Ecriture, thèmes et symboles dans le roman « Poing mort » de nina Bouraoui

Insaniyat N° 29-30 | 2005 | Premières recherches II (Anthropologie, Sociologie, Géographie, Psychologie, Littérature) | p.135-144 | Texte intégral


Ecriture, thèmes et symboles dans le roman « Poing mort » de nina Bouraoui

Abstract : Notre analyse du roman Poing mort de nina Bouraoui a démontré qu’il s’agit d’un roman atypique et inclassable. L’écriture allégorique de Bouraoui met en scène le thème  de « la mort », un pivot autour duquel tournent les sous thèmes du corps, du silence et du fantasme. A travers le «  je »,  personnage central du roman, nous assistons à une nouvelle approche de l’identité de la femme, caractérisée par une symbolique du refus : refus du corps, de la féminité, de la société et de la religion.

Mots clés : allégorie - mort - corps - fantasme - féminité - silence - refus - symbole.


Nadia BENTAIFOUR : Université de Mostaganem, 27 000, Mostaganem, Algérie.


Si Nina Bouraoui a fait de son premier roman «La Voyeuse interdite»[1], un roman algérien, d’une algérianité troublante, violente, très contrôlée qui ne dégénère jamais, elle choisit pour son deuxième roman «Poing mort»[2], un cadre nouveau puisque la scène se passe en France dans un cimetière chrétien dont la gardienne est une jeune fille bossue. Fuyant la vie et le monde ambiant, cette jeune adolescente choisit volontairement de s’isoler dans le silence et préfère la compagnie des morts aux vivants. Elle se souvient de son enfance: une fillette qui fait vœu de cruauté. Elle noie Ada sa camarade de classe en la précipitant dans le lac. Personnage redoutable, elle sème la terreur au milieu de sa classe. Cette gardienne témoin de la mort d’autrui, trouve enfin sa propre mort sur une tombe anonyme. Mais l’histoire ne s’arrête pas à ce niveau, la gardienne de cimetière doit passer au tribunal divin où elle doit payer pour ses crimes et péchés. Ce deuxième roman constitue l’objet de notre étude.

A ce niveau, il est indispensable de répondre à deux interrogations majeures: D’abord, pourquoi étudier Nina Bouraoui, un auteur si jeune qui n’a écrit jusqu’à présent que quelques romans? Ensuite, pourquoi choisir le roman Poing mort comme corpus d’analyse, tout en sachant que le champ littéraire est varié et laisse un choix immense à l’investigation et à la recherche?

En fait, les motivations qui sous-tendent ce choix émanent de la nouveauté et de l’originalité qui caractérise Poing mort tant sur le plan de la forme que sur celui du contenu. En plus, le nombre de travaux consacrés à ce roman est beaucoup plus restreint comparé au nombre de ceux consacrés à La Voyeuse interdite, une réalité qui nous a beaucoup incitée et encouragée à entreprendre ce travail.

L’intérêt de notre étude est de reconnaître et de prouver le caractère atypique de notre corpus à travers ses particularités scripturales. De plus, il s’agira aussi de montrer comment l’écriture de Bouraoui est novatrice à travers la manière dont elle traite ses thèmes. En d’autres termes, Nina Bouraoui, aurait-elle traité d’une manière particulière cette mort qui domine tout le roman? Et comment a-t-elle conçu le personnage féminin principal, de par son statut de femme, son corps et sa psychologie? Que peut-elle nous faire découvrir de nouveau à l’égard du féminin comparativement à l’intertextualité maghrébine?

Apporter des éléments de réponse à ces interrogations constitue la structure même de notre analyse, le tout s’articulant autour de trois grands questionnements: d’abord, quel type d’écriture nous offre Poing mort? Ensuite, comment sont traités les sous- thèmes qui jalonnent le thème de la mort? Enfin, quelle dimension symbolique se dégage de ce roman?

L’approche narratologique du roman s’est organisée selon trois axes: D’abord, les instances narratives. Sous l’apport de cette analyse, notre objectif a été d’étudier la voix ou les voix qui racontent le roman. Comment s’articulent ces voix? Et s’il n’y en a qu’une seule dans le roman, ne serait-elle pas dédoublée par d’autres voix? Répondre à ces questions, nécessite l’apport de l’analyse structurale selon les points de vue de Genette et de Barthes.

