In Memoriam : A Notre Collègue Abdelkader DJEGHLOUL (1946-2010)

L’année écoulée ne pouvait pas ne pas amener son lot de joies et de malheurs et, parmi ces dernières, le décès de notre ami et collègue Abdelkader Djeghloul emporté par la maladie à soixante-quatre ans.

L’homme n’est plus à présenter ; universitaire, philosophe de formation et qui, comme nombre de ses condisciples de l’École normale supérieure d’Alger, à la lisière des années 1960 et 1970, se laisse séduire par la sociologie en l’enseignant à l’université d’Oran dans les deux paliers gradué et post-gradué, où nous avions eu à le côtoyer et à mieux connaître le chercheur qu’il était.

Bien entendu, il apportera sa touche d’interdisciplinarité notamment à travers les enseignements qu’il dispensera aux étudiants, son style pédagogique, et la contribution à l’encadrement des diplômés d’études approfondies (DEA) et des tous premiers magisters en Algérie dès 1977 et, surtout, ses préoccupations de recherche qui rejailliront sur les productions dont il encourageait la publication lorsqu’il assurait la direction du Centre de recherche en information documentaire des sciences sociales et humaines CRIDISSH (anciennement CDSH). Il avait fait de ce dernier un véritable lieu de débats d’idées et centre de rayonnement intellectuel que fréquentaient les universitaires et hommes de culture qui s’y déplaçaient en provenance de toute l’Algérie ou encore du Maghreb et d’ailleurs dans le monde. Bravant la censure et l’autocensure, il voulait qu’on y discute de philosophie, de poésie et littérature et autre esthétique, des sciences sociales et d’histoire, d’enjeux de société et de tout un ensemble de questions évitées ailleurs, surtout, dans un contexte d’absence de pluralisme sur les plans de l’expression et de la presse et où la liberté intellectuelle pouvait être « mal perçue », même dans la cadre académique.

Comme universitaire, faisant référence à l’analyse marxiste il participera au débat sur la formation sociale de l’Algérie précoloniale et proposera des relectures critiques des œuvres d’Ibn Khaldoun et de Frantz Fanon en consacrant à ce dernier sa thèse de doctorat soutenue en 1972, intitulée : L’ambigüité d’une idéologie tiers mondiste. Il nous aidera ensuite à découvrir une modernité chez des intellectuels, formés dans un moule traditionnel à la lisière des XIXe et XXe siècles, tels que Ben Rahal, Bayyoud ou le tunisien Tahar Haddad. A propos des deux premiers, il écrira en préfaçant une traduction en langue française d’écrits de Haddad en 1984, il a décrit « un Ben Rahal, homme de zaouïa et défenseur acharné de l’Islam, un Bayyoud, cheikh ibadite ; les deux sont des initiateurs d’une modernisation sous certains aspects plus effective que celle proposée par nombre de Jeunes algériens. ».

Durant une partie des années 1980 et 1990, des préoccupations de recherche, mais aussi des raisons familiales lui imposeront de s’installer en France, où il ne perdra rien de sa verve intellectuelle qu’il déploiera auprès des universitaires, mais aussi de notre communauté émigrée en ayant toujours au cœur l’Algérie dans ses écrits de presse, ses conférences ou organisation de colloques. On sait comment il avait réagi à la répression des émeutes du 5 octobre 1988 et ses efforts pour faire connaître les combats menés, dans notre pays durant les années où ce dernier subissait la hargne du terrorisme. Après cette escale qu’il trouvait longue, en juillet 1997, le sociologue auto-marginalisé, comme il se plaisait à se définir, exprimera sa nostalgie pour Oran, en ces termes : « Une fois ma mission paternelle terminée… je voulais seulement retrouver la chaleur orageuse de ma ville, reprendre mon poste d’enseignant à l’université ». Il finira par retourner dans son pays pour continuer son activisme citoyen, certes pas toujours compris par  tous y compris par ses collègues et amis, et renouer un certain moment avec la vie universitaire en enseignant au sein du département des langues étrangères, avant d’être appelé à la Bibliothèque nationale à Alger et aux fonctions de conseiller à la Présidence de la République.

Sans être, ici, exhaustifs de tout ce qu’il avait entrepris et écrit, il est indéniable que la force de ses convictions, la profondeur de ses idées font de lui l’intellectuel courageux, provocateur et fécond, même s’il avait ses moments de doutes et de faiblesses, en gardant toujours un rapport difficile avec la violence coloniale qui l’a dépossédée non seulement de sa langue, mais aussi du nom de son grand-père, Benchergui. Il écrira à ce propos : « maintenant je m’appelle Djeghloul parce qu’un administrateur de commune mixte en a décidé ainsi dans les années vingt ». Dans des termes amicaux, il disait dans un hommage posthume à Pierre Claverie, que sa fierté a pris un «  sacré coup » et c’est « scandale des scandales  », lorsque ce dernier lui a permis de se repérer dans les écrits en langue arabe.

Ces dernières années, il se consacrait à un important projet intellectuel en projetant la réédition des œuvres majeures de la littérature et de la pensée produites dans le pays entre l’Antiquité et nos jours. La mort cependant venait l’arracher à ses proches, collègues et amis à un moment où l’intellectuel qu’il portait en lui semblait de nouveau vouloir se manifester. Il appartiendra à d’autres de poursuivre cette œuvre.

