Insaniyat N°55-56| 2012 |Jeunes, quotidienneté et quête d’identité | p.p. 91-120 | Texte intégral
Youth and life in society in a crisis situation: a return to studies carried out in Algeria in the 1990’s Abstract: The youth problem and their life in society was the subject of two studies performed by our team “Youth and socialization modes” (1993-1995) and “Youth and fringe position”. These studies enable one to understand the young peoples ‘different investment modalities in terms of actors category. The age category has multiple facets, from appropriation, investment and interpretation capacities, which come to light confronting public insertion politics put in place to solve the central question namely unemployment. The setting up of cooperation in answer to public power aimed at being an opportunity for insertion was an opportunity for mobility for young people. The family socialization, social and political modes are part of the collective identity elaboration process, formed from the making of a certain number of dispositions whish reveal themselves, from expectations produced by practices and institutional discourse. They are built on the dependence base and the setting aside of decisions, therefore the period of youth is prolonged, through collective representations. Entering adult life is chaotic, put off and differential.Keywords: young people, social living, youth cooperatives, hittistes, unemployment, Algeria |
Nouria BENGHABRIT-REMAOUN: Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31000, Oran, Algérie.
Abdelkrim ELAIDI: Université d’Oran, 31000, Algérie.
Introduction
Les représentations sociales de la jeunesse, définies par O. Galland (1991) comme rapport de filiation, coexistent chez les jeunes avec les rapports éducatif et générationnel, insérés aujourd’hui dans un processus de socialisation de plus en plus renouvelé. Remettant en question certaines codifications des rapports sociaux, notamment, ceux de la déférence (vis-à-vis des adultes) et de l’allégeance (vis-à-vis de l’autorité …), les jeunes en Algérie ont du mal à imposer une de leurs revendications majeure : celle de la reconnaissance sociale à tous les niveaux. L’usage quotidien du qualificatif « ma kiyamniche »[1], plus que celle de « hgarni » [2], relève de cette recherche de reconnaissance. Elle est, en fait, inscrite dans le paradigme de référence fondamentale, celle de la justice et du traitement équitable, concepts fondateurs de la production du sens que les jeunes accordent à leurs pratiques dans la vie quotidienne enchaînés dans des réseaux relationnels.
Principales victimes du chômage, les jeunes de moins de 30 ans cumulent souvent le statut de Hittiste aux rêves de Harga, ayant une pratique informelle de trabendiste, tel est le portrait-robot du jeune des années 1990. La perception de la société s’est encore assombrie avec les dix années de guerre, en lui accolant un nouveau qualificatif celui de terroriste. L’émergence d’un nouveau phénomène à une échelle problématique, celui des kamikazes, a fini par jeter le désarroi des gouvernants, confirmant ainsi la méconnaissance profonde et la rupture de ces derniers avec les jeunes algériens. De plus, malgré les diversités d’âge, d’origines sociales, géographiques et de sexe, les jeunes investissent une logique d’action commune, celle de la pratique émeutière, expression réactionnelle immédiate, comme mode de signification de désaccord, d’insatisfaction ou d’opposition aux pouvoirs publics.
1. Cadre général d’analyse
Les discours, arbitrairement unificateurs, sur la « jeunesse » laissent apparaître une profonde distorsion entre leur objet (que sont les jeunes) et ses réalités multiples. Au moment même où ils sont principalement appréhendés comme réalité passive, les jeunes se voient paradoxalement dotés, en termes de génération(s), d’une capacité de relève. Cette capacité n’est sans doute pas sans rapport avec la perception de la jeunesse comme vecteur d’espoir au moment même où la société connaît des dysfonctionnements et des conflits, s’exprimant sous des formes plus ou moins violentes - et à des intervalles de plus en plus rapprochés. Cet espoir lui-même n’exclut pas un certain sentiment de malaise puisque cette catégorie est également perçue comme porteuse d’aspirations virtuellement déstabilisatrices. Les jeunes constituent, ainsi, dans les représentations largement dominantes, une catégorie-objet dont le rôle, pour un avenir plus ou moins lointain, ne fait, selon toute vraisemblance, que retarder, discursivement et institutionnellement la mise en œuvre d’une approche fondamentalement différente, à savoir celle éclairant, dès à présent, leur situation d’acteur social dans les mutations en cours au sein de la société algérienne.
Les jeunesses algériennes, puisque l’on semble être autorisé à recourir au pluriel tellement les réalités couvertes par ce terme générique sont diverses, ne sont désignées comme catégorie-objet que parce qu’elles sont, à l’instar de multiples niveaux de la société, des catégories sous-analysées. L’imbrication même des différents champs sociaux, à un degré sans doute jamais vu dans notre société, plaide en faveur d’approches interdépendantes. Les bouleversements et les mutations travaillant en profondeur la société algérienne, et relevés par de nombreux observateurs et analystes, sont rarement approchés en tant que produits d’une restructuration sociale globale induite par l’émergence constitutive de certaines catégories sociales comme les jeunes, les femmes, etc. Dès lors, peut-on éviter l’enregistrement des changements en cours, et en profondeur, dans la société algérienne, comme phénomènes en surface, c’est-à-dire, non reliés aux structures en genèse, si l’on fait l’économie d’un autre changement : celui, radical, dans le prisme d’analyse ?
L’état des connaissances relatives aux catégories jeunes apparaît clairement à travers les différentes politiques mises en œuvre, dans notre société, "au profit des jeunes" et où l’assistanat constitue la démarche structurellement dominante. Une question incontournable se pose à ce niveau : l’assistanat en tant que modalité de traitement de la situation des jeunes relève-t-il de la recherche d’une certaine efficience sociale ou plutôt des représentations mentales historiquement produites autour des jeunes ?
L’on peut ainsi se demander pourquoi les initiatives des jeunes se retrouvent canalisées dans la sphère marchande et de services et non dans la sphère associative de défense d’intérêt particulier ? Par ailleurs, ne faut-il pas se demander si l’investissement des jeunes, dans le champ marchand, ne constitue pas une réponse à l’incapacité, au niveau des pouvoirs publics, à assurer une identification positive reposant sur la valeur-travail ?
Dans leur interpellation des pouvoirs et de la société, les jeunes centrent leurs aspirations et leurs revendications sur deux dimensions fondamentales : l’insertion scolaire et l’insertion professionnelle - autrement dit, sur deux valeurs : la valeur-formation et la valeur-travail. A la limite de ces deux dimensions fondamentales, commence l’espace de la marginalisation et de la « marginalité ». Les pouvoirs publics, à leur manière et dans une autre logique, mettent l’accent sur ces deux dimensions mêmes du champ du possible, dont il vient d’être question. Les mesures et décisions avancées par ces pouvoirs, dans leur logique et dans celle des agents, les mettant en œuvre, sont-elles porteuses de réponses, reconnues comme telles, aux aspirations des jeunes ?
Les jeunes, approchés en tant que catégories sociales en mouvement, révèlent une grande capacité à « jouer des tours » à la société et à ses représentations. En cherchant à se positionner dans la société, ces catégories se dotent activement d’un statut et acquièrent des formes et un certain degré d’autonomie - contribuant ainsi au bouleversement du tissu social. Tout en participant à la transformation des rapports sociaux, l’investissement d’un certain nombre d’activités par les jeunes relève, à notre sens, d’un processus d’autonomisation de cette catégorie. Les formes et types d’investissement de ces activités semblent indiquer une tendance visant la restructuration des rapports d’autorité.
Il est sans doute permis de se demander si ce qui domine, à ce niveau, n’est pas l’aspiration à rendre les rapports des jeunes à d’autres catégories ou générations moins inégalitaires, voire l’accession à des rapports de type partenariat. Le partenariat serait, si cela se confirme, la forme que prend, chez les jeunes, la revendication de l’autonomie. Dans leur action, ils mettent en œuvre, de toute évidence, des pratiques qui restent à identifier et des sens à caractériser. Ce qui semble frappant, en revanche, dans leur intervention, c’est l’irruption de sens que la société a des difficultés à faire rentrer et canaliser dans ses moules. Approchés en tant que « catégorie-acteurs », les jeunes révèlent leur pouvoir à piéger les différentes institutions - à commencer par le pouvoir public, central ou local - en développant leurs propres stratégies et initiatives révélant ainsi, par-delà les contraintes, une certaine capacité de gestion de soi par-delà les représentations
Si la « jeunesse » est une de ces catégories, elle le doit d'abord au fait qu'il s'agit là d'une construction sociale. Qu'elle soit définie, comme le fait R. Boudon[3] comme catégorie incluant, « aux yeux de l'observateur, tous ceux qui sont sortis de l'enfance sans pourtant faire partie intégrante d’adultes », ne semble pas être suffisant. La penser comme une étape de transition, un « passage au cours duquel vont se construire presque définitivement alors qu’elles sont encore en pointillé, les coordonnées sociales de l’individu » comme le propose O. Galland [4], annonce tout un programme. La définition renvoie au passage d'une situation où l'on est relié à la famille, à différents points de vue, de l'enfance comme de l’âge l'adulte, lorsqu’on est établi socialement, professionnellement et matrimonialement. Si l'accès à l'état adulte ne peut résulter que de la combinaison d’attributs établis (entrée dans la vie active, formation du couple, etc.), nos sociétés fondent la jeunesse selon différentes modalités.
