Insaniyat N° 16 | 2002 | Réalités, acteurs et représentations du local en Algérie | p.117-133 | Texte intégral
Migration and integration strategies in the town of Constantine. Family trajectories from the Aures mountain area and from Kabylie Abstract : This work presents the first outline of an investigation about the Algerian migratory phenomenon. Interviews carried out at Constantine targeted the migratory trajectories of the Ah Frah clan (Aures) and the Ath Waglis (Kabylie) ; the objective having in view a knowledge of the two communities integration mechanisms in urban space, which their initial conditions (ignorance of the town language, of the townsman’s way of life) handicap. Key words : Migrations – Stratégies – Integration – Constantine – Kabylie – Aures. |
Khadidja ADEL : Chargée de cours en Sociologie, Université Mentouri, 25 000, Constantine, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.
Nadia BELHOCINE-MESSACI : Maître assistante en Urbanisme, Université Mentouri, 25 000, Constantine, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.
Les éléments contenus dans cet article reprennent quelques résultats de recherche en cours, sur des migrants issus de communautés montagnardes de l’Aurès, et de la Kabylie, installés dans la ville de Constantine.
Il nous paraît intéressant de porter un regard et des interrogations, sur le problème des mouvements migratoires à l’intérieur du pays, avec une démarche qui prend en compte la question de la temporalité (l’étude va porter sur plusieurs générations) et le discours des intéressés sur leur trajectoire de migration.
Première partie : Contours historiques des migrations et identification de l’objet d’étude
Du départ
L’émigration-migration est une projection historico-sociale des rapports de domination qui prévalent à l’échelle de la planète. Une situation de bipolarité est née construite autour de deux mondes : le monde d’accueil et le monde de départ. Elle est la condition génératrice du phénomène migratoire.
Le phénomène migratoire est né en Algérie, de la projection du monde rural, dans une crise grave sans précédent, à la suite de la promulgation des lois foncières (Senatus-consulte de 1863, Loi Warnier en 1873) qui ont dépossédé les paysans de leurs terres ; Dés 1930, 50% de la population rurale était déjà sans terre ( F. Adel, 1996 ). Celles-ci ont profondément désintégré le monde rural, dont la seule survie s’avérait être le départ, qui correspondait à une forte demande de main d’œuvre de la métropole, en pleine expansion industrielle. Et ce n’est pas un hasard si la grande saignée de certaines zones montagnardes de leurs populations a fait suite au séquestre de 1871.
C’est ainsi que le taux d’urbanisation évalué à 5 %, à la veille de la colonisation, a augmenté de 67 % dans l’Algérois, 63 % dans le Constantinois et 48 % en Oranie, entre 1954 et 1960 (P. Bourdieu, 1964). C’est dire combien les villes étaient concernées par cette population qui fuit le monde rural. Ce mouvement continue à drainer l’essentiel du surplus du monde agro-pastoral des tribus de l’Aurès et de la Kabylie, pour écouler leurs produits et se procurer en retour les biens indispensables à la vie quotidienne : savon, tissus, produits manufacturés…
Après l’indépendance, l’exode rural vers les villes a pris une intensité particulière, ainsi on relève que pour Constantine, si le mouvement migratoire a diminué, il est cependant resté un mouvement continu, 40% des immigrants, dans le Constantinois, seraient arrivés entre 1963 et 1977, date à laquelle on estime aux deux tiers les habitants d’origine rurale (nés hors de la ville), installés à Constantine (Pagand, 1988).
De l’identification des objectifs du travail
Les trois âges de l’émigration, identifiés et définis par A. Sayad pour la France, nous permettent l’élaboration de la périodisation du phénomène migratoire dont aussi bien les objectifs que les formes que revêt celui-ci , caractérisent indistinctement.
Seuls le deuxième et troisième âge reprennent les intentions de ce travail qui s’intéresse exclusivement aux mécanismes d’intégration des familles kabyles et chaouies dans la ville de Constantine.
Les mouvements migratoires à l’intérieur du pays sont antérieurs aux déplacements à l’étranger. Ils prennent d’autres formes et répondent à d’autres exigences : ils ont touché des hommes, des aînés désignés par le groupe familial, partis à la recherche de ressources complémentaires destinées à renforcer la solidarité du groupe en la préservant d’une détérioration, solidarité du groupe économique familial, fondée sur la mise en valeur en commun des terres, des arbres, des troupeaux… Ces déplacements, entrecoupés de retours fréquents dans leur village, intéressent les villes de l’Est pour notre étude : Biskra, Batna, Souk Ahras, Annaba, Skikda… Constantine, pôle économique et culturel, s’avère la dernière étape de la migration des communautés étudiées.
Aujourd’hui, Constantine regroupe une vingtaine de familles (patronymes) kabyles des Ath Waghlis et environs une centaine de familles chaouies, des Ath Frah. Toutes sont installées depuis des décennies et sont plus ou moins intégrées à cet espace qui est différent de l’espace de montagne. Parce que l’espace d’origine connaît une crise, des vagues d’émigration vont chercher les moyens de leur survie ailleurs. La ville apparaît être cet espace privilégié qui continue de distribuer des moyens de vie à ses citoyens. Seulement, les nouveaux arrivants sont mis en situation de marginalité sociale du fait de leur inaccessibilité d’abord à la langue de la ville, au mode de vie, voire à la citadinité même si leur venue était plus ou moins inscrite dans un des réseaux de solidarité mis en place par le groupe d’origine.
