Insaniyat N°44-45 | 2009 | Alger : une métropole en devenir | p. 21-32 | Texte intégral
Religious property, (The Waqf), and Algiers urbanisation in the Ottoman period Abstract: In the Ottoman Algiers where the urban network had very quickly reached a considerable density and where fewer and fewer grounds apt to receive the smallest construction were found, we can measure the importance of religious property foundations, the “habus”. By offering a juridical framework to the central Ottoman power as well as to the Algiers population facilitating real estate operations of a quite often minor scale, they aimed at playing a significant role in urban development and in urban space organisation, as early as the end of the 16th century. The present text tries to determine the relationship that the town keeps up with the Waqf foundations. In the light of information given by archive documents from the Ottoman period administration, we are led to determine the degree of the “habus” act involvement concerning Algiers, in other words, in a reurbanisation of the town. |
Samia CHARGUI : Maître de Conférences au Département d’Architecture à l’Université Saad Dahlab de Blida.
À l’aube du xviie siècle, la croissance urbaine d’Alger est à son apogée. Le fait que cette modeste localité soit propulsée, un siècle auparavant, au rang de capitale de la Régence ottomane n’a pas tardé en effet à se répercuter sur son urbanisme. Le développement de la ville fut donc l’expression réelle d’une urbanisation accomplie à la fois de l’intérieur par une densification relativement importante et à l’extérieur par une extension, vers le haut, au-delà des anciens remparts arabo-berbères[1].
Parmi les moyens les plus efficaces qui semblent avoir accompagné cette phase décisive de l’essor urbain d’Alger à cette époque, et à laquelle s’intéressent de plus en plus les recherches[2], figuraient, entre autres, le waqf. Le présent texte veut démontrer que le cadre institutionnel du waqf pouvait certainement aspirer à jouer un rôle significatif dans le développement urbain et dans la réorganisation de l’espace de cette ville, dès la fin du xvie siècle. À ce titre, l’exploitation des archives relevant de cette institution nous permet de cerner non seulement le fonctionnement du waqf, en général, mais encore les multiples aspects concernant notamment l’urbanisation d’Alger en rapport avec les fondations religieuses.
Fonctionnement du habûs en général
Dans le monde musulman, le waqf ou le habûs est une donation faite à perpétuité par un particulier à une œuvre d’utilité publique, pieuse ou charitable[3]. Le bien donné en usufruit devient dès lors incessible. Les recherches qui ont trait à l’islamologie ont abordé la signification de cet acte et son importance, d’abord du point de vue du droit musulman, mais ensuite, sous l’angle restreint de l’urbanisme islamique[4]. Dans l’ensemble, ces études consentent à le compter parmi les actes les plus significatifs auquel la société musulmane avait eu souvent recours. Les biens qui relevaient de cette catégorie occupaient de la sorte une place à part et devaient imposer comme préalable à leur pérennité une gestion communautaire spécifique.
Au regard de la jurisprudence musulmane, le habûs correspond donc à une fondation inaliénable au profit d’œuvres pieuses ou d’utilité publique. Les différents rites reconnaissent cependant différents statuts aux propriétés de mainmorte. Selon Ibn Malek et Abou Hanifa, le bien-fonds continue, par exemple, d’appartenir au donateur et à ses héritiers, mais ces derniers ne peuvent pas en disposer. Suivant Ibn Hanbal, au contraire, la propriété devrait revenir aux bénéficiaires de la fondation[5]. Pourtant, comme institution sociale polie par les siècles et adaptée aux nécessités et véritables intérêts des constituants, il peut offrir un cadre juridique commode pour se protéger des expropriations et mainmises, entre autres, du pouvoir central ottoman, connu pour ses visées discrétionnaires. L’établissement du habûs servait aussi à contourner les lois successorales prescrites par la religion, assurant ainsi la transmission des biens immobiliers ou fonciers aux mains de bénéficiaires choisis arbitrairement[6].
