cette nouvelle urbanisation vers l’est de la ville semble être une volonté des pouvoirs locaux pour une meilleure maîtrise de la gestion de la ville et pour lui conférer un paysage urbain plus harmonieux que celui de Mohamed Belekbir. Mais dans la réalité, l’observation et l’enquête de terrain montrent que le pouvoir public local avait décidé la rupture de l’urbanisation axiale unique et surtout de soigner l’image de la cité par la création d’un quartier périurbain mieux équipé disposant d’un habitat de meilleure qualité que celui réalisé dans le premier site, et abritant des populations au niveau social plus conséquent (cadres administratifs, diverses corporations de médecins, d’enseignants…).

Politique de soutien aux populations locales et/ou stratégie pour les fixer, elles ont été accompagnées de grands investissements immobiliers pour répondre, et surtout attirer, un emploi qualifié dans un espace où règnent de très fortes chaleurs pendant près de la moitié de l’année.

1.2 Un habitat exclusivement de type social

Le développement de l’habitat aussi bien à Adrar que dans d’autres villes sahariennes relève de manière quasi-exclusive du domaine du social. Autrement dit, les politiques immobilières qui se sont succédées à Adrar visaient pour l’essentiel à attirer les populations jeunes et qualifiées, confrontées au problème du logement, et parfois caractérisées par une situation de sous-emploi dans certaines régions denses du Nord du pays.

Ainsi, les pouvoirs publics ont misé, depuis les années quatre vingt, sur la création d’un cadre de vie et de travail conséquent en investissant dans le logement social pour répondre et stimuler la demande de populations immigrantes. Était offert sans condition à tous ceux qui contractaient un emploi dans la ville ou dans la région un logement équipé en mobilier nécessaire. Depuis les premiers lotissements coloniaux, l’habitat social d’accompagnement[6] a constitué le type dominant de toute opération immobilière engagée dans la ville jusqu’à l’avènement de la libéralisation du foncier[7] qui a permis la création de lotissements à la limite du tissu urbain (figure 2). Le logement social d’accompagnement et récemment le logement social participatif répondent de manière concrète aux besoins de la population. L’exemple du LSP (programmes El-Hamel) dont ont bénéficié même des individus célibataires et, de surcroît, des populations actives en situation de chômage montre l’intérêt des pouvoirs publics à fixer et à stabiliser les populations jeunes dans un espace fragile à bien des égards.

Ce développement urbain planifié s’est très vite accompagné de la création d’emplois divers, souvent qualifiés, pour lesquels la main d’œuvre locale faisait parfois défaut. Adrar, comme beaucoup d’autres villes sahariennes, va puiser dans cette main-d’œuvre jusque dans les villes les plus éloignées ; l’immigration apparaît donc inéluctable pour l’encadrement administratif et technique des populations locales. Cette politique de soutien se manifeste par des motivations financières et matérielles qui constituent un élément fondamental d’attraction des populations qualifiées des autres régions et particulièrement du nord du pays. Ceci a entraîné une croissance démographique importante.

1.3 Une croissance démographique des plus importantes (Tableau 1)

Parallèlement à cette extension démesurée, la ville, comme l’ensemble de sa wilaya, a connu une croissance démographique intense : de 4468 habitants en 1966 elle passe à prés de 44 000 habitants en 1998 ; elle est estimée à 63 000 lors du dernier recensement de 2008.

Tableau 1 : Evolution de la population des agglomérations d’Adrar (1966 à 2008)

 

Population (*)

Taux   d’accroissement annuel(en %)

Années

1966

1977

1987

1998

2008

66-77

77-87

87-98

98-08

Adrar

4468

7057

28580

43142[8]

63039

4.2

13.8

3.6

3.9

Timimoun

4859

7585

12812

17137

22086

4,2

5,3

2,6

2.6

Wilaya

106527

137491

217678

311635

355217

2.34

4.70

3.40

1.34

Sources : (*) Données des différents recensements de population consignées dans les collections de statistiques, armature urbaine de 1987 (n°4) et de 1998 (n°97).

Figure 2 : Les programmes d’habitat à Adrar

 

A la lumière du tableau n°1, deux observations essentielles s’imposent. Le plus important de la croissance démographique est réalisé durant la seconde période intercensitaire 1977 – 1987. Par ailleurs, malgré un fléchissement de sa croissance démographique, Adrar connaît ultérieurement des évolutions positives illustrées par des taux de croissance supérieurs à la moyenne nationale qui sont de 2,28 entre 1987 et 1998 et de 1,72 entre 1998 et 2008.

