Insaniyat N°65-66 | 2014 | Algérie 1962 | p. 71-92 | Texte intégral
A double-keyed lock. France and Algeria, to finish with the official histories Abstract: The writing Algerian colonization history is experiencing difficulties in France and in Algeria, though they are of different nature. In France, they fall within the obstinacy of colonial ideas; in Algeria, they fall under the simplistic representations that some official history tended after 1962 to be applied to the complexities of the period. Crossed views of historians from both countries are necessary for these different obstacles tend to develop mutually. The obstinacy of colonial representations from the French side often serves in Algeria as a denial and a justification to official history. And the obstinacy of official history from the Algerian side serves as a pretext in France for not questioning the former representations, while historical works in Algeria which provide evidence with greatest scientific accuracy crimes of French colonialism support historians within their tasks in France; unlike calls to lawsuits, instantly used by their rivals. Historians’ works from both countries support each other, a bit as if each held one of the two keys of a double lock which must be operated simultaneously. |
Gilles MANCERON: Historien de la colonisation, Paris.
L’histoire de la colonisation française en Algérie et celle de la construction d’une nation et d’un Etat dans la guerre d’indépendance algérienne posent des problèmes de nature différente dans chacun des deux pays que sont la France et l’Algérie (évidence triviale). En France, le problème essentiel est que les discours et les représentations, qui ont servi de base à la tutelle coloniale et de justification aux tentatives de la maintenir, ont tendance à persister. En Algérie se pose un problème différent : une histoire officielle a eu tendance depuis 1962 à appliquer des représentations simplistes ou incomplètes aux complexités de la période coloniale et de la guerre d’indépendance au cours de laquelle ont commencé à poindre nombre des problèmes qui affecteront ensuite le pays au lendemain de son indépendance.
Pour éclairer cette histoire, les regards croisés de ceux, quelle qu’en soit la nationalité, qui travaillent sur l’histoire de chacun de ces deux pays sont simultanément nécessaires. Car, qu’on le veuille ou non, la période de l’Algérie coloniale entre 1830 et 1962 appartient à l’histoire de la France comme à celle de l’Algérie. Par ailleurs, même s’ils sont de nature différente, les obstacles que rencontre d’un côté comme de l’autre une véritable écriture de l’histoire, ont tendance à se conforter réciproquement. En Algérie, la persistance des mythes et des représentations coloniales du côté français sert souvent de repoussoir et de justification à une histoire officielle qui schématise ou occulte des questions essentielles. En France, la persistance d’une histoire officielle du côté algérien sert trop souvent de prétexte pour ne pas remettre en cause les mythes et les représentations anciennes.
Ces deux mécanismes de blocage ont beau être différents, ils se confortent réciproquement. Et seuls des efforts simultanés pour les lever l’un et l’autre sont de nature à les neutraliser. C’est dire l’importance du croisement des travaux des spécialistes de l’histoire algérienne et des spécialistes de l’histoire contemporaine de la France [1] , et aussi le rôle indispensable de leurs rencontres ou de leurs publications conjointes [2] . Mais les historiens de chacun des deux pays ont pour tâche prioritaire de s’attaquer aux questions qui se posent à l’écriture de l’histoire dans leur propre pays. La meilleure contribution qu’ils peuvent apporter à l’enclenchement nécessaire d’une dynamique favorable aux progrès de la connaissance historique de part et d’autre est de s’en prendre aux blocages qui se manifestent dans leur société. A chacun de « balayer devant sa porte ». C’est la raison pour laquelle cet article laissera de côté les questions qui posent problème dans l’écriture de l’histoire en Algérie, que les historiens algériens sont les mieux placés pour décrire et analyser, pour se concentrer sur les blocages qui se manifestent en France dans le rapport de ce pays à son passé colonial.
La France et son passé colonial
Le passé colonial continue à travailler la société française en profondeur et c’est sur la colonisation et la guerre d’Algérie que se concentrent les oppositions. Même si c’est son histoire coloniale en général qui est pour la société française un sujet d’affrontements, qu’il s’agisse de la première phase de celle-ci, celle de l’Ancien régime marquée, au XVIIe et XVIIIe siècle, par la traite négrière, l’esclavage et l’économie de plantations dans les « îles à sucre », ou qu’il s’agisse de la seconde, commencée en 1830 par la prise d’Alger mais qui a engendré un empire s’étendant aux cinq continents, dont la fin a coïncidé pour l’essentiel avec l’indépendance algérienne. L’Algérie, en quelque sorte, incarne et emblématise ce passé, car sa conquête et son administration ont été au centre de l’histoire coloniale française. C’est le seul territoire où s’est développée une importante colonisation de peuplement européenne, de près d’un million de personnes en 1962. Et sa proximité d’avec la Métropole, la violence de la conquête et de la guerre d’indépendance, le fait que de nombreux Français depuis près de deux siècles y ont séjourné ou combattu, sont autant de raisons qui expliquent qu’elle occupe une place particulière dans la mémoire coloniale de la France.
Par ailleurs, la particularité de l’histoire coloniale française est de s’être développée depuis le milieu du XIXe siècle dans un univers de référence marqué majoritairement par l’idéologie républicaine. Durant la IIe République, en 1848, et surtout lors des débuts de la III e République, dans les années 1880, le projet colonial a recueilli l’appui de la plupart des républicains, et ce sont des institutions républicaines qui, sous les IIIe, IVe et au début de la Ve République l’ont, malgré de rares oppositions ou velléités réformatrices, couvert de leur autorité. L’idée coloniale s’est incrustée au sein même du discours républicain et, davantage que dans d’autres empires coloniaux, on a assisté à la production d’un discours politique et idéologique de justification (légitimation) faisant référence aux droits de l’Homme et aux valeurs de la République. C’est donc cette phase de la colonisation, celle du XIXe siècle, (comme celle du XXe siècle) qui est à l’origine de l’essentiel des malaises et des blocages de la mémoire française en ce domaine.
La mémoire du passé colonial en France reste largement tributaire des mythes qui circulaient du temps des colonies, du fait du silence gêné sur ce sujet des institutions du pays qui ont, certes, depuis l’époque des indépendances, cessé de diffuser massivement comme autrefois le discours de justification de la colonisation, mais qui ne l’ont pas démenti non plus. Dans ces conditions, le discours d’antan sur « l’œuvre civilisatrice » s’est trouvé comme en suspens. Mais ce discours, qui a été le seul discours cohérent jamais tenu sur ce sujet par les institutions françaises, n’a jamais été déconstruit ni remplacé, il est donc resté intact et a même été porté de manière récurrente ces dernières décennies par différents représentants des grands partis politiques. D’autant que les principales forces politiques de la société française, notamment la Section Ffrançaise de l'Internationale O ouvrière (SFIO) et une grande partie de la droite, ont été impliquées dans la politique menée lors de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Et que les forces politiques minoritaires situées à l’extrême droite qui sont directement et explicitement dépositaires de cette idéologie coloniale ancienne ont continué à s’en faire ouvertement les porte-parole, des forces qui, depuis le milieu des années 1980, ont repris de la vigueur, comme en témoigne l’augmentation sensible de leur assise électorale.