Vu sous cet angle, la plupart des rusûm al-tahbîs provenant du fonds des Mahâkim al-Shar‛iyya montrent qu’à Alger le habûs est souvent de nature indirecte, c'est-à-dire familial (ahlî), faisant de la sorte bénéficier le waqîf et sa descendance de sa jouissance temporaire. À l’extinction de la lignée de ces dévolutaires intermédiaires, les biens-fonds d’intérêt familial sont admis à satisfaire pleinement l’utilité publique[7]. En règle générale, cette manière de procéder au habs n’est pas unique ; il faut en distinguer encore deux autres : celui khayrî ou public, constitué directement en faveur d’établissements pieux ou publics et enfin celui moins commun, le mushtarak ou semi familial, d’un bénéfice mixte entre le ahlî et le khayî[8]. Le propos de cet article n’est pas de discuter la définition d’un tel acte ni d’ailleurs son origine. Il convient, ici, d’approcher, de très près, ses répercussions immédiates ou parfois différées sur l’effort d’urbanisation de la ville d’Alger, tout au long de la période ottomane. La plupart des registres, répertoriés au Baylik, témoignent d’ailleurs de l’intérêt porté tout spécialement à la restructuration et remodelage de pans entiers de la ville.
Dans un contexte résolument plus spécifique, les recherches d’A. Raymond sur l’urbanisme des villes, évoluant au cœur de l’Empire ottoman, relèvent d’une toute nouvelle approche qui repose pleinement sur la lecture de documents originaux, tels que les waqfiyya-s. L’auteur démontre qu’en l’absence de tout organisme régulateur, l’ordre urbain ne pouvait se maintenir que dans le cadre des opérations waqf-s. Ainsi, à Alep ou au Caire, des opérations d’urbanisme découlant essentiellement de l’acte waqf ont conduit, pour la première, au remodelage complet de son centre urbain et ont contribué, pour la seconde, à orienter son expansion urbaine vers le sud et à réorganiser le tracé antérieur de sa voirie[9]. De même, la contribution de J. C. David fait ressortir, au sujet du waqf d’Ipshîr Bâshâ, à Alep, les limites de l’intervention de l’État dans l’accroissement des villes ottomanes. Elle concerne les équipements défensifs ou palatins au moment où les différentes autres réalisations demeurent du ressort presque exclusif du waqf[10]. M. Bakhit tente de son côté, à travers l’étude des documents habûs, de reconstituer la topographie de la ville de Safad, mais surtout de confirmer sa croissance urbaine extra-muros[11]. Abondant dans un sens similaire, R. Van Leeuwen met en exergue l’étroite relation de ce même acte waqf avec le développement urbain de Damas[12].
A. Devoulx, en sa qualité d’archiviste, s’est aussi intéressé à cette documentation inhérente à la gestion des habûs, il y a plus d’un siècle. Il tente, grâce à une démarche alors inédite, de reconstituer l’histoire urbaine d’Alger, en s’appuyant sur une exploitation poussée de l’ensemble de ces archives[13]. A cette étude ancienne, sont venues s’ajouter, au cours de ces dernières années, les recherches de N. Saidouni, F. Khiari, M. Benhamouche, Z. Seffadj ou de T. Shuval sur l’économie, la gestion et l’histoire urbaines d’Alger[14]. Elles se distinguent, à leur tour, par l’emploi des mêmes sources, c'est-à-dire les archives de habûs d’Alger.
Sur le strict plan de l’architecture, les éléments d’analyse notés, à partir de nos prospections menées sur les mosquées en Alger ottomane, semblent impropres. Ils permettent, dans une première étape, de prendre conscience du retentissement que pouvait avoir l’acte habûs sur la préservation du patrimoine architectural[15].
