Monique VÉRITÉ, Henri Lhote – Une aventure scientifique au Sahara, Paris, Ibis Press, 2010, 429 p.

Auteur déjà en 1992 d’Odette du Puigaudeau : une bretonne au Sahara, Monique Vérité vient de livrer une nouvelle biographie passionnante, sur une personnalité saharienne haute en couleur, célèbre en France et au Sahara après-guerre et qui est aujourd’hui un peu oubliée : Henri Lhote (1903-1991).

Henri Lhote peut être considéré comme l’un des plus grands explorateurs du Sahara au XXe siècle, aux côtés de Conrad Kilian et de Théodore Monod. Le parallèle avec ce dernier est assez fascinant car ces deux grands sahariens, exactement contemporains, avaient des personnalités diamétralement opposées. Ils ont vécu chacun de la même passion, l’un au Sahara central (Lhote) et l’autre dans l’Ouest saharien (Monod) et ont atteint tous deux l’apogée de leur carrière dans les années 1950, Monod lors de ses traversées de la Majabat al Koubra et Lhote dans ses campagnes pour inventorier les sites de peintures rupestres du Tassili n’Ajjer. Et tout pourtant les opposait : leur enfance, leur formation, leur parcours scientifique, leur rapport à l’institution militaire, leur manière d’être…

Henri Lhote a connu une période de grande notoriété à la suite des quatre missions qu’il a organisées et menées dans le Tassili entre 1956 et 1962. Elève et protégé de l’Abbé Breuil, il avait été initié aux représentations pariétales du Tassili par celui qui en fut le découvreur : Charles Brenans, officier méhariste, en poste au Tassili entre 1931 et 1939, et dont Lhote fut très proche jusqu’à sa mort en 1955, alors même qu’il devait participer à la première mission tassilienne. Cette expédition, telle que la raconte Monique Vérité dans son livre, est un parfait condensé de ce que fut en réalité toute la carrière d’Henri Lhote au Sahara, bâtie « à la force du poignet » en dépit de solides oppositions, avec des échecs notables mais aussi de véritables réussites, une contestation récurrente de ses méthodes scientifiques, et enfin une immense notoriété que Monod, pour sa part, ne connaîtra curieusement que dans le grand âge (à 87 ans à la suite d’un film de télévision). Tout d’abord, l’expédition au Tassili s’organise dans la confrontation ouverte avec d’autres sahariens français avec lesquels Lhote était en opposition permanente : « Le retour de Lhote et de Brenans en Algérie, par la grande porte saharienne, est loin de plaire à certains ! Ce n’est pas pour nous surprendre, la guerre continue, mais plus violente cette fois, car on s’attaque aux missions Lhote elles-mêmes qu’on tente de torpiller… ». Après bien des vicissitudes, Henri Lhote et ses équipiers arrivent à Djanet le 16 février 1956 : « Le premier bon augure aura été l’arrivée de la pluie, à leur descente d’avion. Comme il n’a pas plu depuis des années, les Touaregs proclament que Lhote a la “baraka”. Et à chaque retour de Lhote au Tassili, en 1957, en 1959 et en 1960, il pleuvra ». Lors de ces différentes campagnes, le chef d’expédition sera accompagné par le guide targui Djebrine Machar ag Mohamed : « Aux yeux du grand public, le nom de Djebrine est indissociable des missions Lhote dont il sera le guide attitré… La complicité des deux hommes se noue à travers leur plaisir à parcourir ces immensités caillouteuses. Ils prennent du bon temps ensemble ». Sur le Plateau, Henri Lhote est le chef et, comme il l’a toujours fait, son autorité ne peut être contestée : « Lhote est responsable de tout, des gens, des bêtes, du matériel, des réserves d’eau, de bois, de vivres et des activités scientifiques de terrain, puisqu’il est le seul savant. Sa conception de l’équipe n’a pas changé : elle est toujours pyramidale… La seule loi, c’est le succès de la mission. Lhote s’y plie et avec lui tous doivent s’y plier ». La grande découverte de cette première mission sera celle de Jabbaren ; un chapitre « Jabbaren aux 5000 figures » y sera consacré dans le livre que Lhote tirera de cette mission, à la découverte des fresques du Tassili (publié en 1958) : « Jabbaren, c’est tout un monde ! Plus de cinq mille sujets peints dans un quadrilatère mesurant à peine six cents mètres de côté ! Si l’on se réfère aux différents étages de peintures, on en déduit que plus de douze civilisations différentes s’y sont succédées. C’est sans exemple, et compte-tenu de sa superficie, le Tassili peut être considéré comme le centre d’art préhistorique le plus riche du monde ». Une grande exposition, visitée par le tout-Paris, aura lieu au pavillon de Marsan entre novembre 1957 et mars 1958 : « Lhote est en train de gagner son pari : rendre visible l’art rupestre saharien et être identifié comme celui qui l’a fait connaître au monde entier. Sa notoriété ira grandissante et il deviendra le héraut de la geste saharienne ». Les méthodes de reproduction des peintures par calques utilisées lors des missions sur le plateau du Tassili seront beaucoup reprochées à Lhote qui peinera, pendant toute sa carrière saharienne, à s’affirmer comme un scientifique à part entière.

Ainsi a été la carrière saharienne d’Henri Lhote, celle d’un autodidacte, formé à l’école du scoutisme, qui a dû batailler tout sa vie pour s’imposer, explorateur infatigable et intrépide du Sahara central (Hoggar, Ténéré, Tassili) à partir de 1929, homme de terrain reconnu mais scientifique contesté (malgré une thèse d’ethnologie soutenue en 1944 sous la direction de Marcel Griaule), chef d’expédition autoritaire de missions parfois ratées (Hoggar-Tefed est en 1949-50) et d’autres fois couronnées de succès (les missions Tassili), organisateur de talent, particulièrement doué pour les relations publiques, ce qui fâchera beaucoup certains de ses collègues…

Dans son livre, Monique Vérité parvient remarquablement à dénouer les ambiguïtés d’Henri Lhote et à démonter les moteurs de sa personnalité, ce que Jean-Loïc Le Quellec résume ainsi dans sa postface : « Comment ne pas tenir compte de l’itinéraire personnel de cet autodidacte et de toutes les difficultés qu’il eut à affronter à ses débuts ? Comment ignorer l’ombre tutélaire de l’Abbé Breuil, dont l’influence fut si prépondérante ? Bien des critiques adressées à Henri Lhote devraient en réalité, par ricochet, viser ce “cher maître”, de l’influence duquel l’élève zélé, toute sa vie respectueux de l’autorité, n’a sans doute pas su complètement se départir ». Et Monique Vérité termine son livre en racontant, avec une émotion perceptible, la seule rencontre qu’elle eut avec Henri Lhote, un an avant sa mort : « C’est cette image que je garde dans le tréfonds de ma mémoire, celle d’un vieil homme en bout de course, célébrant son retour aux origines et offrant sa ferveur en partage ».

Bruno LECOQUIERRE

 

Appels à contribution

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche