Confort féminin et pratiques domestiques dans une ville de l'Atlas saharien algérien (Biskra)

Insaniyat N°2 | 1997 | Espaces habités | p. 131-157 | Texte intégral


Female comfort and domestic habits in an Algerian Atlas town (Biskra)

Abstract : The question of adapting dwellings to their context (socio-economic or geo-climatal) is a current issue.
The research carried out here is interested in a precise aspect : physical comfort and female domestic practises in present housing.
This article refers to the results of an exploratory study aiming to identify different dimensions of the "comfort" concept offered by present dwellings related to female domestic habits in a saharan climatical context (the town of Biskra).

Keywords : habitat, Sahara, women, comfort, climate


Fouzia MELIOUH : Etudiante en Magister
Kheïra TABET AOUEL : Université des Sciences et de la Technologie d'Oran Mohamed Boudiaf, 31 000, Oran, Algérie


INTRODUCTION

La dimension féminine de l'habitation a subi un bouleversement régressif, la réduisant à une stricte rationalité fonctionnelle. Ces références fonctionnalistes sont indifférentes à toute notion de confort des pratiques de cet espace, et assimilent l'habitant à une personne stéréotypée. Pourtant «pour beaucoup, et principalement pour les femmes au foyer mais non exclusivement les tâches ménagères ne sont pas seulement des travaux à accomplir le plus rapidement possible ;ces tâches sont l'objet d'investissements psychologiques tels qu'elles semblent peu pouvoir être pratiquées rationnellement[1].

En sachant que l'homme, face à un espace, s'adapte ou adapte, quelle est l'alternative qu'a adoptée la femme pour s'identifier à son habitat actuel ? Et quelle relation à Biskra a-t-elle développée dans ce contexte : est-ce une relation de satisfaction ou de résignation ?

En partant de cette problématique et afin d'y répondre, nous avons mis à l'épreuve toutes ces hypothèses émises en prenant comme repère l'une des références féminines.

Ce concept est le confort qu'offre l'habitation, vis à vis des pratiques domestiques, et ce à travers différentes dimensions.

La ville de Biskra est caractérisée par un climat semi-aride. L'incidence du contexte climatique sur le confort physique et les pratiques domestiques sont pris en considération.

Méthodologie d'approche

L'outil d'investigation utilisé à cette fin a été une enquête d'ordre psycho-sociologique de type exploratoire dont l'aspect qualitatif ne pose pas la question de la représentativité de l'échantillonnage[2].

Ainsi une population de six interviewées dans la ville de Biskra fut constituée ; trois cas habitent des logements collectifs, trois autres des maisons traditionnelles. Afin de recueillir un maximum d'informations qualitatives, des caractéristiques différentes (et même opposées dans certains cas) de chaque type d'habitation furent recherchées. Le choix des personnes à interviewer dépendait de l'accessibilité à celles-ci, mais sans recourir à des connaissances trop intimes. Pour plus d'objectivité il fallait tout préjugé ou influence sur le déroulement de l'entretien par nos opinions sur leurs vécus.

Cette étude fut menée sous forme d'entretien semi-directif où le thème principal était : ”le confort physique des pratiques domestiques féminines dans le logement”, et des sous-thèmes, destinés à canaliser l'entretien vers un objectif pré-établi, en évitant toute déviation, et balisés par des questions qui ne devaient être posées que s'il y avait tendance de l'interviewée de s'étaler hors sujet, ou pour orienter celle-ci son discours ne couvre pas tous les axes de notre sujet.

Et à des fins analytiques, un bref questionnaire est venu clore l'entretien concernant l'identification de l'interviewée variait suivant le cas, permettant une analyse objective des résultats des interviews[3].

Toutefois la démarche adoptée lors de chaque interview variait suivant les cas, et ce fut, plutôt une approche pragmatique se basant sur les spécificités de chaque situation (par exemple : la disponibilité psychologique de l'interviewée à coopérer ; la spontanéité dans la conversation, sa tendance à dévier du sujet… etc.).

Finalement, et afin d'identifier les interviewées, nous avons opté pour une codification de chaque interviewée suivant le type de logement habité, par exemple :

La première interviewée habitant un logement collectif est désignée par L.C.1 : L ==> logement ; C ==> collectif ; 1 ==> première interviewée.

La deuxième interviewée habitant un logement traditionnel est désignée par L.I.2 : L ==>logement ; I ==> individuel ; 2 ==> deuxième interviewée.

Et ci-dessous l'on expose un tableau résumant l'identification de chacune des interviewées.

TABLEAU RECAPITULATIF

 

L.C.1

L.C.2

L.C3

L.I.1

L.I.2

L.I3

Age (ans)

38

36

33

31

50

60

Ville d’origine

Biskra ville

Alger

Biskra ville

Biskra ville

Biskra ville

Biskra ville

Niveau d’instruction

Secon-daire

Secon-daire

Universi-taire

Secon-daire

Cora-nique

Cora-nique

Situation familiale

Mariée, ayant des enfants

Mariée, ayant des enfants

Mariée, ayant des enfants

Mariée, ayant des enfants

Veuve ayant des enfants

Veuve ayant des enfants

Situation sociale

Femme au foyer

Femme

au foyer, ex- enseign

Active (enseign moyen)

Active (enseign primaire

Femme au foyer

Femme au foyer

Profession du mari

Agent d’admi-nistration

Agent d’admi-nistration

Enseign du primaire

Enseign du primaire

/

/

Son niveau d’instruction

Secon-daire

Secon-daire

Secon-daire

Secon-daire

Cora-nique

Cora-nique

Nbre de personnes vivant sous le même toit

06

06

04

05

06

05

Type de logement habité

Collectif/

2eme

étage

F.4

Collectif/

3eme

étage

F.4

Collectif

/ 1er

étage

F.4

Trad:

3chamr es+

1mekhze n+ Wast

Dar + W.C.  + Cuisine

Trad:3cham+1 mekhze n+ Wast dar+ s’guifa+ W.C.+ Jardin

Trad:4ch

am+

Wast

dar+

W.C+

S.D.B. + Jardin

Orientation

Est

Ouest

Nord/Ouest

Nord

Nord

Sud

Depuis combien d’années y habitez-vous

10 ans

7 ans

4ans

4ans

Plus de 35ans

Plus de 35ans

Type de logement précédent

Tradi-tionnel

Collectif

Loti-ssement planifié

Tradi-tionnel

Tradi-tionnel

Tradi-tionnel

LE CONFORT A TRAVERS LE VECU FEMININ

Les témoignages des interviewées nous ont révélé que leur conception du confort domestique prenait plusieurs dimensions, en interférant en permanence sur leur quotidien. Les principales dimensions qui ressortent avec pertinence de leurs discours sont :

- La dimension visuelle.