2. Les questionnements formulés au cours des deux projets
Le projet de recherche « Jeunes et mode de socialisation » développé durant les années (1994 - 1995), à travers des problématiques de terrain, vise à étudier les aspirations, représentations et pratiques des jeunes dans la situation de mise en coopération. Le projet qui lui a fait suite (1996-1997) portait sur « Jeunes et positionnement « marginalité » ou intégration » La mise en coopération des jeunes, initiée avant tout par les pouvoirs publics, dans le cadre du programme « emploi jeunes », nous a interpellés en tant que chercheurs au moment même où elle connaissait un développement appréciable et mobilisait des moyens, financiers notamment, non négligeables tout en suscitant des préoccupations, voire des inquiétudes relatives au devenir de l’expérience. Sommes-nous en présence d’une véritable distorsion - dont la signification sociale et symbolique reste à préciser - entre les initiatives publiques (mise en place de cadres réglementaires, dégagement de moyens financiers et matériels, etc.), d’une part, et les aspirations, attentes et réponses des catégories de jeunes, d’autre part ?
La mise en coopération, en tant qu’ensemble d’initiatives visant l’intégration dans les circuits économiques et de services et l’insertion sociale des jeunes, est-elle considérée, par ces derniers, comme processus d’autonomisation ? Cette question revêt une certaine légitimité, dans la mesure où, il s’agirait de tentatives positives à travers lesquelles les jeunes interviendraient isolément, en groupe(s) ou dans le cadre d’associations, en vue de sortir d’une situation de marginalité / marginalisation où les auraient poussés la rupture avec le système scolaire et la réalité du chômage. Cette mise en coopération est-elle considérée, dans sa réalité, comme la mise en œuvre ou la réalisation d’un projet personnel ou de groupe, dans un domaine particulier, à même d’apporter la stimulation et l’enrichissement d’une expérience répondant aux attentes des jeunes : initiatives, actions, satisfaction de besoins financiers et matériels, etc. ?
Quelles sont les logiques qui fondent la situation de coopération de la catégorie en question : rapport contractuel basé sur une logique de communauté d’intérêts réciproques, lui-même s’appuyant sur la liberté de partenariat, dans une relation contractée volontairement, ou logique d’assistanat renvoyant à un rapport de soumission, fondé sur la relation d’appartenance ou une situation de production de clientèle rendant caduc tout rapport contractuel ? Et dans ce dernier cas, par quelles stratégies les jeunes réagissent-ils : mise en échec de l’expérience, repli sur d’autres occupations ou contournement des expériences initiées ? L’approche diversifiée, recourant à plusieurs angles d’attaque et privilégiant, au plan méthodologique, l’intervention sociologique, a servi de référence à l’étude sur le terrain.
Les différentes étapes d’investissement des jeunes en tant que catégorie – acteurs ont été appréhendées[5], de même qu’un accent particulier, a été mis sur leur vécu personnel, caractérisé par une rupture avec le cursus scolaire, le passage éventuel par une formation professionnelle et les autres occupations avant l’entrée en situation de coopération. Les actions préparatoires visant l’accès à la situation de coopération[6] ont permis d’analyser les formes de transmission et de communication entre générations.
3. Le chômage dans le contexte des années 1990 et politique publique
La problématique de la jeunesse, propre aux sociétés modernes est liée à l’industrialisation et à l’urbanisation. La vision de la jeunesse, au niveau des pouvoirs publics, comme catégorie homogène se trouve ébranlée pendant la décennie 1980-1990, au cours de laquelle émergent des expressions diversifiées de tendances, au sein de cette catégorie, notamment aux plans socio-politique et culturel. En 1987 le programme d’emploi des jeunes constitue la première forme de reconnaissance du chômage des jeunes en tant que réalité majeure.
Comment le chômage est-il appréhendé ? Une brève lecture des actes de l'atelier international « emploi des jeunes et mutations socio-économiques » organisé pour le Conseil National Economique et Social (CNES), nous permet de saisir l'appréhension des pouvoirs publics vis-à-vis de la question du chômage. C'est : une nouvelle épreuve, un syndrome universel, un phénomène grave, un fléau social, qui met en péril la stabilité sociale, détruit le sentiment d'appartenance et de citoyenneté, renforce le sentiment d'exclusion, favorise l'émergence de la violence, remet en cause la cohésion interne du pays, entraîne une fragilisation psychologique et sociale, aboutit à la délinquance, au banditisme, à la terreur [7]. Il n’est peut-être pas inutile de mentionner qu’au cours de cette même période 1987-1990, les jeunes, en tant que catégorie, ont émergé, sous diverses formes, suscitant un intérêt mais surtout des inquiétudes parce que perçus comme force virtuellement ou réellement déstabilisatrice. [8] Le taux de chômage en 1994 est estimé à 24,4%. Le rapport note l’extrême jeunesse des chômeurs 83% ont moins de 30 ans et avec un niveau d’instruction relativement bas. Il est estimé pour la tranche d’âge des 16-19 ans à 66% et de 44,3% pour les 20-24 ans [9]. Les chômeurs à la recherche d’un emploi depuis plus de deux années représentent 34,4% en 1992, et la proportion des non qualifiés est de 74% (sans aucune formation)[10]. Par rapport aux expériences initiées, la détermination des tranches d’âge permettant de sérier la composante est sujette à de multiples changements, confirmant le fait que la jeunesse est une construction sociale, objet d’enjeu, comme le montrent les exemples suivants : 1975 - Charte de la Jeunesse (F.L.N.-U.N.J.A.) : 16-27 ans ; 1982 - Comité Central du F.L.N. : 17-27 ans ; 1984 - Ministère de la Jeunesse : moins de 30 ans ; 1988 - Service Planification et Aménagement des Territoires : 12-25 ans, O.N.S. - Service Statistiques : classification de l’O.N.U. : 15-24 ans. Le programme pour l’emploi des jeunes recoupe les catégories d’âge adoptées par l’O.N.S.
Aussi, face à l'ampleur du phénomène, des stratégies de promotion de l'emploi ont été définies. Le dispositif d'insertion professionnelle des jeunes y occupe une place importante depuis 1990[11]. Le dispositif d'insertion professionnelle des jeunes (DIPJ) est une des réponses des pouvoirs publics, face à la « rareté des perspectives d'insertion des jeunes». « Le DIPJ a été organisé dans le but de donner une réponse aux insuffisances des jeunes[12]. L’objectif premier de ces essais était de donner aux jeunes une première expérience professionnelle. Au même moment, commençait une politique d’encouragement du mouvement associatif (Association de jeunes, de chômeurs, etc.)
L'évaluation menée au bout de quatre années d'expérimentation a conduit à l'établissement de nouvelles formes de promotion de l'emploi opérant ainsi une rupture dans l'approche du problème du chômage, indicatrice du glissement du social vers l'économique (avec la micro-entreprise). « Par ce biais, le fait de soutenir une personne est aussi opportun qu'aider un chômeur sans moyens à réaliser une insertion professionnelle ».
Le caractère sélectif des critères d’obtention du soutien public est d'emblée reconnu (apports financiers de départ, aptitudes professionnelles...). La micro-entreprise est expérimentée à l'occasion de diverses situations, l'essaimage, les opportunités de proximité, la sous-traitance, la filialisation de l'activité, contrat de partenariat... La mise en place d'un système de solidarité nationale visait « l'intégration sociale des populations démunies d'une manière particulière ».
En 1994, le bilan réalisé par le Ministère du Travail[13] donnait les indications suivantes selon le type d'action en direction des jeunes et le sexe.
Bénéficiaires du D.I.P.J.
Type d'action |
Total |
Masculin |
Féminin |
Création d'activité |
5 922 |
5 126 |
796 |
Emplois salariés |
115 582 |
101 515 |
14 067 |
Formation |
2 462 |
859 |
1 603 |
Total |
123 966 |
107 500 |
16 466 |
Source : données du Ministère du Travail (1994).
L'évaluation menée en 1995, du dispositif d'insertion professionnelle des jeunes lancé en 1990 à travers le volet création d'activité, a concerné 90 % de la population totale des coopératives créées à travers le territoire national. Sur 10 335 coopératives réparties sur 43 wilayates, 9 658 ont réellement démarré leur activité, 300 ont bénéficié de crédits et sont non opérationnelles, 377 n'ont pas été retrouvées (pas d'adresse ou fermées au moment du passage). Ces coopératives (9 658) ont eu pour effet direct la création de 26 766 emplois dont 1 794 jeunes filles soit 7%. C'est dans la confectionque se retrouvent 57% des coopératives femmes. La tendance au retrait des femmes de l'emploi salarié public, constatée au travers de l'analyse des données statistiques, confirme, par ailleurs, les résultats parcellaires obtenus durant les interviews réalisés.
La tranche d'âge des 20-24 ans représente 42,6 %. « La dominance de cette tranche d'âge est corroborée par la proportion des célibataires au sein des chômeuses en 1991 qui en constituaient plus de 92% face aux mariées (3,8 %), divorcées (2,2 %) et séparées (0,8 %) [14].
L’expérience de la mise en coopération : une opportunité d’amélioration et de promotion sociale
Notre observation fut centrée sur le milieu urbain en Oranie, plus précisément, une grande agglomération (Es-Sénia - Wilaya d’Oran) et une petite agglomération des Hauts-Plateaux (Mécheria - Wilaya de Naâma). Les deux agglomérations connaissent des situations différentes par rapport à la présence institutionnelle (densité forte ou faible) ou quant au fonctionnement des réseaux de solidarité. L’enquête sur le terrain a été menée de juillet à Octobre 1994. Elle a touché des jeunes coopérateurs relevant, à la fois, de coopératives agréées et bénéficiant d’un prêt bancaire et de coopératives autofinancées. Les principales questions étaient de savoir ce que la catégorie des jeunes, investie dans cette forme d'organisation et de travail, faisait de ce que l'on essayait de faire d'elle, dans la mesure où, l'initiative était, de toute évidence, étatique.