L’impact des fondations habûs sur l’urbanisation d’Alger
À Alger où le tissu urbain avait atteint donc rapidement une densité considérable et où se trouvaient de moins en moins de terrains aptes à recevoir la moindre nouvelle construction, on mesure bien l’importance des fondations habûs. En offrant un cadre juridique commode pour la réalisation d’opérations immobilières, d’envergure assez souvent mineure, elles aspirent à donner un nouveau souffle à la croissance urbaine d’Alger dès la fin du xvie siècle. Or, vu leur taille, ces actions pieuses tendent à s’apparenter à des opérations de restructuration ponctuelle, telles qu’un bouleversement du tissu urbain ne serait guère envisagé.
Un pareil constat est loin d’être valable pour le Caire, Damas ou Alep : la répétition des programmes réalisés dans le contexte spécifique du waqf a conduit, entre les xvie et xviie siècles, à une transformation complète de leur paysage urbain. Elle a donné lieu à de véritables opérations d’urbanisme qui ont généré des plans d’ensemble cohérents à l’intérieur de toute une entité urbaine.
À la lumière des renseignements fournis par les documents d’archives de l’administration ottomane, on est amené à déterminer, en ce qui concerne Alger, le degré d’implication de l’acte habûs dans la réalisation des programmes architecturaux, ayant en particulier une dimension religieuse. Les différents cas de mosquées retenues pour les besoins de la démonstration montrent toute l’importance de cette démarche originale, souvent nourrie de motivations pieuses. Une telle procédure peut avoir donc des conséquences plus ou moins sérieuses sur la réurbanisation de la ville.
Le premier exemple sur lequel nous nous sommes basés est celui de la mosquée à khûtba portant le nom de Qâyad Safar. Bien que ce converti de grande distinction soit à l’origine de l’une des plus anciennes fondations pieuses, ayant ponctué l’urbanisme d’Alger, au début du xvie siècle, il n’était que l’artisan d’un modeste programme architectural. En dépit de la disponibilité des terrains à bâtir, au cœur d’une région de vergers (jnâyan), appelée à s’urbaniser davantage dans le cadre de l’extension progressive de la ville, vers les hauteurs, bien au-delà de l’ancien rempart arabo-berbère, Jâma‛ Safîr ne s’était étalé que sur une surface de moyenne importance[16]. Quelques temps plus tard, les abords de cette mosquée à prône, voisine de la porte ottomane, Bâb al-Jadîd, ont vu des constructions récentes venir remplacer, de plus en plus, des jardins irrigués au moyen de norias. Quelques-unes d’entre elles, au lieu d’être comblées, avaient été simplement recouvertes à l’aide de planchers en bois ou de voûtes maçonnées. À ce titre, un acte datant de 1125/1713-1714 évoque une maison, sise également dans son voisinage, et que l’on a construite, tout près d’un puits à roue recouvert[17].
La nature accidentée qui caractérise le terrain, en cette zone haute du jabal, ne saurait expliquer, à elle seule, l’exiguïté des parcelles offertes aux nouvelles constructions. Au niveau du wtâ, les fondations pieuses, dont la quasi-totalité était attribuée aux représentants de la caste dominante, paraissaient s’établir suivant des considérations plus ou moins similaires ; elles occupaient des assiettes qui non seulement offraient une étendue souvent limitée, mais étaient encore préalablement investies par d’autres édifices religieux ou civils.
Il faut penser que, seul Jâma‛ ‛Abdî Bâshâ devait présenter l’exception, en ce début du xviiie siècle. Le pacha avait fait en sorte que l’édification de sa propre mosquée à khutba, au courant de l’année 1138/1725-1726, ne nécessite nulles démolitions préalables. Le terrain repéré en faveur de son établissement présentait en fait une position des plus singulières vu qu’il surplombait dangereusement le rivage[18].
