Présentation

Insaniyat N°55-56| 2012 |Jeunes, quotidienneté et quête d’identité | p.p. 9-12 | Texte intégral 


La présente livraison d’Insaniyat, qui se voulait initialement un numéro spécial sur la jeunesse, se retrouve à traiter du thème de ladolescence, des jeunes et des jeunes adultes du fait des frontières poreuses entre ces catégorisations qui ont dépassé de loin celles positivistes où l’âge biologique fut pendant longtemps la règle. Celle-ci, s’avère inadaptée à la dynamique de la jeunesse qui ne pouvait connaître une évolution linéaire, voire arithmétique, contrôlable et gérable. C’est dire l’importance des bouleversements que la jeunesse ne cesse de connaître dans ses formes expressives, les champs, public ou privé, qu’elle investit, les registres auxquels elle fait appel dans ses rapports au local et au global, les outils qu’elle mobilise qu’ils soient connus ou nouveaux. Cette dynamique, pour l’essentiel imprévisible, pose des problèmes heuristiques à l’endroit de la catégorisation usitée.

Des glissements continuels d’un champ disciplinaire à un autre, déterminent les outils méthodologiques mobilisables, ainsi que les champs sémantiques qui y sont associés. Ces questionnements, qui traversent diverses aires géographiques et culturelles, ne trouvent de réponses qu’à partir d’une remise en cause des regards des sciences sociales. Cette démarche provient d’une connaissance fine et avertie des milieux culturels en question, quelle que soit leur dimension. Le contenu de ce numéro d’Insaniyat livre aux lecteurs une connaissance renouvelée de la jeunesse, à la fois dans ses approches, les difficultés cognitives qu’elle soulève et les facettes qu’elle traite, en Algérie, et dans l’environnement méditerranéen.

Face à l’intérêt suscité autour de cette catégorie de jeunes au moment où la région est confrontée à leur montée en force sur la scène sociale et médiatique, les coordonnateurs ont considéré comme important de présenter également aux lecteurs des travaux inédits de chercheurs ayant menés des enquêtes auprès des jeunes socialisés dans un contexte de difficultés économiques et de violences extrêmes, celui des années 90. Les effets d’âge, de génération et/ou de contexte sur les attitudes, les comportements et les pratiques des jeunes préoccupent une grande partie des contributeurs sans toutefois que les conclusions puissent nous permettre de trancher.

Dans les années 1960-1970, les jeunes, considérés comme l’avenir d’une nation, étaient objet d’un investissement important au plan de l’éducation. Dans ce contexte le développement passait obligatoirement par l’industrialisation. En revanche, dans les années 1990, au lendemain des plans d’ajustement structurel, ils seront plutôt confrontés à la précarité et au chômage, avec, comme conséquence, une réorientation des politiques publiques en matière d’éducation et de formation vers des préoccupations d’insertion sociale et politique.

Dans les années 2000, face à la domination du marché, les jeunes sont sollicités pour créer leur propre emploi et développer « l’esprit entrepreneurial ».

Traitant de la notion d’adolescence, au contact des sociétés méditerranéennes, Marc Breviglieri donne tout le sens aux risques méthodologiques qui fausseraient la recherche. Lorsqu’il s’agit d’adolescence et de jeunesse, parce que justement la première « met à l’épreuve » la seconde, il avertit des ambigüités et prévient des abus de transposition d’une aire culturelle à une autre, d’une discipline à une autre et en même temps, de l’excès de relativisme, d’où la nécessité d’une « archéologie de la notion d’adolescence ». En privilégiant la perspective socioculturelle du développement cognitif, Linda Yahia Bey et Slimane Djarallah traitent des styles cognitifs, à travers une comparaison entre jeunes Algériens et jeunes Français d’origine algérienne. S’intéressant à l’interaction/appartenance culturelle, les auteurs montrent que les différences entre les deux catégories de jeunes sont insignifiantes.

Dans le même sens, Karim Salhi aborde des cas concrets de jeunes de la Kabylie du Djurdjura et nous livre une connaissance de proximité basée sur la recherche d’autonomie/responsabilité, avec les possibilités et limites que suppose ce type d’approche. C’est en décryptant des projections autour des projets de vie et des biographies des sujets, des familles et des villages où ils évoluent, qu’il met en évidence une série d’ambivalences vécues: des temps cyclique et linéaire, mettant le jeune dans une posture de frustration et d’incertitude, entre ce désir d’autonomie et l’incapacité de le réaliser.