Aussi dès leur arrivée, s’installent-ils dans des quartiers où se trouvent des familles de leur groupe, travaillent dans les mêmes centres auxquels les auront intégrés leurs parents de la ville. L’installation dans la ville est décidée, négociée par le groupe ; l’individu se plie à celui-ci jusqu’à ce qu’il puisse acquérir une indépendance par rapport au groupe.
Commence alors une autre aventure dans l’espace urbain, celle-là est personnelle et dénote des enseignements que l’individu tire de l’expérience acquise par les parents. Et c’est à l’intérieur de cette logique que nous pourrons comprendre les mariages mixtes (avec les gens de la ville, des étrangers au groupe d’origine); opération participant à l’intégration des nouveaux arrivants dans la ville.
De l’émergence de la troisième personne
Les travaux de Gribaudi Maurizio, qui portent sur un quartier ouvrier de Turin, le Borgo San Paolo, permettent de nous rendre compte que l’histoire des immigrés est sensiblement la même, dans la mesure où elle répond à la seule logique de la survie. Si les trajectoires contiennent des histoires individuelles et individualisées, elles ne construisent pas moins une armature qui transcende le groupe ethnique, ce que l’auteur de l’article appelle “ un panorama social ”.
Dès lors que l’émigration qui avait pour fonction première de donner à la communauté paysanne les moyens de se perpétuer, est devenue plus importante et plus longue, elle a changé de signification et est devenue elle-même sa propre fin (A. Sayad, 2001).
Ainsi, de plus en plus et à partir des années 50, les départs vers la ville ont-ils pris d’autres formes : partir pour assister le groupe certes, mais aussi et surtout pour s’émanciper de ses contraintes, pour s’affirmer en tant qu’individu qui va tenter de vivre une expérience originale. Dans le monde rural, le processus de dépaysannisation, entamé par les différentes lois foncières, s’accélère et se renforce ; le travail de la terre dévalorisé est confié aux plus faibles : les vieillards et les femmes (P.Bourdieu,1964). “L’idée du déracinement est fondée sur une réalité : celle du désenchantement à l’égard du travail de la terre et de tout le système de valeurs qui le supportait, mais cette idée véhicule avec elle une foule de représentations en particulier que les paysans sont des victimes qui s’engouffrent comme des moutons dans le train de l’exil pour assurer la subsistance des leurs. L’émigration est un projet qui s’élabore au fil de l’expérience de la ville et du lien constant que l’émigrant maintient avec sa communauté d’origine” (F. Adel, 1996).
A la même période, que se passe-t-il dans les villes ? Dans le Constantinois, où la Médina a occupé un rôle important, nous assistons à une augmentation de 63% de la population urbaine totale. Elle a exercé une influence sur les plans de l’organisation politico-administrative et des échanges commerciaux. Cette période est surtout marquée par la guerre de libération qui a entraîné le grand délestage des montagnes.
Les migrants sont tous soumis à l’attraction du milieu d’accueil, avec lequel le migrant doit composer, lui qui est chargé des points de repère de son milieu d’origine. Deux milieux mis en situation de confrontation. C’est cette confrontation qui va construire l’homme kabyle et chaoui qui ne seront ni le citadin qui quelquefois fait office de référence, ni le montagnard. Pour reprendre M. Gribaudi, une troisième personne émerge qui sera le résultat de cette confrontation de personnes qui “ vivent mentalement dans deux milieux de relation dont les contenus et les importances sont nécessairement différents ”. Cette troisième personne sera aussi une combinaison des trajectoires individuelles. C’est ainsi que l’individu a en soi “deux loyautés, deux points de repère”.
Dans ce projet de migration, qui a longtemps concerné les hommes, quel rôle les femmes jouent-elles ? Nous pouvons dire qu’elles marquent un tournant dans l’histoire des mouvements migratoires. Elles suivent les hommes dans cette migration, longue et le plus souvent définitive, avec l’accès à un emploi stable, l’acquisition d’un logement et surtout la scolarisation des enfants. Pour beaucoup de migrants, les femmes ont dû peser dans la décision d’une migration définitive et souvent de rupture.
Il est utile de rappeler que dans le premier temps du mouvement migratoire, les femmes demeuraient géographiquement et socialement dans leur groupe dont les membres avaient pour rôle et pour mission de les protéger et de surveiller leur conduite. Faute de pouvoir exercer ce contrôle, il n’était pas rare que des femmes soient alors renvoyées par leur mari absent, dans leur groupe d’appartenance : l’honneur du groupe était en jeu.
La décision de s’installer définitivement à Constantine fait passer de la période de migration de maintien, telle que définie par P.-A. Rosental où le migrant effectue des retours et garde des liens, à une migration de rupture, où il tourne le dos à son lieu d’origine, en tentant d’investir le lieu d’accueil. Situation plus représentative de la communauté des Aurès que de la Kabylie.