- La dimension acoustique.

- La dimension psychologique.

- La dimension physique.

1- La dimension visuelle :

Cette dimension a été repérée à travers les discours des interviewées citant directementou indirectement le concept de l'appréciation visuelle, ou la perception de certains faits par rapport à leurs aspirations. Nous en avons tiré trois éléments indicateurs :

L'éclairage :

Evoqué assez souvent et spécialement dans les habita-tions traditionnelles comme un point négatif constituant une gêne pour la pratique de certaines activités[4].

I.1: - Quand je fais le ménage, j'ouvre toujours la porte d'entrée c'est à dire… pour avoir un peu de lumière, parce qu'il fait sombre et même cette “Raouzna” ne donne pas assez de lumière.

- Vous voyez même les chambres sont sombres et pendant toute la journée !… nous n'avons qu'à allumer les lampes.

I.2: - ...Les chambres ont des fenêtres sur l'intérieur de “Wast Dar”, alors pour coudre il faut que j'allume l'électricité, parce qu'à la longue cela fait mal aux yeux.

-… Nous lavons la vaisselle dans la “s'guifa”… c'est loin et sombre mais qu'est ce que tu veux, c'est le seul endroit où il y a de l'eau…

I.3: - Le salon est grand et bien éclairé, car il y a des fenêtres, mais ces chambres là, dans l'ancienne partie de la maison… c'est vrai qu'elles ont des fenêtres ma fille, mais étant à l'intérieur elles ne sont pas assez éclairées.

Dans chacun des cas il est possible de constater que la seule source de lumière dans la maison est la “Raouzna” (une petite ouverture au niveau du plancher, et donnant sur l'espace central qu'est “Wast Dar”), alors que le reste des espaces est censé en être éclairé indirectement ; d'après les témoignages des interviewées, l'absence d'éclairage suffisant se pose comme une contrainte pour pratiquer leurs activités domestiques et par conséquent, elle est une source certaine d'inconfort. Vis à vis de cette situation, les réactions sont diverses en partant de la simple résignation à l'état de fait, au recours aux mi-solutions telle que l'ouverture de la porte d'entrée avec ce qu'elle pose comme contrainte d'intimité.

Le paysage extérieur :

Cet élément par contre s'est manifesté surtout dans les cas des logements collectifs, car contrairement aux individuels, ceux-ci disposent de grandes ouvertures donnant sur un paysage extérieur et donc la qualité et la nature de ce dernier affectent inévitablement le confort visuel, positivement ou négativement…

L.C.1: - Tu sais, ici… quand tu ouvres les fenêtres du salon, tu trouves les voisins en face qui te regardent matin et soir, normalement on n'aurait pas dû disposer les bâtiments comme cela, face à face… au lieu d'avoir… un paysage de jardin pour les enfants ou même une route pour que l'on ne s'ennuie pas… maintenant on se regarde les uns les autres, et puis c'est tout… et à la longue l'on s'étouffe…

L.C.2: - Nous avons supprimé le balcon de la chambre comme je vous l'ai dit tout à l'heure pour agrandir notre chambre à coucher, et à la place nous avons placé des fenêtres… c'est à dire nous n'avions rien à perdre en réalité : ce balcon ne servait à rien et était toujours plein de poussière et nous ne l'ouvrions que pour aérer la chambre et puis on referme car il donne sur “El-Elb” (le désert) et il n'y a rien à y voir ni des gens ni de la verdure ! Que de la poussière et les gourbis des nomades, et même celui du salon, il donnait sur les bâtiments d'en face alors autant l'utiliser comme salle à manger…

Dans les deux cas les interviewées habitent dans une cité où les bâtiments sont disposés en deux rangées parallèles, ce qui fait que la première a une vue sur le bloc d'en face et la deuxième sur les espaces déserts de la limite de la ville. Ceci provoque une énorme sensation d'ennui causée par l'absence de paysages intéressants dans leur environnement immédiat.

L.C.3:- Non… je ne changerai pas les fenêtres, elles sont bien ; si on veut contrôler ses enfants à l'extérieur ou les appeler ce n'est pas la peine de descendre en bas, on n'a qu'à regarder par les fenêtres et si l'on s'ennuie, on regarde par là et l'on peut voir les gens qui passent et surtout les gens du lycée…

Contrairement aux cas précédents cette interviewée exprime une satisfaction totale quant aux fenêtres de son appartement. Elle est motivée par leur utilité pour la surveillance des enfants d'une part, et d'autre part par le paysage qu'offre leur emplacement par rapport à l'entourage. En effet l'environnement immédiat de la cité en question est animé par beaucoup d'éléments urbains tels qu'un axe routier très important de la ville, le lycée, la grande mosquée, et la grande place servant pour le marché hebdomadaire.

Décor intérieur :

Toutes les interviewées ont exprimé cette recherche de confort visuel à travers le décor intérieur, mais à des degrés différents : de la simple peinture des murs jusqu'à l'agencement soigné des livres de la bibliothèque, l'argenterie et la vaisselle sur les buffets.

L.C.1: - Ce buffet là par exemple j'envisage de le vendre, il est très vieux… on dirait, euh !.. que c'est du temps de grand-père, et pour le décorer ! Rien à faire… J'ai envie d'acheter une jolie bibliothèque qui serait grande et pleine de vitres, j'y mettrais les livres, la vaisselle, l'argenterie et même la télévision.

Le buffet dont-il s'agit (effectivement très vétuste), est disposé dans le salon (voir relevé N°1). Pour cette interviewée, même la vétusté des meubles affecte la qualité du décor intérieur de la maison. Par ailleurs, quand on sait qu'une bibliothèque ne remplacerait pas tout à fait un buffet, l'on conclut que c'est son emplacement dans le salon (l'espace le plus exposé au regard des visiteurs et donc également à leurs critiques) et l'influence qu'il a sur le reste du décor, qui lui vaut cette confusion. Alors que placé ailleurs, son côté utile l'emporterait, peut- être, sur son côté non-agréable à voir.