Le taux de chômage pour les jeunes âgés de 16 à 19 ans est estimé à 40,9 % alors que la moyenne nationale se situe à 21,1 %. [15] L’Enquête « chômage » réalisée pour l’O.N.S. en Mai 1993, à la demande de la Wilaya d’Oran, a révélé que 80 % des chômeurs ont un âge compris entre 19 et 35 ans. Les moins de 25 ans représentent 62,1 % (82,7 % pour les moins de 30 ans). Le taux de chômage est de 25 %, soit une personne active sur cinq (5)[16]. Si la durée moyenne d’attente entre la fin de la scolarité et le premier emploi est de six ans (O.N.S., 1985) à l’échelle nationale, elle n’est que de 3,5 années pour la population enquêtée des coopérateurs à Es-Sénia. La durée de chômage déclarée par les jeunes coopérateurs s’établit ainsi
Nombre d’années |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
8 |
Coopérateurs (Nbre) |
4 |
7 |
1 |
4 |
1 |
4 |
2 |
Près des deux-tiers des coopérateurs (15 sur 23, soit 65,21 %) ont des diplômes de formation professionnelle en majorité correspondant au type d’activité professionnelle, au sein duquel ils se sont investis. Six d’entre eux n’ont ni diplôme ni attestation professionnelle au moment même où, interrogés à propos de leurs activités professionnelles antérieurs, tous font référence à des situations de travail vécues. Ce fait indique moins une quelconque tendance ou volonté de taire une réalité qu’une représentation relative au travail chez ces jeunes, pour qui est considérée probablement comme non-travail toute activité à caractère temporaire, instable, chez le privé en particulier, non déclarée sans doute, en tout cas mal payée, souvent sans fiche de paye ou couverture sociale.
C’est cette approche qui nous incite à penser que la proportion importante des coopérateurs n’ayant jamais travaillé, soit 65 % [17] doit être interprétée avec beaucoup de précautions. Cette expérience de travail, à caractère temporaire et instable, avec un revenu considéré comme insuffisant, est acquise chez le privé pour les trois-quarts des coopérateurs. L’activité déployée au sein des coopératives correspond, pour l’essentiel, à l’expérience professionnelle acquise auparavant, y compris quand elle est minimisée, ou à la formation dont le jeune a bénéficié.
L'enquête met en exergue certains éléments relatifs à la place du travail dans le projet de vie. La pression sociale de l’environnement, le regard des autres est très mal vécu. Le jeune veut échapper à ce regard-pitié, étant entendu que dans les petites localités sans anonymat, la situation devient intenable. L’issue est l’exode vers une plus grande agglomération, à défaut de se trouver une « place » (« blassa »). L’échec, à ce niveau, est révélateur de la faiblesse ou de l’absence d’un tissu relationnel. Car travailler c’est d’abord « se voiler » (« darrag rassak min alhadra » « Protège-toi des commentaires malveillants »). Les pouvoirs publics bénéficient encore d’une situation conjoncturelle favorable puisque le projet matrimonial prend le pas sur le projet professionnel, chez les filles. Etre au foyer (manzal) est accepté même si l’évolution socio-économique pour les prochaines années amènera sur le marché du travail probablement tous les membres de la famille en âge de travailler. Les difficultés apparaissent avec l’allongement de l’âge d’accès au mariage.
La recherche d’une activité autonome a un fondement économique mais aussi un fondement moral : La préservation du « respect » (ihtirâm) et de la « dignité » (karâma), sont des valeurs apparemment absentes dans les situations précédemment expérimentées. Ce qui est en jeu à ce niveau, c’est d’abord le modèle dominant de la réussite sociale chez le jeune et le besoin éprouvé d’être maître de ses actes. Avoir son « hanout » est plus proche du modèle de la société traditionnelle où la mentalité artisanale est dominante que de celui de l’entrepreneur. Ce modèle se veut l’expression d’une double remise en cause : celle du refus, d’une part des règles du jeu social préétablies où seuls les détenteurs traditionnels du capital économique ont une chance de réussir et d’autre part de la stagnation et de l’immobilisme, représentés par le modèle exclusif de l’employé à statut socio-économique très peu mobile.
Victimes de choix de l’exclusion du circuit socio-économique aboutissant à des formes de marginalisation diverses, les jeunes se saisissent de toute possibilité allant dans le sens du maintien du lien social. Leurs aptitudes à faire face sont liées à leur situation sociale. Ainsi, nous sommes loin de la problématique de l’insertion (idmâj) socio-professionnelle, telle qu’avancée par les pouvoirs publics. Les coopératives constituent en réalité, l’occasion, pour ceux ayant déjà une expérience professionnelle, d’améliorer, de changer ou de stabiliser un statut social. Elles sont plutôt saisies comme occasion de promotion sociale. Coopératives en fonctionnement ou détournées et trabendo sont parmi les voies empruntées dans leurs luttes pour l’intégration sociale.
En nous appuyant sur l’enquête menée auprès des coopérateurs de juillet à octobre 1994 sur la base de 35 entretiens approfondis à Es-Senia [18] et Mécheria[19], nous avons montré que cette catégorie agissait à sa manière, ne se contentant pas de subir son sort. Nous sommes en présence d’actions signifiantes. Agissant d’ores et déjà, ici et maintenant, ils mettent en cause l’attribut accordé par les pouvoirs publics d’une capacité d’action différée. Ainsi, si l’image courante nous présente un jeune fondamentalement en échec subissant son sort risquant la marginalisation, la réalité met en évidence le caractère agissant des jeunes en tant qu’acteurs. La capacité d’imagination dont font preuve particulièrement les trabendistes et les hittistes, amène à l’imposition de négociation et de restructuration des rapports aux autres (famille, institution et à soi).
L’enquête a touché des jeunes coopérateurs relevant de coopératives agréées et bénéficiant d’un prêt bancaire et de coopératives autofinancées. Les entretiens se sont établis avec les coopérateurs (20 coopératives enquêtées), et des imams (quatre). L’initiative prise par les pouvoirs publics d’encourager la création de coopératives de jeunes s’inscrit dans la problématique d’insertion professionnelle des jeunes. Quelles populations sont concernées par ce programme ?
Les projets de coopératives agréées et bénéficiant de prêts bancaires l’ont été pour des activités relevant de l’artisanat de production et de services. Ce coup de pouce aux petits métiers a été possible, en réalité, grâce au soutien constitué par les familles d’origine, au plan logistique en particulier, comme pour le local.
Quelles sont les conditions d’obtention du prêt[20], régies par les textes dont la circulaire ministérielle n° 371 du 30 décembre 1991 ?[21] Le montant moyen des prêts par coopérative, pour la commune d’Es-Senia, est de : 642 000 DA et les coopératives ont consommé la totalité des financements à l’exception de la coopérative de Mécanique Générale (93,3 %) et de la coopérative des Matériaux de construction (23,7 %). Les activités ayant bénéficié de ce financement concernent la Menuiserie (Coopérative Al-Machaâl : Le Flambeau), la Pâtisserie (Es-Saâda : Le Bonheur), les Matériaux de Construction (Es-Salam : La Paix), la Soudure (Ech-Chabab : La Jeunesse), Vulcanisateur (Nedjma : L’Etoile), la Couture (Sabryna), la Chaudronnerie (Al-Intissâr : La Victoire), La Mécanique Générale - Tourneur - Fraiseur (Es-Salam : La Paix, La Boulangerie (En-Najâh : Le Succès).
Les noms retenus ne semblent pas avoir une signification par rapport aux types d’activités pratiquées mais sont à confronter avec leurs représentations et aspirations relatives à leurs devenirs collectifs et individuels. La symbolique des dénominations, proposées par les jeunes eux-mêmes , renvoie à l’optimisme, l’espoir, la tension vers quelque chose mais aussi l’apaisement dans le contexte social ambiant fait de violence et de terrorisme. L’ambition de réalisation d’un projet collectif va de pair avec l’expression d’un devenir individuel. Le refus de l’exclusion et de l’échec est bien là : il renvoie à des valeurs exprimant une présence - reconnaissance de leur existence. Ces jeunes semblent vouloir partir gagnants mais par la lutte contre tout obstacle dressé sur leur chemin.
Le prototype du coopérateur auquel nous avons eu affaire est caractérisé par le genre (masculin, une fille seulement), l’âge (de 26,3 ans en moyenne)[22], la situation matrimoniale (17 célibataires et 6 mariés), le niveau scolaire [23], la position vis-à-vis du Service national[24]. Parmi les autres caractéristiques, nous avons noté l’association avec un parent, le soutien de la famille et la contribution à sa prise en charge. Ainsi, 7 coopératives regroupent des jeunes à relations familiales, une coopérative basée sur une rencontre fortuite, un local mis à la disposition du coopérateur par la famille, un apport financier pour 6 coopératives, une contribution aux démarches administratives sans compter le soutien moral,…
4. La famille toujours présente comme institution de base
C’est la cellule familiale, qui en assurant un toit et un couvert, accorde un sursis social aux jeunes. Ce dernier est en position d’attente de contribution, momentanée, faisant suite à l’investissement consenti tout au long de son éducation.