De l’échantillon
Notre échantillon de migrants est constitué de familles originaires de deux petites dechras de l’Aurès et de la Kabylie deux zones de montagne : la première est située à une cinquantaine de km au nord de la ville de Biskra dans le massif des Aurès, tandis que la seconde se trouve à une soixantaine de km au sud-ouest de la ville de Béjaia. En nous entretenant avec les hommes et les femmes de cette communauté, et en reconstituant la trajectoire familiale ainsi que l’histoire de la migration, nous avons tenté de savoir de quelle manière s’est faite leur intégration dans l’espace urbain. Dans le contexte de la migration, il nous semble intéressant de poser la question du local. Que reste-t-il du local dès lors que ces migrants ont décidé d’investir un espace autre, différent, voire hostile (question de la langue…;).
Le rôle joué par les femmes dans le processus d’intégration explique la proportion élevée des femmes dans l’échantillon : elles représentent 50% de l’ensemble de personnes enquêtées.
Deuxième partie : Les stratégies d’intégration dans la ville de Constantine.
L’espace urbain est appréhendé en tant que réceptacle de jeux d’insertion et d’intégration des groupes sociaux qu’il porte.
Les stratégies d’installation sont définies et déterminées par la logique d’insertion dans le monde du travail d’abord et ensuite par le réseau d’implantation dans la ville, d’autres itinéraires d’intégration sont aussi à étudier tels les réseaux d’alliance qui se tissent et se mettent en place.
Les familles ciblées appartiennent à des groupes sociaux porteurs de modèles culturels au carrefour de la “civilisation montagnarde et urbaine”.
Cette étude nous permet de reconstituer partiellement le contexte qui a été un facteur favorable à l’accueil des groupes étrangers dans la ville : la ville de Constantine a été un véritable lieu d’accueil, une sorte de terreau culturel, social et aussi (surtout) économique à un moment donné de son histoire. Cette donnée explique partiellement le choix d’installation de ces groupes (mis dans l’obligation de partir) dans une ville située, à plusieurs centaines de kms de la région d’origine.
Les instruments utilisés :
L’entretien a concerné une dizaine de familles des Ath Waghlis et des Ah Frah.
Nous reproduisons ici quelques résultats. Ceux-ci dépassent largement le cadre des familles enquêtées. En effet, les familles recensées sont toutes plus ou moins liées par des relations de parenté, si bien que leur histoire individuelle se confond souvent avec celles des autres familles, non encore approchées. Ainsi, une première ébauche de reconstitution des stratégies d’occupation de l’espace de la ville de Constantine par ces familles apparaît.
La fourchette des dates d’installation des familles enquêtées est assez large. La famille (01) a été la première installée en 1917-1918, la plus récente concerne la famille (07), elle a eu lieu en 1965.
Cette étude est également consolidée par l’exploitation de documents qui retracent l’histoire de la ville de Constantine à travers la composante ethnique.
De leur histoire :
Des recherches font mention de l’importance de la population kabyle installée à Constantine à la veille de la colonisation. “Elle se plaçait au deuxième rang du point de vue importance ... Ils constituaient une partie de la population flottante de la ville” (Benidir,p79). Toutefois des familles sont installées dans le quartier de “ Tabia barrania ” (étrangers) prés de la Casbah. Les Kabyles avaient leur propre village construit en dehors des remparts qu’Ahmed Bey fit détruire au moment de l’attaque de la ville par les Français. Ils détenaient le monopole du commerce des huiles et participaient à plusieurs activités artisanales.
Ces kabyles, au même titre que les Chaouis, occupaient des quartiers périphériques de la ville, bien avant l’avènement de la colonisation. Les travaux de Mercier, Pagand, Benidir parlent d’une occupation ethnique de l’espace urbain ; ceux-ci étant relégués aux portes de la ville avant d’avoir accès aux quartiers plus centraux.. Ces informations appuient celles recueillies auprès d’un enquêté qui fait mention du rôle d’un membre du groupe dans l’installation des autres familles (04), ce personnage bénéficiait d’une position privilégiée due à son statut d’enseignant : une sorte de notable qui met au service de ses concitoyens, cette notoriété.
Nous pouvons parler d’une occupation progressive des espaces centraux et péri-centraux de la ville par ces migrants; le temps mis ainsi que les conditions de l’intégration sont fonction du statut social de l’individu et de son groupe.
Du parcours professionnel
L’itinéraire professionnel commence toujours avec un parent plus anciennement installé. Les chefs de familles kabyles recensées ont été des agents, à l’ex-EGA (Sonelgaz), sauf un membre enseignant. Leur affiliation à cette entreprise est déterminée par le premier émigré (1876), qui a pu introduire par la suite la famille 02. Celle-ci est d’abord installée à Skikda. Sur demande du patron de l’ex-EGA, des parents (jeunes fils, cousins et gendres) se sont installés à Constantine à la suite de l’ouverture d’une sorte de succursale dans cette ville. Ainsi, cette entreprise s’avère une institution incontournable, pour les membres de la famille (01; 02 ; 03 ; 04) si bien que tous les hommes, nés avant 1930, ont travaillé à l’ex-EGA.
