Amar MOHAND-AMER et Belkacem BENZENINE (dir.), Le Maghreb et l’indépendance de l’Algérie, Oran, Tunis, Paris, Crasc, Irmc, Karthala, 2012, 262 p.

Fruit d’une collaboration scientifique entre le Crasc et l’Irmc, cet ouvrage collectif se caractérise par sa volonté d’offrir une visibilité aux travaux de jeunes chercheurs parmi lesquels figurent cinq doctorants. Il participe également d’une démarche pluridisciplinaire. L’effort est louable tant l’enjeu du décloisonnement apparaît déterminant pour l’objet concerné. L’ancrage historien – et historique – du propos n’exclut, cependant, pas la possibilité d’interroger les bouleversements contemporains que connaît la région en offrant des outils d’analyse et de compréhension pour mieux les mettre en perspective, et rompre en cela avec un certain présentisme.

Cette entreprise s’inscrit toutefois dans un contexte particulier et bien national : le cinquantenaire de l’accession de l’Algérie à son indépendance dont il faut souligner le traitement différé et différencié selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée. Un même événement, ô combien fondateur tant pour une France qui devient hexagonale que pour une Algérie en quête de souveraineté, a suscité des controverses autour des enjeux de sa commémoration, les rythmes de celle-ci, ainsi que son contenu.

Mais le livre ne se focalise pas uniquement sur l’Algérie, et c’est bien heureux. Il tente d’élargir le questionnement au Maghreb, échelle d’analyse dont la pertinence souvent relevée demeure encore trop rarement utilisée. On se souvient d’un colloque stimulant organisé en 2009 par le Crasc en hommage à Mahfoud Kaddache. Les universitaires de diverses provenances s’accordaient à favoriser les approches transnationales pour des objets qui ne s’arrêtaient pas aux frontières terrestres. Citons au passage L’histoire du Maghreb d’Abdallah Laroui qui, dès 1970, plaidait pour une histoire scientifique en critiquant à la fois la bibliothèque coloniale et une certaine historiographie maghrébine. Ainsi, avant d’envisager une dénationalisation de l’histoire, il convient de relire événements et trajectoires des acteurs en articulant les dimensions locales, nationales et régionales.

Le projet initié par les deux centres de recherche susnommés regroupe dix-huit contributions d’auteurs rattachés à des institutions universitaires algérienne, française mais aussi marocaine, canadienne ou portugaise. Dépasser le sempiternel tête-à-tête franco-algérien demeure un enjeu riche de promesses. Condition nécessaire mais non suffisante, il n’implique pas mécaniquement de suivre les courants théoriques en vogue ou de tourner le dos à la production binationale. Bien au contraire.

Dans leur introduction, les deux coordinateurs du livre affirment que l’indépendance « clôt une situation historique et ouvre une nouvelle ère ». On serait tenté de modérer ce propos et de déplacer le questionnement sur la transmission des institutions coloniales, le maintien du personnel politico-administratif, et l’entretien d’un habitus colonial en décalage avec la situation nouvelle. Il s’agirait alors de savoir ce qui se produit quand « le mort saisit le vif », comme l’y invitait Pierre Bourdieu dans un article de 1980.

Cette démarche n’est pas incompatible avec le fait de prendre au sérieux les termes « révolution » et « révolutionnaires » – même sans guillemets – pour désigner le processus de décolonisation en Algérie et ses acteurs. Il existe une réticence compréhensible chez certains universitaires (algériens) à utiliser ces termes, autant par scepticisme normatif que par volonté de se démarquer de l’instrumentalisation nationaliste. Pourtant, certains sociologues américains comme Jack A. Goldstone ou Jeff Goodwin ne rechignent pas à utiliser ces appellations. La guerre des classements, déjà contemporaines des événements, doit nous conduire à interroger la manière dont nos objets sont étudiés et les effets des délimitations arbitraires, qu’elles soient spatiales ou temporelles.

Dans le même ordre d’idées, la revendication légitime de l’interdisciplinarité doit conduire à relire de manière critique les travaux pionniers des historiens spécialistes du mouvement indépendantiste ou de la révolution anticoloniale. Au-delà des nouvelles sources étatiques ou privées qui permettent d’affiner ou de réviser certains écrits, c’est surtout par l’appropriation de la production (classique ou contemporaine) en sciences sociales que nous pouvons dépoussiérer nos objets et les relier à des problématiques plus générales qui ne sont pas toutes confinées au rapport colonial.

Toujours est-il que les thèmes abordées à travers les diverses contributions couvrent un spectre assez large. Rares sont les questions capitales et pourtant maltraitées par certains entrepreneurs de mémoire à ne pas être analysées avec clarté dans cet ouvrage : messalistes, juifs, pieds-noirs, harkis. Sans oublier la place des femmes, de l’islam ou du théâtre dans l’Algérie indépendante car l’histoire se poursuit après le 5 juillet 1962. On ne pourra pas reprocher à ce livre de faire obstacle au progrès de la connaissance historique. Malgré cette indéniable richesse, une part trop belle est concédée aux sources imprimées, au détriment des témoignages oraux qui peuvent encore être recueillis auprès des protagonistes de cette période.

On ne peut que reprendre à notre compte la proposition d’Abdelmalek Sayad qui, dans son texte Histoire et recherche identitaire, appelait à libérer l’histoire et la science sociale en réponse au célèbre pamphlet de Mohamed Chérif Sahli qui souhaitait lui « décoloniser l’histoire ». Ainsi, libérer l’histoire de la décolonisation exige de préserver les marges d’autonomie dont disposent les chercheurs afin de construire eux-mêmes leurs objets sans céder aux injonctions ou aux pressions d’où qu’elles viennent.

Nedjib SIDI MOUSSA

 

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