Si loin, si proches : pour une approche comparative entre l’Algérie et le Mexique

Insaniyat N°57-58| 2012 | Algérie 50 ans après l’indépendance (1962-2012) permanences et changements | p.115-133 | Texte intégral 


So far, so close: for a comparative approach between Algeria and Mexico

Abstract: This article calls for a comparison between Algeria and Mexico, as well as their regional areas, by introducing and outlining some possible comparative axes. It focuses mainly on three areas: postcolonial identities and conflicts related to the problem of collective action, construction and development of national states, in full change, and the political systems and the changes they are experiencing, particularly around issues of democratization. Emphasizing what unites them (the colonial past, the welfare states model, the weight of the oil revenues in the economy, migration, violence, and attempts to change policy), and what make them distinguished, it tries to create opportunities that allow both to unify scientific analysis and learn from it for the understanding of respective realities and common issues in these regions of the world.
Keywords: postcolonial contexts, national states, political change, violence,Mexico, Algeria

Malik TAHAR CHAOUCH: Instituto de Investigaciones Histórico-Sociales de la Universidad Veracruzana, Xalapa, Mexique.


Introduction

L’éloignement entre des régions comme le Monde arabe et l’Amérique latine est tel que l’idée d’une comparaison et même du simple dialogue scientifique et intellectuel semble incongrue[1]. La dissemblance des réalités culturelles et sociopolitiques et leur faible incidence les unes sur les autres, jointe à la pauvreté des rapports et des flux économiques, culturels et humains, constitue un argument de poids contre la pertinence de la comparaison et du dialogue. On y encourage plutôt les échanges avec les pays voisins, à la pertinence bien plus évidente, et avec les ex-puissances coloniales ou les Etats-Unis pour des raisons historiques, géostratégiques et de prestige intellectuel.

Pourtant, les réalités de ces régions du monde sont bien plus proches qu’elles ne le sont des réalités européennes et états-uniennes, ne serait-ce qu’à cause de leur histoire coloniale et des caractéristiques communes du Tiers-monde[2], auquel elles appartiennent. Leurs similitudes et leurs différences sont riches d’implications analytiques, non seulement afin de se penser elles-mêmes mais aussi pour penser le monde. En creuser les pistes permettrait d’y positionner la recherche et la pensée par-delà leur enclavement régional et les modèles dominants. De ce point de vue, il existe de véritables enjeux scientifiques, intellectuels et politiques, voire éthiques, à ouvrir des ponts entre des pays placés en position périphérique dans le système mondial et dans le champ des sciences sociales et de la production intellectuelle.

Dans la mesure où ces réalités régionales sont hétérogènes et qu’aborder la comparaison entre des ensembles aussi vastes et problématiques supposerait un degré majeur de complexité, cet article propose d’en explorer la pertinence pour les cas de l’Algérie et du Mexique. Malgré les similitudes sociopolitiques frappantes entre l’un et l’autre, et ceci sans en réduire les profondes disparités historiques et culturelles, la comparaison entre eux est presque inexistante. Il existe certes un travail pionnier d’André Corten et Marie-Blanche Tahon qui se base sur les données de ces deux pays, afin de soutenir leurs thèses sur l’Etat nourricier et la prolétarisation dans le Tiers-monde[3]. Toutefois, il reste beaucoup à faire en la matière.

Ce plaidoyer pour la comparaison scientifique et le dialogue intellectuel entre les univers régionaux auxquels ils appartiennent s’appuiera sur ces deux cas nationaux, afin d’introduire, sur différents plans articulés (problématiques identitaires, Etats nationaux et systèmes politiques), l’observation des convergences et des différences qui rendent pertinente leur comparaison et permet d’en ouvrir les perspectives.

Du point de vue de la problématique du changement politique, les dynamiques latino-américaines et mexicaines sont particulièrement riches d’enseignements pour l’Algérie et le monde arabe. En effet, dans les années 1980 et après avoir connu une vague de mouvements révolutionnaires et guérillas, l’Amérique latine a été la première région du Tiers-monde à s’engager sur la voie des transitions à la  démocratie, avant les pays de l’Europe de l’Est et à la suite des pays du sud de l’Europe (Portugal, Espagne, Grèce). Dans la mesure où le « printemps arabe » contient des enjeux de démocratisation, la comparaison devient intéressante. En ce sens, le Mexique a expérimenté un long processus de transition à la démocratie qui s’est initié dans les années 1970 et a culminé avec la victoire de l’opposition dans l’élection présidentielle de 2000, après des mobilisations et négociations successives. Pour des pays où les tentatives de changement donnent lieu à des coups d’État et des scénarios de guerre civile, le cas mexicain pourrait faire figure d’exemple. Pourtant, le passage à l’ère démocratique y a suscité des désenchantements, dus aux continuités du système politique, notamment de l’autoritarisme, du clientélisme et de la corruption, jointes aux propres effets du tournant libéral du pays. S’il faut refuser l’essentialisation du destin supposé autoritaire des pays du Tiers-monde, même dans des contextes non-occidentaux[4], et par là-même la réduction des aspirations démocratiques qui s’y affirment, cela montre aussi les limites des approches réductionnistes du changement politique, notamment celles situées dans la perspective de l’orthodoxie libérale et de son modèle ethnocentrique de démocratie (l’autre face de la même monnaie).