Nous constatons aussi une forte mobilité professionnelle qui s’accompagne parfois d’une mobilité résidentielle. Les chefs de familles (01 ; 06 ; 07 ; 08) ont vécu une série de métiers, avant de connaître une stabilité professionnelle. Les déménagements, à l’intérieur de la ville, semblent concerner la majorité des familles enquêtées (01 ; 02 ; 03 ; 04 ; 05 ; 07 ; 08).
L’installation de ces membres dans la ville a été motivée, d’abord par la profession, assurée par un parent, plus anciennement installé, pour une partie. Les autres sont concernés par la logique de la mutation (05 ;06 ;07) qui échappe donc à la solidarité du groupe. Néanmoins, le besoin de se retrouver dans son groupe se manifestera quand le besoin de construire un réseau matrimonial se fera sentir par exemple.
Du logement
Le logement qui accueille la famille est quelquefois repéré, par un parent, qui joue le rôle de garant, dans certains cas, vis à vis du propriétaire. Tous deux résident dans le même quartier. Ainsi, à Constantine, tous les membres des familles (01 ; 02 ; 03 ; 04) ont habité la même cité, certains d’entre eux y sont encore. En somme, ils investissent les mêmes espaces : dans la vieille ville (04 ; 05) ; dans les quartiers périphériques.
La solidarité communautaire pour l’installation de nouvelles familles est une règle généralement respectée ; la mobilisation de celle-ci a été particulièrement sollicitée pour permettre à la famille (09) de venir à Constantine. Quand les déplacements se font dans le cadre des mutations professionnelles, le logement est assuré par l’organisme employeur (05 ; 06 ; 07 ; 09). Mais comme le fait remarquer F.Adel, dans son étude sur des lettrés de Constantine, “la mobilité résidentielle n’était pas forcément le fruit d’une mobilité sociale…”
A ses débuts, l’émigration a concerné exclusivement les hommes qui ont tous logé dans une pièce, dans un bain maure (hammam) (02 ; 04 ; 07 ; 09). C’est en somme une solution provisoire et c’est avec le projet d’une installation définitive que la quête d’un logement prend forme.
L’installation de la famille s’est faite sur plusieurs épisodes, puisque la majorité des familles a dû déménager à plusieurs reprises. Certaines familles ont acquis leur premier logement, dans le secteur privé, à proximité du lieu de travail (ex-EGA). Aujourd’hui encore, ces mêmes familles (02 ;03) résident dans le même quartier. La famille (04) habite une maison individuelle, dans un quartier résidentiel, après avoir partagé avec son demi frère, un logement HLM. L’acquisition de cette maison s’est faite grâce à l’aide de ce même parent. La famille (01) habite une maison individuelle dans un quartier périphérique. L’intervention d’un parent a été nécessaire pour son acquisition.
Les familles (05 ; 06 ; 07) ont acquis leur logement dans le cadre de leur emploi ; Elles se sont stabilisées, à Constantine, à la fin des années cinquante. L’enseignant (05), promu directeur d’école, a bénéficié d’un logement de fonction, avant d’acquérir un logement HLM, qu’il habite aujourd’hui encore. Il est intéressant de faire savoir que si l’attribution s’est faite dans le cadre de sa fonction, l’intervention d’un responsable (membre de la communauté des Ath Waghlis) a été déterminante pour accélérer la procédure.
L’installation dans la ville se fait grâce au réseau de solidarité que les premiers venus ont tissé. Celui-ci règle en général la question du travail et du logement.
Des alliances matrimoniales :
Deux types d’alliances se dégagent : le premier engage directement les parents qui en font leur affaire ; le deuxième concerne les mariages, contractés par les enfants, sans l’intervention des parents. Dans ce cas, deux cas de figure se détachent : celui qui se réalise à l’intérieur d’un réseau de connaissances individuel qui échappe donc totalement aux parents, l’autre plus surprenant se réalise à l’intérieur de l’aire matrimoniale, des deux communautés.
Ces familles entretiennent entre elles des relations d’autant plus étroites qu’elles sont pour beaucoup d’entre elles parentes. Elles ont construit une sorte de communauté, constituée sur la base d’un enchevêtrement parental, dont le point de départ se trouve dans le lieu d’origine. Elles préparent les conditions pour augmenter les chances d’alliances potentielles. Elles entretiennent des relations sociales qui favorisent les contacts entre jeunes. Le cas (05) illustre cette stratégie puisque quatre des cinq filles, ont épousé des hommes des Ath Waghlis.
La première génération de migrants se caractérise par le mariage endogame : tous prennent ou finissent par prendre (03) des épouses dans leur groupe. Le mariage exogame apparaît dans la deuxième génération. Le mariage de l’enquêté (03) est révélateur des changements : né à Constantine, il épouse une citadine dans les années soixante. Au départ, la famille appréhende une telle alliance. La difficulté a été vite évacuée par le père (disciple du cheikh Abdelhamid Ben Badis) qui considère illicite, tout empêchement de mariages entre musulmans. Les générations plus jeunes ne trouvent aujourd’hui, aucune difficulté, à contracter des alliances à l’extérieur du groupe. Il est tout de même intéressant de relever que dans les familles (01 ;02 ;03 ;04 ;06 ;07) les parents sont arrivés à négocier au moins un mariage dans le groupe.