En France, du lobby colonial au lobby postcolonial
Dans ces conditions, au lobby colonial d’avant 1962 a succédé ce qu’on pourrait appeler un lobby postcolonial, qui, désormais, faute de défendre un projet colonial, défend un passé et une idéologie, une vision des races et du monde qui a des conséquences graves sur le présent de la société française. Et, de même que tout au long de la colonisation, le lobby colonial a réussi presque toujours à exercer son leadership sur la politique coloniale de la France, le lobby postcolonial a eu tendance depuis à exercer, jusqu’à aujourd’hui, le même leadership sur les décisions politiques des gouvernants.
En effet, avant les indépendances, les groupes d’intérêt qui militaient en faveur de la politique coloniale et étaient directement concernés par sa mise en œuvre, ont presque toujours réussi à exercer un leadership politique auprès des principales forces politiques françaises. En dehors des deux moments d’exception qu’ont constitué sous la Première République, de 1793 à 1797, la Convention et le début du Directoire, et au commencement de la Ve République la politique du général de Gaulle de 1959 à 1962, ce « parti colonial [3] » a, durant tout le temps de la colonisation française, su imposer ses volontés aux forces politiques françaises. Leur leadership a réussi, sauf en de très rares moments d’exception, à inspirer les positions des gouvernements en ce domaine et à faire obstacle aux décisions qu’il n’approuvait pas, ces groupes d’intérêt sont le plus souvent parvenus à faire endosser leurs volontés par les institutions de la Métropole, y compris quand celles-ci étaient républicaines [4] .
La première exception, pendant la Révolution, a eu lieu quand le pouvoir républicain a pris conscience, selon les mots de Condorcet, que les négociants des colonies avaient « l’art de masquer sans cesse [leurs] intérêts particuliers sous le beau nom de bien public et des intérêts de l’État » [5] . En février 1794, il n’a plus laissé les représentants des colons de Saint-Domingue, la future Haïti, faire obstacle à l’abolition de l’esclavage. Pendant une brève période, sous la Convention et lors de l’adoption de la constitution du Directoire, la République a cessé de reprendre à son compte les revendications des colons et a appliqué sur tous les territoires placés sous sa juridiction ses principes en matière de droits de l’Homme et d’égalité.
Mais la IIe République, en 1848, a cédé aux revendications des colons européens d’Algérie en proclamant cette colonie territoire français sous forme de départements très spéciaux puisqu’ils étaient régis par des lois particulières. Et, sous le Second Empire, c’est paradoxalement les émigrés européens d’Algérie, majoritairement de sensibilité républicaine, qui sont parvenus à faire obstacle à toutes les velléités du pouvoir impérial de freiner la spoliation des terres indigènes et d’accorder quelques droits politiques aux Algériens autochtones vivant dans les villes. Ils ont combattu cette politique en l’accusant de vouloir faire de l’Algérie un « royaume arabe » et obligé successivement deux sous-gouverneurs à rembarquer sous leurs huées [6] . Ils ont ensuite largement profité du rétablissement de la République en inspirant l’ensemble des lois et règlements qui ont constitué le « code de l’indigénat ». Tout au long de la IIIe puis la IVe République, les représentants des Européens d’Algérie ont continué à faire obstacle à toutes les tentatives de réformes visant à accorder quelques droits politiques à des catégories, même réduites, de la population autochtone. C’est le même processus de refus de décisions venant de la Métropole qui s’est manifesté lors de la « journée des tomates » du 6 février 1956 à Alger, quand le président du conseil Guy Mollet a renoncé à nommer le ministre résident qu’il avait choisi, le général Catroux, dont les forces qui prévalaient dans la communauté pied-noir d’Algérie ne voulaient pas. Ou encore, lors du 13 mai 1958, quand la population européenne a refusé, avec l’appui de l’armée, l’autorité de la IVe République à laquelle ils reprochaient essentiellement d’envisager de rechercher la négociation avec le FLN.
Le second moment d’exception est intervenu, sous la Ve République, à partir de la fin de septembre 1959, quand le général de Gaulle a défini une politique algérienne qui ne résultait ni des volontés de la majorité de la population européenne d’Algérie ni de celles de l’armée. A ce moment, la Métropole, pour la première fois de son histoire coloniale depuis la première République, a imposé sa volonté politique au parti colonial. Le général de Gaulle a fait échouer avec fermeté ses tentatives de révolte, lors de la « semaine des barricades » de janvier 1960, lors du putsch des généraux d’avril 1961, puis en combattant l’OAS. Mais, aussitôt après son départ du pouvoir, en 1969, le tropisme du primat sur la politique française du lobby colonial, transformé dès lors en un lobby post-colonial, a vite retrouvé sa place.
Le chercheur Yann Scioldo-Zürcher a bien montré, à partir de l’étude des courriers envoyés entre 1954 et 1962 par des Français résident en Algérie à des hommes politiques et personnalités religieuses [7] , que ceux-ci avaient très majoritairement en commun une lecture falsifiée de la colonisation de l’Algérie qui magnifiait la « tradition pionnière » des colons et justifiaient la « mission civilisatrice » de la France. Ils évacuaient « les violences militaires françaises de la conquête, telles les enfumades, la politique de répression contre les tribus et les confiscations de terres, (la dépossession des fellahs) pour ne conserver que l’histoire mythique du modeste colon défrichant la sardonique terre algérienne. Ainsi, plus de la moitié des lettres consultées affirment que les disparités sociales entre Français et Algériens avaient pour origine, non une colonisation peu productrice d’égalité, mais le savoir-faire agricole français et la mise en valeur de terres de colonisation [8] . Qu’importe si la colonisation agricole n’a concerné qu’une minorité de migrants européens, celle-ci occupait une place centrale dans leur mémoire de groupe qui les différenciait des Algériens accusés plus ou moins directement de ne pas avoir su ou voulu travailler la terre d’Algérie. Plus du quart des lettres étudiées comportent des préjugés racistes et islamophobes. Ainsi, la femme d’un directeur d’une mine écrivait : « Les musulmans sont sales et paresseux et ce n’est qu’avec la trique ou en criant très fort comme le fait mon mari qu’on arrive à les faire travailler ». Celle d’un chef de clinique d’Alger affirmait qu’elle était « répugnée par leurs mœurs [et] ne leurs donnerait pas ses filles comme épouses ». Et une autre correspondante n’hésitait pas à juger « illégitime la présence des Arabes en Algérie, puisqu’ils étaient des envahisseurs qui avaient pris la place des romains et des chrétiens [9] ». Dans ces conditions, la grande majorité de ces lettres attribuaient les causes de la guerre à un ensemble de facteurs (Nasser, les communistes, les Anglo-américains…) autres que les vraies raisons de la guerre d’indépendance : l’injustice de la colonisation et les aspirations politiques des Algériens. Seuls quelques courriers minoritaires, représentants moins de 5% de l’ensemble, les mentionnaient. En même temps, cette doxa entretenait paradoxalement le mythe d’une entente et d’une fraternité entre Européens et Algériens dans l’Algérie française, alors que, comme l’a montré Eric Savarèse, malgré les nombreuses relations interindividuelles et professionnelles existantes, toute relation égalitaire ou familiale entre des personnes relevant de ces deux groupes sociaux différents était quasiment impossible [10] . Or, comme l’a souligné aussi Yann Scioldo-Zürcher, à partir des années 1970, le discours tenu dans la société française sur les pieds-noirs rapatriés a eu tendance à revenir au mythe d’une population de pionniers victimes des injustices de l’histoire, et tous les clichés de leur discours et de leurs représentations d’autrefois ont fait retour dans les films comme dans les débats politiques.