Contextes postcoloniaux et action collective

L’Algérie et le Mexique partagent, en premier lieu, un passé colonial sous l’égide d’une puissance européenne latine (la France et l’Espagne) et un présent postcolonial, résultant de l’indépendance nationale. La colonisation du territoire mexicain actuel par l’Espagne a commencé au début du XVIème siècle avec l’arrivée du conquistador Hernan Cortés. Déjà successivement colonisée par d’autres empires, l’Algérie contemporaine a été fortement marquée par la colonisation française, engagée en 1830. L’indépendance mexicaine a aussi été antérieure, puisqu’elle a été entérinée en 1821, avant la colonisation française de l’Algérie, après la guerre d’indépendance commencée en 1810. L’Algérie est un État national beaucoup plus récent, puisqu’elle n’a acquis l’indépendance qu’en 1962, après une guerre de huit ans.

Ni le Mexique, ni l’Algérie n’étaient délimités et unifiés comme États nationaux dans leurs frontières actuelles avant la colonisation européenne. En ce qui concerne le Mexique, les tentatives antérieures d’unification liées aux empires préhispaniques s’inscrivaient dans une temporalité historique et une réalité territoriale radicalement distinctes. L’Algérie a bien connu des expériences étatiques singulières avant la colonisation française, mais elle s’est constituée telle qu’elle est au travers du mouvement de décolonisation Cela a deux implications : il y existait des matrices singulières avant la colonisation ; ces États nationaux ont aussi été largement façonnés par le colonialisme, contre lequel ils ont surgi.

De ce point de vue, il est important de situer les différences fondamentales entre deux processus coloniaux qui continuent à avoir un impact dans les réalités nationales. La principale différence réside dans le dualisme entre la société coloniale et la société indigène, dans le cas algérien, et le métissage qui a accompagné la colonisation espagnole, au Mexique. Cela s’est bien entendu accompagné d’une forte stratification de la société coloniale, mais le métissage a introduit une donnée différente dans la réalité mexicaine. En revanche, même s’il ne s’agissait pas non plus de deux blocs complètement séparés, la distinction entre colons et indigènes était beaucoup plus stricte, en Algérie.

Cette différence a évidemment eu un impact dans les indépendances nationales. Au Mexique, comme ailleurs en Amérique latine, l’indépendance n’a pas signifié l’abolition de la domination sociale des descendants d’espagnols, les Criollos, même si elle a mobilisé des secteurs amples de la population de la Nouvelle Espagne, en particulier parmi les métis issus des croisements entre les populations espagnole, indigène et afro-descendante (comme conséquence de la traite des noirs)[5]. Les indigènes, catégorie juridique et anthropologique hautement problématique (aussi à cause de la violence sociale et des droits territoriaux qu’elle a supposés), n’en ont aucunement constitué la base, pouvant même s’opposer à elle. En contraste, l’indépendance algérienne est née de l’unification de l’agent endogène – « indigène », « autochtone » - autour du nationalisme anticolonial contre l’occupation française et les colons européens, nationalisés français, associés à elle. En dehors du cas des juifs d’Algérie, qui avaient accédé à la citoyenneté française au travers du décret de Crémieux (1870), la différenciation entre les autochtones, définis comme « musulmans » et sujets de la France, et les « français européens », citoyens à part entière, était nette.

Dans la mesure où la « troisième racine », afro-descendante, est assez marginalisée dans l’imaginaire mexicain contemporain (officiellement reconnue depuis 1992 et, néanmoins, invisibilisée), cela a conduit à une conception tripartite de la société mexicaine : Criollos, métis et indigènes. La révolution mexicaine (1910-1917) a opéré le déplacement de l’accent du projet national depuis l’hégémonie des oligarchies Criollas, qui avait déjà usé du mythe de la « nation métisse », vers sa matrice et ses élites métissées qui ont accentué le mythe, tout en déplaçant et reproduisant les hégémonies et classifications sociales qu’il contient et occulte.

Or, cela pose trois problèmes : la stratification sociale y reste imprégnée de forts legs raciaux, déniés par le discours officiel ; les communautés indigènes, même si on leur reconnait des droits et spécificités et malgré leur exclusion sociale, sont abordées sur le mode réducteur de l’assimilation ; et surtout la distinction entre populations indigène et métisse est trop schématique pour rendre compte de la réalité sociale et anthropologique du pays. D’une part, loin des essentialisations, les frontières entre les populations indigène et métisse sont parfois poreuses, aucunement fixées pour toujours et, d’autre part, la population métisse elle-même ne correspond aucunement à l’image homogène qu’on projette d’elle. S’il est vrai qu’il existe des différences linguistiques et culturelles indéniables entre les populations classées métisses et indigènes, il tout aussi vrai qu’il existe une généalogie commune entre elles, impliquée dans les hiérarchisations internes de la population métisse, dont l’homogénéité supposée bénéficie à un secteur de cette population. La stratification et la perception sociales y ont une dimension raciale, propre à une situation postcoloniale, au-delà du seul cas des communautés indigènes.

On voit donc bien qu’aux marges du discours étatique qui s’est imposé sur l’indifférenciation de la « nation métisse » et ses racines indigènes assimilées, il existe une réalité beaucoup plus complexe, au potentiel contre-hégémonique. Cette réalité n’est pas non plus univoque, puisqu’elle recoupe asymétriquement la domination sociale et s’inscrit dans la trajectoire du métissage irréductible de la société, auquel les communautés indigènes ne sont pas imperméables. Son appréciation ne permet de dissoudre, ni d’essentialiser la portée identitaire et politique de la présence des cultures indigènes. Elle implique surtout des différenciations au sein-même du métissage, rétive aux catégorisations binaires (indigène / métis), et donc une révision de la définition indifférenciée et hégémoniste de la « majorité métisse ».