L.C.2: - Le salon est toujours propre et bien arrangé, dans le cas où… l'on reçoit des invités à l'improviste… ils trouveront que tout est en ordre et propre… ils ne se feront pas de mauvaises opinions sur nous… bon ! Des fois tu vas dans des maisons à l'improviste, et tu trouves que tout est dessus dessous, parce qu'ils ne sont pas organisés, ils mettent telle chose ici et puis demain elle est là bas… je n'aime pas cela moi… quand je vois le désordre ! j'en deviens malade… et même les enfants m'aident à arranger la maison, pour qu'ils soient conscients…

L.C.3: - Il est très agréable de rentrer du travail et de retrouver sa maison bien arrangée… c'est pour cela d'ailleurs que je laisse toujours le salon fermé, parce que je travaille… Et je veux que cela reste bien arrangé, sans être obligée de le remettre en ordre chaque jour. Tu sais ce que c'est qu'une femme qui travaille !…

Dans ces deux cas aussi le salon se met en évidence comme un élément de référence pour l'opinion des visiteurs, et là l'on retrouve les expressions “ordre” et “propreté” qui résument les éléments de base du décor d'une maison.

L.I.1:- … même si nous essayons de décorer un peu la maison, rien n'est évident puisque la maison est très ancienne et… les murs se dégradent de plus en plus…, chaque fois on essaye d'arranger un peu mais c'est toujours pareil, cela ne dure pas longtemps et cela décourage pour décorer ou… arranger les choses. Et des fois, on en a marre de cela et je me dis à quoi bon ?. Je suis en train de me fatiguer pour rien ; même pour placer un clou afin de suspendre un cadre ou quelque chose comme cela, cela ne tient pas très longtemps.

L.I.2: - Tu sais il n'y a rien à garnir tout est cassé parce que rien ne se voit dans une maison comme celle-là, c'est des “D'khoch” (coin sombre et retiré) ; c'est vrai que c'est frais en été, mais pour que la propreté de la maison se voit…Ou bien son décor ou ?… Rien. Les nouvelles maisons ! Tu les as vues ! Un petit tour, seulement, et tout est mis en ordre, la propreté est nette… les garnitures, même quand tu entres, cela donne un bon aspect.

L.I.3: - Le salon là-bas, c'est à dire le nouveau c'est plus beau à voir, c'est vrai qu'ici propre mais là-bas la peinture est neuve, le salon est grand, le sol est en carrelage, et il y a la télévision, la bibliothèque…”L'hata Francis” (style moderne), que vous aimez, vous et votre génération, parce que nous ma fille, le temps nous a dépassé et il ne nous reste plus rien, nous ne somme pas que “baraka” !

Dans le cas d'habitations traditionnelles, les références au décor intérieur, sont plus pertinentes, et l'on retrouve des expressions tels que “décorer” ou “décor”, “mur dégradé”, “peinture”, “meuble”, “ordre”, “propreté”… qui reviennent dans des impressions d'insatisfactions et de regret, vis à vis de l'état dégradé de l'habitation, qui handicape toute tentative de s'approprier l'espace en y mettant son empreinte personnelle, par rapport au décor.

Comme l'on peut constater, cet aspect du confort est très lié à la perception visuelle aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur du logement, et la possibilité de les rendre (généralement vis à vis des jugements des autres) plus agréables et attrayants.

2- La dimension acoustique :

Cette dimension du concept de confort a été identifiée surtout dans le cas des logements collectifs où la question de l'isolation acoustique est très présente, dans les relations de proximité. Et les interviews ont révélé deux indicateurs :

- La gêne causée par l'impact du bruit des voisins.
- La gêne causée par la limitation de la liberté d'action.

L.C.1: - … Il arrive même des fois que j'entends les voisins d'à côté entrain de discuter la nuit, cela ! c'est pas bien que… soit disant, on est chez soi et que l'on ne peut pas parler à l'aise… où même se disputer pourquoi pas ?… sans que tout le monde le sache.

L.C.2: - Moi mes enfants je leur interdis de courir, surtout la nuit… quand même ! Il faut qu'on se respecte, pour que les gens nous respectent. Même pour un travail urgent ou… quand cela fait du bruit, je le laisse pour le lendemain…mais tout le monde n'est pas pareil… il y a des gens… qui ne comprennent pas. Qu'est ce que tu veux ?…

L.C.3: - …La nuit, quand on veut se reposer un peu de la fatigue de la journée, tu entends le bruit des gosses d'en haut “sur la tête”… qu'est ce que tu fais ? ... tu parles à leurs parents ?... tu fais de même ?... c'est impoli !… une fois, deux fois… tu en as marre à la longue… surtout avec des gens mal éduqués.

L.I.2: - … Mais une cousine m'a raconté que quand tu parles chez toi, on écoute tout ce que tu racontes, là bas chez les voisins… de ce côté là les bâtiments ne sont pas bien.

L.I.1: -… dans la maison individuelle… tu marches à ton aise…tu… parles à ton aise… tu fais tout ce que tu veux… personne ne vient frapper à ta porte pour te dire : arrêtez ce bruit ! On l'on va porter plainte contre vous.

L'absence d'une isolation acoustique suffisante dans les logements collectifs a fait que l'intimité de la vie privée est remise en doute par les interviewées que ce soit par expérience personnelle ou par apport de témoignages d'autrui. Et cette sensation d'inconfort est beaucoup plus ressentie quand il s'agit de comparer la situation avec un vécu antécédent dans des habitations individuelles “Dar Ardhi” où la question est rarement posée.

Ce deuxième aspect du confort, de nature physique affecte indirectement un autre aspect d'ordre psychologique cette fois-ci, que l'on peut inclure dans la dimension psychologique du concept.

3- La dimension socio-culturelle :

Vu que cette dimension interfère avec toutes les autres (en effet et pour ne citer qu'un seul exemple : la dimension visuelle implique un confort vis à vis de la perception de certains éléments entraînant systématiquement une sensation de satisfaction psychologique[5]), nous nous sommes limitées aux aspects d'ordre socio-culturels qui n'ont pas été analysés au niveau des autres dimensions.

Et dans ce cas là,cette dimension est surtout affectée par la conformité de toute situation avec les références culturelles personnelles ou (et) les aspirations de chacune des interviewées. Elle se manifeste à travers deux indicateurs assez significatifs qui sont :

- L'intimité.

- Le changement du mode de vie.

L'intimité :

Ce paramètre a été très souvent évoqué dans le discours des interviewées. On exposera la question de l'intimité de l'extérieur vers l'intérieur à travers les éléments les plus persistants qui ont resurgi dans leurs témoignages.

a- La question du vis à vis

Mis à part le cas de L.I.1. dans le cas des logements individuels où le problème a été réglé par l'emplacement d'un niveau (comme on l'a vu précédemment dans la dimension visuelle), la question s'est posée surtout pour les logements collectifs où le nombre, la taille et l'emplacement des ouvertures étaient plus importants.