Pour ce qui est de la narration, dans Poing mort, le personnage de la gardienne de cimetière est un narrateur - agent. Elle se charge de raconter l’histoire dont elle est l’héroïne. Tous les évènements du récit, nous sont communiqués à travers cette narratrice seconde. Son «je- narrant», et son «Moi» personnel dominent tout le roman et se manifestent par la fréquence des pronoms personnels (je- nous). Cet emploi exclusif et itératif serait significatif d’une volonté d’affirmation et de domination. La narratrice domine tous les aspects de la fiction, entre dans les personnages et révèle leurs pensées. Nous attestons dans le sillage de Todorov que le narrateur «incarne les principes à partir desquels sont portés des jugements de valeur; c’est lui qui dissimule ou révèle les pensées des personnages» [3].

Néanmoins, le je dans Poing mort ne renvoie pas uniquement au personnage de la gardienne, il concentre en lui d’autres entités. Bivona parle à ce propos d’un «pluri- je» existant déjà dans le premier roman de Bouraoui La voyeuse interdite, lorsqu’elle affirme:

«Le «je» de Poing mort est une entité excentrique qui reçoit

l’écho d’elle-même et de ses composantes qui existaient déjà

dans la voyeuse interdite: Il s’agit d’un «je» fragmenté,

errant, qui recompose dans le discours narratif: seul lieu pour

une possible reconstruction cohérente et légitime» [4]

Ce je cache donc une pluralité et acquiert une certaine forme d’exotopie qui oblige à un changement des rapports entre les personnages. En dépit de cette pluralité, nous ne sommes guère dans le cas de notre corpus, en présence d’une polyphonie des voix narratives, puisque la narration n’est à aucun moment prise en charge par un «il» ou un «elle» ou même un «nous». Néanmoins, nous nous confrontons à travers la lecture à un je prêt à une intériorité narrative et à fixer la mort dans toutes ses variantes. Ensuite, quant aux stratégies narratives, elles sont cernées à partir de l’étude de la distribution et l’équilibre de l’intrigue; tout en insistant sur l’espace du roman, ses caractéristiques, ses significations, sur le temps de la fiction et aussi sur son fonctionnement.

L’organisation du récit de Bouraoui fait défaut au modèle quinaire. En effet, dans Poing mort, aucun évènement particulier ne se constitue en nœud, nous n’assistons guère à cette transformation d’une situation à l’autre et qui « définit la cohérence particulière du récit et marque sa clôture»[5]. Quant au contexte spatial où se déroulent les évènements narratifs, il est marqué par un seul lieu: le cimetière. Il est le lieu privilégié de la représentation romanesque dans notre corpus. Les autres lieux, peu nombreux d’ailleurs, semblent inexistants face à cet espace dominant, porteur de signification. Christiane Achour évoque «des espaces signifiants» lorsqu’elle affirme: «[…] l’espace est à la fois indication d’un lieu et création narrative: le déroulement narratif peut lui-même faire surgir, du décor qu’il a planté, de nouveaux espaces signifiants»[6]. L’espace reçoit dans Poing mort un traitement surtout symbolique, il est toujours relié au processus intérieur de la formation d’une identité chez le je. La représentation spatiale étant définie, nous passons à la représentation temporelle.

Poing mort ne présente pas des événements suivant un ordre linéaire. Il évoque des événements advenus plus tôt. La fréquence des ellipses nous empêche de suivre le cours de l’histoire, nous met face à une temporalité fuyante et insaisissable. Les indices temporels imprécis entraînent le trébuchement du récit et brouillent les pistes de lecture. Les fils du passé et du présent sont ainsi finement tissés tout au long du roman. Le premier correspondant au temps de l’histoire et à la remémoration des souvenirs quant au deuxième il correspond au temps du récit et à la narration des événements. Enfin, l’étude des figures rhétoriques, très riches dans le roman telles que: la métaphore, l’allégorie et l’ironie est d’une grande utilité dans la mesure où elle permet de saisir le sens que recèle la fiction. Nous empruntons notre outil d’analyse au Groupe μ avec l’ouvrage «Rhétorique générale»[7] .