Il n’en va pas de même pour Jâma‛ Mîzû Mûrtû. Car, faute d’espaces libres, du côté de Bâb ‛Azzûn, Husayn Bâshâ a porté son choix sur un oratoire préexistant dont le nom semble être ignoré de la plupart des sources textuelles. Elles établissent seulement que ce pacha a procédé, vers 1097/1685-1686, à sa reconstruction à partir des fondations, de manière qu’il puisse lui substituer cette mosquée à khutba, connue aussi sous sa propre dénomination. Cependant, le modeste complexe architectural, nouvellement réédifié par ses soins - à savoir le lieu de culte proprement dit, ainsi que le bain (Hammâm al-‛Arsa), les latrines publiques avec fontaines, la salle de bains froids et les quelques boutiques, se trouvant tous au-dessous - serait loin d’égaler la stature des grandes fondations. Avec une surface ne dépassant pas les 200 m², un tel programme architectural n’aurait pu remodeler que de manière timide le paysage urbain environnant, que l’on suppose déjà profondément structuré, en cette fin du xviie siècle[19].
Dans ce même contexte, le cas de Jâma‛ Sha‛bân Khûja paraît également représentatif à plus d’un titre, au regard de la forte pénurie de terrains constructibles. Son fondateur a adopté une démarche assez originale : en effet, d’après un document légal, Sha‛bân Khûja n’a pas trouvé mieux que de consacrer l’emplacement d’une maison nouvellement acquise, près de Bâb-Dzira, à l’édification de sa mosquée d’assemblée, achevée en l’année 1105/1693-1694. Ce qui aurait conduit, un siècle plus tard, Hassan Bâshâ à englober, par voie de habûs également, d’autres immeubles, mitoyens, de nature et de taille diverses, dans sa nouvelle extension[20].
À travers ces deux opérations, c’est encore une autre portion de la ville, proche de Bâb-Dzira, qui a vu émerger et se développer progressivement une fondation pieuse des plus modestes. En effet, il est aisé de remarquer que ses composantes architecturales – une salle de prière, aménagée à l’étage, à laquelle, sont réunies des latrines publiques avec fontaines et une école spécialement affectée à l’enseignement des jeunes turcs – occupaient une surface d’environ 105,78 m². Là encore, des initiatives d’une telle envergure ne promettent pas de bouleverser profondément le cadre urbain du moment que les abords immédiats de la caserne Ustâ Mûsa, située précisément en face de cet édifice religieux, ne semblaient connaître qu’un réaménagement partiel.
Une fondation de même genre, s’appuyant sur le système des habûs, a sans doute permis à ‛Alî Bâshâ d’insérer avec justesse sa propre mosquée au milieu de la parcelle présente au devant de Dâr al-Inkishâriya al-Jadîda (nouvelle). Son initiative de départ, que certains résumés d’actes datent vers 1164/1750-1751, visait à remplacer Zâwiyat Sîdî Lakhal par une nouvelle mosquée à khutba. Toutefois, il faut compter au moins huit années pour que cette modeste action pieuse puisse réellement ambitionner de se hisser au rang d’une véritable opération d’urbanisme. Dans ce cas précis, on conçoit bien que la série d’activités constructives, poursuivie par le pacha, dans ce quartier limitrophe de Bâb ‛Azzûn, ait probablement offert le cadre idéal permettant au parcellaire hérité de la période médiévale de consolider, dans une certaine mesure, sa structure globale. Jâma‛ ‛Alî Bâshâ ne s’est complètement imbriqué dans la caserne voisine qu’après une seconde action de profonde rénovation engagée par ‛Alî Bâshâ[21].
L’opération lancée par Hassan Bâshâ, au centre, dans la région située à l’ouest de Dâr al-Sultân, incarne un autre exemple tout à fait convaincant. En effet, les efforts consentis pour son accomplissement, durant une période plutôt tardive où une très forte densité avait irrémédiablement marqué la ville, sont davantage soutenus. À partir de 1208/1793-1794, soit une année avant le lancement effectif des travaux d’agrandissement de Jâma‛ Katčâwa, le pacha s’était attelé à l’appropriation à la fois par achat et par voie d’échange (mu‛âwada) de la plupart des biens immeubles adjacents ; leur démolition devait servir à augmenter la surface de la parcelle appelée à recevoir sa nouvelle fondation pieuse[22]. L’implication de l’acte habûs sur ce plan urbain, a eu pour effet de réaménager ponctuellement cette zone centrale, au moins une dernière fois avant l’installation des Français.