Il parlait de nos amis disparus dans la tourmente des années sanglantes en disant « qu’ils sont toujours en vie », et nous pouvons dire qu’il en est de même pour lui.

De nouveau, salut Kader et repose en paix.

bibliographie

A. Publications d’ouvrages

1. DJEGHLOUL Abdelkader :

Frantz Fanon ; l’ambigüité d’une idéologie tiers-mondiste, Thèse de doctorat 3ème cycle, faculté des sciences sociales, Paris I, 1972.

Annuaire des enseignants chercheurs en sciences humaines de l’université d’Oran, Cahiers de Centre de Documentation en Sciences Humaines, n°2, Université d’Oran, 1980, 224 pages.

Huit études sur l'Algérie, Editions  ENAL, Alger, 1986, 206 pages.

Trois études sur Ibn Khaldoun, Editions ENAL, Alger, 1984.

Lettres pour l’Algérie, Editions ENAP, Alger, 2001, 144  pages.

Nouvelles lettres pour l'Algérie, Oran, Editions Dar El Gharb, 2004

Djaout, Tahar, fragments d’itinéraire journalistique, Alger, Edit. Alpha, 2009, 158 pages.

Chenntouf, Tayeb & Djeghloul, Abdelkader, Eléments de sociologie de l’histoire algérienne XIX-XX, recueil d’articles, tome I, polycopié, Université d’Oran, 1978-1979, 225 pages.

Chenntouf, Tayeb et Djeghloul, Abdelkader,  Eléments de sociologie de l’histoire algérienne XIX-XX, recueil d’articles, tome II, polycopié, Université d’Oran, 1978-1979.

b. Ouvrages traduits en langue arabe

جغلول، عبد القادر، الإشكاليات التاريخية في علم الاجتماع السياسي عند ابن خلدون، ترجمة فيصل عباس، أربع طبعات، الطبعة الثانية منقحة، بيروت، دار الحداثة للطباعة و النشر،  1980، 1981، 1982، 1987.

ملحوظة:  الطبعة الثانية منقحة، نشرت بالتعاون مع ديوان المطبوعات الجامعية بالجزائر و بيروت، 1981.

جغلول، عبد القادر، تاريخ الجزائر الحديث دراسة سوسيولوجية، ترجمة فيصل عباس، بيروت، دار الحداثة للطباعة و النشر،  1981، 272 ص.

جغلول، عبد القادر، الاستعمار و الصراعات الثقافية في الجزائر، بيروت، دار الحداثة للطباعة و النشر، 2007، 408 ص.

جغلول، عبد القادر، تاريخ الجزائر الحديث، بيروت، دار الحداثة للطباعة و النشر، 2007، 904 ص.

جغلول، عبد القادر، مقدمات في تاريخ المغرب العربي القديم و الوسيط، ترجمة فضيلة الحكيم، بيروت، دار الحداثة، الطبعة 1، 1982.

c. Préfaces et Introduction

Chukri Khodja, El-Euldj, captif des Barbaresques, roman, Sindbad
Eugène Daumas, Moeurs et coutumes de l'Algérie, Préface de Djeghloul Abdelkader, Actes Sud, Sindbad, Paris, 1968.

Daumas, Eugène, Mœurs et coutumes de l'Algérie, Introduction de Djeghloul Abdelkader, Alger, Editions Anep, 2006,255 pages.

Sebbar, Leïla, Zizou l'Algérien, Algérie, Éditions ANEP, 2005.

Haddad, Tahar, les pensées et autres écrits, introduction et traduction de Nouredine Sraib, Préface,  Université d’Oran, Editions CRIDISSH, 1980.

Ḥamdān ibn Ut̲mān H̲ūǧah Le miroir, aperçu historique et statistique sur la Régence d'Alger, Préface de  Djeghloul Abdelkader. 

D. Articles et communications

De nombreux articles ont été publiés dans des revues spécialisées, périodiques, et dans des hebdomadaires et quotidiens nationaux ou internationaux (Algérie  Actualités, Actualités de l’Emigration, Awal, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, Le monde diplomatique…) sur des thèmes et personnalités, notamment intelligentsia, culture, Frantz Fanon, Si Mhamed Ben Rahal, Chukri Khodja «Un algérien face au centenaire», Emir Abdelkader, Tahar Haddad, Hamdan Khodja, Ibn Khaldoun, Mouloud Mammeri, Khateb Yacine, Tahar Djaout… D’autre part, Djeghloul a contribué, voire polémiqué,  au débat autour de l’actualité qu’a vécue l’Algérie durant les vingt dernières années. Parmi ces contributions, nous pouvons notamment signaler :

Ibn Khaldoun, « la politique et l’histoire », revue Majallat et-tarikh, Actes du colloque international sur Ibn Khaldoun, Alger, 18-25 juin 1978, SNED. 

Cahiers pédagogiques sur l’immigration, « Introduction à l’immigration et à l’intégration des étrangers en France : le cas maghrébin », texte distribué par Inter-service Migrants Formation, Paris, non daté, 61 pages.

«  Ibn Khaldoun : Mode d'emploi : les problèmes d'un héritage », revue Majallat et-tarikh 1984, Actes du colloque international sur Ibn Khaldoun, Frenda 01-04 Septembre1983.

Hassan REMAOUN et Ahmed YALAOUI

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