En Algérie, tout semble apparemment plus simple. La « société nationale » aurait été « reconstituée » contre le colonialisme, dont les agents ont été chassés du pays ou (pour ceux qui y sont restés) intégrés à la nouvelle donne de l’État postcolonial. Pourtant, l’Algérie postcoloniale n’a pas échappé aux conflits identitaires. La définition arabo-musulmane de l’État national contre le colonialisme français a été contestée par des revendications régionales, comme notamment en Kabylie. La matrice arabo-berbère du pays a été la source de controverses qui débordent les approches essentialistes et hégémonistes de la réalité anthropologique du pays, où l’élément religieux a aussi été pris dans des usages politiques variés et contradictoires. Ces controverses n’ont pas forcément vocation à s’enfermer dans des antagonismes identitaires et sociétaux partiaux : la contestation citoyenne et politique répond au monopole étatique du projet national, dont les enjeux, irréductibles aux approches culturalistes, sont précisément nationaux.

Cela est largement la conséquence des difficultés originelles à définir et unifier la collectivité nationale en lutte pour son indépendance autour d’un projet étatique, malgré la matrice antérieure à la colonisation et les dualités coloniales qui ont présidé au développement de la conscience nationale contre le colonialisme français et qui étaient, en même temps, conditionnées par lui[6]. Forcément, la décolonisation n’a pas absous d’un seul coup l’impact du passé colonial et celui-ci continue à avoir une influence dans la structuration des rapports internes et externes de l’Algérie contemporaine, ainsi certainement que des dans les pratiques du pouvoir qui s’est substitué au pouvoir colonial. A ceci, se joignent les réductionnismes nationalistes opérés par le pouvoir lui-même et que défient et adaptent des mouvements identitaires, régionalistes ou islamistes. La simplicité de la sortie nationale d’une situation dualiste de colonialisme est donc apparente. L’unité nationale proclamée dans la trajectoire de l’anticolonialisme n’est pas moins mythologique et problématique que l’unité intégratrice de la « nation métisse » affichée au Mexique. Même et surtout face aux menaces de fragmentation et de polarisations communautaires, elle ne peut soumettre le pluralisme de la société et la segmentation sociale aux mythes qui en réduisent les enjeux politiques[7].

Dans son ouvrage classique sur l’Amérique latine, La parole et le sang. Politique et société en Amérique latine, Alain Touraine tentait de définir le modèle d’action collective, en Amérique latine, en contraste avec d’autres modèles ailleurs[8]. Tandis qu’il percevait une certaine univocité dans les luttes anticoloniales en Afrique et en Asie, où la différenciation entre société nationale et agents coloniaux facilitait l’établissement d’un antagonisme, il montrait comment, en Amérique latine, l’action collective ne pouvait se construire à partir d’un principe unique – lutte anticoloniale, lutte des classes et intégration nationale – et comme elle empruntait et articulait donc des éléments de chacun de ces modèles. Non sans ironie, cela lui faisait situer l’Amérique latine au « centre du monde ». Néanmoins, au regard des évolutions sociopolitiques de l’Algérie postcoloniale dont l’action collective articule différentes dimensions, ainsi que de la portée irréductiblement postcoloniale des conflits multidimensionnels de l’Amérique latine contemporaine, des rapprochements semblent pouvoir être faits. La comparaison de leurs modèles d’États (« sociaux », « nourriciers », « populistes ») ne fait que le confirmer.

« États nourriciers » et libéralisation économique

L’État national mexicain a une histoire de déjà deux siècles et l’Etat national algérien existe depuis à peine cinquante ans. Mais, quoique situées dans des temporalités différentes, leurs similitudes et dissemblances sont éclairantes. Malgré la distance géographique et les disparités évidentes entre eux, les deux pays présentent certaines analogies territoriales, économiques et démographiques.

Ses caractéristiques culturelles et historiques relient naturellement le Mexique à l’espace régional de l’Amérique latine, tandis que, sur le plan continental, il appartient à l’Amérique du Nord, comme le Canada et les États-Unis avec qui il partage un accord de libre échange (ALENA). Le Mexique est donc frontalier aux États-Unis, c’est-à-dire à la première puissance mondiale. Cela lui procure une position ambivalente entre l’Amérique du Nord et l’Amérique latine, entre le « nord » et le « sud ». L’Algérie partage un destin territorial relativement équivalent. Elle se situe au carrefour de l’Afrique par sa position continentale, du monde arabe, avec lequel elle entretient des liens structurants, et appartient au bassin méditerranéen, espace qu’elle partage avec des pays européens et où elle se caractérise par la matrice arabo-berbère commune aux pays maghrébins. Autant que le Mexique, elle est donc située à la frontière du « sud », auquel elle appartient, et du « nord » avec lequel elle a développé ses principaux échanges économiques, bien plus qu’avec ses voisins maghrébins et l’Afrique subsaharienne.

Par ailleurs, le Mexique et l’Algérie sont des pays exportateurs d’émigration vers les pays au nord de leurs frontières, étant respectivement la première source d’immigration aux États-Unis et en France. Ils ont chacun connu une forte croissance démographique (accompagnée de migrations internes) dans les dernières décennies, jointe à une faible capacité d’intégration économique. L’émigration de la main d’œuvre, très souvent de façon clandestine, se fait respectivement vers les États-Unis et l’Europe, surtout la France, à cause de la proximité, de leur pouvoir d’attraction économique, des liens historiques et des réseaux migratoires constitués.