Sur ces actions de piété et sur bien d’autres, à l’exemple de celles entreprises, tour à tour, par Khidar Bâshâ dès 1005/1596-1597, par al-Qâyad ‛Alî Bitčnîn vers 1032/1622-1623, par le corps des janissaires entre 1067/1656-1657 et 1076/1665-1666 ou encore par Muhammad Bâshâ en 1198/1783-1784, on ne sait guère que ce qu’en disent les documents habûs[23]. Les zones où elles s’étaient développées ont été tellement bouleversées, au cours du xixe siècle, que les constructions réalisées à ce titre, ont subi de profondes altérations, quand elles n’ont pas simplement disparu.
Nous tenons à rappeler, qu’au cours de ces opérations urbaines, diverses méthodes de construction étaient appliquées de façon à utiliser au mieux les assiettes foncières disponibles. La plus avantageuse d’entre elles est apparemment celle qui consistait à s’étendre traditionnellement au-dessus des rues adjacentes au moyen d’une succession de voûtes d’arêtes ou en berceau, formant ainsi, en partie, ce qui peut être communément appelé le sabât (passage voûté) ; elle avait pour but principal de gagner au niveau de l’étage supérieur des espaces importants, telle que la salle de prière au niveau des mosquées, dont il n’était pas tout à fait aisé de disposer au rez-de-chaussée.
Il s’agit d’une méthode des plus originales que la nature du terrain avait fréquemment encouragée ; celui-là même qui présente, selon sa localisation, une faible ou forte déclivité. L’emprise au sol des bâtiments est restée, au regard de ces mêmes raisons, tant économiques que topographiques, incontestablement minime. En fait, l’économie du potentiel foncier figurait peut-être parmi les prétextes qui sont à l’origine d’un recours perpétuel aux interventions de ce genre. Or nous avons pu noter que leur aboutissement n’aura représenté, à long terme, rien de plus qu’une restructuration urbaine d’envergure relativement mesurée.
Les mosquées à khutba, pour ne citer encore une fois qu’elles, auraient été édifiées dans le respect total de ces considérations. Parmi les neuf lieux de culte de ce rang, nouvellement construits ou seulement agrandis, il existe au moins cinq qui se voient bâtir au-dessus d’une séries de voûtes en berceau, voire d’arêtes, et par conséquent se développer à l’étage supérieur. Ainsi, au niveau de rez-de-chaussée appartenant à Jâma‛ Katčâwa, à Jâma‛ ‛Alî Bitčnîn, à Jamâ‛ Sha‛bân Khûdja et à Jâma‛ Mîzû Mûrtû, ce sont plutôt des locaux à usage commercial (boutiques, hammâm-s, dépôts ou autre) qui s’offraient systématiquement à la ville. Jâma‛ Dâkhil al-Qasaba – l’ultime mosquée d’assemblée construite au cœur de la Citadelle –, s’élève, quant à lui, sur cinq locaux voûtés en berceau, que l’on avait réservés au stockage.
Le confinement volontaire de l’urbanisation de la ville dans le périmètre intérieur de ses murailles n’avait certes pas réussi à freiner l’accroissement numérique des complexes religieux réalisés dans le cadre institutionnel habûs. En revanche, il avait pleinement présidé au choix de leur architecture. En général, ces bâtiments sacrés se démarquaient par la relative exiguïté de leurs espaces[24]. Pour la plupart, ils étaient aménagés, en ‛ulwî. L’introduction de cette typologie originale de configuration spatiale correspond pour ainsi dire à l’arrivée à saturation de la densité urbaine. La prise en ligne de compte de ce facteur de densité, qui semble forte en ce temps-là, explique la mise en œuvre de moyens diversifiés pour ériger ou bien agrandir, les fondations pieuses ; leur réalisation n’a pu que difficilement se soustraire à cette contrainte de taille.