La forme coopérative initiée par les pouvoirs publics s’appuie sur la combinaison de deux modalités : une modalité relevant d’une forme économique de type moderne (le prêt bancaire) et une prenant plutôt en considération la réalité de rapport traditionnel, qu’est le rapport familial. Au départ, la recherche de l’autonomie individuelle se confond avec une recherche de revenus. Lorsque ce dernier est réalisé c’est à ce moment-là que les négociations, ayant pour enjeu la place accordée aux jeunes dans cette famille, sont annonciatrices de changements qualificatifs. C’est pour cela que la maison individuelle n’est pas présentée comme une revendication première.
Si l’on considère que le processus individuel de socialisation ne se fait pas dans une situation de vide culturel, la mise en cause du paradigme socialisation-conditionnement insiste sur la mise en exergue de la responsabilité du jeune en tant qu’acteur. L’activité exercée sous la forme coopérative s’accompagne de signatures de contrats entre les représentants de l’Etat et les coopérateurs. Les noms de ces derniers étant engagés par la signature, les jeunes apparaissent responsabilisés comme partenaires majeurs et adultes. Cependant, 6 mois après le lancement de l’expérience, des difficultés insurmontables surgissent, liées essentiellement à l’absence de local entravant l’exécution du projet.
Cette situation, dans de nombreux cas de figure, a une double conséquence : celle du blocage et celle du détournement de matériel acquis, contribuant à la spéculation dans une économie de pénurie. Pour avoir un local susceptible de constituer la base d’appui logistique de projet de coopérative, il fallait soit en avoir un et c’est généralement les parents qui en sont les propriétaires, soit le louer et cela est d’une extrême difficulté dûe non seulement à la réticence des propriétaires mais également à des loyers exorbitants exigés.
L’établissement d’un nouveau dispositif règlementaire et juridique des protections des droits du propriétaire qui loue va entraîner des changements notables. Imposer le local comme condition d’agrément du projet de coopérative dénote de plus de réalisme du côté des pouvoirs publics, en permettant un ancrage de ces coopératives dans le tissu familial. Cette nouvelle condition va opérer une sélection objective parmi les bénéficiaires d’agrément de prêts bancaires. Elle accorde la primauté à ceux dont les familles possèdent un local. Cela n’est pas sans rapport avec le développement anarchique d’ouvertures de garages-locaux dans les nouvelles cités, dans les banlieues périphériques. Le foisonnement de ces garages utilisés comme support logistique dans le montage d’activités coïncide avec une offre étatique. L’Etat à nouveau s’appuie sur la famille ; ce qui apparaît comme un rappel à l’ordre de tous ceux qui avaient velléité d’autonomisation.
En fait, le mode de gestion de la rente pétrolière, relevant de la responsabilité de l’Etat a amené à gérer la société selon au moins deux logiques différenciées : celle du développement économique instituant l’individu comme sujet économique producteur et celle de la sphère sociale maintenant ce sujet dans sa famille, grâce à l’occultation pratique d’une stratégie de construction de logement individuel. Loin d’être une fatalité, ce mode de gestion relève d’un choix volontariste non clairement explicité. Ce type de situation ne peut amener qu’au blocage de l’émergence du sujet économique en tant que citoyen à part entière. Ainsi si tous les coopérateurs que nous avons interviewés vivent chez leurs parents, la question est de savoir où se joue donc la part d’autonomie, de jeux d’action des jeunes ?
Est-ce dans le fait de ne pas chercher systématiquement l’aval de la famille[25], dans la mesure où le projet de coopérative « renvoie » le jeune dans sa famille qu’il fuyait dans certains cas, arborant même la menace de « el hadda ». Ou est-ce dans le fait de vivre autrement les contraintes ? Ces dernières deviennent des points d’appui pour tracer même en pointillé un projet personnel, à partir d’une entité qu’est la coopérative reposant sur des éléments concrets, le local, de la disponibilité financière, du matériel acquis, ou d’un début de revenu. Les contraintes sont certes encore présentes mais ne sont plus vécues passivement. La distanciation avec ces contraintes, si elle se dessine, s’opère avec acceptation car le jeune est plus rassuré,
Coopératives en fonctionnement ou détournées et trabendo sont parmi les voies empruntées dans leurs luttes pour l’intégration sociales [26].
Les hittistes: d’une figure symbolique à une réalité en mouvement
Que dire alors de la situation de cette figure sociale, par définition jeune et précaire, qu'est le « hittiste » ? Le jeune « hittiste » (de «hit », mur) apparaît en position figée (« soutenant les murs»), ou d'attente, et appartenant à une catégorie inactive, dépourvue de toute initiative, rejetée par les deux espaces traditionnellement valorisés que sont 1'Ecole et le Monde du Travail.
Cette image est même accentuée et théorisée par un leader politique candidat aux élections présidentielles de novembre 1995. Noureddine Boukrouh, alors président du Parti du Renouveau Algérien (P.R.A.), produit une page digne de figurer dans une certaine anthologie. Le hittiste représente, à ses yeux, «l'image vivante de l'être abandonné à son sort, non rattaché à un ensemble, non concerné et non impliqué par ce qui se passe autour de lui». C'est «l'être exclu dont on a lié les mains et les idées et qui est convaincu que tout lui est irrémédiablement fermé». C'est finalement «la vacance totale de l'âme»[27]. La stigmatisation de cette figure n'est nullement l'apanage du politique puisque des analystes en donnent, parfois, une esquisse, par ricochet, en quelque sorte. Lahouari Addi oppose cette figure à l'orientaliste « le plus érudit », dit-il, qui ne comprendrait rien à la popularité de l'islam politique en Algérie « s'il ne se rend pas sur le terrain pour apprécier les aspirations des hittistes (jeunes chômeurs), groupes de choc du FIS[28]». Omar Carlier parle, lui aussi, de ceux, parmi les jeunes, qui « tiennent les murs » et en fait ce portrait : « On désigne par-là ceux des adolescents oisifs et désargentés qui, adossés ou non aux murs (hit en arabe dialectal), trompent le temps dans la rue à parler sport et raï en regardant le passant, à plaisanter les lycéennes aux heures d'école et, quand ils sont au centre-ville, à brocarder celle qu'à Alger on appelle la tchi tchi, cette jeune fille des beaux quartiers qui éveille leur désir et avive leur amertume[29] ». Le jeune est ainsi stigmatisé[30] et étiqueté non comme jeune chômeur mais comme hittiste et lui-même finit par renvoyer, par dérision et comme un défi, une telle image...
La « figure » sociale du hittiste
Notre préoccupation est de voir, cette fois-ci, ce qu'une catégorie est et fait quand elle a l'air de ne rien faire. L’approche proposée veut rompre, avec le fixisme qui caractérise différentes suggestions faites, ici et là, à propos de cette figure sociale qu’est le hittiste.
A partir de l'enquête, nous avons essayé de dégager quelques indications provisoires à partir d'une trentaine d'entretiens avec des jeunes qui se disent eux-mêmes hittistes mais qui, en outre, se trouvent à la fois dans une situation de rupture par rapport à l'Ecole et n'exercent aucune activité permanente et stable. Parmi les axes abordés au cours de ces entretiens, nous avons noté : l’identification, le cursus scolaire et de formation, les activités « professionnelles », le rapport à la famille, la vie quotidienne et le rapport au temps, « al-hadda » et les projets. Le profil du jeune hittiste qui se dégage, pour le moment, est bien celui d'une jeune personne, de sexe masculin, célibataire se présentant comme étant en situation d'attente par rapport à un emploi stable mais qui exerce parfois certaines « activités » qu'il refuse de considérer et de qualifier comme étant du « travail ».
L'enquête sur le terrain auprès de ces jeunes hittistes montre effectivement la rupture dans le cursus scolaire (abandon ou exclusion de l'Ecole) et la difficulté d'accès à une formation ou à un emploi permanent et stable. On sait qu'au plan national, près de 500 000 enfants sont rejetés annuellement par le système éducatif alors que la formation n'en accueille que 220 000. L'image qui semble se construire, au cours de cette enquête, est celle d'un jeune non satisfait de sa situation mais n’acceptant pas d'exercer n'importe quelle activité professionnelle, particulièrement lorsqu'il est d'un niveau scolaire secondaire ou supérieur. Il a tendance à se rendre utile à son entourage, à « s'occuper » même. Bien que « soutenant les murs », le jeune hittiste n'est, pour ainsi dire, pas toujours mis au pied du mur : il a encore une certaine marge de choix. On sait que les acteurs sociaux, dans la situation la plus extrême, ne sont jamais totalement écrasés mais en tire-t-on toujours toutes les implications ? Son monde semble se présenter comme dominé par l'idée de chance (az-z'har, al-hadh), qui est rarement du bon côté. La chanson raï ne dit-elle pas :
« Ou la z’har la mimoune ou yan ‘âl bou z’har / Ni chance ni bonheur, alors que la chance soit maudite [31] » (Chaba Fadéla et Cheb Sahraoui, « N’sel fyk »).
Aussi « La z’har la mimoun yenaâl bou zine / / Ni chance ni bonheur, maudite soit la beauté » (Khaled, « Didi »).
Un monde où tout, ou presque tout, peut arriver y compris une opportunité exceptionnelle, une occasion de promotion, etc., et ce, d'autant plus que prévaut la règle des « connaissances », des « ktâf / piston »...