L.C.1: Ces moustiquaires… sont contre les moustiques et les mouches… mais tu sais… de l'extérieur tu ne peux rien voir, sauf la nuit si on allume la lumière… au moins tu peux respirer un peu sans… qu'on te voit circuler… quand tu es entrain de faire le ménage et habillée n'importe comment… et ils sont entrain de regarder (…). Même dans la chambre à coucher, on a la fenêtre sur la cour (elle donne sur un patio commun) que nous avons condamnée avec du parpaing parce qu'elle était en face de celle du voisin, et d'ailleurs la majorité des voisins ont fait de même.

Pour cette interviewée, les moustiquaires, censés protéger contre l'intrusion des insectes, ont une seconde utilité : la préservation de son intimité vis à vis des regards des voisins curieux (rappelons nous la disposition parallèle et rapprochée très contraignante des immeubles de cette cité). Alors que là où cette solution n'est pas suffisante, l'on a eu recours à l'obstruction totale des fenêtres, source de gêne (les concepteurs ont prévu des claustras afin d'atténuer le problème).

L.C.2: - Les placards que tu vois dans la chambre à coucher, il y avait à la place une fenêtre… on ne l'ouvrait pratiquement jamais, parce que c'était en face de celle des voisins et je crois même que…c'est mieux parce qu'il y a les fenêtres qui donnent sur l'extérieur à la place du balcon qu'on a supprimé. (Voir plan L.C.2)

Cette interviewée également donne la solution de l'obstruction comme un moyen de se préserver une certaine intimité et donc un certain confort. Et afin que ce besoin ne se répercute pas sur un autre, (un besoin de confort thermique cette fois-ci : l'aération), la porte qui donne sur le balcon et ce dernier également sont supprimés et remplacés par de grandes fenêtres.

L.C.3: - … Comme je te l'ai dit, la cuisine a été transformée en chambre d'enfant et on l'a placée dans cette loggia parce que c'était en plus… on ne peut rien y faire. C'était grand et ouvert sur l'extérieur par des claustras... tout le monde te regarde de l'extérieur… il y a des gens qui l'ont condamnée avec du parpaing, du carton… un rideau ou des stores… mais cela fait toujours rentrer de la poussière.

Dans ce cas où la loggia est très vaste, sa transformation en cuisine est justifiée par deux besoins : le premier est celui de l'extension et le gain d'espace à l'intérieur du logement, alors que le deuxième (qui, selon l'interviewée, justifie le premier) est son extrême ouverture sur l'extérieur qui expose ses utilisateurs aux regards indiscrets des passants. Et pour appuyer le choix de la transformation de cet espace, l'interviewée critique les solutions adoptées par les autres habitants de la cité.

b- La recherche d'un espace de transition

L.C.1: -… reste le problème de la cuisine en face du salon et les toilettes… c'est à dire, si tu reçois des invités … Bon ! le mur ? Et on l'a surélevé ! mais cela… c'est un vrai problème. Il faut toujours que l'on ferme la porte… au fait ! tu ne sais pas pourquoi ils l'ont conçu comme ça ?… pourquoi on n'a même pas prévu une entrée ?… comme ça, avec le salon, et puis viendra la cuisine ? surtout les toilettes… tu sais si tu reçois un invité… alors les toilettes ! c'est interdit.

L.C.2: - … La porte est toujours fermée, quand il y a des invités, parce que tu sais… je porte le voile, et j'entre à la cuisine qui est en face… et avec le “va et vient”… je n'aime pas qu'on me voit… cela c'est pas bien. J'aurais souhaité que cela soit protégé un peu, ou… même avec un sas… Comme cela on te voit comme si tu es avec eux.

L.C.3: - … C'était une entrée à part de l'extérieur (en parlant du sas), c'était découvert, et puis vient notre porte d'entrée… après, on l'a intégrée à notre maison et on a placé la porte à l'extérieur et c'est devenu comme ce qu'on appelait autrefois “s'guifa” c'est mieux ainsi.. que tu entres et tu te trouves dans “Wast Dar” déjà (en plus du rajout de la porte d'extérieure, ce sas avait, uniquement, un garde-corps en ferronnerie comme séparation de l'extérieur, et on l'a condamné, en n'y laissant qu'une fenêtre).

Dans les trois témoignages, l'on retrouve à chaque fois le besoin d'avoir un espace de transition ou au moins d'isoler visuellement, le salon (qui est un espace public), du reste de l'habitation. Et dans les deux premiers cas, le problème d'intimité, lors des réceptions de personnes étrangères à la famille et la gêne causée par la proximité de la cuisine des toilettes et du salon sont très ressentis mais restent sans solution. Ceci développe le sentiment d'inconfort chez ces femmes à chaque réception d'invités alors que, pour la troisième, la question ne se pose plus puisqu'elle s'est appropriée le sas.

L.I.1: -… Puisque je n'ai pas de «s'guifa» et la porte donne directement sur «Wast Dar» et bien!… j'ai placé une «kella» (rideau) à l'entrée. Dans le cas où l'on vient à l'improviste, ou que je laisse la porte ouverte pour la lumière ou l'aération en été…

L.I.2: - … C'est à dire que c'est pratique pour installer la mobylette, c'est pas la peine de la faire entrer à l'intérieur, ou s'il y a des hommes, ils attendent là-bas dans la «s'guifa» jusqu'à ce qu'on laisse passer… et qu'on les fasse entrer.

Ces deux cas contradictoires viennent appuyer ce constat concernant le confort psychologique qu'offre l'intimité d'un espace de transition (représenté par la «s'guifa» pour les cas en question). En effet, la première femme dont la maison fait défaut de cet espace, en a aménagé un, par un simple marquage avec un rideau placé à un mètre de la porte d'entrée. Alors que la deuxième, dont la maison dispose de cet espace, en exalte la grande utilité.

Et à travers tous ces témoignages, nous retenons que l'intimité vis à vis des invités étrangers a de grandes répercutions sur le confort psychologique de ces femmes dans leurs vécus quotidiens.

c- L'inimité à l'intérieur de la maison :

Elle se traduit par la séparation des espaces de réception, en un premier réservé aux visiteurs considérés comme étrangers à la famille et en un deuxième espace qualifié comme plus intime, servant à la réception des visiteurs intimes de la famille, aux prises de repas en commun et aux réunions de la famille le soir.