En fait, les courants semblent s’inverser par rapport aux décennies 70-80. Le taux d’accroissement de la ville d’Adrar – ainsi que celui de sa wilaya – était le plus élevé du pays entre 1987-1998 (13,8%). Il n’est que de 3,9% sur la période 1998-2008 et les soldes migratoires de la période précédente (1987-98) démontrent une tendance à l’émigration avec des taux d’émigration de 13,5% et d’immigration de 0,43%. Les retours de plus en plus nombreux des immigrants vers leurs lieux d’origine sont manifestes et expliquent cet état de fait (figure 3). Ceux-ci sont accentués par une émigration confirmée des populations locales vers les régions voisines et le Nord du pays[9]. L’apport extérieur semble s’amenuiser (figure 4) étant donné la réduction des potentialités locales d’emploi. Le tableau n° 2 confirme ce propos.

Tableau 2 : Les mouvements migratoires à Adrar entre 1987 et 1998

Entité spatiale

Emigration

Immigration

Solde Migratoire

VILLE

8659

3984

- 4675

WILAYA

30092

9194

- 20898

Sources : Données statistiques, n° 315 - Récap., histoire migratoire des wilayas, RGPH 1998, Office National des Statistiques, Alger.

Figure 3. Destination des émigrants de                        Figure 4. Origine des immigrants de

                 la wilaya d’Adrar                                                            la wilaya d’Adrar

 

Ce renversement de tendance va à l’encontre d’une volonté affichée - qui était a priori de fixer les populations sur place, en ce sens que non seulement les émigrants natifs d’Adrar sont nombreux à quitter la wilaya (sur 30092 sortants, 3117 sont natifs d’Adrar) mais que parmi les 26 975 immigrants nés hors d’Adrar, 22721 (76%) sont retournés dans leur lieu d’origine. Sur la dernière période intercensitaire (1998-2008), les données n’étant pas encore publiées il est probable que les mouvements migratoires continuent vers la wilaya d’Adrar avec, certainement, beaucoup moins d’intensité.

L’urbanisation de la ville nécessite incidemment un recrutement supplémentaire et sélectif des populations immigrantes. Adrar fait appel aux cadres administratifs et à un personnel d’encadrement technique provenant de divers horizons, dont le Nord du pays sera l’essentiel pourvoyeur.

2. Une immigration sélectionnée

Trois approches ont été utilisées pour cerner avec une certaine précision le phénomène migratoire à Adrar : une enquête par sondage auprès des ménages, une enquête sur les activités commerciales et les commerçants, et une troisième plus ponctuelle au sein des équipements collectifs, l’hôpital et la DPAT[10]. L’objet de ces enquêtes était de qualifier l’immigration, de déterminer ses caractères essentiels afin de situer son rôle joué dans le développement de la ville d’Adrar. Ces trois approches ont permis d’abord de mesurer le phénomène d’immigration au sein de différents types de population et ensuite de recouper différentes sources d’information et de comparer les résultats obtenus.

2.1 Une immigration essentiellement issue du Nord

La ville d’Adrar rassemble dans sa composante migratoire des populations diversifiées avec, toutefois, une dominante particulière des populations du Nord du pays. Au sein même de cette dernière, cette composante est fortement diversifiée par ses origines géographiques et le type de migration.

 

Sur les 290 ménages immigrants enquêtés, plus de la moitié proviennent du Nord (190 ménages, soit 67 %) dont 86 ménages du Centre, 56 de l’Ouest et 48 de l'Est du pays. Le Sud contribue avec 83 ménages seulement.

2.2 Les régions de l’Ouest et du Centre fournissent l’essentiel de l’encadrement à la ville d’Adrar

Dans les structures tertiaires, l’encadrement relève essentiellement de la région Ouest et secondairement du Centre du pays. Des résultats similaires ont été enregistrés lors de l’enquête réalisée à l’hôpital et à la DPAT d’Adrar. En effet, le personnel administratif et spécialisé provient principalement du Nord et en particulier du Nord-Ouest Algérien (notamment Oran et Tlemcen). L’activité non, ou peu qualifiée, mobilise la population locale. L’Ouest d’abord et le Centre du pays ensuite sont les principaux fournisseurs du personnel qualifié.