C’est probablement l’impératif sécuritaire, bien plus que les considérations topographiques ou économiques, qui est, ici, à l’origine d’une offre très limitée de nouveaux terrains à bâtir.
Conclusion
À l’inverse du constat qui peut être général pour la plupart des villes musulmanes, les programmes architecturaux réalisés ici, et spécialement par les soins du waqf, sont paradoxalement de moindre envergure ; ils s’apparentent en fait à des opérations de restructuration restreinte quand ils n’aboutissent pas à des actions de réaménagement partiel du cadre urbain existant. Ce n’est pas faute d’initiatives prestigieuses, mais il apparaît que l’impératif sécuritaire a largement prévalu. Face aux incessantes attaques maritimes, la ville s’est résolue à se confiner dans les limites, atteintes au début du xviie siècle, et que l’on a depuis solidement fortifiées[25].
Placé dans le contexte de la réurbanisation d’Alger à l’époque ottomane, le système des habûs s’est engagé non seulement à encadrer timidement sa nouvelle extension, à l’ouest, au-delà de l’enceinte arabo-berbère, mais encore à remodeler par simples à-coups sa structure urbaine préexistante. En marge de chaque intervention, une institution de cette nature a donné forme à une fondation pieuse d’envergure relativement modérée.
Il convient de préciser toutefois que l’implication de l’acte habûs ne se limitait pas uniquement à cet aspect d’urbanisme de la ville. Les services qui ont trait aux commodités quotidiennes de la vie urbaine relevaient directement de ses compétences. L’entretien et la gestion des conduites d’eau, des aqueducs et leur réparation en cas de dommage autant que l’inspection des routes et leur administration étaient assurés, de tout temps, par ce seul biais du habûs[26].
Documents d’archive et manuscrits
CNA, Alger, al-Baylik, C128 à 145, R132/218, 1093/1682: Annexe I/2.
CNA, Alger, al-Baylik, C128 à 145, R133/219, 1102/1690-1: Annexe I/3.
CNA, Alger, al-Baylik, C117 à 127, R125/210, 1112/1700-1: Annexe I/4.
CAOM, Aix-en-Provence, 1 miom/70(19) et (20), s.d. annexe XIV, n°44.
CAOM, Aix-en-Provence, 1miom/30 Z60, 1837.
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Notes
[1] Pasquali, E., 1951, p. 4, propose un tracé hypothétique de cette ancienne enceinte, correspondant à la voie transversale large et peu abrupte, formée de plusieurs rues – Ramdan, Annibal, du Palmier, Damferville, des Dattes et du Centaure – qui joignent les deux axes de la Casbah et Porte Neuve, puis les dépassent.
[2] Assez nombreuses sont les publications sur l’histoire urbaine d’Alger. Il ne s’agit pas ici de donner une bibliographie exhaustive ; cf. Devoulx, A., Alger, 1875/1876 ; Lespes, R., 1930 et Cresti, F., Description, 1993.
[3] Le terme waqf usité en Orient adopte pour équivalent la locution bien adaptée de habûs au Maghreb.
[4] Dans le cas d’Alger voir notamment, A. Devoulx, Notes, 1859/1862, p.467 et suiv; Aumerat, J.-F., Propriété, 1897/1898, p. 321 et suiv; mais aussi récemment M. Benhamouche 1999, pp.128-130, et F. Khiari, 2002, pp. 164-165, dont les études restent à un niveau large lorsqu’elles abordent la question des institutions habûs et leur rôle dans la gestion urbaine d’Alger.