L.C.1:- Ce mur là n'était qu'à moitié bâti (entre le salon et le séjour) nous l'avons surélevé, afin d'être plus à l'aise… si nous sommes réunis ici et que des invités de mon mari sont là bas, on ne sera pas gêné, on discuterait à l'aise… on mangerait à l'aise et même si je reçois des femmes ou… les gens proches de la famille. (fig. 1)

Ce cas là n'est pas isolé dans la cité. En effet et selon notre constat lors de visites personnelles, la séparation diffère d'un simple rideau, à l'emplacement de fenêtres en aluminium jusqu'à la condamnation avec des névadas ou autres éléments constructifs sensés joindre l'utile à l'agréable.

L.C.2: -… En réalité… la famille ou les intimes, je les reçois là bas dans l'autre pièce, comme on l'appelle chez nous:«bit Legaad», et celle-là, je la réserve aux étrangers.

L.C.3: - Dans la salle de séjour, on s'assoit comme on veut, on est à l'aise, les enfants y étudient, on y regarde la télévision... mais le salon reste toujours fermé.

L.I.1: - … par exemple quand mon mari reçoit des amis… dans ce cas on ouvre le salon, sinon! c'est toujours «Bit Legaad». On s'y réunit… Surtout quand je reçois des femmes: ce n'est pas la peine qu'on entende nos discussions.

L.I.2: - … Même si l'on reçoit des invités, les amis des garçons ou… Des invités quoi!… ils passent directement au salon… Mais les gens qu'on a l'habitude de recevoir… c'est à dire… on les reçoit ici dans «Wast Dar» ou dans l'autre chambre quand il fait froid en hiver.

L.I.3: - … Depuis qu'on a rajouté l'autre partie…celui qui vient passe directement au salon… il ne vient pas ici…Ici?… Il n'y a que ceux qui viennent pour moi, j'aime bien rester à cet endroit avec eux…Je laisse l'autre pour les enfants.

Tous les témoignages convergent en un même point exprimé différemment mais ayant une seule interprétation: la recherche d'un confort psychologique à travers la préservation de l'intimité, par le biais d'une appropriation variée des espaces. En effet, dans le discours de chacune des interviewées, on retrouve sa propre stratégie de marquer cette appropriation, en distinguant l'espace public du semi-public et ce par la fréquence d'usage de chaque espace, et l'aménagement approprié de chacun. Cette distinction existe dans les deux catégories d'habitat: le salon est toujours présent comme espace public qualifié par des appellations telles que:«le salon», «sala», et «bit Edhiaf»; l'espace semi-public est représenté tantôt par un espace structurant, ou du moins y occupant une situation dominante (la dominance est structurelle ou seulement visuelle) qualifié de «séjour» ou «Bit Legaad», et «Wast Dar».

d- Le changement du mode de vie

Cet aspect également a été une expression de ces femmes pour une recherche d'un certain confort psychologique en adoptant des pratiques qu'elles jugent comme «les plus pratiques». Il est à signaler que cette attitude n'a été vraiment concrète et radicale que dans deux cas. Ceci peut être expliqué par la difficulté d'être aussi radical dans le changement d'un mode de vie par lequel on est profondément imprégné.

L.C.2: - Avant, on mangeait «au séjour»… là bas… ce n'était pas bien. Les miettes étaient par terre… c'est à dire… là où on mangeait, on se réunissait… Non…ce n'était pas du tout cela… et après on a condamné le balcon… et nous l'avons transformé en salle à manger… avec la table et les chaises… c'est devenu plus organisé. Pour manger, on évite maintenant l'endroit du séjour… c'est plus organisé, c'est plus propre.

Au début, l'interviewée expose les difficultés qu'elle avait à gérer la polyvalence du séjour, en parlant essentiellement de l'impossibilité de préserver la propreté de la pièce. Et le choix de l'appropriation du balcon en le transformant en salle à manger est venu pour résoudre le problème mais également pour rompre avec la pratique traditionnelle de manger ensemble dans la même assiette, en s'asseyant autour d'une «meîda» à même le sol.

Et les expressions contradictoires comme «ce n'était pas bien» et « c'est plus organisé, c'est plus propre», reflètent la satisfaction et le réconfort de l'interviewée quant aux changements dans le mode de vie de sa famille.

L.I.3: - Auparavant nous mangions dans «Wast Dar», mais maintenant depuis que nous avons rajouté cette partie… c'est fini… mes enfants préfèrent manger au salon en face de la télévision. Alors je… leur sers toujours là-bas… c'est à cause du journal télévisé.

Dans ce cas également, on constate que l'appropriation de nouveaux espaces a été simultanément une motivation et un moyen de rompre avec le mode de vie habituel, et l'expression «c'est fini» relevée dans cet extrait est très révélatrice quant à cette rupture. En effet, l'extension de la maison par le rajout d'une partie considérée comme moderne par l'interviewée (voir la dimension visuelle, partie décor intérieur), a ouvert le champ à de nouvelles pratiques désormais intégrées dans les habitudes de sa famille.

Comme précisé au préalable et constaté par la suite, cette dimension est très reliée aux autres aspects du confort: le confort psychologique est une sensation de satisfaction, et ce par rapport à n'importe quelle situation. Néanmoins, les aspects socio-culturels de cette situation sont les plus révélateurs car ils reflètent le mieux tout réconfort moral.

4- La dimension physique

Cette dimension du concept de confort se rapporte à l'état de santé physique de l'interviewée. Les paramètres qui y influent directement sont la conception même du logement, ou son état de dégradation.

A travers l'analyse, nous avons pu faire ressortir les indicateurs suivants:

- La fatigue et les risques d'accidents domestiques.

- Les infections dues à l'insalubrité du logement.

- La surchauffe.

- Le froid.

a- La fatigue et les risques d'accidents domestiques

Ils sont dus à la conception même du logement (non fonctionnel présentant un danger physique pour l'usager).

L.C.1: -… Et pour aller des toilettes à la salle de bain c'est une vraie histoire… une longue marche… si c'était rapproché on ne serait pas obligé d'aller par ci et venir par là, et en plus il n'y a même pas de robinet d'eau (dans les toilettes)…

L.C.2: - Ces marches! C'est en plus. C'est pour les européens. Nous, on a les enfants… et puis tu es en train de servir…Et avec le va et vient de la cuisine… à plusieurs reprises, nous avons failli nous brûler avec les soupes ou… Surtout avec la montée des marches… Et spécialement les enfants… De toute façon… Il n'y a pas un de mes enfants qui n'est pas tombé là-bas… Et tout le monde se plaint surtout de ce coin là… Très difficile… Si l'on se heurte dessus, on aura la tête en morceaux!… [ ] Et c'est fatiguant de faire le va et vient pour servir ou débarrasser la table.

