Tewfik GUERROUDJ, Pourquoi faire de l’urbanisme ? Paris, Éd. Confluences, 2011, 236 p.

À la fois architecte et urbaniste, Tewfik Guerroudj se qualifie lui-même comme un artisan urbaniste, selon l’appellation de son atelier d’études, de conseil et de formation, créé au bout d’une quarantaine d’années de pratique de l’urbanisme. On saisira l’allusion plus avant, en rapport aux tâches « sur mesure » qu’il préconise pour toute démarche d’intervention urbaine, sans doute pour exprimer sa récusation de la répétitivité des modèles. Il associe à cet effet, pratique urbanistique et études opérationnelles à ses activités pédagogiques et autres questionnements qui ont jalonné sa carrière.

La problématique abordée se noue autour de la pratique de l’urbanisme face à l’adaptation continue de la ville aux nouveaux besoins et aux changements sociaux. Le laisser-faire conduit à une homogénéisation de la ville, à un accroissement de la ségrégation socio-spatiale, et en fin de compte, à une dégradation de la qualité urbaine. L’accès aux ressources urbaines (emplois, équipements, service…) devient plus difficile, la qualité du fonctionnement et des espaces publics se dégrade. C’est ce qui a conduit de nombreuses autorités urbaines de villes en crise à mener énergiquement des projets d’agglomération, de ville, et des projets urbains.

La nécessité d’une nouvelle culture urbaine, telle qu’exposée dans la préface de Francis Cuiller, recentre l’idée de ville en tant qu’œuvre collective impliquant de la compétence, de la technique, de la sensibilité et de la créativité afin de savoir traiter au mieux toutes les dimensions    (p. 8).

La question de « Pourquoi faire de l’urbanisme[1] ? » renvoie, d’emblée et inévitablement, aux interrogations subsidiaires du qu’est-ce que et comment[en] faire si l’on n’a pas une représentation de la ville, de ses caractéristiques, de ses avantages et inconvénients, ou encore des possibilités et modalités d’actions des acteurs et de leurs logiques ? (p. 15). Les études d’urbanisme requièrent de la clarté dans les intentions d’aménagement en fonction des dépenses qui peuvent être supportées. Elles imposent en outre, d’opter pour des choix compte-tenu des usages, de la réduction des risques, de la réponse à des besoins, de l’exploitation des ressources,… bref, à accomplir du « sur mesure » orienté par des objectifs, en articulant plusieurs thématiques et à différents niveaux. Selon l’auteur, le recours aux « PLU intercommunaux (plan local d’urbanisme, qui a succédé au plan d’occupation de sol, l’instrument le plus proche du plan directeur d’aménagement et d’urbanisme algérien), est un moyen de réduire [la] difficulté, et de faire face aux enjeux importants des études d’urbanisme auxquels les citoyens sont très sensibles » (p. 163).

L’ouvrage enrichi de notes et d’une bibliographie indicative commentée, présente clairement les enchainements de causalités, les possibilités d’actions à l’épreuve des situations complexes, et permet une lecture, soit en continu, soit par thème, de manière à accéder aux sujets de recherche grâce à un index détaillé.

La première partie intitulée, Une nouvelle pratique sociale, porte sur l’histoire de l’urbanisme, le sens de la ville, et la nécessité de l’action publique. Entres autres références, les idées de la Charte d’Athènes (1933) et les travaux de Françoise Choay (1979 ; 1992) fournissent un éclairage sur les évolutions respectives qui ont conduit à légiférer -ou non- pour réglementer les procédures d’intervention urbaine. En France, une série de lois de 1919 (Loi Cornudet) à 2010 (Loi Grenelle 2), se sont succédées avec toujours de nouveaux défis relatifs aux conséquences mondiales du réchauffement climatique. Pour assurer de la qualité à la vie urbaine, les enjeux anthropologiques et les ressorts de l’action humaine, prônent de considérer les rapports des hommes entre eux et avec leur milieu. « La concrétisation du lien social, ciment qui permet aux sociétés de fonctionner, est un des objectifs des politiques. L’existence de ce lien doit être rappelé par les effets concrets de politiques publiques d’égalité de droit et de péréquation de ressources, comme par exemple les politiques de l’habitat et les volontés de rendre effectif le droit au logement » (p. 47).