[5] Outre les recueils bien connus de la tradition et les ouvrages de fiqh, il existe de nombreuses études relativement précises qui en abordent le sens étymologique général, mais en rapportent encore la signification au point de vue juridique et doctrinal. Voir en particulier celle, globale, de W. Heffening, 1934, et celles propres au Maghreb de E. Mercier, 1899 et G. B. de Janssens, 1950.
[6] Parmi les conditions accompagnant l’acte habûs, il y a lieu de noter celles qui écartent les héritiers de droit au profit de dévolutaires intermédiaires, voir à ce propos la plupart des waqfiyya-s archivés au CNA, Alger, fonds d’al-Mahâkim al-Shar‛iyya.
[7] Voir à titre de référence les registres, regroupant les abrégés de waqfiyya-s ou leur extraits, établis respectivement au nom d’al-Haramayn, de Sharikat al-Jâma‛ al-A‛dham et de Subul al-Khayrât dans le cadre de la gestion de leurs awqâf ; ces documents issus du fond d’archive d’al-Baylik désigne aussi bien le constituant du bien-fonds que son locataire. Cf. CNA, al-Baylik, C128 à 145, R132/218, 1093/1682 : Annexe I/2 ; C128 à 145, R133/219, 1102/1690-1 : Annexe I/3 et C117 à 127, R125/210, 1112/1700-1 : Annexe I/4.
[8] La grande majorité des spécialistes s’appuyant sur la Sunna du Prophète certifient que le waqf remonte au tout premier temps de l’Islam, J. Terras, 1899, p.13.
[9] Voir, en bibliographie, plusieurs travaux d’A. Raymond qui abordent cette question pertinente.
[10] David, J.-C., 1982.
[11] Bakhit, M., Safad, 1990.
[12] Van Leeuwen, R., 1999.
[13] Les travaux de recherche, menés par A. Devoulx sur la base de la lecture et de la traduction de plusieurs milliers de waqfiyya-s, ont donné forme au manuscrit conservé à la BN d’Alger sous la cote Ms. 3213.
[14] Au sujet des récents travaux concernant Alger et qui se basent sur l’étude des documents habûs, voir, en bibliographie, plusieurs thèses de doctorat, dont la plupart ont fait l’objet de publication.
[15] Chergui, S., 2007.
[16] Sa reconstruction par Husayn Bâshâ, trois siècles plus tard, ne l’a pas davantage agrandi, puisque, de nos jours, il couvre une superficie totale de 399,00 m², dépendances comprises. Bn d’Alger, Section Manuscrits, Ms n° 3213, f° 64.
[17] Idem, f° 140.
[18] Cf. Shuval, T. 1998, p. 195.
[19] Devoulx, A., Édifices, 1869, p. 30.
[20] Ibid, 1866, pp. 56-58.
[21] Le texte original d’une waqfiyya, datant du milieu de jumâda al-ûlâ 1173/début janvier 1759, détermine la portée réelle de cette restructuration urbaine. CAOM, Aix-en-Provence, 1miom/30 Z60, 1837.
[22] Les détails essentiels devant entourer cette opération urbaine demeurent de loin ceux qui sont le plus soigneusement conservés dans certains documents officiels, établis à cette même époque. CAOM, Aix-en-Provence, 1 miom/70(19) et (20), s.d. : annexe XIV, n°44.
[23] Ces illustres deys et pachas qui ont gouverné la Régence d’Alger à différentes périodes ont pour la plupart soutenu l’effort d’urbanisation de la capitale. Sur leur participation dans les activités de construction et de restauration des mosquées, voir Chergui, 2007, vol. II, tableau XXVIII, pp. 660-666.
[24] Se référer au sujet de la typologie des mosquées ottomanes d’Alger à Dokali, R., 1974.
[25] À propos de cette longue série d’attaques maritimes qui avaient endommagé Alger. Voir le tableau récapitulatif de Z. Khanzadian, 1930, p. 40.
[26] Cf. Khiari, F, 2002, p. 165 et Benhamouche, M., Gestion, 1997, p. 287.