L.C.3: -… Tout le monde le fait (le barreaudage) d'un côté c'est contre les vols et d'un autre c'est pour que les enfants, ne tombent pas.

L.I.1: - Je lave la vaisselle dans «Wast Dar» près de la salle de bain comme la lessive… La cuisine est trop étroite et il n'y a pas d'eau… je vous jure que c'est très fatigant… Tu ramènes ta vaisselle, et puis tu remplis l'eau… C'est la corvée…[ ]… Et si les fillesse mettent à tourner, je me mets à hurler… Des fois l'une d'elles glissent sur l'eau et se blesse à la tête… Mais c'est comme cela… (Elle sourit) moi même j'ai glissé un jour… Et j'en suis restée malade.

L.I.2: - …Pour laver la vaisselle… Il faut l'emmener la bas… Dans la «s'guifa»… Je te l'ai dit, nous n'avons qu'un seul robinet d'eau qui sert pour tout… Mais pour le linge on lui place un tuyau jusqu'au siphon de «Wast Dar» … Ici c'est la corvée… On ne peut même pas faire entrer une conduite… Parce que la cuisine est loin…

A travers les témoignages des interviewées, on retient que cet aspect du confort physique affecte énormément la commodité de certaines pratiques. Le pire des cas, c'est quand elles ne peuvent nullement améliorer la situation, et ne font que la subir: c'est le cas de L.C.1. et L.C.2. où la conception elle-même du logement est remise en cause, considérée comme destinée à une autre société (en l'occurrence européenne). Ainsi en est-il quand elles parlent de l'éloignement des toilettes par rapport à la salle de bain, ou bien de la disposition des marches entre la partie séjour et chambres et la partie cuisine et salon.

Dans le cas de L.I.1. et L.I.2. également, on retrouve une remise en cause de cette conception mais justifiée par son inadéquation par rapport au mode de vie actuel, tel que le manque d'équipement sanitaire (point d'eau unique, absence d'évier… etc.).

b- Les infections dues à l'insalubrité de la maison:

Il faudrait préciser que l'insalubrité de la maison a varié dans notre enquête, du simple fait de l'accumulation des poussières (dû à l'emplacement dans un site exposé), aux présences des insectes (ou autres animaux dangereux), jusqu'à l'accumulation de l'humidité.

L.C.1: - A l'arrivée du printemps, j'ai peur des bestioles telles que les scorpions ou les serpents… Tu sais notre région est ouverte sur le désert, et le vent peut tout ramener. Mais j'essaye de ne pas y penser… car on dit que ça n'arrive qu'à ceux qui y pensent le plus. Je garde ma bonne foi, mais j'essaye de faire attention. Je contrôle tout : les lits… les fenêtres, la douche, sous les tapis, enfin… partout, pour être tranquille! Et malgré les moustiquaires placées aux fenêtres, je ferme un maximum de temps, car même les moustiques nous gênent beaucoup, tu sais!… Elles piquent et ça fait mal… on se dit qu'en fin de compte, l'on se passe du courant d'air pourvu qu'on puisse rester tranquille… et surtout pour les gosses, c'est eux qui souffrent le plus de ces moustiques là… j'ai peur des maladies pour eux… alors je préfère souffrir dans la chaleur ou laisser en marche le climatiseur… car avec ces mouches, ces moustiques et ces scorpions, les moustiquaires et les joints d'étanchéité ne sont pas efficaces.

L.C.2: Avant le «Maghreb» (signifiant le coucher de soleil, et également le temps de la quatrième prière de la journée) je ferme tout... avant c'est ouvert pour l'aération. Et le climatiseur je le mets en marche quand je ferme le tout… et ça dépend, quand est ce que je l'éteins? Parfois tard le matin… et parfois, quand il fait beau, j'ouvre... mais je ferme après, pour… le problème des moustiques et des scorpions… Parfois ils montent jusqu'aux maisons, une fois je l'ai trouvé dans ma cuisine…pourtant, je vérifie tout et je place des chiffons mouillés quand… il y a du vent de sable, ils… viennent avec… mais c'est sûr que c'est à cause de la fissure dans la cuisine… [ ]. C'est à dire… les scorpions et les souris, ne sont pas comme les moustiques… les souris je n'enai jamais vu chez moi car c'est toujours propre, même les cafards n'existent pas.

En effet, et spécialement dans cette cité, les accidents dus aux morsures des scorpions sont très courants, surtout en été. L'existence aussi de serpents dans les sous-sols des immeubles a été confirmée par les deux interviewées. Nous pouvons facilement déduire que ce phénomène est dû à l'implantation de la cité dans la périphérie de la ville et donc dans un site exposé dont l'insalubrité de l'environnement[6] ne fait qu'aggraver la situation. Cela dit, la peur de ces interviewées d'en être la victime un jour, elles ou l'un des membres de leur famille, est devenue une source d'angoisse permanente, qui fait que le problème des insectes tels que les mouches et les moustiques est devenu mineur. Ce qui n'a pas empêché le dilemme de supporter soit les piqûres des insectes, et éventuellement le risque de celles des scorpions, soit la chaleur de tout l'été, ou finalement les frais exorbitants de la facture d'électricité (à cause de la mise en marche des climatiseurs presque toute la journée).

L.C.3: - Depuis que l'on habite ici j'ai attrapé cette allergie à la poussière, cela entre de partout et cela vient… du «El elb» (le désert) et quand vient le vent, toute la poussière entre à l'intérieur. Et avec tout cela la cuisine n'est pas assez aérée. L'humidité m'a fait beaucoup de mal, parfois je tombe gravement malade…

Dans ce cas-là, l'interviewée évoque un autre aspect de l'insalubrité: l'accumulation de la poussière (un phénomène très gênant, néanmoins naturel dans les régions du sud) dont la majorité de la population subit les retombées (maladies et infections).