Il est difficile, dans une telle situation, d'imaginer que s'élaborent des projets à court terme. Et ce jeune qui se sent « lésé » par la société, dans ses droits, au travail en premier lieu, est plus ou moins bien intégré dans son milieu, familial en particulier. Ses parents auraient préféré le voir en formation ou exerçant une quelconque activité, le mettant à l'abri de la « rue » (zenqa) mais ils se contentent de l'avoir près d'eux, c'est-à-dire « à l'œil », loin des risques du moment. Il bénéficie, en outre, de leur soutien, y compris financier. Sa mère est l'être qui lui est le plus proche. Des conflits peuvent parfois naître - avec les parents, le père en premier lieu, mais surtout avec le frère aîné - mais n'entraînent qu'exceptionnellement des départs. Avec une telle attitude compréhensive de la part des siens, le jeune vit sa situation de façon moins dramatique. Ces éléments descriptifs ne sauraient passer sous silence la profonde crise de la famille et la remise en cause du rôle du père ; phénomènes sur lesquels Omar Lardjane[32] a mis l'accent, à juste titre, dans un texte paru récemment. A l’exception de rares cas de positions fortement crispées, la position du père se présente plutôt comme conciliatrice, voire volontairement effacée. Mais pour le jeune, il n'est pas toujours facile d'être le fils de son père [33].
Nous comprenons que le projet matrimonial, dans la situation qui est celle du jeune hittiste, est loin d'apparaître comme étant à la portée de la main. Plus globalement, si le jeune hittiste donne bien l'image d'un certain vécu de marginalité, voire d'exclusion, il n'en demeure pas moins que nous sommes en présence d'une forte demande d'intégration. Et cette demande est d'autant plus forte que la situation vécue apparaît, pour reprendre une expression de J. Berque, comme celle d'un « vaincu existentiel »[34], victime d'un regard, en l'occurrence un regard stigmatiseur... Et l'on connaît toute l'importance sociale du regard : « Le regard, en effet, signale la configuration sociale qui se forme ou se défait, les mouvements qui la parcourent, l'impression qu'en reçoivent les individus et les groupes : car chacun lit dans les yeux de l'autre ce qu'il est pour l'autre, et de cela se fait leur destin commun [35] ».
J. Berque avance cela après avoir pris le soin de noter : « Il y a pis que l'injure du regard. C'est son absence, ou sa falsification [36] ». Ceci est d'autant plus important que l'individu, pour réaliser sa propre image, comme dit E. Goffman, doit s'appuyer sur les autres[37]. C’est à lui de détourner leur attention s'il veut acquérir cette apparence normale nécessaire pour éviter ou surmonter la déconsidération et l'identité discréditée. « Ne demande-t-on pas, d'ailleurs, au jeune - mais aussi à tout être susceptible d'étiquetage - de « se protéger la tête (du regard) darag rassak (min al âïne) »? Concluant son enquête sur les jeunes au Maroc, M. Bennani-Chraïbi écrit : « L'heure n'est pas à la rupture mais à l'arrangement. Le malaise n'en est pas moins présent. Le changement est vécu dans l'insécurité. L'affirmation individuelle s'accompagne de l'inquiétude face à la « déstructuration » des liens sociaux ; d'où le rêve de voir l'individu devenir citoyen, c'est-à-dire réconcilié avec le groupe. La négociation, le balancement entre l'idéal et la praxis s'observent même lorsque cet individu cherche à s'intégrer dans la société [38]». L'auteur parle, à juste titre, de « bricolage » et d'« arrangement ». Nous aurons tendance, quant à nous, à parler d' « ambiguïté » et à en suggérer une sorte d'éloge au sens paradoxal du terme.
Le hittiste peut toujours apparaître comme ayant un rapport existentiel au temps. L'on peut toujours voir en lui un être cherchant continuellement à «tuer» le temps... Il se présente lui-même, dans certaines situations, comme quelqu'un que le temps consume. Pourtant, à une question sur les activités culturelles et sportives pratiquées, il se trouve, parmi les hittistes, des jeunes qui déclarent ne s'adonner à aucune de ces activités justement - et paradoxalement - faute de temps... Car le temps peut être consommé dans la recherche d'un travail, dans la course derrière un gagne-pain (« jary wara aI-khoubza »). Mais la plupart des hittistes s'adonnent régulièrement et activement à des activités sportives, en premier lieu le football, et participent à des tournois inter-quartiers ou les suivent comme supporters de l'équipe de leur houma.
- « Le sport (le handball) coule dans mon sang / I tajryly fi damm » (Amar, 22 ans, 3e Année Secondaire en 1991-1992). « Le football c'est la vie / Hya al-'omr» (Bouziane, 26 ans, dernière année scolaire 6e Année Fondamentale).
Le plus fort penchant demeure celui dirigé vers les activités assimilées à la rajla / virilité. La boxe est valorisée mais la pratique de la musculation et des arts martiaux l'emporte. L'attrait des salles de musculation (salât lahdid), pour les jeunes, est un des phénomènes des plus frappants ces dernières années ; ce qui explique leur multiplication dans tous les quartiers - et leur rentabilité. Il serait intéressant d'accorder toute leur importance à ce type de lieu de socialisation que représentent, pour les jeunes, ces salles.
On a vu dans le rai principalement « une musique de la transgression des interdits, de l'amour charnel, de l'individu et des plaisirs »[39]. Nous voudrions suggérer un angle d'approche lié à notre thème. Le hittiste écoute différents genres de musique - dont la chanson moyenne-orientale mais vibre avec le rai (yalga rouhou)... L'osmose est totale et s'opère par l'être tout entier. Il s'agit bel et bien d'une plongée semblable à celle opérée dans le regard de la bien-aimée (« Tes yeux sont comme les miens, et ils sont beaux »). Bouziane Daoudi et Hadj Miliani indiquent, en conclusion à leur ouvrage L'aventure du rai que : « Le rai est moins l'expression, mutatis mutandis, d'une culture urbaine consommée, que celle d'un état transitoire où les individus se trouvent précisément au carrefour de modes de comportement et de vécus sociaux à la frontière de la cité et de la campagne, de l'individualité et du communautaire[40] ». La remarque est juste mais nous aurons tendance à considérer que le hittiste retrouve dans le rai cette possibilité non seulement d'être au carrefour de ces différentes sphères mais aussi - et, peut-être, surtout - de se mouvoir par rapport à différents seuils et diverses limites de la réalité sociale vécue.
L'on peut mettre l'accent sur une certaine forme d'émergence de l'individu et ne voir que ruptures et transgressions mais la réalité est plus complexe et plus contradictoire. Ces phénomènes se conjuguent à un enracinement réel et un sentiment de continuité, par rapport à un patrimoine populaire (poésie et musique). Le sentiment plus ou moins actif de soi-même ne détache pas l'individu totalement du groupe mais tend, avec le raï, à le plonger dans différents niveaux de la sociabilité. D'où l'importance accordée par le jeune hittiste aux différentes fêtes, occasions de regroupement, etc. Il est toujours dans l'attente d'une invitation ou d'une cérémonie à organiser. Le sentiment d'exclusion est amèrement ressenti lorsqu'il n'est pas fait appel à lui, dans pareilles occasions, pour apporter sa contribution.
Comme le rai à ses débuts - c'est-à-dire, durant de nombreuses années, le hittiste vit sa situation comme une sorte de traversée du désert. La réussite, pour lui, implique dépassement des obstacles et rejet des séparations et du cloisonnement de tout ordre. L'imaginaire brise l'enfermement et le rai ne fait pas seulement de la femme un thème central mais la propulse au premier plan comme cheikha (Rimitti, Djénia, etc.) ou chabba (Fadéla, Zahouania, etc.). Le couple dans la vie devient duo dans la chanson (Chabba Fadéla et Cheb Sahraoui) et le duo est fréquent : Hamid et Zahouania, Hasni et Zahouania, Djénia et Abdelhak, etc. Et face aux puristes de la langue et aux entrepreneurs de la Morale et de la Norme, l'on n'hésite pas à se mouvoir au-delà des barrières linguistiques - comme le fait, par exemple, le regretté Cheb Hasni dans « Tâl ghiâbak ya gh'zâly ».
Les enjeux de la hadda sont ceux liés à la place du jeune au sein de son milieu - familial en premier lieu : « Dans les représentations des jeunes, la hadda permettrait paradoxalement, une fois l'exploration d'un autre espace faite et une certaine accumulation réalisée, un repositionnement social dans le milieu et la société d'origine. La hadda (le partir) exprime une situation d'impasse ou de blocage dont les jeunes se sentent les premières victimes dans leur quête relative au travail, au mariage et au logement en particulier». Le thème de la hadda renouvelle radicalement, à notre sens, la vision de l'aspiration à l'émigration. Il ne recouvre plus totalement les notions de hydre et de ghorba. L'expression de l'aspiration à la hadda constitue, d'abord, une tension par rapport au milieu du hittiste - ce qui confirme, dans de nombreuses situations, la volonté de renégociation du statut du jeune. Mais, comme dit la chanson, « El harba Quine, Fuir, mais OÙ ? », jamais les distances n'ont été si rapprochées (durée des vols aériens ou autres et accès aux « paraboles ») au moment même où les obstacles aux déplacements se sont multipliés[41] Il s'agit alors, ici aussi, de vaincre les obstacles et de ruser, y compris dans l'imaginaire, avec les seuils et les limites.
En nous intéressant plus particulièrement à la situation des femmes en situation de chômage, à partir de l'interview de deux jeunes femmes en chômage, 15 jeunes femmes en formation, 4 jeunes femmes en travail temporaire, nous avons tenté de restituer les cadres de référence relatifs à leur vécu et représentation du travail.