La wilaya de Béchar fournit, à l’inverse, une population active diversifiée allant du commerçant au cadre administratif. La figure n°5 montre cette diversité géographique dont le bassin migratoire s’individualise nettement au Nord du pays et dans les wilayas limitrophes (Béchar et Ghardaïa).

2.3 L’activité commerciale, nettement dominée par la région Centre

Trois entités géographiques se dessinent à travers la lecture des figures n°5 et n°6 : la région algéroise se distingue avec la capitale Alger, Tizi-Ouzou et Bouira qui détiennent l’essentiel du commerce adrarien; viennent ensuite la région oranaise et enfin la troisième entité, le Sud algérien, représenté par Béchar et Ghardaia.

L’immigration issue du Centre et du Sud du pays alimente l’essentiel de l’activité commerciale à Adrar. Celle qui concerne l’encadrement provient essentiellement de l’Ouest et secondairement du Centre. Il s’agit notamment des fonctionnaires et des cadres administratifs qui sont soit recrutés pour leur premier emploi mais venus, le plus souvent, dans le cadre d’une mutation professionnelle volontaire dans la ville, ou encore d’enseignants et de médecins dont la motivation essentielle est d’ordre matériel.

3. Les rotations migratoires et l’avenir incertain d’Adrar

Celles-ci se traduisent par un renouvellement continu des populations provenant des divers mouvements migratoires composées pour l’essentiel de jeunes du Nord du pays.

3.1 Les émigrants du Nord : un retour quasi-certain au lieu d’origine

L’histoire migratoire de la wilaya[11] confirme l’intensité des échanges de population entre les régions telliennes et Adrar et le taux important de retour des émigrants du Nord vers leur lieu d’origine. Près des deux tiers des ménages déclarent leur séjour comme étant temporaire à Adrar.

A l’inverse, les ménages originaires du Sud (Béchar en particulier) s’adaptent mieux au contexte oasien et affichent une stabilité migratoire plus grande. Ils sont près des trois quarts des migrants du Sud à s’y installer de façon définitive. Mais en gros, 40 % des immigrants d’Adrar, particulièrement les plus jeunes ont une intention de retour au lieu d’origine.

3.2 L’immigration ancienne constitue la population la plus stable

Parallèlement aux émigrants du Sud, les populations les plus anciennement installés à Adrar et, par conséquent, les plus âgés considèrent - selon les enquêtes qualitatives menées sur le terrain – que la vie à Adrar correspond à leurs critères de confort. En effet, au-delà de la classe d’âge 45-50 ans, le désir de retour chez-soi est faible, la tendance est plutôt à une installation définitive. Il y a alors une adaptation réelle voire un attachement de cette population à ce nouvel espace de vie qui, au départ, leur semblait relativement « hostile ».

Parmi les plus jeunes, la volonté de retourner à la ville natale est une réalité tangible. Elle est manifeste chez les fonctionnaires, les cadres de l’administration et chez ceux qui exercent leur profession dans les activités tertiaires. L’exemple des médecins est très significatif ; la totalité manifeste leur désir de retour après un séjour de quelques années, dix années au plus.

3.3. Ceux qui décident d’émigrer restent en moyenne entre 5 et 10 ans ; au-delà, la probabilité de rester est plus grande

L’immigration à Adrar constitue pour de nombreux migrants du Nord une simple étape mais souvent porteuse dans leur cheminement professionnel comme dans leur vie sociale. Cette migration est essentiellement motivée au départ par des aspects d’ordre matériel et financier. Elle constitue alors pour beaucoup d’entre eux une source d’enrichissement intéressante et d’autant plus motivante pour un retour plus ou moins rapide dans le Tell. En constituant un véritable marché de l’emploi, Adrar absorbe les surplus de main-d’œuvre, la plus qualifiée parfois, d’autres régions du pays, qui était en quête d’un premier emploi. C’est le cas de nombreux médecins, d’enseignants de collège et de lycée et même d’enseignants universitaires qui intègrent la vie active pour la première fois à Adrar. Toutefois, la durée de leur séjour est généralement déterminée dès leur installation, cinq à dix ans, une durée qui leur semble suffisante pour mieux asseoir leurs conditions d’existence à leur retour dans la région d’origine. Au-delà de dix ans, la probabilité de retour s’amenuise pour tendre vers un séjour illimité, voire définitif.