La narratrice utilise un élan métaphorique qui enrichit l’illustration thématique du roman. Les images de la mort, glissent l’une sur l’autre par un jeu de métaphores au sein de la même allégorie narrative. L’usage des métaphores ne revêt pas seulement un aspect rhétorique et esthétique, il devient aussi significatif puisqu’il agit sur deux plans: d’abord la personnification de la mort, ensuite la féminisation des éléments. Cette écriture allégorique déclenche chez le lecteur la quête d’une continuité de sens, d’une unité cachée qui rassemble les images macabres de la mort dans une signification unique. Une signification qui se situerait à un niveau symbolique.

Si l’approche narratologique a révélé le caractère singulier de l’écriture de Bouraoui, l’approche thématique quant à elle, sera beaucoup plus analytique et posera des questionnements relatifs aux thèmes. Tout en sachant que la mort est le thème central de la fiction, quels seront les autres thèmes qui jalonnent cette unité cruciale? Comment s’organisent ces thèmes et quelles significations dégagent-ils? Dans sa définition de l’approche thématique, Yves Reuter pose que:

«L’approche thématique est traditionnellement centrée sur

les réseaux sémantiques, abstraction faite de leurs évolutions

dans la progression du récit»[8]

Ces réseaux sémantiques apparaissent dans le roman à travers trois grands thèmes. D’abord, le thème du corps fera l’objet de notre analyse. Sa relation avec d’autres sous thèmes tels que le cadavre, le désir, l’érotisme et le fantasme, sera cernée à partir des dichotomies thématiques: corps/cadavre, corps/désir, fantasme/érotisme.

Si dans son premier roman La Voyeuse interdite, Nina Bouraoui a posé la problématique d’un corps féminin qui cherche à s’épanouir dans un milieu social hostile où tout lui est interdit, elle opte avec Poing mort pour une nouvelle problématique du corps féminin. Le corps dans notre corpus d’analyse est synonyme de cadavre ce qui renforce l’idée de la mort. Nous sommes en présence d’un corps répudié. La narratrice refuse et rejette son corps plein de failles et de défauts. Elle l’empêche de grandir et lui interdit toute notion de sexualité. Ce corps en souffrance et en déséquilibre ne parvient à trouver satisfaction que dans les fantasmes allégoriques du je, ce qui donne naissance à un certain auto-érotisme dans une absence totale de l’Autre.

Par ailleurs, l’étude du thème du silence a révélé que l’absence de la parole dans le récit peut être très significative. En effet, les silences narrativisés à l’intérieur du roman révèlent les pensées et annoncent les situations, «le silence muet» devient « un silence dit». Dans cette absence de langage et de dialogue, le rire reste la seule forme de la parole; il vient déchirer le mutisme de la fiction en portant des charges sémantiques différentes. La classification: rire/joie, rire/cri, rire/sadisme, rire/ironie, a permis de montrer comment toutes ces formes de rire consolident l’aspect énigmatique du roman. Chaque type de rire est significatif et participe à instaurer l’image de la mort dans toutes ses variantes.

Le jeu des ombres et des lumières est très significatif dans le roman. L’ombre évoquée dans notre corpus ne constitue pas un simple décor qui vient compléter l’image macabre de morts et de cadavres, plus que cela, elle devient un atout incontestable pour la gardienne. Le personnage de la gardienne préfère la nuit car elle procure la sécurité. La pénombre et l’obscurité seraient pour la narratrice un refuge, un moyen de fuite et d’isolement d’un monde qu’elle n’apprécie guère. Le je dans Poing mort ne peut évoluer que dans un univers ombreux, propice à son comportement malsain. La nuit serait un moment idéal pour la narratrice où elle trouve assurance et paix. Elle se trouve dans son élément et s’y refuge.