Conclusion : des stratégies existent !
Deux grandes conclusions se dégagent : l’intégration par la profession (05 ;06 ;07) et celle de réseaux de solidarité (01 ;02 ;03 ;04 ;08 ;09 ;10) qui favorisent aussi bien l’accès à la profession qu’à la résidence ; les deux grandes questions existentielles sont réglées par le groupe plus anciennement installé dans la ville même si au départ l’hébergement concernait exclusivement l’homme ; la femme et les enfants continuant momentanément à vivre dans la montagne.
Le parcours par la profession ne manque pas d’intérêt. Celle-ci permet d’assurer les conditions minimales d’intégration dans la ville ou la survie dans la ville. Ainsi l’individu peut vivre son individualité qui est recherchée à un moment donné. Le besoin de s’éloigner du groupe, de se réaliser en tant qu’individu et de s’épanouir s’exprime plus facilement et peut relever d’une stratégie consciemment élaborée (06).
Seulement, le recours au réseau reste incontournable dans la quête de la constitution d’un groupe social dont le fondement demeure l’appartenance à la même collectivité. La recherche de ce groupe s’avère particulièrement importante pour la construction d’une aire matrimoniale dans l’espace urbain. Une sorte de catégorie sociale se met en construction dont le dénominateur reste l’appartenance à la même collectivité et la reconnaissance de similitude dans le parcours familial, une sorte de classe sociale dont le fondement n’est plus d’ordre économique mais bien plus social.
Une telle logique est particulièrement manifeste dans l’entretien (05). En effet, cette personne s’est retrouvée à Constantine, non pas par décision du groupe d’appartenance, mais bien plus par la logique professionnelle. L’individu suit une trajectoire qui échappe complètement au groupe, seulement le besoin de reconstituer ce groupe, s’inscrit dans des stratégies pour l’avenir des enfants. Cela est particulièrement vrai pour la collectivité des Ath Waghlis : la constitution d’une aire matrimoniale, à l’intérieur du groupe, est un réel garant contre des mariages avec des étrangers que la ville rend non seulement probables mais quelquefois inévitables. Quand une telle stratégie existe, elle donne des résultats : le cas (05) est particulièrement révélateur.
Dans les cas de mariages endogames, la famille a permis le contact, le choix est quelquefois fait par les enfants. Le mariage à l’intérieur du groupe peut être recherché aussi par les enfants parce qu’élément de stabilité, “…c’est un acte des groupes minoritaires pour la survie…” (05). Les familles se connaissent depuis toujours, les enfants retombent dans leur tribu.
Aujourd’hui, les critères d’intégration sont multiples. L’individu cherche à s’intégrer par des affinités qui sont culturelles, intellectuelles, amicales... Il se crée un monde dans lequel la famille n’a pas toujours plus de poids. Un monde dans lequel la troisième personne trouve son équilibre.
Portraits des familles enquêtées :
Famille (01) : M B
Il est né en Kabylie en 1917. Le père de M B est né en 1897, la mère en 1898. La famille (la mère, le père et le fils) s’installe à Constantine en 1917-1918.
Le père a travaillé à l’ex-EGA et a fait partie du premier contingent de la famille a être un employé de cette société.
La première maison se trouve à Rsif (la médina ) ; la deuxième maison est située dans le quartier colonial Faubourg Lamy. En 1958, a eu lieu le troisième déménagement, à la cité des Mûriers (habitat évolutif), il y est encore aujourd’hui.
MB a travaillé en 1942-1943 à l’ex-EGA. Il est père de deux garçons et de trois filles. Aucun de ses enfants n’a fait d’études supérieures ; ils sont tous mariés à des Kabyles des Ath Waghlis. La transaction matrimoniale s’est toujours faite par les parents. Son jeune fils, né en 1955, est aujourd’hui employé à la Sonelgaz.
Famille (02) : MA
Né en 1924, en Kabylie, il est arrivé en 1931 à Constantine, à l’âge de 7 ans. Il habite avec son père (déjà installé dans la ville) et deux neveux dans un hammam situé dans la casbah (médina). Son père a travaillé à l’ex-EGA, à Skikda pendant 15 ans, avant de venir à Constantine. Il est le premier de la famille à travailler, à Constantine. MA a commencé à travailler à l’ex-EGA, à l’âge de 18 ans (1942). Il a fait des études de niveau moyen, à Constantine. Son père a obtenu un logement dans un HLM en 1945 (habitat à loyer modéré ) sur intervention d’un Kabyle de la région.
Il a trois garçons et deux filles. A l’exception de son aîné, non marié, tous ses enfants ont épousé des kabyles sur intervention des parents. Sa fille aînée est mariée à un cousin paternel qui vit à Constantine.
Seul l’aîné a fait des études supérieures. Le fils cadet a fait carrière à la Sonelgaz.