Les chômeuses
Le cas de Mme Z. Femme mariée : Chez les chômeuses les rapports au travail sont généralement déterminés par leur situation matrimoniale. La femme mariée, bien qu'elle se présente comme chômeuse, précise qu'elle souhaite travailler chez elle ou tout au moins dans un lieu où il n'y a que des femmes... et la profession idéale citée comme exemple est bien celle d'enseignante. Mais Mme Z., d'Oran 26 ans, mariée à un vendeur ambulant d'eau de javel, habitant chez sa mère femme de ménage, et dont le frère aîné est marié et se présente comme « trabendiste », déclare chercher du travail depuis 6 ans et « malheureusement quand j'ai reçu la première convocation après 5 ans d'attente, j'étais déjà mariée... et le mari ne veut pas que je travaille, il est contre le travail de la femme à l'extérieur ». C'est parce qu'elle a investi dans la formation et obtenu un diplôme d’informatique au bout de deux ans, dans une école où d'autres jeunes filles choisissaient la couture ou la broderie, qu'elle précise « Mais si j'avais à choisir, je travaillerais... Je travaillerais dans l'informatique puisque j'ai suivi une formation. C'est mon métier...». A son chômage, elle a tenté de mettre fin par l'envoi des demandes de travail tous azimuts et s'est même inscrite à 1'O.N.A.M.O.[42]. Enceinte de plusieurs mois et vivant dans des conditions très éprouvantes (logement dans un immeuble qui menace ruine), Mme Z. pense qu'il n'y a pas de solution « sinon la seule solution c'est qu'il me laisse travailler ». Chez cette jeune femme, la réalisation du projet matrimonial ne peut être une fin en soi et le mariage ne peut remplacer le travail. Sa conception du travail se structure autour de la réalisation de soi et est en relation directe avec son âge : « Moi je dirai que j'aurais fait quelque chose dans ma vie, je n'aurais pas fait que me marier et faire des gosses. Par exemple former des jeunes... alors que la retraite ça ne me dit rien » (en réponse à la mère : « Le mari ne te donne pas la retraite alors que le travail te la garantit »).
Ayant rompu sa scolarité en 1986, se retrouvant en 1990 avec son diplôme en informatique, ne sachant que faire avec, elle a rejoint la vie active par la porte du chômage ; elle y restera près de trois ans. Sa première expérience dans le monde du travail rémunéré, elle la vit en tant que travailleuse à domicile donnant des cours de consolidation à un enfant du voisinage, en difficulté à l'école primaire. Cette première expérience a duré deux ans, mais dans le rappel de sa trajectoire sociale, Mme Z. ne la dégage pas comme une période de travail partiel ou de travail à domicile. Pour elle, comme pour la couturière d'Oran (Mme A.) ou les deux femmes d'Adrar (responsables de l'école de formation en couture) ou encore celles de Constantine, les couturières B. et F., elles ont toujours été en chômage, quand elles ne se présentent pas comme femmes au foyer pour les enquêteurs des statistiques officielles. Affichant un réalisme certain, Mme Z. tente de concilier entre la réalisation de ses propres aspirations à travers le travail et les attitudes de son époux : c'est le compromis. Attitude qui contraste totalement avec celle de la mère, qui se présente comme n'ayant plus rien à perdre : « Et je ne ferai pas attention aux dires des voisins, ceux ne sont pas eux qui me nourrissent ». Aussi, Mme Z. s’imagine-t-elle opératrice de saisie à domicile : « Si on me ramène un ordinateur ici chez moi, je peux travailler » ou encore diriger une petite garderie d'enfants « La garde des enfants ici chez moi oui ... Si c'est à domicile le mari accepte puisque tout ce qu'il veut c'est que je ne sorte pas ».
Cependant, face au futur, Mme Z. fait preuve d'une remarquable faiblesse imaginative, et ce, en dépit de son jeune âge (26 ans), de son statut matrimonial, de son diplôme en informatique et même de sa présence dans une ville comme Oran. Elle parvient difficilement à concevoir et proposer un ou deux créneaux d'activité dans lesquels elle pense pouvoir s'investir. Tout ceci semble devoir s'expliquer, pour une large part, par un état d'esprit de révolte contre tous les responsables et assimilés et un profond sentiment d'exclusion : « Le piston nous a bousillé dans ce pays... Pour l'emploi, les études, pour tout. Au fait, c'est le piston qui nous a bousillés... Dans ce pays, seul le pistonné vit... il mange bien, il boit bien, il loge bien, il a un bon poste de travail, il a tout..., même la démarche, il marche bien... Ouallah (Dieu m'est témoin). Celui qui n'a pas de "connaissances" vit sous terre. Le travail seul ou les capacités ou les compétences, tu as beau en afficher mais face à un fils de directeur ou de sous-directeur, ou de quelqu'un de riche..., parce qu'ils n'ont aucun intérêt avec toi "guellila" (personne socialement modeste), ils ont intérêt avec les autres ».
Le cas de Melle S. Célibataire : Chez les jeunes chômeuses célibataires, l'investissement dans la formation dans la perspective d'un emploi à l'extérieur du domicile, ressort comme pratique s'intégrant dans un plan de vie. Melle S. d'Oran, 21 ans, 4 fois candidate au bac et toujours sans succès, suit des cours à l'université de la formation continue (U.F.C.) et en parallèle des cours en informatique : «parce que l'informatique permet de trouver du travail, maintenant tout est informatisé». Issue des couches moyennes (père commerçant après avoir été directeur dans une entreprise publique et la mère informaticienne dans une administration), Melle S. conçoit le travail comme source de motivation et d'enrichissement intellectuel : « l'aspect financier dans la recherche du travail est présent mais il n'est pas le plus important. Ce que je recherche dans le travail c'est être motivée, être à jour..., être à jour sur tous les plans savoir parler... Chaque jour on apprend des choses. C'est pour cela que j'ai envie de travailler... Pour savoir ce que les gens pensent, être en contact avec les gens ». Selon elle, travail et liberté ne se dissocient pas, et même que les jeunes filles conçoivent leur liberté individuelle comme devant nécessairement passer par le travail. C'est peut- être ce qui fait que la logique du compromis ne lui est pas étrangère, et si elle se trouvait devant l'éventualité de devoir travailler à domicile, elle ne renoncerait pas : « d'accord mais faire sage-femme ou médecin mais pour faire la couture non ! ». En attendant que son rêve se réalise, celui d'être hôtesse de l'air, Melle S. n'hésite pas à recourir à la pratique des « demandes d'emploi » adressées en priorité à Air Algérie et à la douane.
A l'ambiguïté de la situation individuelle, Melle S. n'échappe pas non plus ; elle se demande si elle est étudiante ou en chômage. « Je n'arrive pas à me caser. Certains jours je me dis que je suis étudiante mais d'autres jours je me convaincs que je suis chômeuse et que je dois chercher un emploi ». Mais il lui arrive aussi, en des moments de fort désespoir et de grande lassitude, de ne conjuguer le futur qu'outre-mer : « Mon avenir ? Si j'arrive à partir je pars…, je quitte le pays si je n’arrive pas à trouver un emploi ou à étudier ». Les propositions de créneaux d'activité et surtout de micro-entreprises avancées par Melle S. sont conformes à son âge, son milieu social et bien sûr ses attentes du travail : prestations de services relatives aux anniversaires, mariages, circoncisions, et autres fêtes familiales plus ou moins traditionnelles, l'animation (disc-jockey), l'action de filmer une fête... Après avoir précisé « Je me sens capable de m'aventurer dans ces petits travaux », Melle S. se propose de prospecter parmi ses amies pour éventuellement lancer une micro-entreprise pilote.
Les travailleuses précaires
Saisissant l'opportunité offerte dans le cadre de l'emploi des jeunes, des femmes ont réussi depuis deux années (renouvellement de contrats tous les 6 mois) à travailler au sein du service d'action en milieu ouvert (S.A.E.M.O.)[43]. Trois jeunes filles et une femme divorcée vivant toutes à Oran ont accepté de répondre à nos interrogations. Agées entre 21 et 25 ans, célibataires, milieu social moyen, niveau terminal (échec au bac), les trois mènent des enquêtes sociales et font le suivi des jeunes délinquants. Travaillant quatre heures par jour pour 2 300 00 DA mensuelle, elles se sentent « chômeuses ». N'ayant pas de « métier précis » - base d'un vrai travail - la modestie de la « paye » versée épisodiquement et la signature aléatoire d'un contrat sont les raisons essentielles de ce vécu. « Depuis deux années on nous dît daoula (l'État) va arrêter, on est toujours dans le doute ». Mme. F., divorcée, milieu social pauvre, est femme de ménage. A l'âge de 7 ans, sa scolarité a été arrêtée suite au décès de son père. Mme F. avait travaillé durant 13 ans dans une usine privée de confection et a arrêté durant deux années, période où elle s'est mariée avec un docker. L'espérance de trouver dans le mariage la sécurité nécessaire (toit et nourriture) a été déçue et s'est soldée par un divorce.
Retournant chez ses parents, Mme F. a fait de nombreuses demandes d'emploi en tant que femme de ménage -auprès des administrations publiques - (l'une au sein de laquelle, Mme F. travaillait a compressé son personnel). Le conseil lui a même été donné « fahmi rohik », d'offrir des cadeaux pour être recrutée. Cela s'est fait sans résultat. L'exiguïté du logement et les problèmes accumulés avec les frères (5 sont en chômage, une sœur travaille en usine, l'autre à la maison) ne lui ont pas permis de rester travailler à domicile.