Cependant, on remarque que cette interviewée pose un autre problème: la faible aération de la cuisine, après son réaménagement dans la loggia, ainsi que la persistance de l'humidité, à cause du faible courant d'air qui y passe.

c- Le froid :

Ce paramètre n'a été signalé que brièvement dans tous les cas:

L.C.1: -… Chacun garde sa chambre en hiver… on allume le chauffage et l'on se couvre… et je n'ouvre que pour aérer, le matin, ou si l'odeur de la cuisine persiste dans la maison. Mais nos maisons sont généralement assez froides en hiver, car… elles donnent sur «El elb» et le froid nous vient d'en haut du «Tell» (le nord) directement… et puis chez moi… le soleil ne vient qu'en été… j'en ai besoin…

L.C.2: -… C'est froid en hiver. Malgré le chauffage, il fait froid. Les autres bâtiments! Non… parce que…peut-être qu'on est les derniers au bord de la ville… ou peut- être parce qu'il y a trop d'ouvertures.

L.C.3: - Nous sommes bien en hiver… même nos maisons sont bien chauffées et gardent la chaleur… à ce qu'on dit, les murs sont en deux couches et entre eux il y a un vide. On dit que ça protège contre la chaleur et le froid.

L.I.1: - Il ne fait pas très froid chez nous… juste à côté de l'escalier il y a un peu de courant d'air, cela me fait mal quand je lave la vaisselle, ou surtout le linge, parce que cela prend du temps.

I.2: - On ne le sent pas le froid en hiver car la terre n'est pas comme le ciment (en voulant parler du béton), elle! elle retient la chaleur.

I.3: - …Les anciennes maisons… tu ne sens pas tellement le froid ma fille… ni la chaleur en été, la terre est bonne… d'ailleurs, je ne porte jamais de tricot dans la maison, sauf si je sors.

Le phénomène du froid est plus ressenti dans les logements collectifs, où les matériaux de construction utilisés ont une faible résistance thermique, sauf pour le troisième cas, dont les parois sont doublées et réalisées en bloc de plâtre[7]. Mais ce cas est rare dans la réalisation des logements collectifs; d'autres priorités prennent le dessus.

Par contre, les interviewées habitant les maisons traditionnelles, témoignent de l'absence du phénomène du grand froid en hiver, et par expérience confirme que le matériau de construction réalisé en terre, en est la cause.

Ceci dit, on remarque aisément les différences d'attitudes dans chacun des cas, et l'influence exercée sur le quotidien de la famille. Pour ne reprendre que les témoignages les plus significatifs:

L.C.1 rapporte que «chacun garde sa chambre en hiver». et un peu plus loin «et puis chez moi… le soleil ne vient qu'en été»; L.I.3, avec un exemple simple mais très significatif nous révèle cette différence:«d'ailleurs, je ne porte jamais de tricot dans la maison, sauf si je sors».

d- La surchauffe :

Contrairement au premier aspect qu'est le froid, ce paramètre s'est révélé plus persistant quant à son influence sur plusieurs aspects du mode de vie des interviewées. Il a été exprimé à deux niveaux:

Exprimé comme un phénomène de surchauffe naturelle lors des situations de repos et qui est dans certains cas accentuée par une conception inadéquate du logement. Et ci-dessous, les interviewées exposent chacune à sa façon les mesures qu'elles prennent afin de palier à cet inconfort, pendant tout l'été.

L.C.1: - En été, quand la chaleur arrive… tout le salon est vidé. Je fais tout sortir, je… je dégage de l'espace, parce que comme vous savez tout se fait à même le sol, et pour que nous puissions tout dormir dans le salon, car “Leb'roud” (l'air frais) ne peut pas arriver dans toutes les chambres… et puis on ne peut pas mettre le climatiseur partout!

L.C.2: - …On ne sait pas quoi faire, en été... on dort tous ensemble là où il y a le climatiseur (au salon), bien que j'aime l'ordre et tout, mais … quand vient la chaleur, c'est plus fort que nous…

L.C.3: - généralement le salon reste tel qu'il est en hiver, mais… quand vient l'été c'est à dire tout change, je… range tout, il n'y reste rien… je range les fauteuils, les tables, les chaises… mais je n'y laisse que la bibliothèque… je ne peux pas la déplacer…et je n'ai pas où la placer et en plus elle ne gêne pas…[ ]. Mais le reste… rien. En été, tu sais il fait très chaud, et le meuble retient la chaleur et en plus, on n'aurait pas où dormir, si je laisse, car l'on dort tous ensemble…

Nous remarquons que dans les trois cas des logements collectifs, le salon se transforme complètement en été, et change de fonction, en devenant le seul espace vivant de tout le logement (généralement, c'est le seul espace privilégié par le conditionnement d'air). En effet, et d'après les témoignages des interviewées, le salon devient le lieu où on mange, où on fait la sieste, où on se réunit en famille, où on reçoit les invités, et où on dort la nuit. Et toutes ces activités, réunies dans un seul espace, exige un entretien spécial, ainsi qu'une réadaptation à cette polyvalence fonctionnelle, et ce changement a des retombées considérables sur l'effort quotidien que doit fournir la maîtresse de maison, tout le long de la journée.

L.I.1: - mais en été, on monte tous dormir sur la terrasse, en plein air, je l'arrose après le «Maghreb» et ça se refroidit avant qu'on monte. Les couvertures et les matelas… je les laisse dans le «mekhzen», toujours… la sieste on dort dans «Wast Dar» bien sûr, on allume le ventilateur.

L.I.2: -… on monte l'après-midi, on arrose bien la terrasse «Stah», et l'on redescend... mais l'on ne monte pas avant que les garçons rentrent, parce que les murs sont trop bas et l'on a peur. Tout l'été c'est comme ça.

L.I.3: - Moi je dors à la terrasse, mais les enfants, à chaque fois c'est différent… c'est comme ils veulent, des fois en haut, des fois en bas, avec le climatiseur… moi je ne supporte pas…

Contrairement aux logements collectifs, le salon des maisons traditionnelles, ne subit pas autant de changements, car ces dernières présentent un espace en plus constitué par la terrasse, et qui a pour rôle d'absorber, en partie, ce nomadisme saisonnier, qu'on peut qualifier de vertical dans ce cas, et d'horizontal dans le cas des logements collectifs.

Exprimé comme un malaise physique (transpiration, respiration difficile et même étourdissement) lors de l'accomplissement de certaines activités qui favorisent la surchauffe, et spécialement en été:

L.C.1: - Quand, je fais la galette, j'ouvre toutes les fenêtres de la cuisine, du salon, du séjour… toutes! Pour dégager la chaleur et la fumée sinon on étouffe.
- En été… avant de terminer la préparation d'un repas, on étouffe… les fenêtres de la cuisine sont petites… que tu ouvres, ou que tu n'ouvres pas, tu transpires… tu suffoques…

L.C.2: - Je prépare rarement la galette en été… j'en fais une fois pour toutes… pour la préparer! On risque d'étouffer… on ouvre tout mais… malgré ça la chaleur, la fumée, les odeurs, tout reste dans les chambres, puis… on transpire et avec la chaleur de l'été… on meurt.
- J'aime me réveiller tôt le matin pour terminer le ménage avant que ça chauffe… parce que… sinon, je ne pourrais pas continuer… avec la chaleur, on ne fait rien et l'on meurt de fatigue…à… dix heures déjà, tout est fait. Je me repose, et je ne fais pas grand-chose.