Le glissement de l’amnistie à la réhabilitation et aux honneurs
En même temps, durant les cinquante années qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie, vis-à-vis des jusqu’au-boutistes de l’Algérie française, on est passé en France de la notion d’amnistie accordée à certains d’entre eux afin de « passer l’éponge » sur leur crimes pour « tourner la page », à la notion de réhabilitation de leur combat et même à la notion de réparations qui leurs seraient dues ou d’honneurs qu’il faudrait leur décerner.
En effet, les Accords de cessez-le-feu en Algérie signés à Évian par le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et le gouvernement français, le 18 mars 1962, prévoyaient essentiellement (dans leur annexe 2) [11] une amnistie impliquant la libération rapide des prisonniers des deux camps, et, dans les « dispositions communes », l’absence de poursuites pour les « opinions émises à l’occasion des événements survenus en Algérie avant le jour du scrutin d’autodétermination » (le 1er juillet 1962), ainsi que pour les « actes commis à l’occasion des mêmes événements avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu [12] ». Mais l’amnistie ne concernait pas les condamnations prononcées pour des actes commis dans le cadre du putsch des généraux ou de l’OAS. Et, contre cette organisation qui refusait les Accords d’Évian et se lançait dans une guerre contre les institutions de la République et les forces de l’ordre, un autre décret (n° 62-307), du 19 mars 1962, avait même institué un « tribunal de l’ordre public en Algérie », qui s’ajoutait aux deux juridictions créées au lendemain du putsch pour juger les tenants de l’OAS : le haut tribunal militaire institué par la décision du 27 avril 1961 et le tribunal militaire créé par le décret du 3 mai 1961. Ce « tribunal de l’ordre public en Algérie » comprenant trois chambres, à Tlemcen, Tizi-Ouzou et Sétif, devait poursuivre « les crimes et délits commis en Algérie postérieurement au 19 mars 1962 et susceptibles de porter atteinte au rétablissement de la paix publique, à la concorde entre les communautés, au libre exercice de l’autodétermination ou à l’autorité des pouvoirs publics ». L’étude qu’a pu faire Sylvie Thénault des archives de ce tribunal, dont seules les chambres de Tizi-Ouzou et Tlemcen ont fonctionné, a montré notamment l’extrême jeunesse des européens d’Algérie membres de l’OAS condamnés pour des actes de terrorisme urbain, y compris des actes de terrorisme aveugle contre des civils algériens [13] . On y lit par exemple qu’un jeune de 19 ans a reçu d’un activiste le 2 mai 1962 dans un café d’Alger une arme avec la consigne de « descendre au moins deux Algériens par jour » [14] .
L’amnistie suite aux Accords d’Évian n’a pas concerné les condamnations déjà prononcées pour des actes dans le cadre du putsch ou des crimes de l’OAS entre le cessez-le-feu et l’indépendance et ces Accords prévoyaient au contraire les poursuites contre ces derniers. La loi du 23 décembre 1964, en revanche, a été la première à amnistier des membres de l’OAS condamnés pour des actes postérieurs aux accords d’Évian, à la condition qu’ils n’en aient pas été des dirigeants de cette organisation et aient eu moins de 21 ans au moment des faits. Elle instaurait aussi une « amnistie par mesure individuelle » vis-à-vis de condamnés à des peines de moins de quinze ans de prison qui n’avaient pas joué « un rôle déterminant » dans l’OAS [15] . Il ne s’agissait en rien d’une réhabilitation mais d’une mesure de clémence individuelle qui dispensait simplement les condamnés de l’exécution du reste de leur peine. La loi de 1964 précise que cette amnistie « ne confère pas la réintégration dans l’ordre de la Légion d’honneur, ni dans l’ordre de la Libération, ni dans le droit au port de la médaille militaire » et « n’entraine pas la réintégration dans les fonctions publiques, civiles ou militaires, grades, offices publics ou ministériels. Elle ne donne lieu en aucun cas à reconstitution de carrière [16] ». Cent soixante-treize personnes ont ainsi bénéficié de cette amnistie par décret présidentiel.
Toujours sous la présidence du général de Gaulle, après sa réélection en 1965 au suffrage universel, une autre mesure de clémence sans réhabilitation a été prise par la loi du 17 juin 1966 qui a étendu les possibilités d’amnistie pour des condamnations relatives au putsch ou à l’OAS, mais seulement pour les peines de moins de dix ans d’emprisonnement [17] . Tout en maintenant l’absence de reconstitution de carrière [18] , elle ouvrait la possibilité, mais au cas par cas et sans que ce soit de droit, à la restitution de décorations : « L’amnistie ne confère pas la réintégration dans l’ordre de la Légion d’honneur, dans l’ordre de la Libération, ni dans le droit au port de la médaille militaire. Toutefois, la réintégration peut être prononcée, pour chaque cas individuellement, à la demande du garde des sceaux, ministre de la justice, et, le cas échéant, du ministre intéressé, par décret du Président de la République, pris sur la proposition du grand chancelier compétent, après avis conforme du conseil de l’ordre. » C’est à partir de la loi du 31 juillet 1968, prise à la demande des chefs de l’armée dans le contexte des événements de mai-juin 1968 où de Gaulle envisageait de recourir à elle, qu’on peut parler d’un début de réhabilitation des responsables du putsch et de l’OAS, puisqu’elle les a entièrement amnistiés et leur a restitué leurs décorations sans qu’aucune condamnation politique ou morale de leur action ne soit désormais formulée par les institutions de la République. Elle a amnistié « de plein droit » toutes les infractions commises par des militaires servant en Algérie pendant la période des « événements », ce qui ne concernait plus que les condamnations des putschistes et des membres de l’OAS puisque les crimes commis par les militaires obéissant aux autorités légales avaient déjà été amnistiés. Et cette amnistie entrainait leur « réintégration dans l’ordre de la Légion d’honneur, dans l’ordre de la Libération et dans le droit au port de la médaille militaire pour les décorations décernées pour faits de guerre [19] ».
Ainsi, le général de Gaulle a été conduit à prendre une mesure qui amorçait un processus de réhabilitation des putschistes et de l’OAS dont il condamnait pourtant très fermement l’action. Après sa démission en avril 1969, Georges Pompidou puis Valéry Giscard-d’Estaing, quant à eux, ont poursuivi cette réhabilitation afin de, dans un but politique, replâtrer la cassure profonde de la droite française consécutive à la fin de la guerre d’Algérie en même temps, d’ailleurs, que celle remontant à l’affrontement entre la Résistance et le régime de Vichy sous l’Occupation.