Le rapport de l’immigration mexicaine, qualifiée d’hispanique, à la société étatsunienne est conditionné par sa provenance d’un pays du Tiers-monde, même s’il est voisin, et par l’hybridité postcoloniale de son hispanité qui lui confère une position ambivalente, plutôt subalterne, face aux catégorisations dominantes aux États-Unis, elles-mêmes issues d’une histoire marquée par l’esclavagisme, la colonisation et l’expansionnisme occidental. L’immigration algérienne vers la France est directement confrontée à l’ex-colonisateur. En ce sens, la portée postcoloniale de l’identité algérienne engage son immigration et ses descendants, même si ceux-ci problématisent également, en ce sens, leur rapport à l’identité et à la citoyenneté françaises[9]. Cela ne veut pas dire que cet héritage soit assumé par tous, ni de façon homogène, tant les transmissions, perceptions et situations de cette immigration sont variées. Malgré les mélanges entre la société française, la population immigrée et ses descendants devenus français, les rapports sociaux demeurent fortement marqués par le poids du passé colonial qui, au-delà de la seule immigration algérienne, engage les immigrations postcoloniales, notamment maghrébine et africaine.

Le manque d’intégration économique explique aussi le poids du secteur informel dans l’économie en l’Amérique latine (30,6% du PIB) et en Afrique du Nord (37,7% du PIB), ces deux régions du monde étant les deux plus touchées par ce phénomène, après l’Afrique subsaharienne et avant l’Asie, parmi les économies dites « émergentes » ou « sous-développées »[10]. Il débouche sur une forte pression sociale qui revête un caractère générationnel saillant, puisque les jeunes sont les principaux touchés par le chômage et l’insuffisance de perspectives. En découle la forte présence de jeunes dans les manifestations qui ont engendré le « printemps arabe » et notamment dans celles qui ont lieu en Algérie, à la fin de l’année 2010 et au début de l’année 2011. C’est également une jeunesse discriminée et socialement vulnérable, principalement celle des banlieues, qui est à l’origine des « émeutes » de 2005, en France. Il est frappant de voir comment des deux côtés de la Méditerranée, des jeunesses déshéritées et à la généalogie commune entrent en contradiction avec le pouvoir étatique, postcolonial en Algérie et ex-colonisateur en France.

Au Mexique, la jeunesse universitaire s’est aussi manifestée, en 2012, durant l’élection présidentielle, dans le mouvement « #YoSoy132 » (« Je suis 132 »), né de la protestation de 131 étudiants identifiés par l’administration universitaire comme « agitateurs » dans une université privée de Mexico contre la visite pour sa campagne du candidat du Parti de la Révolution Institutionnelle (PRI) et actuel président de la République. La protestation s’est étendue, au travers des réseaux sociaux, à de nombreux autres campus d’universités privées et publiques, en prenant la forme d’assemblées et de manifestations contre l’imposition du « candidat des médias » et l’iniquité du processus électoral, mais aussi contre l’ensemble des partis politiques, l’état du processus de démocratisation et la situation sociale du pays. Cela entretient, sans aucun doute, des rapports avec le rôle qu’a aussi joué la jeunesse, notamment étudiante, relayée par les réseaux sociaux et aux marges des partis politiques dans les manifestations arabes.

Sous-jacente aux contradictions des stratégies d’alliance territoriale, aux migrations et aux difficultés à répondre aux défis sociaux, la variable économique est sans aucun doute un élément central de conditionnement des processus sociopolitiques de ces pays, autant que cet élément est lui-même conditionné par les réalités politiques et sociales qui sont la cause et la conséquence de la dépendance. Outre la dépendance économique, il faut relever, en ce sens, un autre aspect convergent entre l’Algérie et le Mexique, justement impliquée dans la comparaison (citée auparavant) menée par Corten et Tahon sur la construction de ces États dits  « nourriciers » et leurs rapports aux populations. Elle consiste en l’importance de la rente dans leurs économies nationales.

On sait le rôle politique que joue la rente, en Algérie. Elle est d’abord importante pour la construction de consensus sur la base de relations clientélaires entre l’État et les différents groupes sociaux. Elle a aussi un impact dans le fonctionnement du pouvoir. En ce sens, Rachid Ouaissa a consacré un livre intéressant à la « classe-État algérienne », entre 1962 et 2000, en montrant comment les fluctuations de la rente déterminent, non seulement la solidité ou l’affaiblissement des consensus sociaux, mais aussi les forces centripètes et centrifuges, les recherches de compromis et les luttes de clans à l’intérieur de cette « classe-État[11] ». Selon lui, loin de favoriser le « développement », la rente a contribué à consolider cette « classe-État », dont les segments adaptent leurs stratégies et les politiques à ses variations, face à la réactivité des classes sociales, notamment des classes moyennes, et des oppositions, en particulier islamistes. Malgré l’affaiblissement de sa légitimité, malgré les politiques réformatrices menées dans les années 1980 et la « décennie sanglante » des années 1990, le régime politique basé sur l’exploitation étatique de la rente s’est maintenu.

Cinquième producteur mondial de Pétrole, le Mexique a nationalisé l’industrie pétrolière en 1938, sous la présidence de Lazaro Cárdenas (1934-1940). Dès lors, la rente est devenue le pilier fiscal de l’État mexicain. Actuellement, presque 40% des rentrées fiscales de l’État proviennent de l’exploitation pétrolière[12]. Pourtant, la mauvaise gestion de l’entreprise nationale PEMEX oblige le Mexique à importer des produits raffinés des États-Unis et accroît sa dépendance économique déjà très forte avec son puissant voisin. Dans les années 1930, c’est-à-dire à l’époque de la nationalisation du pétrole, le Mexique a construit un modèle d’État corporatiste, également fondé sur des relations clientélaires avec les différents secteurs sociaux. Puis, comme en Algérie, des mesures de « modernisation » économique et de libéralisation politique ont été prises qui se sont combinées avec les pratiques clientélaires et logiques corporatistes héritées du passé.