Famille (03) : MM
Il est né en 1943, à Constantine. Son père est né en 1900 en Kabylie, il part en France. Il fait son service militaire en 1918. Il est arrivé à Constantine, dans les années 1920-1925.
Il a installé sa famille (sa femme, ses quatre garçons et ses trois filles) dans une maison appartenant à un privé, à proximité de l’ex-EGA.
Un premier déménagement a lieu dans une autre maison privée qu’ils partagent avec la famille H A, installés au rez-de-chaussée (la femme est la nièce du père, elle est également la cousine de la maman), la terrasse a été concédée au frère de la maman .
En 1951, date de naissance de la benjamine a lieu le dernier déménagement. Ils s’installent dans un logement (HLM) que le troisième frère garde aujourd’hui.
MM a fait carrière dans l’enseignement, il a épousé une fille citadine qu’il a connue. Sa femme est aujourd’hui retraitée de l’enseignement, ils ont deux filles et un garçon. Les enfants font des études supérieures. La famille est aujourd’hui installée en France.
L’aîné des frères et le troisième ont épousé des Kabyles des Ath Waghlis dont une cousine paternelle pour le troisième. L’aînée, illettrée, a épousé son cousin germain. La sœur cadette, sage-femme de son état, a épousé un kabyle de la région, installé à Skikda. La benjamine a épousé un skikdi. Le troisième frère (professeur de sport) a épousé une fille de Constantine. Les parents sont intervenus dans le mariage de leurs enfants, chaque fois que ceux-ci ont épousé des Kabyles.
Le frère aîné et le troisième ont fait carrière dans les chemins de fer. Un des quarte enfants de l’aîné ainsi que le garçon unique du troisième sont aussi employés aux chemins de fer.
Famille (04) : MS
Né en 1914 en Kabylie, il arrive à Constantine en 1932. Il est le demi frère de l’enquêté (02). Il est adopté par son beau-père qui l’héberge et lui trouve un boulot à l’ex-EGA.
Il commence le travail à l’âge de dix huit ans. Il partage la pièce avec son demi frère et son beau-père. Il habite la maison familiale HLM au rez-de-chaussée avec sa première femme, sa mère, son beau-père et son demi frère qui s’est aussi marié. Il se remarie en 1943. Toute la famille déménage dans l’immeuble à coté du premier et s’installe au troisième étage.
En 1957, il achète une maison individuelle, dans un quartier résidentiel. Il installe sa femme et ses enfants, sa maman reste avec son demi frère. Avec l’avènement de l’OAS, l’insécurité règne dans le quartier. Il retourne dans la maison de son demi frère et cède sa maison momentanément au cousin de celui-ci.
La famille s’installe définitivement dans sa maison, à l’indépendance. La famille se compose de six garçons et de six filles. Les enfants ont fait des études et sont pour la plupart des cadres.
Quatre garçons ont épousé des filles de Constantine qu’ils ont connues. Les deux aînés ont épousé des kabyles que les parents ont choisies. Les deux filles aînées ont été données en mariage à des Kabyles des Ath Waghlis. Elles sont installées en dehors de la ville de Constantine.
La troisième a épousé le fils d’une famille des Ath Waghlis, installée à Constantine, un mariage que les deux familles ont arrangé. Le couple a très vite divorcé. Elle a épousé en deuxième noce, un homme de Constantine qu’elle a connu ainsi que la quatrième. La cinquième fille s’est mariée avec un Kabyle d’une autre région, le mariage a été arrangé par les parents.
Famille (05) : BS
Né en 1926 à Chemini (Ath Waghlis), y a étudié en 1932. Il a obtenu son certificat à 14 ans, c’est-à-dire 1939 ou 1940. Entre 1943-1944, il a obtenu le brevet d’arboriculture.
1943-1944, il a travaillé à Alger dans un restaurant, en tant que garçon de salle. Des gens des Ath Waghlis l’ont aidé à avoir ce boulot. Il habitait avec d’autres dans une chambre à Bab El Oued. Il s’est marié en 1944. Retour à Chemini où il a enseigné en 1944 et en 1948. Il habitait le village de Tissira (Ath Waghlis). La fermeture de l’école a provoqué sa mutation à Béjaia en 1955. Il fait Tissira-Béjaia tous les samedis et repart le lundi. La famille est installée à Tissira. A la fin de l’année 1955, la famille s’installe à Béjaia dans la villa d’un cousin. En 1957, il a été affecté à Mechtas Kebira (circonscription de Constantine) en tant que directeur d’école. La famille était à Béjaia. Elle s’installe à Mechta Kebira, en 1957. Une nouvelle mutation le conduit à Constantine en mars 1959.
Affectation à Ferdjioua 1959 en tant directeur d’école. En 1962, il a été muté à Smendou (circonscription de Constantine).
En 1963-1964 : Il est nommé conseiller pédagogique. Il occupe un logement de fonction, jusqu’en 1970. Il déménage dans un appartement collectif sur intervention du directeur de l’OPGI qui est kabyle.
Nouvelle affectation à Mila en 1980, distante d’une soixantaine de km de Constantine, la famille reste à Constantine.
A la fin de sa carrière, il est reçu inspecteur titulaire en 1986. Il sort en retraite en 1987.