Yann Scioldo-Zürcher a montré également, à travers l’analyse des émissions de télévision et de radio qui étaient alors étroitement contrôlées par le pouvoir, comment l’image donnée des pieds-noirs se modifie et s’accompagne d’un retour de leur image de pionniers courageux victimes d’un sort injuste et aussi de leur vision coloniale de l’Algérie. Entre 1962 et 1969, des émissions télévisées à large audience, comme Cinq colonnes à la Une (à onze reprises), Panorama et Sept jours du monde, ont traité à quatorze reprises des rapatriés, en ne les représentant plus comme des émeutiers et des complices de la violence criminelle de l’OAS mais comme des pionniers inlassables dont la vision de l’œuvre coloniale civilisatrice était en même temps reprise. La question de l’indemnisation des rapatriés est devenue aussi un thème récurrent de la vie politique. Entre 1963 et 1969, à l’Assemblée nationale, le groupe Union pour la Nouvelle République - Union Démocratique du Travail (UNR/UDT) a posé cette question de leur indemnisation à sept reprises, le Rassemblement démocratique treize fois, les Républicains indépendants deux fois, le Centre démocrate/Progrès et démocratie moderne dix-huit fois, la Fédération de la gauche démocrate et socialiste douze fois, le groupe communiste quatre fois et les non-inscrits quatre fois [20] . Le septennat de Valéry Giscard-d’Estaing, qui avait, secrétaire d’État aux Finances du général de Gaulle, été en contact et en sympathie en 1961-1962 avec des responsables de l’OAS, a fait appel, une fois président de la République, à d’anciens de cette organisation, notamment pour l’organisation de ses réunions publiques. Sous sa présidence, une vague de crimes racistes a eu lieu, visant particulièrement des Algériens, dont les auteurs n’ont pas fait l’objet de la part du ministre de l’Intérieur de 1974 à 1977, Michel Poniatowski, ancien jusqu’au-boutiste de l’Algérie française, de beaucoup d’efforts pour les arrêter. Et, après l’élection de François Mitterrand, en 1981, on a assisté, d’une part, aux premiers honneurs rendus aux anciens de l’OAS et à l’évolution ouverte de la politique publique d’aide aux rapatriés d’un principe d’indemnisation vers une notion de réparation de la guerre d’Algérie.
François Mitterrand imposa, par le recours à l’article 49-3 de la Constitution rendu nécessaire par une forte opposition au sein même des parlementaires socialistes, loi du 3 décembre 1982 (n° 82-1021) qui a accordé aux officiers à la tête du putsch et de l’OAS, les grades et les retraites qu’ils n’avaient pas obtenus du fait de leur radiation de l’armée suite à leurs condamnations. La détermination présidentielle sur ce point a eu raison des oppositions animées notamment par Pierre Joxe et Martine Buron. Elle résultait d’une promesse de campagne de François Mitterrand qui lui avait valu la diffusion par Salan à la veille de l’élection d’une lettre appelant ses amis à voter en sa faveur. Et, à partir du milieu des années 1980, comme l’a relevé Yann Scioldo-Zürcher, « chaque fois que le Parlement débattait sur les rapatriés, sénateurs et députés se faisaient l’écho de propos colonialistes, hérités du dix-neuvième siècle, qui glorifiaient la “mission civilisatrice” de la France, quand ils ne falsifiaient pas l’histoire de l’Algérie [21] ». Ainsi, en 1987, le député RPR du Tarn-et-Garonne Jean Bonhomme minimisait les violences de l’OAS : «Si le désespoir a rejeté cette population dans une violence qui n’était en fait qu’une réaction instinctive et collective de légitime défense, comme l’aurait fait toute autre communauté soumise à la terreur aveugle, c’est parce qu’ils n’ont pas été compris ». Au début des années 1990, Jacques Chirac s’est rapproché de certaines associations de pieds-noirs, notamment par l’intermédiaire de Jacques Roseau, et, quand il s’est présenté pour un second mandat en 2002, dans le contexte du deuxième tour de l’élection présidentielle où il affrontait Jean-Marie Le Pen, il a fait des promesses à certains éléments de ce lobby pour isoler son concurrent. C’est l’origine à la fois du Mémorial national du Quai Branly voué aux morts français de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, inauguré le 5 décembre 2002, et de la loi du 23 février 2005, dont l’article 4 stipulait : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Cette loi, destinée à plaire à ce lobby qui n’avait toujours pas accepté l’indépendance de l’Algérie, a été votée par des députés socialistes qui avaient confié le suivi de son élaboration à leur « spécialiste des rapatriés ».
Jacques Chirac voulait préparer, en même temps, un traité d’amitié avec l’Algérie, mais les réactions des historiens, des enseignants et d’une bonne partie de la société française, nettement plus avancée sur ces questions que ses représentants politiques, ont fait que ce grand écart imaginé par le président ne fut pas possible : il a dû retirer la phrase en question [22] . Mais il a laissé subsister l’article 3 de cette loi, créant une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie vouée à la diffusion de cette idéologie. Et aussi l’article 13, rendant possible, pour les membres de l’OAS qui avaient dû attendre l’amnistie de 1968 pour rentrer en France, le versement des pensions malgré leur absence de cotisation durant leurs années d’exil. Une mesure, certes, matérielle et individuelle, mais qui, en l’absence de toute condamnation politique ou morale de leur action par les institutions de la République, apparaît comme une nouvelle étape de leur réhabilitation. Cela au moment où différents groupes d’extrême droite et une association d’anciens de l’OAS édifiaient (à Toulon, Nice, Perpignan, Marignane, etc.) les premiers monuments d’hommage aux tueurs de l’OAS.
Nicolas Sarkozy et l’éloge de la colonisation
Les années 2007-2012 du quinquennat de Nicolas Sarkozy ont représenté l’apogée de cette dérive. L’un de ses thèmes favoris de campagne, celui du « refus de la repentance », l’a conduit à exalter la colonisation « qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation [23] ». Malgré quelques déclarations contradictoires lors de son voyage officiel en Algérie en décembre 2007, simples « produits réservés à l’exportation » qui contredisaient tous ce qu’ils disaient en France et destinés à faire oublier son funeste discours de Dakar [24] , on a assisté au retour « décomplexé » du discours colonial. Il a mis en place la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie prévue par la loi du 23 février 2005, dont son prédécesseur Jacques Chirac, en raison des protestations, n’avait pas procédé à l’installation, et chargé le secrétaire d’État à la Défense et aux anciens combattants Hubert Falco, sénateur-maire de Toulon, de l’installer en octobre 2010. Avec pour vice-président celui qui avait été le principal artisan de la loi de 2005, Hamlaoui Mekachera, et, parmi les quinze membres de son conseil d’administration, quatre généraux signataires en 2002 d’un manifeste affirmant que « ce qui a caractérisé l’action de l’armée française en Algérie ce fut d’abord sa lutte contre toutes les formes de torture [25] ». Il faut dire que l’un des conseillers dont s’est entouré Nicolas Sarkozy était Patrick Buisson, ancien directeur du journal d’extrême droite Minute et auteur d’un ouvrage intitulé OAS, Histoire de la résistance française en Algérie, préfacé par Pierre Sergent, ancien officier putschiste, responsable OAS puis député Front national [26] .