Il existe donc bien une similitude entre le type d’État qui s’est construit en Algérie et au Mexique, fondé sur l’exploitation de la rente, l’hégémonie d’intérêts politiques et économiques parasitaires, le paternalisme de l’État « protecteur » et la conservation de régimes politiques de parti unique ou hégémonique. La dépendance à la rente et la dépendance structurelle avec l’extérieur s’y sont agencées, au profit du type de « prolétarisation » défini par Corten et Tahon et de l’hyperautonomie de la classe politique vis-à-vis de la population encadrée sur un mode clientélaire. On y est passé d’une phase « développementiste » aux politiques de réforme libérale des années 1980 qui ont affaibli des régimes en crise de légitimité, comme conséquence de facteurs internes et internationaux.

Cela témoigne de positions plus ou moins équivalentes du Mexique et de l’Algérie dans le processus d’intégration au capitalisme mondial, où dans la phase postcoloniale, elle a engagé déterminismes économiques et indéfinitions sociopolitiques, dépendances externes et hégémonies politiques internes, parfois en tension mais aussi indissociables et très souvent complices. L’importation des modèles de « développement » et de « modernisation » combinée à la persistance des pouvoirs factices constitués à l’intérieur sur la base d’une idéologie nationaliste étroite en est le meilleur témoignage. Si les économies rentières n’ont pas abouti au développement prétendu, ceci étant même impossible du point de vue d’Ouaissa, rien n’indique que les politiques libérales y parviennent mieux. L’analyse des processus politiques rend compte de ces tentatives de libéralisation, non seulement économiques mais aussi politiques, et des difficultés objectives qu’elles rencontrent dans les deux pays.

Crises de légitimité et changement politique

Quand on songe à comparer le Mexique et l’Algérie, le premier aspect qui interpelle, c’est précisément la nature similaire des régimes politiques respectifs, tel qu’il s’est conservé au Mexique durant plus de 70 ans (1929-2000) et qu’il s’est imposé dans l’Algérie indépendante, à chaque fois à l’issue d’une « révolution » dont l’héritage imprègne le régime.

Tandis que la « révolution algérienne » correspond à la lutte pour l’indépendance nationale, la révolution mexicaine est éloignée d’un siècle de l’indépendance auparavant conquise[13]. Pourtant, si l’indépendance algérienne a revêtu un caractère révolutionnaire, au moins assumé comme tel dans le discours national, la révolution mexicaine a aussi signifié la refondation du projet national. En ce sens, il n’est pas anodin qu’elle se soit initiée juste après les festivités du centenaire de l’indépendance. Outre les frustrations sociales et politiques de l’époque, elle est aussi née de mutations idéologiques opérées antérieurement autour de la définition du projet national.

La révolution (1910-1917), suivie des luttes entre caudillos régionaux (1917-1928),  s’est terminée avec l’instauration du régime postrévolutionnaire, dont les piliers ont été l’institutionnalisation du parti hégémonique, en 1928-1929, sous l’impulsion de Plutarco Elías Calles et l’hyper-présidentialisation du régime, surtout à partir de la présidence de Lázaro Cardenas (1934-1940) et la construction, à la même époque, de ses bases corporatistes[14]. Le régime a permis l’existence d’une opposition politique, comme notamment le Parti d’Action Nationale (PAN), toutefois condamnée à perdre des élections truquées dans un contexte de simulation démocratique. C’est pour cela qu’il est plus juste de le qualifier de régime de parti hégémonique, non-compétitif, que de régime de parti unique. En Algérie, il s’agissait plus rigoureusement d’un régime de parti unique. Or, la nature des régimes autoritaires conditionne les éventuels changements politiques postérieurs.

Au-delà des similitudes des régimes politiques construits autour de l’hégémonie d’un parti politique, le Front de Libération Nationale (FLN) et le PRI se sont caractérisés par la prégnance de leur idéologie nationaliste et l’usage politique monopolistique de l’héritage révolutionnaire[15]. Si le FLN a construit son nationalisme dans le contexte de la lutte anticoloniale, le nationalisme du PRI se définit, en premier lieu, comme un projet intégrateur. Dans les deux cas, l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme ont été un vecteur d’unification subordonnée à un pouvoir autoritaire, dont les rapports avec les puissances externes, malgré les défiances officielles, ont été bien plus ambivalentes qu’il n’y paraît. Dans les deux cas, la dimension de la « lutte des classes » a été reléguée, voire combattue, au profit de l’encadrement des masses joint à des politiques de protection sociale, conditionnées par la subordination. Dans les deux cas aussi, il s’est agi d’un nationalisme de type laïc, combattu par des contre-mouvements de politisation du religieux ou de mobilisation du religieux par l’action politique[16].

Dans les deux cas, finalement, la monopolisation de l’héritage révolutionnaire par l’Etat a été une base essentielle de leur légitimité. Le PRI a prétendu « institutionnaliser » les supposées conquêtes révolutionnaires. D’abord appelé Parti National Révolutionnaire (1928-1938), puis Parti de la Révolution Mexicaine (1938-1946), il s’est construit sur deux termes antinomiques, soit un oxymore : « révolution » et « institutionnelle ». En même temps que les guérillas latino-américaines trouvaient, au Mexique, une base-arrière et que le régime soutenait une politique extérieure de « neutralité » entre les États-Unis et Cuba, les expressions de la gauche mexicaine étaient réprimées ou cooptées. Dans le même sens, l’usage politique de l’héritage anticolonial par le régime algérien a pris une signification profondément réactive. Loin de creuser le potentiel décolonial, la conscience critique et la portée universelle de la lutte anticoloniale face à l’évolution postcoloniale du régime et aux nouvelles menaces impérialistes, il les a neutralisés, en enfermant cet héritage dans l’opposition binaire entre le passé colonial et son nationalisme autoritaire, non exempt de paradoxes et de compromissions.