4. Un développement centralisé de l’activité commerciale mais qui reste encore inefficace

Une des conséquences fondamentales de l’intervention de l’Etat dans l’espace d’Adrar, liée à l’immigration aussi bien interne qu’externe, est le développement important de l’activité commerciale et de service. Elle répond de manière réactive et concrète, aux besoins d’une demande locale en forte croissance.

4.1 Des activités commerciales fortement centralisées

La ville d’Adrar concentre l’essentiel de ces activités commerciales et accentue la forte centralité qu’elle exerce sur les autres ksour et petites villes de la région. Elle est d’ailleurs considérée comme le "centre ville" par l’ensemble de la population ksourienne de la région, quelle que soit les distances considérées.

Elle compte à elle seule plus de 1 000 établissements commerciaux et de service, dont 60% sont localisés au centre-ville[12], ce qui représente 620 points de vente. L’activité commerciale a connu une diversification des produits et des services rendus à la population depuis les années 1990. La réponse en matière de qualité et de standing à la demande d’une population de plus en plus exigeante - notamment celle migrante du Tell - a constamment conduit à améliorer la qualité de l’achalandage et modernisé les échoppes. Des visites régulières sur le terrain de 1998 à 2005 ont permis de percevoir ces mutations qualitatives. Le secteur commercial tente de s’adapter à une demande en constante augmentation afin d’abord de lui répondre convenablement mais également d’achalander une clientèle qui lui échappait, dont les achats de produits occasionnels et d’équipements individuels se faisaient généralement à l’occasion du retour en congé dans la région d’origine.

4.2 Une consommation en augmentation mais qui reste limitée

Les immigrants considèrent en majorité leur séjour comme provisoire dans la ville d’Adrar. Il ne constitue en fait qu’une simple étape transitoire qui procure à certains de l’expérience professionnelle et pour d’autres un doublement de salaire pour une fonction identique dans le Nord du pays. Cette migration temporaire est alors motivée par des raisons matérielles qui n’encouragent guère, a priori, une grande consommation de biens localement, car le souci majeur de cette population est de capitaliser pour envisager un retour ultérieur plus favorable dans le Tell.

Le niveau de modernisation des activités commerciales, en matière d’achalandage et de standing, enregistrés au cours des dernières années à Adrar, en particulier dans certains services (restauration, pizzerias, salons de thé…) constitue une réponse commerciale au retard certain dans l’équipement individuel des immigrants, et permet de bénéficier davantage d’une clientèle, de fait, captive. Malgré le nombre important de magasins d’équipement individuel (20% de l’ensemble)[13], la qualité des produits offerts reste néanmoins en-deçà des exigences affichées par les consommateurs habitués au plus large choix des grandes villes du Tell.

Incidemment, les migrants consomment moins et achètent rarement des produits vestimentaires et très rarement des articles considérés comme « de luxe » (85%). La consommation s’oriente davantage vers le petit appareillage et les ustensiles ménagers, des produits nécessaires relevant de la quotidienneté.

Le plus intéressant à noter est que les dépenses réalisées par la population migrante, (celle du Nord en particulier), n’excèdent que rarement les 50 % du budget mensuel. Les populations qui dépassent ce seuil, sont le plus souvent des migrants de longue date, dont l’intention de rester définitivement à Adrar constitue une réalité. Par conséquent, une partie des ressources des habitants immigrants de la ville est soit capitalisée pour anticiper un retour futur ou pour consommer hors de la région.

Conclusion

L’intervention de l’Etat sur l’espace oasien a généré l’urbanisation massive de l’agglomération d’Adrar, comme elle a développé incidemment une immigration importante dont les apports en matière de santé, de scolarisation et de technologies nouvelles pour les populations locales sont, aujourd’hui, incontestables. Elle a également accentué de manière prégnante la centralité d’Adrar sur les autres communes de la wilaya, par le renforcement de ses fonctions administratives

L’importante rotation des populations du Nord dans la ville d’Adrar a donné naissance à des mouvements migratoires de grande ampleur et, par conséquent, à un type particulier de ville où le transit constitue un mode de vie à part entière, transit généré par la capacité d’intégration dans la vie active et des salaires attractifs. Ces éléments interrogent le modèle de développement urbain et sa durabilité dans un espace saharien où les mutations sont, par ailleurs, profondes. Cette question de la durabilité de la migration, et de son ancrage territorial dans le temps, constitue un réel défi pour le développement futur d’une agglomération soutenue financièrement de manière importante et continue par l’Etat.