L.C.3: - Je préfère terminer tôt le ménage, parce qu'avec la chaleur, hein!… Et si j'ai envie de la galette, il faut que jela prépare tôt, pour que ça ne chauffe pas.

Pour ce point, nous avons estimé que les extraits de témoignages choisis sont significatifs. En effet, les expressions de malaise, qu'elles ont utilisées, sont si fortes, telles que «on étouffe», on «suffoque», «on meurt», et «l'on meurt de fatigue». Et nous constatons que toutes ces expressions-là sont reliées à certaines activités qui favorisent le phénomène de surchauffe.

Donc quand on sait qu'en été, ce phénomène est la source majeure d'inconfort dans la région, et ce pour tout type d'habitat, et que d'un autre côté, l'habitat du type collectif, est loin d'être conçu dans ce souci-là, on peut aisément estimer les répercussions de cela sur le vécu de la femme, première concernée par les mutations (volontaires ou pas), du mode de vie.

Les paramètres retenus dans cette dimension pourraient être rencontrés dans n'importe contexte social, ou géographique[8]; mais se manifestent différemment, et avec un seul point commun constitué par leurs causes principales. Ces causes là sont: la conception même du logement qui n'est pas adaptée aux caractéristiques du contexte (social et géographique), ou son état de dégradation avancée.

En guise de conclusion:

LE MALAISE CHEZ SOI ? QUELLE EN EST LA CAUSE ?

Le mode de vie en perpétuelle évolution a développé de nouvelles valeurs sociales qui sous l'influence de l'amélioration du niveau de vie et l'apport technologique, ont métamorphosé le vécu quotidien de la femme. La relation de ce vécu avec l'habitation, qui aurait dû continuer dans l'harmonie, est devenue ambiguë pour ne pas dire conflictuelle.

Notre étude a prouvé que ni l'habitation traditionnelle, avec son ombre de territoire exclusif de la femme d'autrefois, ni l'habitation contemporaine, qualifiée de moderne et supposée répondre aux besoins de la société actuelle[9]- ne reproduisent réellement cette référence féminine.

En effet, et en premier lieu, l'habitation traditionnelle, comme on l'a vue, ne s'adapte plus aux pratiques sociales actuelles et donc essaie de les figer dans le temps. Et quand on sait que le mode de vie est un processus évolutif incontrôlable et impossible à figer, on réalise aisément le genre de relation conflictuelle que génère cette situation. Etant donné que, malgré les mutations sociales qu'a subies sa situation, la femme a toujours gardé cette complicité avec son habitation, alors il va de soi que cette relation conflictuelle s'est principalement répercutée sur elle, en la soumettant à un inconfort permanent, dans un cadre de vie dépaysé et dépourvu de tout élément favorisant une quelconque identification.

Contrairement à la première, l'habitation contemporaine, spécialement celle produite dans un cadre étatique, est loin d'être venue comme une réponse à un besoin qualitatif, mais plutôt, à un besoin quantitatif, gérée par un souci politico-économique de construire un grand nombre de logements, dans un minimum de temps et avec un minimum de dépenses. Les exemples que nous avons vus ont montré que les concepteurs de ce type d'habitation n'ont pas pris en considération le mode de vie de la société, mais ont plutôt reproduit des modèles-types implantés de la même façon partout en Algérie (pour une pseudo-intégration, on modifie, au plus, les formes des éléments de façade pour faire croire à une recherche d'adaptation).

Terminologie:

D’khoch

Pluriel de Dokhcha et Signifiant coins sombres et étroits.

Dar Ardhi

Maison individuelle.

El elb

Le désert

Kella

Rideau généralement en toile servant surtout comme paravent

L’haouch

Cour, généralement intérieure

L’hata Francis

De style français.

Mekhzen

Pièce servant principalement comme dépôt, mais dans la région de Biskra ; cette appellation est utilisée également pour désigner toute pièce annexe à la terrasse.

Raouzana

Ouverture dans le plancher permettant L’aération et L’éclairage zénithal, ne dépassent pas un mètre de dimension maximale.

S’guifa

Espace de transition en forme de chicane.

 


Notes

[1]HOMINAL, Jeanne.- Rôle féminin et logement: définition d'une problématique.- Paris, Edition Plan Construction, 1979.- p. 60.

[2]GHIGLIONE, B. et MATALON, B. ont abordé la question de la représentativité de l'échantillon dans leur ouvrage : Les enquêtes sociologiques, théories et pratiques.- Paris, Edition Armand Colin, 1978.- p. 54.

[3] Cette partie vient à la fin de l'entretien sachant que l'interviewée s'exprimerait plus librement en se sentant protégée par l'anonymat, et ce facteur est primordial pour la validité des entretiens. Par ailleurs, habituée, dès le début de l'entretien, à un rythme de question-réponse, l'interviewée pourrait garderce même rythme lors de l'entretien, ce qui biaiserait la spontanéité de leur discours.

[4] Les extraits sont réduits car les éléments recherchés sont ponctuels et très précis.

[5] Ce qui a été vérifié précédemment.

[6] Lors d'une enquête menée en équipe sur les bidonvilles de cette périphérie, nous avions eu l'occasion de constater la totale dégradation de l'environnement, accentuée par la présence d'une décharge publique à proximité. Et actuellement, l'éradication de ces bidonvilles, l'implantation de lotissements communaux et une coopérative immobilière ont chargé le paysage, mais non la situation hygiénique.

[7] Renseignement recueilli auprès des services del'OPGI.

[8] Voir l'ouvrage de LAMURE, Claude.- Adaptation du Logement à la Vie Familiale, - Paris, les éditions Eyrolles.

[9] Ainsi HUGUET, Michèle note:«Sous sa forme la plus claire et la moins mythique, l'exaltation de la modernité s'entend comme condition à la résolution de maux attribués au passé». Voir: les femmes dans les grands ensembles. De la représentation à la mise en scène.- Paris, éd. CNRS, 1971- p. 27.

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