Pour des raisons diverses, ces régimes ont connu une crise de légitimité aux conséquences politiques distinctes. En Algérie, les révoltes et la libéralisation politique de 1988, concrétisée dans la pluralisation du système de partis et l’organisation d’élections, jointes à la montée du Front Islamique de Salut (FIS) et l’interruption du processus électoral, le 11 janvier 1992, ont abouti à un conflit armé, à l’issue duquel le régime a pu se perpétuer. Le Mexique a suivi, dans une certaine mesure, la voie de la plupart des pays latino-américains et du sud de l’Europe, notamment de l’Espagne, en s’engageant sur la voie de la « transition » à la démocratie. Le début de la transition mexicaine est généralement situé en 1977, quand des réformes dans la législation des partis et des élections ont favorisé la pluralisation du système de partis[17]. La fraude électorale massive fortement présumée, lors de l’élection présidentielle de 1988, a ensuite débouché sur des pactes politiques en faveur de meilleures garanties de transparence électorale et d’arbitrage des élections.

Pourtant, des soupçons de fraude continuent à peser sur les résultats électoraux et ceux-ci sont contestés avec récurrence, tant au niveau local que national. Si le PRI a perdu l’élection présidentielle de 2000, après avoir aussi perdu la majorité absolue au Congrès, suite à l’élection législative de 1997, la confiance dans les institutions électorales, patiemment construite dans les années 1990, a perdu du terrain dans la décennie suivante, c’est-à-dire après le changement politique. Au-delà de la dimension électorale, le Mexique a connu une transition à part, dont les pactes entre élites ont été presque exclusivement centrés sur les processus électoraux. Cela a fait dire à Mauricio Merino qu’il s’agissait d’une « transition votée », qui a abouti au changement politique par la voie électorale et les garanties données en ce sens, mais inachevée sur le plan de la refondation du régime[18]. Le passage de la simulation des principes démocratiques inscrits dans la constitution à leur « récupération » a abouti au changement politique, donc à une discontinuité certaine dans le système politique, mais sans véritable rupture, à différence d’autres transitions dont le caractère progressif introduit certes des ambiguïtés équivalentes, mais où la rupture est davantage palpable.

Dans la phase de la post-transition, et ceci (jusqu’à preuve du contraire) malgré le retour du PRI au gouvernement en 2012, il ne fait nul doute que le régime de parti hégémonique a laissé place à un régime électoral plus compétitif. En même temps, il existe un désenchantement incontestable, non-exclusif du Mexique, sur les dérives oligarchiques, voire mafieuses, de la démocratie conquise. Dans ce cas, il porte notamment et plus précisément sur les mirages de la pluralité des partis, à l’ombre de laquelle le système politique se serait perpétué, presque inchangé, tant au niveau du personnel politique (qui migre entre les partis), des réseaux de pouvoir (transversaux aux partis) que des pratiques systémiques de pouvoir[19], dont les effets de monopolisation rendent vain le choix électoral et marginalisent d’autres formes de participation politique. Selon la littérature canonique sur le thème, après le changement politique, la démocratie mexicaine devrait être entrée dans une problématique de consolidation. Or, la réalité-même de la démocratie mexicaine et de l’achèvement de la transition est questionnée, sans qu’on puisse continuer à parler de transition. Cela remet en cause le modèle linéaire des transitions autant que le type de démocratie qu’il consacre (au-delà du cas mexicain qui accentue le problème)[20]. En effet, il semblerait que les dérives oligarchiques partout signalées de la démocratie représentative et celles propres au système politique mexicain (corruption, autoritarisme, violence) ne fassent que se renforcer mutuellement.

Le rôle et le poids politique de l’armée constituent sans aucun doute l’un des principaux facteurs qui distingue la situation politique des deux pays. On sait le pouvoir politique qu’ont les forcés armées, en Algérie, derrière la façade civile du régime. Au Mexique, même s’il y a eu une phase de présidents militaires dans la période postrévolutionnaire (dans un contexte sui generis, où la figure du « caudillo révolutionnaire » prédominait sur celle du militaire professionnel), l’armée a été subordonnée au pouvoir civil. Malgré tout, dans la guerre anti-narcotrafic actuellement en cours, le déploiement de l’armée dans le pays lui a rendu un rôle important, dont on méconnaît le poids politique qu’il lui donnera.

Bref, la comparaison introduit une différence fondamentale autour de la variable du changement politique qu’il faut, toutefois, relativiser. En fin de compte, malgré les différences qui séparent la façon dont on les qualifie, les deux systèmes politiques s’inscrivent dans une équation commune indépassée. L’autoritarisme algérien n’exclut pas la présence d’éléments de changement. Le changement mexicain ne débouche pas sur des logiques systémiques fondamentalement différentes de celles qui opèrent dans le contexte algérien.

En Algérie, après une tentative partiellement ratée de libéralisation, il n’y a pas eu de changement politique. Cela invite à penser que le régime s’est perpétué, derrière la façade d’une pluralisation politique cooptée et sans effets, bien qu’il demeure des éléments potentiels de transition, par définition porteurs d’incertitudes. Transition poursuivie, avortée ou jamais commencée, cela dépend avant tout d’une bataille politique. Au Mexique, le changement politique a clos la phase de la transition, produisant une rupture apparente dans le système politique, mais le changement demeure soumis aux logiques héritées de ce système, irréductibles à des problèmes de consolidation. Au-delà de la situation nationale, les asymétries entre les Etats de la République, où persistent des enclaves autoritaires, ne font que renforcer ce diagnostic. La dynamique va plus dans le sens du renforcement de ces enclaves, au détriment du changement national, que dans celui d’un changement qui les emporterait avec lui. De ce point de vue, le retour du PRI au gouvernement fédéral constitue autant une régression, liée à son rôle généalogique dans la conformation de ce système politique, qu’il s’inscrit dans la continuité de la transition manquée, d’une fuite en avant qui implique tous les partis et qui, aux logiques héritées, joint les déboires de la libéralisation.