À travers quelques cas de villages kabyles de la Soummam, Azzedine Kinzi traite du rapport de soumission et d’action des jeunes dans la Tadjmaât. A défaut de pouvoir se réaliser, ces jeunes ont opté, pour des solutions extrêmes dans ce qui est communément appelé « El harga », phénomène qui s’est internationalisé parce qu’impliquant plusieurs pays que Mustapha Medjahdi et Hafida Kebbati analysent dans leur contribution.

Considérant les stratégies juvéniles en milieu rural en Tunisie, Amor Zaafouri montre comment le discours officiel et les politiques sociales de l’État ne prennent pas en charge les besoins spécifiques de la population qui nous concerne : les jeunes, noyés dans la foule. Il souligne, également, que les politiques agraires de l’État, négligeant le caractère stable et résistant des structures familiales rurales, mettent ces jeunes dans une situation de résignation et de passivité. Le processus de modernisation de l’agriculture au Centre-Ouest de la Tunisie est à l’origine d’une dégradation continuelle des rapports socio-économiques ; le jeune, voulant réaliser son identité propre, voit ainsi son statut passer de petit entrepreneur à associé, puis à ouvrier agricole pour finir comme chômeur.

D’autre part, Mohamed Saïb Musette dresse pour l’Algérie un panorama du marché du travail qui, malgré ses fluctuations largement déterminées par le contexte social, obéit à des logiques propres à chaque sphère. Ces dernières années, l’auteur note une corrélation entre l’évolution du travail informel et une tendance à la baisse du chômage en Algérie.

La problématique des jeunes et de leur vécu en temps de crise est au centre de la contribution de Nouria Benghabrit-Remaoun et Abdelkrim Elaidi. Ce qui ressort de leurs enquêtes, réalisées dans les années 1990, c’est que les jeunes en Algérie ont du mal à imposer une de leurs revendications majeures : celle de la reconnaissance. Principales victimes du chômage, les jeunes associent souvent le statut de hittiste au rêve de harga.

Sur la question de la croyance et du rapport au genre, Mustapha Radji, comparant les pays maghrébins, constate que la tendance des jeunes à la pratique de la religion était relativement faible jusqu’aux années 1980 mais prend une grande importance à partir des années 1990 ; cela se révèle dans leurs attitudes de rejet de la mixité et d’adhésion à la polygamie. À propos de la religiosité et de la quête de l’identité, Mohamed Merzouk expose les résultats d’une enquête menée par une équipe du Crasc, auprès des étudiants d’Oran entre 2007 et 2009. L’auteur y analyse les facteurs à l’origine des adhésions religieuses, mettant, ainsi, en évidence ce qui relève du politique, de l’orientation scolaire et de l’habitus. Il montre comment la dimension religieuse est liée à la construction identitaire du jeune.

Dans son analyse des jeux en ligne, Nicolas Auray dévoile comment les adolescents se créent et se constituent en véritables « communautés », à travers lesquelles des identités fragmentées se construisent, les contrôles sociaux et normatifs sont évités et un véritable régime culturel commence à s’installer. L’usage de l’Internet, de par l’anonymat qu’il offre, peut être perçu comme un outil de mobilisation des jeunes. Mustapha Medjahdi analyse les limites de la mobilisation de cette même catégorie qu’il attribue à la faiblesse de l’utilisation d’Internet découragée par les politiques publiques œuvrant à prévenir tout désordre éventuel.

La dernière contribution dans cette rubrique, sous la plume de Khadidja Keddar, traite du droit à la participation des adolescents. Le texte nous livre les résultats d’une enquête, menée au Crasc en 2009, qui explore le niveau de représentation, attitudes et valeurs des adolescents algériens, sur la perception de leur participation dans les différents espaces du quotidien.

D’autres contributions enrichissent en varia ce double numéro d’Insaniyat. Le texte de Ahmed-Amine Dellaï se propose d’éclairer les rapports entre la culture religieuse savante et la littérature populaire, à travers un texte de melhoun. Celui de Bouteldja Riche analyse le discours culturel qui a prévalu durant les premières années d’indépendance de l’Amérique.

Nouria BENGHABRIT-REMAOUN
Mohand Akli
HADIBI

 

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