Il a rencontré une belle jeune fille blonde kabyle dans un centre d’examen, il la présente à son fils aîné qui l’épouse. La famille de la fille, originaire des Ath Waghlis, est installée à Constantine.
La fille aînée a épousé le fils d’une famille des Ath Waghlis, également installée à Constantine, le père du garçon est copain au père de la fille. Le mariage est arrangé par les pères.
Le cadet épouse une fille de Guelma qu’il a connue à l’université après s’être fiancé à une cousine.
La deuxième fille a épousé le frère de l’épouse du fils aîné.
La troisième fille a épousé le fils d’une famille de Tissira (le même village que les parents) installée à Constantine ; le cousin germain de l’époux s’est marié avec la cinquième fille.
La quatrième fille a épousé un kabyle d’une autre région, ami au fils cadet et qui fréquentait la famille. Sa propre famille habite en Kabylie.
Le benjamin a épousé une fille des Ath Waghlis dont les parents sont installés à Constantine, les mamans des époux sont parentes et les pères d’anciens copains.
Famille (06): Aïcha
Née en 1924, mariée en 1940 avec son cousin maternel ; a été donnée en mariage par son père et son grand-père à la condition qu’elle suive son mari qui se trouvait à Tahamamet. Dès le lendemain du mariage, Aïcha, accompagnée par la belle-mère, prend la route pour rejoindre son époux. A partir de ce jour commence pour notre enquêtée, une longue période migratoire de 21 ans, entrecoupée de retours vers Ah Frah à deux reprises :
- en 1943 pour une durée de 2 ans : location d’oliviers à El Outaya.
- en 1946 : 2 ou 3 mois.
L’installation définitive à Constantine a lieu en 1960 avec une stabilité dans le travail de l’époux.
L’époux est né en 1912, il est issu d’une famille dépositaire d’une certaine forme de savoir : savoir coranique, savoir théologique. Le frère de son grand-père est un théologien célèbre dans l’Aurès. Il a fait trois mariages avant de choisir Aïcha. Il étudie chez le cheikh Taleb Mohamed à l’école coranique et à l’école laïque où il obtient, vers 1926-1928 son CEP. Entre 1928-1930, il part à Constantine et suit la filière de l’association des oulémas. Après avoir suivi des cours, il se rend à Tebessa, chez le cheikh Larbi Tebessi, alors célèbre pour son enseignement. En 1934, il abandonne les études… faute de moyens.
Le choix de Constantine semble également motivé par l’existence d’un certain corps de métiers qui semble être du ressort des Ath Frah : les hammams et les boulangeries. Commence alors pour lui l’aventure du travail : en 1935, il s’essaie au commerce qu’il abandonne très vite, faute de moyens. Il se lance dans l’emploi public : secrétaire à El Madher (Batna) en 1942 , garde-barrière en 1944 , il part à Kouif, à la frontière tunisienne où il exerce comme gardien de prison. En 1945, il est muté à Lambèse, comme fonctionnaire, puis révoqué…Une expérience dans l’agriculture le ruine…Il se dispute avec son père et en 1947, il rentre à Biskra, où il réside jusqu’à la fin 1957 : il y exerce de petits métiers avant de travailler comme khodja-interprète et secrétaire de mairie. Il commence à se stabiliser en entamant la construction de sa maison et en se lançant dans les affaires. Avec la grève de 1957, tout s’écroule il est expulsé de Biskra. Et 1958, il prend sa famille et rejoint Batna pour travailler à l’hôtel des finances jusqu’en 1960. Date à laquelle a lieu le dernier déménagement pour se fixer définitivement à Constantine. Dans cette ville, la famille de Aïcha occupe des logements de location et de fonction, à Sidi Mabrouk, et au centre ville, grâce au fils, employé à la préfecture. En 1963, notre homme décide d’acheter un appartement, dans le quartier du Coudiat Aty, que la famille a gardé.
Notre enquêtée a cinq garçons et deux filles qui font des études secondaires et supérieures. Ce sont presque tous des cadres. Cinq d’entre eux épousent des étrangères à la communauté.
Famille (07): Fadhma
Née en 1933 dans une famille modeste dans le village des Ah Frah, elle épouse en 1949, le beau-frère de l’enquêtée Aïcha (06). Le père de Fadhma travaille dans un bain-maure, à Biskra, tout en s’occupant d’un petit lopin de terre familiale. Son époux qui a travaillé en usine, en France, rejoint le maquis lorsque la guerre éclate. Fadhma reste dans le village natal, avec ses enfants jusqu'à l’indépendance. Son époux, moudjahid, ne se risque dans le village qu’une fois, en 1954 ou 1955. Il y a aussi l’aide de son père qui lui rend souvent visite.
De 1962 à 1964 : la famille fait de fréquents déplacements entre Skikda, Annaba et Souk Ahras, à cause de la fonction l’époux, engagé dans l’armée (ANP). L’installation définitive à Constantine a lieu en 1964. On les installe dans des logements de fonction à Sidi Mabrouk, puis dans le quartier de Bellevue, dans une cité militaire, avant de bénéficier d’un appartement dans le quartier du 20 Août 55.