En ce sens, le changement politique s’est même accompagné d’une violence nouvelle qui réduit les espaces de liberté, menace les droits fondamentaux et affaiblit les perspectives démocratiques. En effet, si l’Algérie a connu une période de violence extrême, dans les années 1990, le Mexique en expérimente actuellement une qui n’a certes pas le caractère politique de la « décennie sanglante » algérienne, mais répond, finalement, à des problèmes sociaux structurels, à l’issue de sa « transition » démocratique et des politiques libérales, et bien entendu aussi au facteur du crime organisé qui a grandi à l’ombre du PRI. Les dizaines de milliers de morts et de disparus provoqués par la « guerre contre le narcotrafic » (violence sans équivalent, depuis la révolution mexicaine, il y a juste 100 ans), lancée par le gouvernement Calderón, à partir de 2006, et la montée antérieure des organisations criminelles de tous types peuvent-elles vraiment être appréhendées en dehors des conditions politiques et sociales spécifiques du pays, où violences criminelle, politique et sociale sont difficilement dissociables ? La violence politique, en Algérie, n’a-t-elle pas elle-même débouché sur des dérives à caractère criminel et mafieux, dans un contexte social non moins tendu ? Ces « guerres », dont la nature semble si distincte, qualifiée de « civile » ou d’« antiterroriste » en Algérie et d’« anticriminelle » au Mexique, n’ont-elles pas aussi des airs de « guerres contre la société »[21] ?

En ce sens, le dernier trait qui relie, finalement, l’Algérie et le Mexique, c’est l’habitude de ces deux pays à se situer à contre-courant de leurs régions respectives. Quand l’effondrement des régimes politiques et le phénomène des guérillas gagnaient toute l’Amérique latine, dans les années 1960-1970, le Mexique demeura relativement aux marges. Malgré le mouvement étudiant de 1968, la stabilité du régime ne fut jamais réellement menacée. En contrepartie, sa révolution, au début du XXème siècle, fut sui generis, sans autre point de comparaison dans la région. Autant que l’indépendance algérienne, en Afrique et dans le Tiers-monde, la révolution mexicaine constitua un référent central dans l’imaginaire sociopolitique latino-américain, ensuite détrôné par la révolution cubaine de 1959. Tandis que l’Algérie fut le premier pays arabe à se soulever contre son régime politique, en 1988, et malgré les protestations de 2010-2011, elle semble pour l’instant se maintenir aux marges du « printemps arabe ». Quelles qu’en soient les raisons, cela confirme que la comparaison de ces deux pays prend sens, non seulement dans la perspective de la comparaison entre leurs espaces régionaux, mais aussi parce qu’ils en constituent, dans une certaine mesure, des miroirs inversés.

Conclusion : les perspectives comparatives

Dans cet article, des pistes ont étés ouvertes en faveur de la comparaison entre l’Algérie et le Mexique, bien entendu extensibles à leurs espaces régionaux. En tant que processus politiques distincts positionnés dans une équation similaire, leur comparaison contient des enseignements respectifs, au carrefour de leurs différences, et permet d’appréhender les variations de problématiques communes. Une comparaison fertile, menée depuis ces régions périphériques, se soutient sur une vision critique face aux catégories et modèles dominants de pensée, combinée à une exigence analytique contre les mythologisations et binarismes tiers-mondistes. Les fermentations historiques, politiques et intellectuelles de l’Algérie et du Mexique, ainsi que de leurs régions respectives, y trouveraient sans aucun doute des stimulations nouvelles.

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Notes

[1] Un dialogue a été initié, lors du colloque international « Protestas y sublevaciones en el mundo. Los Grandes Retos Contemporáneos » à Xalapa, Mexique, les 22 et 23 novembre 2012, où a été abordé le thème des mouvements sociaux et processus politiques actuels dans le monde arabe et en Amérique latine, ainsi qu’en Europe. Un livre est en préparation, afin de rendre compte de cette rencontre.

[2] Nous n’entrerons pas ici dans une discussion conceptuelle sur la plus ou moins grande pertinence des termes « Tiers-monde », « périphérie » ou « sud », mais considérons qu’il existe en effet des régions du monde qui, au-delà de leurs différences sociopolitiques et culturelles, engagent des problématiques communes qui rendent nécessaire la recherche d’un concept pour les englober autant qu’elles interdisent de les aborder de façon homogène. « Tiers-monde » n’est peut-être pas le plus (ni le moins) satisfaisant de ces concepts.

[3] Corten, A. et Tahon, M.-B. (1988), L’État nourricier : prolétariat et population, Mexique/Algérie, Paris, l’Harmattan. Le concept d’Etat nourricier peut être rapproché du concept d’État démiurge (Gautier Devillers) ou des approches du populisme, foisonnantes et centrales dans la littérature sur l’Amérique latine (Alain Touraine et Ernesto Laclau notamment) et sur le monde arabe (Lahouari Addi, notamment). On le distinguera, en revanche, de celui d’État-providence qui a été très contesté pour l’analyse des États du Tiers-monde, où celui d’État social, à la fois plus large et plus adapté à ses spécificités, a été préféré.

[4] Un discours orientaliste distinguera le caractère « occidental » de l’Amérique latine à celui « non-occidental » du Monde arabe, afin d’expliquer la prospérité supposée majeure de la démocratie en Amérique latine (où l’attribut “occidental” ou “non-occidental” pose d’ailleurs de sérieux problèmes). Une approche plus sociopolitique intègre les différences culturelles ; elle ne les essentialise pas.