Si au départ, à l'emploi de jeunes, Mme F. avait honte de dire qu'elle était femme de ménage, elle l'assume aujourd'hui, arguant du fait qu'un analphabète ne peut faire autre chose. Cependant, même s'il lui est proposé une meilleure entrée financière, elle n'accepte pas de faire ce travail dans un domicile privé. Se situant dans le quartier, comme une fille de famille, Mme F. refuse de se sentir diminuée (ghidni Omri). De toute façon même ses parents refuseraient (bien que sa mère soit retraitée en tant que femme de ménage dans une école). Mme F. garde l'espoir d'être titularisée, après 2 années de contrat « emploi de jeunes », assurée d'avoir donné satisfaction dans le travail. Elle est également à la recherche d'un autre emploi à mi-temps pour compléter ses revenus. N'ayant aucune possibilité matérielle de s'autonomiser ; Mme F. manque totalement d'imagination et ne conçoit le travail que, comme poste à pourvoir dans une institution qu'elle soit publique ou privée.
Si, a priori le fait de s'accrocher à l'emploi de jeunes pour Mme F. semble compréhensible, au regard du revenu, l'expérience des trois jeunes filles permet de dégager d'autres réflexions. La nécessité économique n'étant pas présentée comme l'argument d'autorité pour le maintien de leurs activités dans le cadre de l'emploi des jeunes, c'est en fait le contenu de cette activité et la liberté qui s'en suit, qui est au centre de leurs adhésions. Débat, déplacement, questionnement, rencontre avec des familles, correspondent aux attentes de jeunes désireuses de mouvement et de nouveautés. Aller dans des quartiers chauds mener des enquêtes, donne un « sens à leur vie». « Nous nous sentons utiles à quelque chose ». La particularité du champ d'intervention (S.A.E.M.O.) de l'institution - les jeunes délinquants - pris en charge par des jeunes, a insufflé chez nos jeunes filles un plus grand désir de connaissance et d'espoir. L'avenir est perçu comme incertain tout autant que le mariage. Seul la « carrière » apparaît comme l'instrument le plus sur : « tu aurais quelque chose qui est à toi ».
En synthèse, nous avancerons que le rapport au travail au niveau des femmes interrogées dépend d'une combinaison de plusieurs facteurs : âge, statut matrimonial, milieu social. Globalement les jeunes célibataires et quel que soit le milieu social sont à la recherche d'un emploi hors domicile. La recherche de la liberté face aux contraintes familiales est au fondement de ce rapport. Les femmes plus mûres, mariées, veuves ou divorcées, cherchent à concilier travail et gestion du foyer. En fait c'est la tranche d'âge 18 à 28 ans qui se situerait plus en position d'attente d'emploi. La formation précède, accompagne ou suit une activité de travail. Que la formation relève d'une action privée ou publique les femmes contribuent financièrement à l'acquisition de nouveaux savoirs pratiques. Le rapport aux institutions représentant l'Etat, différent selon les expériences, allant d'une position de non attente (modérée cependant par des formations), à l'attente d'une prise en charge totale. La conscience forte de la crise économique s'est traduite concrètement chez nos enquêtées par la nécessité pour elles de créer leur propre travail, imposée par le besoin de revenus complémentaires en vue d'assurer leur avenir qui ne l'est plus par le mariage, devenu plus ou moins aléatoire.
Malgré des conditions de vie difficile, les femmes ne sont pas prêtes à faire « n'importe quoi » et la famille, bien qu'ébranlée, continue à jouer un rôle protecteur. La place centrale occupée dans la famille par la femme redonne tout son sens aux liens à établir entre travail et tâches au foyer. Cette présence de la famille ne se justifie que grâce à la négociation permanente. Les femmes font toujours avec (suivre le conseil du père, de la mère), tentent de convaincre et n'affrontent jamais directement les oppositions. Quand bien même les femmes ont les mêmes possibilités théoriques d'accès à l'emploi que les hommes, dans la réalité elles ne s'y engagent que très peu. L'interprétation correcte de ces faits serait tronquée sans le recours à l'histoire et à l'enquête socio-anthropologique. Ces derniers permettent de dégager des perspectives d'action possible et réaliste remettant en cause le discours des pouvoirs publics dominés par une vision linéaire et un type de rationalité.
Le développement massif de la scolarisation et, notamment celui des filles, n'a pas eu les effets attendus quant à l'employabilité des femmes à l'extérieur du domicile. C'est que la société avec ses femmes[44] partage la vision relative au travail des femmes à l'extérieur laquelle assigne au statut d'épouse et de mère la place centrale dans le projet de vie. L'étude a mis en exergue : la forme dominante de l'activité économique des femmes qu’est le travail à domicile. Celui-ci permet à la femme d'organiser son temps en fonction des tâches domestiques, d'occupation (les enfants et activités). La gestion souple du temps social dont elles disposent, la flexibilité des horaires de travail, permettent de compenser en partie l'investissement opéré aux trois plans cités. L'allégement des conditions de prise en charge des tâches domestiques et maternelles devient de plus en plus nécessaire. Seule, une réelle prise de conscience et l'engagement des décideurs dans la création d'activité de soutien aux femmes, pourront permettre d'assurer les conditions de réussite à l'emploi des femmes et développer des espaces ou les femmes peuvent acquérir toute la visibilité: c'est ce qui constituera les travaux d'utilité publique.
Ces perspectives d'investigation se recoupent pour signifier le réalisme» des femmes : « s'intégrer dans la vie active sans pour autant défier » frontalement la société et, tout compte fait, en y gagnant relativement plus (horaires de travail souples, faire ce qu'on aime, revenus non négligeables, vivre dans la micro-paix sociale au sein de la famille...). Ce « réalisme » revêt tout son sens dans la société algérienne (toutes les sociétés maghrébines ?) qui ne semble pas encore avoir pleinement intégré le travail de la femme comme vecteur de changement social mais seulement comme source de revenus d'appoint. D'un autre côté, le dynamisme insoupçonné des femmes activant dans l'informel et leurs aspirations profondes à faire valoir de façon patiente et ingénue les contours d'un nouveau statut social en repoussant les limites que leur impose la société, incitent à mener cette approche en termes de compromis Femmes/Société. Ce réalisme et ce compromis se justifient amplement par l'absence des mesures d'accompagnement sur le plan social et culturel qui auraient encouragé et consolidé l'avancée des femmes algériennes dans le monde du travail réglementé (insuffisance des crèches, absence d'organismes de services ménagers, faiblesses des industries alimentaires...).
De même qu'agir sur les images de femmes au travers des médias, du contenu des manuels scolaires peut rendre possible un processus d'identification des jeunes filles, à partir du noyau de l'activité et non seulement sur le rôle traditionnel de mère et d'épouse. Le concours de la force de l'image et de la communication doit viser la valorisation du travail des femmes à l'extérieur et le dynamisme de celles qui travaillent à domicile. L'encouragement des pouvoirs publics à développer les activités des femmes pourra se traduire concrètement par une meilleure protection sociale.
Conclusion
Nos deux projets de recherche sur la jeunesse en situation différenciée nous ont permis de constater que la conscience forte de la crise économique s'est traduite concrètement chez nos enquêtés par l’idée de créer leur propre travail, imposée par la nécessité de revenus complémentaires en vue d'assurer leur avenir, qui ne l'est plus pour les filles par le mariage, devenu plus ou moins aléatoire. Malgré des conditions de vie difficile, les hommes et les femmes ne sont pas prêts à faire « n'importe quoi ». La place centrale que ces dernières occupent dans la famille redonne tout son sens aux liens à établir entre travail et tâches au foyer. Cette présence de la famille ne se justifie que grâce à la négociation permanente. Les femmes font toujours avec (suivre le conseil du père, de la mère), tentent de convaincre et n'affrontent jamais directement les oppositions.
L’expérience de la mise en coopération qui répondait pour les pouvoirs publics à l’objectif d’être une opportunité d’« insertion », s’est traduite en réalité pour les jeunes comme opportunité de « mobilité », ou d’amélioration d’un statut préétabli. En interprétant, ce « détournement » comme un échec par rapport aux objectifs affichés, les pouvoirs publics ont décidé de mettre fin à ce dispositif, faisant partie intégrante du plan emploi jeunes. L’action publique en faveur de l’emploi et de la lutte contre le chômage, géré après le programme d’ajustement structurel de 1994 par l’Agence de développement social pour « atténuer ses effets » avec le Filet social et l’Emplois saisonniers d’intérêt local (Esil), va mettre en place une série d’autres dispositifs en catégorisant les populations de chômeurs selon les critères d’âge, de niveau de formation, et de zone de résidence [45]. L’orientation vers le soutien à la création d’entreprise avec l’A.N.S.E.J., l’A.N.G.E.M. la C.NA.C., et l’A.N.D.I. encourage l’auto-emploi.
En 2007[46], le rapport portant ébauche d’une politique nationale de la jeunesse et des sports, partant du constat de la place majoritaire occupée par les jeunes dans la société, note que « les dispositifs et programmes mis en œuvre restent inefficaces parce que conçus de façon catégorielle et sans cohérence par rapport aux politiques globales ». Qualifiée de jeunesse en crise, le rapport comptabilise le nombre d’actions, de dispositifs de programmes et de structures en direction de la jeunesse, jugé importantes mais cependant insuffisantes. Pour preuve, sur 1 538 textes promulgués depuis l’indépendance au profit de la jeunesse, de la formation, de l’éducation et de l’enseignement supérieur, 108 soit 7,02% concernent le département de la jeunesse. Un consensus intersectoriel identifié au nombre de 15, sur les objectifs stratégiques, s’avère nécessaire. Sept directions identifiées pour des actions concertées, délimitent en fait les catégories cibles d’actions prioritaires : Jeunes insérés dans un système institutionnel, Jeunes non inséré dans un système institutionnel, Délinquants, Jeunes filles et enfance, Jeunes en temps libre « oisifs » Jeunes danger santé sida, Jeunes et mouvement associatif.