La deuxième partie s’attache à démêler le foisonnant dispositif réglementaire pour agir sur la ville et le foncier. Un détour terminologique nous instruit sur le vocabulaire spécialisé des concepts utilisés en rapport à la fiscalité de l’urbanisme, et à la question foncière. Leur ingénierie dépendra de plusieurs facteurs et d’options d’usage de la plus-value de l’urbanisation orientée, en France, par le maire.

Au chapitre des normes et de leur actualisation, les définitions des périmètres, de la propriété et du droit, procèdent à la catégorisation des espaces et des lieux à protéger, sous le signe des compétitions économiques et financières. L’exigence de cohérence est mise au centre des agencements entre les procédures d’aménagement, la volonté des habitants et le coût du foncier. Cet impératif de coordination, a donné lieu à la conception du SCoT (schéma de cohérence territoriale, dont l’équivalent le plus proche en Algérie serait le schéma directeur d’aménagement d’aire métropolitaine) qui « par son échelle et sa vision prospective est considéré comme l’outil le mieux adapté pour appuyer l’action des agglomérations par l’élaboration d’un projet à leur échelle » (p. 81).

Les méthodes de l’action proposées à la troisième et dernière partie de l’ouvrage, couvrent la composition urbaine, l’analyse morphologique de la ville, le projet urbain. Présenté comme une pratique peu insérée dans les procédures, même si au demeurant l’expression projet urbain s’est quelque peu banalisée, il se différencie du projet de ville en tant que processus de négociation qui construit des liens et du sens aux actions d’intérêt commun. « Il marque[en outre] la volonté de mettre en œuvre une nouvelle méthode d’élaboration des projets, en rupture avec les techniques, qualifiées de fonctionnalistes qui avaient été utilisées notamment pour la réalisation des grands ensembles» (p. 129). Mais comme pour toute intention prévisionnelle en matière d’urbanisme, des obstacles factuels peuvent contrarier la réalisation du projet urbain.  « Une des difficultés est de maintenir dans le temps la relation avec les urbanistes qui ont commencé à élaborer le projet » (p. 139). Sont aussi signalés, entre autres, « …le code des marchés publics qui ignore les personnes et l’espace… », notamment pour ce qui concerne le contexte français.

Du fait de la complexité qui caractérise les mécanismes de l’urbanisation, il est intéressant de pouvoir suivre le raisonnement sur l’action foncière et l’aménagement, et l’explication de la technique du compte à rebours pour fixer le prix du terrain à construire. Cette logique généralisée pousse à la hausse les montants ainsi déterminés en rapport à l’usage possible le plus rentable.

Les gestionnaires de l’urbain gagneraient à …« mettre en place des dispositifs de collecte de données, de production d’indicateurs de montage d’observatoire(s) » (p. 151) pour orienter leurs actions en prenant mieux en compte la situation réelle. Ils pourraient ainsi proposer des alternatives et des opérations d’aménagement qui engagent l’avenir en adéquation avec les potentialités, les ressources et les investissements mobilisables, et les attentes des usagers. L’application sur le Schéma directeur du Grand Alger en 1982 illustre cet aspect de la prospective dite itérative, le pendant technique de la démarche scientifique hypothético-déductive. 

Si la deuxième partie sur les procédures et instruments est spécifiquement traitée pour la France, elle décrit, néanmoins, des mécanismes valables en d’autres lieux. La première partie sur l’émergence de l’urbanisme, et surtout la troisième sur les méthodes de l’action ont une validité générale. L’ouvrage donne un aperçu relativement complet des questions d’urbanisme à l’intention de lecteurs voulant comprendre la pratique de l’urbanisme : étudiants, décideurs, citoyens, promoteurs, et autres praticiens.

Pour conclure, l’auteur revient sur le rôle de l’action publique et de sa nécessité pour la concrétisation du lien social face à des conditions urbaines de plus en plus contraignantes. Il constate qu’une réglementation d’urbanisme ambitieuse (et légitime), qui ne se donne pas les moyens d’atteindre les objectifs fixés, revient pour les praticiens de l’urbanisme « … à vouloir faire courir un mouton à cinq pattes qui ne devrait normalement pas pouvoir marcher » (p. 166).

Ammara BEKKOUCHE


Notes

[1] Du même auteur, les éditions Confluences ont publié en 2010, un manuel intitulé Petit vocabulaire de l’urbanisme.

 

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