Sous sa présidence, les hommages à l’OAS se sont multipliés. Le 27 octobre 2010, à Marignane (Bouches-du-Rhône), le nouveau maire divers droite majorité présidentielle, Éric Le Dissès, a fait voter par son conseil municipal la réinstallation dans un cimetière municipal d’un monument en hommage aux tueurs de l’OAS érigé à la demande de l’association des anciens de l’OAS, l’ADIMAD, dont le tribunal administratif de Marseille, en 2008, avait ordonné le retrait. Tandis que le chef local de l’UMP Simonpieri, ex-Front national, l’ancien maire qui avait permis son érection en 2005, faisait l’éloge de « ceux qui ont choisi la voie de l’honneur, combattant celui et ceux qui avaient renié leur parole », et qui se sont « engagés dans l’Organisation armée secrète, commandée par le général Salan » [27] . Peu avant, le 22 octobre, à Pau, dans l’enceinte de l’École des troupes aéroportées et en présence de son commandant et des autorités militaires, a eu lieu une cérémonie au cours de laquelle a été inauguré un buste à l’effigie du colonel Pierre Château-Jobert, l’un des organisateurs du putsch, puis commandant de l’OAS dans le Constantinois [28] . En avril 2011, une manifestation destinée à célébrer le cinquantenaire du putsch d’Alger a eu lieu à Nice, avec la bienveillante complicité du maire UMP de la ville, Christian Estrosi.
Ainsi se sont multipliées les initiatives destinées à honorer des hommes impliqués dans les répressions les plus brutales de la guerre d’Algérie ou dans le putsch et l’OAS. Le sommet a été atteint le 26 novembre 2011 avec la parution au Journal officiel du décret élevant à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, porte-parole du général Massu pendant la bataille d’Alger puis, en avril 1961, commandant du 1er Régiment étranger de parachutistes qui avait été le fer de lance du putsch. Les insignes de la plus haute distinction française lui ont été remis le 28 novembre 2011 par Nicolas Sarkozy, dans la cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides. D’autres attributions de la Légion d’honneur à d’anciens militaires putschistes et à d’anciens membres de l’OAS l’ont accompagné. En revanche, l’exposition organisée par le Musée de l’armée en ce même Hôtel des Invalides, Algérie, 1830-1962, avec Jacques Ferrandez, qui témoignait d’un effort nouveau et inattendu de la part de cette institution pour évoquer honnêtement la période de la colonisation et de la guerre, où, par exemple, la pratique de la torture était pour la première fois reconnue, n’a pas pu, à la demande du ministre de la Défense Gérard Longuet, être inaugurée avant la fin du mandat de Nicolas Sarkozy. Ce même ministre, lui-même ancien activiste de l’Algérie française, avait annoncé, le 18 novembre 2011, le transfert des cendres du général Marcel Bigeard aux Invalides, ce qui a suscité de nombreuses protestations et n’a pu être réalisé avant la fin du mandat de Nicolas Sarkozy. Son successeur au ministère de la Défense, installé en mai 2012 après l’élection présidentielle, a renoncé définitivement à ce projet et choisi de disperser ses cendres au Mémorial des morts d’Indochine à Fréjus.
Mais les complaisances à l’égard du lobby postcolonial ne se limitent pas à la droite. Par exemple, Jean-Pierre Chevènement, dans la ville de Belfort dont il est maire, a inauguré, le 29 mai 2009, une rue au nom du lieutenant-colonel Pierre Jeanpierre, commandant en 1957, lors de la Bataille d’Alger, du 1 er régiment étranger de parachutistes, tout en déclarant qu’il ne comprenait pas les critiques qui lui étaient adressées. Autre exemple, à Marignane, lorsqu’il s’est agi de voter sur la réinstallation de la stèle aux tueurs de l’OAS, les conseillers municipaux socialistes se sont abstenus [29] . Dans ce département des Bouches-du-Rhône, le responsable des adhésions de la Fédération du parti socialiste jusqu’au 25 novembre 2011, date où il a annoncé sa démission du PS, n’était autre que Théo Balalas, ancien membre de l’OAS, incarcéré à ce titre à la prison de la Santé puis exilé quatre ans dans l’Espagne de Franco, candidat en 1973 avec l’étiquette Front national avant de rejoindre le PS tout en étant membre de l’ADIMAD [30] . Dernier exemple : le 7 juin 2013 à Aix-en-Provence a été l’inaugurée une nouvelle stèle aux tueurs de l’OAS, sur le modèle de celles de Perpignan et de Marignane, par l’ancien maire PS Jean-François Picheral, l’actuelle maire UMP-Droite populaire, Maryse Joissains, et le président du Collectif aixois des rapatriés.
Ainsi, de 1962 à 2012, on a pu constater de la part des autorités officielles de la France un traitement de plus en plus favorable des responsables des crimes de l’OAS et de ceux qui se sont opposés aux gouvernements de la République française lors de l’indépendance de l’Algérie. Au fil de ces années, l’amnistie partielle et limitée décrétée à la fin de cette guerre, qui voulait aider à tourner la page tout en maintenant une condamnation politique et morale de leur action, a fait place, comme par des glissements progressifs, à un processus de réhabilitation et d’honneurs officiels à leur égard.
Travailler sur le passé colonial sans passer par le prétoire
Mais, en même temps, des couches importantes de la société française ont manifesté leur désir d’en finir avec l’idéologie coloniale, notamment lors de la dénonciation de la loi du 23 février 2005 qui a obligé le gouvernement de Jacques Chirac à reculer, qui a contraint le ministre de l’Intérieur du moment, Nicolas Sarkozy, à annuler au dernier moment un voyage aux Antilles, et qui a conduit l’ensemble des partis de gauche à prendre ouvertement position contre une loi qu’ils avaient pourtant laissé adopter. L’opinion française reste profondément divisée quant à la manière de considérer cette période. Le problème posé à la société française par son passé colonial ne se réduit pas à une confrontation gauche/droite. Sur ces sujets, c’est dans son ensemble que des mouvements simultanés et contradictoires la travaillent. Aux résurgences des mémoires coloniales figées dans le déni, définitivement hémiplégiques et refusant l’histoire, s’opposent une importante activité historiographique ainsi qu’une production cinématographique et éditoriale abondante et diverse. Si on n’entend quasiment plus, à ce propos, de voix authentiquement gaullistes au sein de la droite politique – peut-être en raison du transfert vers la gauche, dès les années 1970 et 1980, du courant gaulliste de gauche attaché à l’anticolonialisme –, c’est néanmoins une question transversale à toutes les forces politiques de la société française, à tous ses courants religieux ou philosophiques, comme à ses institutions.
Une chose est sûre : à plus ou moins long terme, la remise en cause de l’idéologie coloniale d’hier par l’ensemble des institutions et de la société française interviendra inévitablement. Pour reprendre une expression qu’avait utilisée en 1992 l’historien Henry Rousso pour parler du rapport de la société française à la période de l’Occupation et du régime de Vichy, le passé colonial est aujourd’hui pour elle « un passé qui ne passe pas ». Mais une question qui pose ainsi problème ne peut, à terme, que finir par « passer » tôt ou tard, car « les faits sont têtus » et ne peuvent qu’être finalement reconnus. En 2012, à propos du passé de la France sous l’Occupation, après la publication d’un certain nombre de travaux d’historiens, la sortie d’un certain nombre de livres et de films, les déclarations importantes des présidents de la République Jacques Chirac, en juillet 1995, et François Hollande, en juillet 2012, le même historien, Henry Rousso, déclarait : « Désormais, ce passé est passé : non pas qu’il soit oublié, mais parce qu’il a enfin trouvé sa place » [31] . Il en sera de même, inévitablement, en France, du passé colonial.