En dehors des six premières pages du rapport qui dénotent d’un appel à un changement de perspective sur les questions de la jeunesse, axant sur une approche qualitative, le reste du document reproduit la tradition de livrer une évaluation par des données chiffrées quantitatives. La question de la tranche d’âge adoptée est celle des 6-29 ans, au lieu d’aller vers les normes internationales : tranche d’âge des 15-25 ans, entraînant une confusion entre la catégorie jeunesse et enfance, une assimilation automatique entre la jeunesse et les sports, Le statut de jeune fille est assimilé au statut de l’enfance ; sous-entendant le statut de mineur des jeunes femmes et l’absence des résultats de l’enquête sur la jeunesse, menée en août 2007, citée dans le texte.
Les modes de socialisation, familiale, sociale et politique, participent au processus d’élaboration des identités collectives construites à partir de la fabrication d’un certain nombre de dispositions. Ces dispositions se révèlent à partir des attentes produites par les pratiques et les discours institutionnels « L’Etat/La Famille/L’Ecole ». Elles sont construites sur le socle de la dépendance et de la mise à l’écart de la décision, dont s’ensuit une prolongation de la jeunesse à travers les représentations et les pratiques sociales des adultes. L’entrée dans la vie adulte est chaotique, différée et différenciée. L’organisation sociale de la dépendance est souvent mise à mal car poussée par une demande de plus en plus importante et exigeante.
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Notes
[1] « ma kiyamniche » : il m’a manqué de considération.
[2] « hgarni » : il m’a lésé.
[3] , Boudon, B. (1983), Les jeunes, La Grande Encyclopédie, Paris, Librairie Larousse, t. XI, p. 679-1610.
[4] Galland, O. (1991), Sociologie de la jeunesse, L’entrée dans la vie, Paris, Armand Colin, Collection « U », Sociologie, p. 63.
[5] Partant du fait que les jeunes, en tant qu'acteurs sociaux, construisent, à travers leurs aspirations et actions (initiatives), leur passage à l'âge adulte, les premiers éléments de réflexion suggérés par les données recueillies lors de nos enquêtes sur les jeunes coopérateurs (Projet « Jeunes et Modes de socialisation ») nous ont amené à élargir notre intérêt par le questionnement d'autres catégories, notamment celles du hittiste.
[6] Motivations, démarches, atouts et handicaps, fonctionnement des circuits formels et informels d’information et de soutien, rôle, dans ce cadre, des structures dites « traditionnelles » telles que la famille et les structures d’émanation récente comme les associations, les étapes de la conception et de la réalisation de coopératives, le rapport aux autorités, aux structures de financement, au contrôle administratif, aux formes de travail d’une manière générale.
[7] C.N.E.S., Forum international sur l’emploi des jeunes, 11-13 mars 1996.
[8] Se rappeler les événements d’Octobre 1988 et leurs répercussions multiples.
[9] Idem. , C.N.E.S., données O.N.S..
[10] Ibidem.
[11] Contrat de pré-embauche, contrat formation insertion, emploi salarié d'initiation locale (1991), coopératives de jeunes, auto emploi…
[12] - ils manquent d'expérience (emploi temporaire),
- ils manquent de formation.
- ils manquent d'opportunité, d'insertion mais ont des idées ou des qualifications (création d'activités).
[13] Bilan de l’emploi, Ministère du Travail et de la Protection Sociale, Septembre 1995.
[14] Etude sur la Promotion de l’emploi féminin, Crasc, Juillet 1996.
[15] Rapport National à la Conférence Internationale sur la Population et le Développement, Le Caire, 5-13 septembre 1994.
[16] Revue El-Bahia, n° 10, Septembre 1993.
[17] Bilan de la Direction pour l’Insertion des Jeunes de la Wilaya d’Oran pour les années (1990-1993).
[18] Es-Sénia (wilaya d’Oran) grande agglomération urbaine du Nord.
[19] Mécheria (wilaya de Naâma) petite agglomération des Hauts-Plateaux.
[20] Le prêt accordé est fait sur la base d’un taux d’intérêt de 14 % en 1991 - 1992 et de 18% depuis 1993-1994. Il concerne les 70 % du montant total accordé pour le projet.
[21] Un coût global du projet ne dépassant pas 3.000 000 DA.
- Une part individuelle n’excédant pas 50 000 DA.
- Non financement de la construction du local par la banque mais possibilité d’aide à la rénovation pour 20 %.
- Prise en charge de 30 % du prêt bancaire par l’Etat (donc non remboursable par les coopérateurs).
- Compétence professionnelle exigée pour au moins un membre du projet.
- Exigence de dégagement du Service National mais dérogation possible pour le gérant du projet.
- Un âge compris entre 19 et moins de 37 ans (38 ans pour le président).
[22] 6 ont moins de 25 ans, 10 ont 25 à moins de 30 ans et 7 ont plus de 30 ans.
[23] Moyen : 9, secondaire : 8, primaire : 5, analphabète : 1.
[24] 13 coopérateurs ont accompli leur service national, un en fut dispensé, deux sursitaires et 2 dans une autre situation.
[25] Le jeune entame des actions, prend des initiatives sans en référer à ses parents.
[26] « Ensemble de schémas de conduite, de modèles de comportement fixés sous l’effet de la répétition d’actions individuelles, une mise en forme du comportement humain ». Lefort « Introduction à l’œuvre d’Abraham Kardiner ».
[27] L'homme politique donne cette image saisissante «Adossé au mur ou les bras croisés sur le bord du trottoir, il regarde passer les autres et avec eux son temps et sa vie. Né dans un univers où l'initiative personnelle n'existe pas, où tout doit venir « d'en haut », on n'a pas pensé à libérer les gens de l'ancienne relation ombilicale ; on a persisté au contraire à leur faire croire que la machine connaissait certes des ratés, mais qu'elle allait bientôt redémarrer. Si l'oisiveté est mère de tous les vices, le « hittisme » c'est un cran au-dessus. C'est la vacance totale de l'âme, la démobilisation génétique, le regard chargé de soupçons jeté sur les autres, leurs voitures rutilantes, leur flux, leurs habits... Un tel être est prêt à toutes les aventures car il croit sincèrement qu'on l'a privé de sa « part ». Il fulmine silencieusement contre l'Etat qui ne l'a pas employé et ne logera pas. Il ne vaque pas à quelque tâche d'utilité publique, il ne se prépare pas à revenir à la société, mais cherche plutôt le moyen de la quitter ou de se venger d'elle».
« La nouvelle Algérie - Programme officiel Déclaration au peuple algérien », El Moudjahid, 8-9 septembre 1995, p. 14.
[28] Addi, L. (1995), L'Algérie et la démocratie. Pouvoir et crise du politique dans l'Algérie contemporaine, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l'appui », p. 218.
[29] Carlier, O. (1995), Entre nation et jihad. Histoire sociale des radicalismes algériens, préf. de Jean Leca, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, p. 341-342.
[30] Sur la stigmatisation sociale, voir Becker, H.-S. (1985), Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance (1963), traduit de l'américain par J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie, préf. de J.M. Chapoulie, Paris, Editions A.-M. Métailié, coll. « Observations », p. 54-59 et 203.
[31] Traduction Bouziane Daoudi et Hadj Miliani.
[32] Lardjane, O. (1997), Identité collective et identité individuelle, in Collectif. Elites et questions identitaires , Alger, Casbah Editions, p. 13-23 (p. 19 sq. notamment).
[33] A propos de la fragilité du lien générationnel, Nabil Farés parle plutôt d'une « incapacité d'être le fils de son père ». (Esprit , n° 208, janvier 1995).
[34] Berque, J. (1979), Le Maghreb entre deux guerres, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Esprit », 3e édition, p. 380 (Ire édit. : 1962).
[35] Ibid. , p. 382.
[36] Ibidem .
[37] « L'individu doit s'appuyer sur les autres pour réaliser l'image de lui-même ». L. Goffman, cité par Bourdieu, P. (1984), Le sens pratique , Paris, Ed. de Minuit, p. 242 (Ire édition : l980).
[38] Bennani-Chrabi, M. Soumis et rebelles : les jeunes au Maroc, préf. de Rémy Leveau, Paris, CNRS Éditions, coll. « Méditerranée 1994 », p.283-284.
[39] Rarrbo, K. (1995), L'Algérie et sa jeunesse. Marginalisations sociales et désarroi culturel, Paris, l'Harmattan, coll. « Histoire et Perspectives Méditerranéennes », p. 230.
[40] Daoudi, B. et Miliani, H. (1996), L'aventure du rai. Musique et société, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Points virgule », p. 226.
[41] Fermeture de frontières, établissements de visas, cherté des billets de voyage, etc.
[42] O.N.A.M.O. : Office National de la Main d’œuvre.
[43] Service d’Action et d’Education en Milieu Ouvert, relevant du Ministère du Travail.
[44] Benghabrit-Remaoun, N. (1995), (dir.), Femmes et développement, Oran, Crasc.
[45] Safar-Zitoun, M. et Abbaci, N. (2009), « La protection sociale en Algérie, et ttraitement du chômage en Algérie », in l’Etat face aux débordements du social au Maghreb (dir.) de Catusse, M., Destremau, B., et Verdier, E, Aix-en-Provence/Paris, Iremam-Karthala..
[46] Synthèse des travaux menés au sein du Crasc sur la jeunesse.