La lumière quant à elle fait peur au je, car elle donne la précision. Elle dévoile tous les défauts physiques d’un corps «mal fait» que le je préfère garder caché. Pour soulager cette peur et cette angoisse le je développe ses pulsions meurtrières. Etrangement, les actes criminels du je sont tous accomplis au grand jour; la narratrice n’attendait pas la nuit pour agir, comme si elle ne craignait guère cette fois de révéler ses capacités meurtrières. La lumière devient synonyme de mort puisqu’elle procure la peur; une peur soulagée par le crime. Du coup, les ombres et les lumières développent sur le plan sémantique un rapport opposé. Le développement de l’analyse a permis de démontrer que les ombres sont beaucoup plus proches sémantiquement de la vie, la lumière de la mort, ceci par rapport à la personnalité et au comportement de la gardienne.

L’analyse faite sur la composante de l’eau a donné plusieurs conclusions. D’abord, l’eau est synonyme de vie mais aussi de mort, cette duplicité est due d’une part à l’essence même de l’eau en sa qualité de source de vie, et d’autre part au lac qui apparaît sous une face terrible dans le roman, comme un donneur de mort puisqu’il représente le lieu du crime. Le lac se substitue par ailleurs à l’Autre absent dans la fiction. La relation je/lac reflète un certain désir sexuel et un certain érotisme. La fusion du je et de l’eau du lac suggère une sensualité, un désir. Aussi, les eaux noires du lac suggèrent-elles la pourriture et la souillure. Au lieu d’être un moyen de purification, l’eau du lac salit et offense. Les valeurs donc basculent et le bien devient synonyme de mal.

Il s’avère que les thèmes du corps, du silence et de l’eau sont au service du grand thème la mort. Cependant, la signification réelle des combinaisons thématiques, se dégagerait plutôt à travers une approche symbolique qui fera l’objet de notre troisième axe.

Le personnage embrayeur de Poing mort, en l’occurrence la gardienne de cimetière, dont l’identité demeure problématique, nécessite à notre sens une approche symbolique du niveau de l’interprétation, qui s’attacherait à fournir des éléments de réponse afin de saisir la figure emblématique de la gardienne dans sa complexité et dans son ambiguïté. Tout en sachant que le personnage central du roman présente un refus total de la féminité, nous nous proposerons de montrer le rapport de la narratrice seconde à son corps de femme, et, d’étudier son rejet du personnage d’Ada, représentation parfaite de la féminité. Le discours romanesque de Nina Bouraoui, rend compte d’un non-conformisme total du personnage central du roman vis-à-vis des lois sociales et religieuses. Nous tenterons d’expliquer cette a- sociabilité et cette irréligion en les mettant en relation avec l’ambiguïté identitaire du «je» de Poing mort et de son altérité.

L’élément féminin est très présent dans notre corpus d’analyse. Toutefois, l’héroïne du roman exprime une forte négation de la féminité qui se manifeste à travers son refus de grandir, de devenir femme. Dès les premières pages du roman, la gardienne exprime une répudiation de son corps de femme. Elle refuse de grandir, affirme t-elle pour empêcher certaines formes d’émerger. En effet, nous assistons à une dénégation des caractères physiques de la féminité, «les deux cornes» métaphorisent «les seins» dont la gardienne ne souhaite pas l’émergence, ils «hurlent sous la peau» ce qui symbolise la souffrance et la douleur. Aussi la narratrice œuvre-t-elle à l’aliénation de son propre corps, tout en essayant de le dissimuler, de le cacher et de le rendre invisible. Il en résulte, que l’héroïne ne parvient pas à assumer son corps d’où son refus de devenir adulte. Elle préfère de loin rester dissimulée dans un corps d’enfant dépourvu de formes féminines. Dans ce sillage, on pourrait postuler que la narratrice seconde présenterait tous les aspects d’une anorexie mentale expliquée surtout par «un refus d’accéder à l’âge adulte et par conséquent, sexué».[9] Ce refus du corps se dédouble d’un rejet du personnage d’Ada représentation complète de la féminité. Le personnage d’Ada est en opposition totale avec l’héroïne du roman. Aucun trait physique ou moral ne les unit. Le je est dépositaire d’un réseau sémantique négatif à l’image de son comportement marginal et pathologique. Ada de son côté est l’incarnation de la beauté et de la bonté grâce à son potentiel de féminité. En effet, cet immense potentiel de sensualité féminine chez Ada inspire un dégoût prononcé chez la gardienne