Bibliographie

Faradj, M., La région du Touat durant le XVIIIe et le XIXe siècle, Alger, OPU, 1977 (en langue arabe).

Foundou Gauma, A., Analyse des extensions récentes à Adrar et leur intégration dans la ville ; Mémoire d’ingénieur en géographie, Oran, 2006.

Groupe de recherche au CRASC, Approche comparative des nouveaux espaces urbanisés dans les villes de l’Ouest algérien; projet de recherche de 2003 à 2006, inédit.

Kouidri, M, Les mouvements résidentiels dans la ville d’Adrar, Mémoire d’ingénieur en géographie, Oran, 1998.

Martin A.G.P., Les oasis Sahariennes (Gourara, Touat, Tidikelt), Imprimeries algériennes, Alger, 1908.

Seddiki, M. ; Foulani, M., Etude urbaine d’une agglomération saharienne et de son rôle fonctionnel sur l’espace, Mémoire d’ingénieur en géographie, Oran, 2003.

PDAU d’Adrar, Bureau d’Etudes Sahraoui, Oran, 1995.

Armature urbaine, 1987, RGPH 1987, Coll. Stats., Série 04, ONS, 1988.

Armature urbaine, 1998, RGPH 1998, Coll. Stats., n° 97, ONS, 2000.

Résultats par agglomérations, 1987, RGPH, Coll. Stats., n° 13, vol. 2, ONS, 1989.


Notes

[1] Cité par Kerroumi, B., Le Touat, mutation d’une région saharienne, DEA, Univ-Bordeaux III, 2004, p. 21.

[2] Hammouzine, A. ; Kadaoui, N., L’évolution des ksour d’Adrar ; l’exemple de Ouled Ouchène et de Ouled Ali, mémoire de géographie, Université d’Oran, 2003.

[3] La politique des lotissements n’a pas épargné les villes sahariennes, même si elle ne se pose pas dans les mêmes termes qu’au nord du pays. L’espace est public, il existe sans contrainte foncière réelle, mais il pose paradoxalement un problème de surcoût quant à sa viabilisation par l’urbanisation étalée exagérée.

[4] Etant propriétaires, les bénéficiaires des lots de terrain attendent un surenchérissement pour revendre les biens acquis à des prix dérisoires dans le cadre de la politique foncière des lotissements.

[5] Cette expression qui veut dire « construis et tais toi » signifie et révèle l’incapacité des pouvoirs publics à maîtriser le sol urbain à la fin des années 1980, période de crise économique. Ce type d’urbanisation n’est pas spécifique de la ville d’Adrar ; on le rencontre aussi à Timimoun, deuxième ville de la wilaya d’Adrar et principale agglomération du Gourara.

[6] Chaque entreprise disposait d’un quota de logements pour ses employés.

[7] Nouvelle loi d’orientation foncière : Loi 90-25 et 90-29 de 1990, dont l’essentiel du contenu est la libéralisation du marché foncier, où l’Etat se désengage de l’acquisition et de l’aménagement des terrains qui, désormais, relèvent des Agences foncières locales et du domaine des promoteurs privés.

[8] La population de Tililane, étant de 410 habitants, est intégrée à celle d’Adrar dans les calculs afin de mieux évaluer l’accroissement dans la mesure où elle constitue un véritable quartier d’extension d’Adrar.

[9] Kerroumi, B., op.cit., p.25.

[10] Direction du Plan et de l’Aménagement du Territoire (Direction de wilaya).

[11] Données Statistiques n° 315 – Récap.

[12] Bendaba A., Les mutations spatiales et fonctionnelles au centre-ville d’Adrar, mémoire de géographie (en langue arabe), Oran, 2003, pp. 84-98.

[13] Cette proportion est voisine et dépasse parfois celles qu’on rencontre dans les grandes villes de l’intérieur : 18% à Oran et 15% à Tlemcen, in "Les structures commerciales et les dysfonctionnements intra urbains dans la ville d’Oran" (Trache S.M., Bendjelid. A.), Projet de recherche CNEPRU, 2001, inédit ; et "Méthodes d’approche des structures commerciales et de la hiérarchie urbaine. L’exemple du Tlemçenois"; Cahiers du GREMAMO, n° 14, laboratoire SEDET, Paris VII, 1997.  

 

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