[5] La littérature et les débats historiographiques sur l’indépendance mexicaine, en particulier, et les indépendances latino-américaines, en général, sont très riches. Pour un lecteur francophone, l’ouvrage de synthèse de François Chevalier (1993) s’impose et constitue une bonne introduction.

[6] Jean-Claude a écrit une synthèse sur l’histoire politique de l’Algérie basée sur la lecture des sources et associée à une analyse critique des thèses et ouvrages existants. Il tente d’y retracer les origines lointaines de l’État national, au-delà des mythologies officielles et des archétypes imposés par le colonisateur. Nous citons sa récente réédition. Sur la colonisation et la guerre d’indépendance, il existe une historiographie foisonnante, dont nous ne prétendons pas ici mener l’analyse. Nous mettrons respectivement en valeur deux synthèses, celle relativement récente de Djamal Kharchi pour la période coloniale (Kharchi, D. (2004), Colonisation et politique d’assimilation en Algérie 1830-1962, Alger, Éd. Casbah, et le classique d’Alistair Horne (1980) sur la guerre d’indépendance. Sur les enjeux de la mémoire et de l’histoire autour de la guerre, le livre écrit par Hassan Remaoun et Gilles Manceron est précieux (1993). (Voir les références bibliographiques en fin de l’article).  

[7] À propos des problèmes d’identité et de citoyenneté, on peut consulter l’ouvrage de Salhi, M.-B. (2010), Algérie, citoyenneté et identité, Tizi-Ouzou, Ed. Achab.

[8] Touraine, A. (1988), La parole et le sang. Politique et société en Amérique latine, Paris, Edile Jacob.

[9] À ce propos, on peut notamment consulter : Bouayed, A. (2012), « Les variables de citoyenneté en France : le cas des Algériens en France et de leurs descendants, une question aux multiples enjeux » in Remaoun ? H. (dir.), L'Algérie aujourd’hui : Approches sur l'exercice de la citoyenneté, Oran, Ed. Crasc (Chap. VIII) et Bouamama, S. (1993), De la galère à la citoyenneté. Les jeunes, la cité, la société, Paris, Desclée de Brouwer. (Voir aussi ses ouvrages plus récents). On voit actuellement, en ce sens, se consolider une conscience dé-coloniale dans le contexte français, notamment dans le Parti des Indigènes de la République : http://www.indigenes-republique.fr/pir

[10] http://www.afriqueexpansion.com/le-secteur-informel-en-afrique-/5792-le-secteur-de-linformel-en-afrique-lapanage-des-pays-sous-developpes.html

[11] Ouaissa, R. (2010), La classe-État Algérienne 1962-2000. Une histoire du pouvoir algérien entre sous-développement, rente pétrolière et terrorisme, Paris, Publisud.

[12] Rapport de la CEPAL (Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes) à ce propos : http://www.eclac.cl/publicaciones/xml/6/34616/lcw188e.pdf

[13] La révolution mexicaine a également donné lieu à une historiographie prolifique, en français on trouve l’ouvrage de Jauffret. E. (1986), Révolution et sacrifice au Mexique : naissance d’une nation (1910-1917), Paris, Cerf.

[14] Deux ouvrages, parmi d’autres, rendent compte de cette genèse : Garrido, L.-J. (1982), El partido de la revolución institucionalizada. La formación del nuevo Estado en México (1928-1945), Mexico, Siglo XXI., et Córdova A. (1995)., Córdova, A. (1995), La revolución en crisis. La aventura del Maximato, Mexico, Cal y Arena.

[15] Un livre collectif sur le PRI réalise un bilan depuis sa fondation à son déclin relatif, à la fin des années 1990 (il est actuellement au pouvoir et reste sans aucun doute la première force politique du pays, ce qu’il n’a jamais cessé d’être dans les Etats et très souvent dans l’assemblée nationale, même s’il n’a plus l’« hégémonie » passée): Muñoz-Patrarca, V. M. (coord.), (2005), Partido Revolucionario Institucional 1946 – 2000. Ascenso y descenso del partido hegemónico, Mexico, Siglo XXI.

[16] Nous n’approfondirons pas cet aspect, hautement complexe. Pour le Mexique, les travaux de Roberto Blancarte autour de la laïcité et de la sécularisation sont très significatifs (2001). En ce qui concerne les contre-mouvements, on trouve celui des Cristeros, à la fin des années 1920, puis la théologie de la libération, à partir des années 1960-1970. Sur le second thème qui recouvre toute l’Amérique latine, la littérature est abondante et l’auteur de cet article a lui-même développé des recherches et écrit des textes à ce propos. Sur le premier, l’ouvrage classique de Jean Meyer est incontournable (1974).

[17] L’ouvrage le plus complet sur ce thème a été écrit par Cansino, C. (2000), La transición mexicana, 1977-2002, Mexico, Centro de Estudios de Política Comparada.

[18] Merino, M. (2003), La transición votada. Critica a la interpretación del cambio político en México, Mexico, FCE.

[19] L’auteur classique sur les élites politiques mexicaines est Camp, R. (1996), Reclutamiento político en México, 1884-1991, Mexico, Siglo XXI.

[20] Il est symptomatique que Cesar Cansino, reconnu comme étant l’un des principaux « transitologues » mexicains, ait lui-même opéré un virage critique, en ce sens : Cansino, C. (2008), La muerte de la Ciencia Política, Buenos Aires, Sudamericana.

[21] Expression utilisée par Daniel Pécaut pour le conflit armé colombien. Pécaut, D. (2001), Guerra contra la sociedad, Bogota, Editorial Planeta.

Sur la violence en Algérie, on peut consulter le numéro 10 de Insaniyat « Violence : contributions au débat » de 2000.

 

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