Dans le cas de la période de l’Occupation, un certain nombre de grands procès, ceux de Klaus Barbie, de Paul Touvier et de Maurice Papon, ont joué aussi un rôle important. Peut-il en être de même pour la guerre d’Algérie et le passé colonial français ? L’exigence de vérité et de reconnaissance de la France, qu’elle rompe clairement avec l’idéologie des « bienfaits de la colonisation», qu’elle reconnaisse les crimes coloniaux, peut-elle passer par des procédures judiciaires, comme l’ont notamment préconisé à plusieurs reprises depuis 2005, des parlementaires algériens ?
Il est certes regrettable que, pour aucun des crimes de la colonisation française, il n’y ait eu de grands procès, car, pour d’autres périodes tragiques, des procès ont incontestablement aidé la société française à réfléchir aux mécanismes qui ont conduit à de graves violations des droits de l’Homme. Ils ont joué un rôle pédagogique pour l’ensemble de la population. Mais, dans le cas de la colonisation, pour plusieurs raisons, nous devons nous résoudre à ce qu’aucun procès ne remplisse jamais ce rôle. D’abord, des procès jugent toujours des individus et non des politiques conduites par des États ou des institutions. Or, non seulement les faits remontent à plus d’un demi-siècle et les principaux protagonistes ont disparu, mais le processus colonial a pesé, en réalité, pendant plusieurs siècles sur notre histoire et mis en cause de nombreuses responsabilités, dans des contextes où, par ailleurs, d’autres questions relatives aux droits de l’Homme se posaient aussi dans la société. Même si des procès avaient eu lieu pour des crimes ayant marqué les derniers moments de la colonisation, on peut douter qu’ils auraient pu aider à prendre conscience de l’essence et des logiques du processus colonial. La question de la torture dans la guerre d’Algérie, par exemple, ne peut guère être isolée, elle a même parfois pu occulter dans l’opinion française la généralité et l’ampleur du fait colonial lui-même qui était à l’origine de son usage.
L’amnistie prévue dans les Accords d’Évian, enfin, ne peut pas non plus être ignorée. Nous n’aborderons pas ici la question de son non respect en Algérie vis-à-vis d’anciens harkis et membres de leur famille, elle fait partie des sujets soumis essentiellement aux réflexions de la société et des historiens d’Algérie [32] , nous nous concentrons ici sur la question de l’opportunité des poursuites contre les auteurs français de crimes coloniaux. On ne peut que regretter qu’aucune, ou presque, condamnation de militaires français pour crimes de guerre n’ai précédé l’amnistie de 1962, quitte à ce qu’elles aient été ensuite amnistiées. Et surtout, comme on l’a vu, que cette amnistie se soit accompagnée d’un déni et d’une longue amnésie vis-à-vis des crimes de l’armée française en Algérie. Mais on ne peut pas faire comme si cette amnistie n’avait pas eu lieu, car l’inscription de son principe dans les accords qui ont mis fin à la guerre, son approbation par un référendum par le peuple français, font qu’elle fait indéniablement partie d’une histoire dont elle a influé sur le déroulement, contribuant à écarter la menace d’une guerre civile en France. Nous ne sommes pas dans le cas des amnisties qui ont été imposées en Amérique latine à la fin de dictatures militaires pour empêcher des poursuites contre leurs responsables, qui ont été légitimement mises en cause plus tard quand la démocratie s’est installée. Il faut que cette amnistie soit ramenée à sa dimension concernant le sort judiciaire des individus, et qu’elle n’empêche ni la reconnaissance des faits, ni la notion justice, ni l’établissement de la vérité.
Il nous faut aussi faire notre deuil d’un dispositif à la manière de l’opération « vérité et réconciliation » de l’Afrique du Sud, qui reposait sur l’idée que l’aveu, le récit des faits et la demande de pardon pouvaient permettre à des criminels d’échapper à des poursuites judiciaires. Ici, l’amnistie ayant été accordée sans cette contrepartie, rien de ce type n’est envisageable. Pourtant, l’idée d’invoquer indissociablement les notions de vérité et de réconciliation, de proclamer qu’on ne peut atteindre la seconde qu’au prix de la première, reste, en ces questions, fondamentalement valable. Comme l’est l’idée qu’établir la justice, rendre justice aux victimes, est indispensable pour parvenir à un vrai dépassement des drames d’hier, même si, dans ce cas, la recherche de la justice ne peut pas passer par le jugement des individus.
Pour une vraie reconnaissance des crimes coloniaux
Si l’amnistie ne peut pas être effacée ou ignorée, elle ne doit justifier ni une amnésie générale ni une réhabilitation des criminels. Certes, toute amnistie implique, sur le moment, une dose d’amnésie, les termes de l’édit de Nantes de 1598 qui cherchait à arrêter de ce qu’on a appelé en France les « guerres de religion » en témoignent, puisqu’il dit que « la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre […] demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue [33] ». Mais la suite du texte montre que cette amnésie s’appliquait aux poursuites judiciaires. Les deux mots amnistie et amnésie ne sont pas synonymes et la première ne doit pas conduire à une ignorance ou un effacement du passé. Le problème est que l’amnistie découlant des Accords d’Évian s’est accompagnée, côté français, d’une amnésie qui n’a cessé de s’épaissir avec le temps, alors même qu’elle avait de moins en moins de justifications valables. Ce qui est scandaleux, c’est que l’oubli des crimes commis s’est développé à un point tel qu’on a pu aboutir à une réhabilitation des criminels et même à leur décerner des « honneurs ».
Le plus choquant n’est pas que l’amnistie des responsables du putsch et de l’OAS (en 1966 et surtout en 1968) a fait que des hommes condamnés et incarcérés ont été dispensés de l’exécution de la partie de leur peine qui leur restait à subir. La question de la sortie du colonialisme ne se réduit pas à la punition d’individus. Quand on sait que la République, à l’heure de la décolonisation, a changé brusquement de langage et de politique sans être claire vis-à-vis de son discours et de ses actes passés, on comprend que certains exécutants se sont trompés en se croyant fidèles à son passé en refusant son orientation nouvelle. L’invocation par eux de la notion d’impératif moral supérieur aux ordres reçus, même si elle l’a été ici à mauvais escient, ne peut être en soi récusée. Pas plus que le principe selon lequel il peut être parfois légitime pour un militaire de refuser certains ordres, voire de déserter dans certaines conditions. D’autant que le contexte pour le moins ambigu du retour au pouvoir du général de Gaulle lors du 13 mai 1958 avait ajouté à la confusion. Mais le rétablissement des militaires condamnés pour leur participation au putsch ou à l’OAS dans leurs grades, honneurs et décorations, en l’absence de toute condamnation de principe du combat qu’ils ont mené contre une République qui retrouvait enfin des principes fondamentaux qu’elle n’aurait jamais dû oublier, apparaît comme une pente dangereuse vers la légitimation de leurs choix sur laquelle il s’agit absolument de revenir. C’est avant tout sur le projet colonial que la République a longtemps porté et que ces criminels ont voulu continuer, que les institutions françaises doivent aujourd’hui être claires.