Ce sentiment de dégoût va se développer pour devenir une envie de supprimer. Il faut éliminer Ada car elle cause la souffrance de la gardienne. Ada est un double parce qu’elle constitue une sorte de miroir dans lequel se projette le «je». Un double monstrueux parce que le «je» déteste ada et rejette tout ce qu’elle représente, d’où la nécessité de sa mort. Si nous poussons l’analyse plus loin encore, nous postulons que la mort d’Ada signifie symboliquement la mort de l’Autre, ce qui garantit une naissance du Moi, donc une libération du «je». Ainsi, la libération du moi de la gardienne s’effectue par la mise à mort réelle, symbolique du personnage d’Ada et surtout par une mort symbolique de tout ce qui suggère le féminin dans le roman.

En définitive, il en résulte que l’héroïne de Poing mort refuse toute notion de féminité, en méprisant d’abord son corps de femme, en l’empêchant de grandir; ensuite, en rejetant le personnage d’Ada, modèle féminin qu’il faut éliminer pour libérer le Moi, enfin, en tuant symboliquement la poupée double représentation de la féminité et de l’enfance.

Par ailleurs, le personnage féminin principal du roman exprime un non- conformisme total. Il va s’insurger contre la société en s’installant dans le sadisme, la cruauté et la phobie des vivants La gardienne de cimetière se montre tyrannique, agressive et attaque les enfants de son école. Elle les tourmente, les agace et les rançonne. Cette rancœur se transforme en révolte; d’où son rejet systématique de tout ce qui suggère l’ordre.

Si le non-conformisme de l’héroïne se traduit par son mépris de l’établissement scolaire et des règles qui le gèrent, il se manifeste beaucoup plus encore dans son rapport avec les visiteurs de cimetière. Les femmes du village et les visiteurs du cimetière qui sont en contact avec la narratrice seconde se détournent à sa vue car ils la considèrent comme un être impur dont le moindre regard salit et offense. L’attitude négative des villageois envers la gardienne de cimetière s’explique par le fait que d’une part celle-ci présente, une inadéquation au modèle féminin que la société lui dicte, et d’autre part, parce qu’elle refuse de s’assimiler à un groupe social et refuse par conséquent toutes les règles de la société et de la religion.

la narratrice seconde se rebelle contre la loi divine et son prolongement, la loi humaine qui est son reflet. Les maisons de Dieu qu’elle a longtemps fréquentées n’ont pas pu lui offrir la liberté qu’elle désirait, ils n’ont fait que renouer davantage son lien avec «la femme en habit d’os». Elle multiplie donc les pêchés et les outrages en faisant abstraction totale du châtiment divin.

Le je de Poing mort se trouve donc partagé entre deux mondes: «la société et la névrose»[10]. La haine des autres, la mise en abyme de la mort et la méchanceté de la narratrice seconde, tous ces éléments semblent œuvrer à réparer l’injustice de la société envers ce personnage et à conjurer le mal. Le refus de son corps de femme et le non- conformisme aux conventions sociales et religieuses, ont fait de la gardienne de cimetière un personnage ambigu, réfracteur à toute définition stricte.

En effet, l’ambiguïté de ce personnage résulte du fait de son altérité, et des problèmes de sa relation à l’Autre. Effectivement, l’Autre n’est envisagé que dans la douleur et la souffrance intérieure. L’Autre est un miroir infernal qui se révèle double dans le roman, comme nous l’avons souligné auparavant. Double souffrance, double douleur intérieur: d’une part, un désir non assouvi car la sexualité est refusée et d’autre part une non adéquation à un modèle féminin accepté par la société. Voilà résumés, les éléments d’une identité déchirée.

Dans sa définition de l’identité, Gilles Thérien pose à juste titre que:

«L’identité, l’individu la tient de l’espèce humaine telle qu’incarné dans ses géniteurs. Son moi personnel lui sert à organiser la vie de façon à réaliser sa nature, ses besoins, un certain équilibre entre les diverses fonctions qui se font jour en lui. C’est par cette identité qu’il est connu et reconnu»[11].

Or, dans le cas de notre corpus, l’identité de l’héroïne ne peut pas être saisie à partir des éléments cités. Elle demeure insaisissable puisque l’héroïne se recherche elle-même. En effet, la volonté de se définir dans son identité reste l’ultime préoccupation du personnage central du roman.