La France à la croisée des chemins
A la fin de la guerre d’indépendance algérienne, le général de Gaulle a opéré un tournant dans l’histoire coloniale française, lorsque, prolongeant la politique amorcée par le président du conseil Pierre Mendès France au moment des indépendances du Viêt-Nam, du Maroc et de la Tunisie, il a expliqué la nécessité de mettre un terme à la colonisation de l’Algérie et d’accepter son indépendance. Il n’a pas critiqué publiquement la politique coloniale passée de la France. Etant donné la diffusion massive, pendant des décennies, de l’idée des bienfaits de la colonisation, cela aurait-il été compris ? Il a préféré s’en tenir, dans ses déclarations publiques, à l’idée que, quoi que l’on pense de la colonisation, elle était désormais dépassée, comme « la lampe à huile et la marine à voile » [34] .
Lors du conseil des ministres qui a accepté de signer les Accords d’Évian, le 21 février 1962, de Gaulle est allé plus loin en aparté. A Michel Debré, qui était depuis deux ans en désaccord avec sa politique algérienne et démissionnera deux mois plus tard, avant même l’indépendance algérienne, de son poste de premier ministre : « N’oubliez jamais à quel point, pendant des années, les Arabes ont été humiliés ! », puis, alors que Debré lui avait répondu « Je ne l’oublie pas mais je n’oublie pas non plus l’œuvre de la France ! », s’adressant à Joxe et Debré : « En vérité, il est miraculeux que nous en soyons arrivés à ces accords. Car, songez-y, depuis cent trente ans, “ils” n’ont cessé d’être dominés, dépouillés, humiliés » [35] . Mais le général de Gaulle n’a rien dit de tel en public.
Comme on l’a vu, les présidences de Georges Pompidou, de Valéry Giscard-d’Estaing, de François Mitterrand, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, loin de faire avancer la clarification nécessaire du regard de la France vis-à-vis de son passé colonial, n’ont fait que cultiver la réconciliation avec les jusqu’au-boutistes de la colonisation, les honneurs à leur égard et l’oubli des crimes coloniaux, en décalage avec les progrès importants de l’historiographie et de l’enseignement et avec l’évolution sur cette question d’une bonne partie de l’opinion publique, surtout parmi les nouvelles générations. Qu’en sera-t-il du quinquennat de François Hollande ? Le 15 mai 2012, ayant choisi de commencer son mandat par un hommage à l’œuvre scolaire de Jules Ferry, il a tenu à préciser : « Je n’ignore rien de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique. Elle doit à ce titre être condamnée » [36] . Le 17 octobre 2012, pour le 51e anniversaire de la sanglante répression en plein Paris de la manifestation pacifique de l’émigration algérienne, il a eu aussi des mots forts dans un communiqué de l’Elysée : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » Lors de sa visite en décembre 2012 en Algérie, il n’a pas évoqué la répression de la guerre d’indépendance, mais a dénoncé un système colonial « profondément injuste et brutal », reconnu « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien » et cité « les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata » qui « demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens ».
Mais pour que les institutions françaises tiennent un discours clair et cohérent sur ces sujets, condition pour que l’institution scolaire joue pleinement son rôle et pour que l’opinion soit moins divisée, on est encore loin du compte. Ce sujet représente, en tout cas, pour la société française, le principal défi mémoriel de ces prochaines années. Et le moment est encore loin où on pourra dire qu’en France, le passé colonial est maintenant passé, que désormais il appartient vraiment au passé.
C’est la tâche des historiens et de tous les acteurs politiques et sociaux en France de hâter ce moment. Les travaux historiques en Algérie pour documenter avec le maximum de précision scientifique les crimes du colonialisme français les aideront grandement dans ce travail. Mais ce que pourront faire les historiens et acteurs politiques et sociaux d’Algérie pour faire reculer dans leur pays tout ce qui relève des discours schématiques et de l’histoire officielle facilitera aussi la levée des blocages qui persistent dans l’ancienne puissance coloniale et ne pourra que leur faciliter la tâche. Cela les aidera sûrement davantage que les appels illusoires à des poursuites judiciaires qui sont aussitôt utilisés par leurs adversaires. Les deux processus de réflexion sur l’histoire, même s’ils affrontent dans chaque pays des problèmes différents, se stimulent réciproquement. Chacun détient l’une des deux clés d’une serrure double, elles nécessitent d’être actionnées simultanément.
NOTES
[1] Voir notamment, Manceron, G., Remaoun, H. (1993), D’une rive à l’autre. La guerre d’Algérie de la mémoire à l’histoire, Paris, Syros.
[2] Voir notamment, Bouchène, A. Peyroulou, J.-P., Siari Tengour, O., Thénault, S. (dir.) (2012), Histoire de l’Algérie à la période coloniale 1830-1962, Paris/Alger, la Découverte/Barzakh.
[3] Ces termes de « parti colonial » sont employés ici dans le sens où les employait Charles-Robert Ageron, c’est-à-dire non pas dans le sens d’un parti politique spécifique mais dans celui de groupe d’intérêts coordonnés. Voir Ageron, Ch.-R. (1978), France coloniale, ou parti colonial ?, Paris, Presses Universitaires de France.
[4] Voir Manceron, G. (2005), Marianne et les colonies, une introduction à l’histoire coloniale de la France, Paris, la Découverte/Poche.
[5] La Chronique de Paris , 26 novembre 1792.
[6] Ageron, Ch.-R. (2005), « L’Algérie algérienne sous Napoléon III », in Preuves, février 1961, repris dans Genèse de l’Algérie algérienne, Paris, Bouchène.
[7] Scioldo-Zürcher, Y. (2007), « Existe-t-il une vision pied-noir des rapports franco-algériens ? », in Abécassis, F., Boyer, G., Falaize, B., Meynier, G., Zancarini-Fournel M., (dir.), La France et l’Algérie : leçons d'histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, Paris, la Découverte/Institut national de la recherche pédagogique, p. 171-187.
[8] Ibid. , p. 171-172. Yann Scioldo-Zürcher a étudié 221 courriers, envoyés à Vincent Auriol, Georges Bidault, Edgar Faure, Marcel-Edmond Naegelen et Paul Reynaud, versés dans la section des archives privées des Archives nationales, ainsi que ceux envoyés à l’archevêché de Paris et au consistoire israélite central.
[9] Ibid.
[10] Savarèse, E. (2002), L’invention des pieds noirs, Paris, Séguier, p. 201.
[11] Journal officiel français du 20 mars 1962.
[12] Ibid., Chapitre II, A, II, 1. Côté français, ils ont été précisés par deux décrets publiés au Journal officiel le 22 mars 1962, l’un (n° 62-327) « portant amnistie des infractions commises au titre de l’insurrection algérienne », et l’autre (n° 62-328) « portant amnistie des faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne ».
[13] Thénault, S. (2008), « L’OAS à Alger en 1962 : histoire d'une violence terroriste et de ses agents », in Annales. Histoire, Sciences sociales, p. 977-1001.
[14] Ibid. , p. 993.
[15] Loi du 23 décembre 1964 (n° 64-1269) : « Art. 1er. Sont amnistiées de plein droit toutes les infractions commises en Algérie avant le 20 mars 1962, en réplique aux excès de l’insurrection algérienne, à la condition qu’elles soient sans rapport avec une entreprise tendant à empêcher l’exercice de l’autorité de l’Etat ou à substituer à cette autorité une autorité illégale. Art. 2. Sont admises de plein droit au bénéfice de l’amnistie les personnes condamnées définitivement, compte tenu des mesures de grâce, soit à une peine d’amende, soit à une peine privative de liberté n’excédant pas cinq années, assortie ou non d’une peine d’amende, pour crimes ou délits commis avant le 3 juillet 1962 en Algérie et en relation directe avec les événements d’Algérie, qui étaient âgées de moins de vingt et un ans au temps de l’action et n’ont assumé aucun rôle déterminant d’organisation ou de commandement dans une entreprise tendant à empêcher l’exercice de l’autorité de l’Etat ou à substituer à cette autorité une autorité illégale ». Cette loi prévoyait aussi la possibilité d’une « amnistie par mesure individuelle » : « Art. 4. Le Président de la République peut admettre par décret au bénéfice de l’amnistie, les personnes condamnées définitivement pour crimes ou délits commis avant le 3 juillet 1962 en Algérie et en relation directe avec les événements d’Algérie. Sont exclus du bénéfice du présent article : 1° Les condamnées à une peine privative de liberté égale ou supérieure à quinze années, compte tenu des mesures de grâce ; 2° Les condamnés qui ont assumé un rôle déterminant d’organisation ou de commandement dans une entreprise tendant à empêcher l’exercice de l’autorité de l’État ou à substituer à cette autorité une autorité illégale ».
[16] Ibid., Articles 6 et 7.
[17] La loi du 17 juin 1966 (n° 66-396) : « Art. 1er. Sont amnistiées de plein droit les condamnations définitives pour crimes ou délits commis en relation directe avec les événements d’Algérie ainsi que pour crimes et délits constituant une entreprise individuelle ou collective tendant à empêcher l’exercice de l’autorité de l’Etat ou à substituer à cette autorité une autorité illégale, ou commis en relation directe avec une telle entreprise, si les auteurs de ces infractions ont été punis d’une peine d’amende avec ou sans sursis ou d’une peine d’emprisonnement avec sursis, assortie ou non d’une amende, ou si, condamnés à une peine privative de liberté, ils ont été libérés avant la date de promulgation de la présente loi. Art. 2. Sont amnistiées de plein droit les infractions commises avant le 3 juillet 1962 en relation directe avec les événements d’Algérie, lorsque ces infractions ne sont punissables que d’une peine privative de liberté, assortie ou non d’une peine d’amende, dont la durée n’excède pas dix années ».
[18] « Art. 12. L’amnistie n’entraîne pas la réintégration dans les fonctions, emplois, professions, grades, offices publics ou ministériels. En aucun cas elle ne donne lieu à reconstitution de carrière ».
[19] Loi du 31 juillet 1968 (n° 68-697).
[20] Scioldo-Zürcher, Y., op.cit.
[21] Ibid.
[22] Voir Liauzu, C., Manceron, G. (2006), (dir.), La Colonisation, la loi et l’histoire, Paris, éd. Syllepse.
[23] Nicolas Sarkozy, discours prononcé à Toulon le 7 février 2007.
[24] Le 26 juillet2007, à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques, il a déclaré notamment : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. […] Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ».
[25] Les généraux Bertrand de La Presle, François Meyer, Jean Salvan et Pierre de Percin, signataires avec 521 officiers généraux ayant servi en Algérie du texte publié en préface du Livre Blanc de l’armée française en Algérie, Contretemps, 2001.
[26] Gauchon, P., Buisson, P. (1984), OAS, Histoire de la résistance française en Algérie, éd. Jeune pied-noir.
[27] Gèze, F., Manceron, G., « L’éloge de la colonisation est de retour », in Le Monde 11 novembre 2010.
[28] Ibid.
[29] Les responsables socialistes des Bouches-du-Rhône Vincent Gomez, Christiane Lantermo et Michel Gini. Cités par Malet, J.-B. (2011), Derrière les lignes du Front, immersions et reportages en terre d’extrême droite, Villeurbanne, éd. Golias.
[30] Ibid . Interrogé par Jean-Baptiste Malet, le président de l’ADIMAD-OAS Jean-François Collin lui a répondu en décembre 2010 : « Ah, Balalas ! Je viens de recevoir son chèque de ré-adhésion. C’est un gros chèque en plus, il a les moyens ! »
[31] Cité par Wieder, Th., in « Rafle du Vel’d’Hiv : 70 ans après, la mémoire apaisée », Le Monde, 16 juillet 2012. Henry Rousso fait allusion au titre du livre qu’il avait publié en 1994, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard.
[32] Voir Besnaci-Lancou, F., Manceron, G. (2008), Les Harkis dans la colonisation et ses suites, éd. de l’Atelier ; Besnaci-Lancou, F., Falaize, B., Manceron, G. (2010), Les Harkis, histoire, mémoire et transmission, Ivry sur Seine, éd. de l’Atelier.
[33] Signé du roi Henri IV, le 13 avril 1598, l’édit de Nantes dispose dans son article 1 :« Que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre, depuis le commencement du mois de mars 1585 jusqu’à notre avènement à la couronne, et durant les troubles précédents et à l’occasion d’iceux, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue ; et ne sera loisible ni permis à nos procureurs généraux ni autres personnes quelconques, publiques ni privées, en quelque temps ni pour quelque occasion que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucune cours et juridiction que ce soit ».
[34] Le 14 juin 1960, le général de Gaulle s’est exprimé ainsi lors d’une allocution à la télévision : « Inutile d’énumérer les causes de l’évolution qui nous conduisent à mettre un terme à la colonisation par le fait des progrès accomplis dans nos territoires, de la formation que nous donnons à leurs élites et du grand mouvement d’affranchissement des peuples de toute la Terre ! Nous avons reconnu à ceux qui dépendaient de nous le droit de disposer d’eux-mêmes. Le leur refuser, c’eût été contrarier notre idéal, entamer une série de luttes interminables, nous attirer la réprobation du monde, et tout cela pour une contrepartie qui fut inévitablement effritée entre nos mains. Il est tout à fait naturel que l’on ressente la nostalgie de ce qui était l’empire, comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ! »
[35] Belin, R. (1999), Lorsqu’une République chasse l’autre. Souvenirs d’un témoin, 1958-1962, Paris, éd. Michalon ; Debré, M. (1988), Mémoires, t. 3, Gouverner (1958-1962), Paris, Albin Michel ; Terrenoire, L. (s.d.), La fin de la guerre d’Algérie, France-Pays arabes.
[36] Manceron, G., « François Hollande et le colonialisme de Jules Ferry », in Le Monde, 16 mai 2012.