A ce niveau, ayant de sérieux problèmes pour se construire une identité stable, le je de Poing mort opte pour «une conduite paradoxale», un «repliement sur soi», une «ambivalence des pensées et des sentiments», et qui ne sont d’autres que «des symptômes habituels de la schizophrénie en tant que maladie mentale»[12].

Enfin, problèmes existentiels, comportement schizophrénique, névrose, sont les ingrédients complets d’une identité ambivalente et fuyante. Le je de Poing mort n’a qu’un seul but: transcender son moi, s’élever dans l’imaginaire et donc exister par le biais de l’écriture.

Au terme de notre analyse, il s’avère que le roman Poing mort, tend vers une littérarité qui n’est codifiée, ni par la littérature française, ni par la littérature algérienne, même s’il privilégie la représentation occidentale à travers son cadre et sa thématique. A travers son écriture poétique, ses particularités narratives et thématiques, l’auteur présente une nouvelle représentation du féminin qui s’inscrirait dans l’ordre de la révolte et de la rébellion. L’héroïne de Bouraoui n’est pas une victime, elle est le bourreau de ses victimes.

Même si l’on a tenté dans notre travail de répondre à quelques interrogations sur l’auteur Nina Bouraoui et sur son roman Poing mort, il reste encore des éléments d’analyse à reprendre. En effet, une approche comparative avec un ou plusieurs romans du même auteur, pourrait apporter une nouvelle signification au roman et ouvrir le champ à de multiples interprétations.

Bibliographie

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Bivona, R., «L’interculturalité dans la voyeuse interdite de Nina Bouraoui», in Etudes littéraires maghrébines, n° 6, l’interculturel; réflexion pluridisciplinaire, Paris, Ed. L’Harmattan, 1995.

Bouraoui, N., Poing mort, Paris, Ed. Gallimard, 1992.

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Reuter, Y., Introduction à l’analyse du roman, Paris, Ed. Dunod, 1999.

Segara, M., Leur pesant de poudre: Romancières francophones du Maghreb, Paris, Ed. L’Harmattan, 1997.

Therien, g., «littérature et altérité: prolégomènes», in texte, revue de critique et de théorie littéraire, canada, ed. trintexte, toronto, 1999, p. 139.


Notes

* Magistère en littérature comparée, sous la direction de Attalah Mokhtar, Université de Mostaganem, novembre 2004.

[1] Bouraoui, N., La Voyeuse interdite, Paris, Gallimard, 1991.

[2] Bouraoui, N., Poing mort, Paris, Gallimard, 1992.

[3] Barthes, R., Greimas, A.J., Todorov, T., Bremond, C., «Analyse structurale du récit», in communications 8, Paris, coll. Points, n° 29. 1981, Ed. Seuil.

[4] Bivona, R. «Nina Bouraoui: une écriture migrante enquête de lieu», in Etudes littéraires maghrébines n°8, Littératures des immigrations 2: exils- croisés, Paris, 1999, l’Harmattan, p. 131.

[5] Herault, A.Narratologie, sémiotique générale, Paris, PUF, 1983, p. 27.

[6] Achour, C.; Rezzoug, S. Convergences critiques, Alger, Ed. OPU, 1995, p. 208.

[7] Groupe μ, Rhétorique générale, Paris, Ed. Seuil, 1982. Coll. Points, n° 146.

[8] Reuter, Y. Introduction à l’analyse du roman, Paris, Ed. Dunod, 1996, p. 99.

[9] Segara, M., Leur pesant de poudre: romancières francophones du Maghreb, Paris, Ed. L’Harmattan, 1999, p. 65.

[10] Ingenthron, A. Parole de l’eau: «les tourbillons du Moi et de l’écriture dans la voyeuse interdite et Poing mort de Nina Bouraoui», in. L’eau: source d’une écriture dans les littératures féminines francophones, New York, 1995. Ed. Peter Lang Publishing,

[11] Thérien, G., «littérature et altérité: prolégomènes», in texte, revue de critique et de théorie littéraire, canada, ed. trintexte, toronto, 1999, p. 123.

[12] Ségara, M., op.cit., p. 157.

 

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