En 1965 : son époux se remarie. Fadhma retourne deux ou trois fois à Biskra pour rendre visite à sa famille. Ils ont huit enfants avec un niveau secondaire et universitaire. Deux d’entre eux font des mariages dans la parenté.
Famille (08) : Hlima
Hlima est née, en 1933, dans Ah Frah. Elle est donnée en mariage une première fois à un cousin. Mais elle divorce et se remarie à l’âge de 24 ans. Son époux est à Constantine où elle le rejoint en voiture et accompagnée par sa belle-sœur. Ils habitent pendant 9 mois, dans un quartier populaire, qu’ils quittent pour s’installer dans un appartement au centre ville.
L’époux est né en 1922, dans Ah Frah. Lettré en français et en arabe, il effectue son service militaire puis s’engage dans l’armée Française, en 1942 pour 4 ans. Démobilisé en 1946, il est réengagé pour 4 ans, en 1947, à l’intendance militaire de Constantine; nommé brigadier au 1949. Il est réengagé pour 2 ans en 1950 et nommé brigadier-chef en 1951. Il est réengagé de nouveau pour 2 ans en mai 1952, puis il est muté à Ouargla en 1958. En 1959, il se retire de l’armée. Il effectue quelques boulots avant d’être employé à l’abattoir de Constantine.
Ils ont huit enfants qui ne font pas d’études poussés. Il faut relever que le père ne les y encourage pas. Notre Hlima fait tout ce qu’elle peut pour ne pas retirer les filles de l’école. Pour ce qui est du mariage des enfants :
Famille n°09 : Zohra
Cette enquêtée est née en 1919, dans le village des Ah Frah, où elle se marie en 1932. Son époux, illettré est gérant dans des hammams, à Batna puis à Constantine. Pour scolariser leurs deux garçons, ils résident quelques temps à Batna, tout en effectuant des aller-retour vers le douar. Pendant la guerre, leurs deux fils sont tués. Interdit de séjour dans la région, son époux est contraint de rejoindre Constantine où il mobilise toutes les connaissances du village afin de ramener auprès de lui, une épouse, meurtrie par le chagrin. Ils sont pris en charge par la communauté ; puis ils louent une pièce dans la vieille ville, chez une des premières familles, installées dans Constantine(1900). Zohra quitte définitivement le village en 1957-1958 à l’âge de 38 ans. Elle élève deux neveux, les enfants de sa demi-sœur. Ces derniers font des mariages, à l’intérieur de la communauté. La famille de Zohra obtient un logement pour sinistrés de la vieille ville, le revend et achète un appartement dans la cité du 20 Août 55 qu’elle occupe avec son neveu et son épouse.
Famille (10) : M’barka
Elle est née en 1918, dans le village des ah Frah. Son père est aussi gérant de bain maure à Constantine, Oran et en Tunisie. En l’absence de son père, elle est élevée par ses grands-parents. M’barka a fait trois mariages. Le premier mariage a lieu avec un cousin. Elle s’enfuit et divorce. Elle se remarie très vite en 1957-1958, avec un homme du village et au bout de 4 ans, elle le rejoint à Constantine où celui ci effectue l’apprentissage de la pâtisserie, ils habitent une pièce dans une maison traditionnelle. Elle ne parle que le chaoui. Elle divorce et se remarie en 1948 à Constantine, avec un membre de la communauté, lettré en français. Engagé dans l’armée française, il devient gardien de prison. Ils habitent une maison dans la vieille ville qu’elle partage avec d’autres familles qui l’ont initiée à la vie citadine. Puis ils louent un petit appartement chez un privé. Elle retourne deux ou trois fois au village.
Après la mort de son mari, elle se retrouve démunie. Pour élever les enfants, elle travaille chez des gens de son village, puis elle obtient grâce au réseau de connaissances, un poste de femme de ménage, à l’université de Constantine. Les enfants ont abandonné l’école. Sur les sept enfants de M’barka, seulement deux ont fait des mariages à l’extérieur de la communauté.
Bibliographie
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Adel, Kh. : Stratégies féminines d’adaptation à la ville de Constantine. Cas des femmes de la communauté des Ah Frah de l’Aurès.- Compte rendu de recherche, CRASC, Avril 1996.
Benidir, F. : La revalorisation d’un tissu urbain ancien : la médina de Constantine. - Thèse de magister, Université de Constantine, 1989.
Bourdieu, P. et Sayad, A. : Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie.- Paris, Minuit, 1964.
Messaci, N. : L’habitat des Ath Waghlis. Chaos spatial ou ordre caché.- Thèse de magister, Université de Constantine, 1990.
Pagand, B. : La médina de Constantine. De la cité traditionnelle au centre d’agglomération contemporaine.- Thèse de doctorat de 3ème cycle, Université de Poitiers, 1988
Rosental, P.-A.: Maintien/Rupture: un nouveau couple pour l’analyse des migrations.- Annales ESC, n°6, Nov.-déc., 1990.
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Gribaudi, M. : Introduzione alla sessionne « Movimenti migratorie mobilttà sociale », dans SIDES, Disuguaglianze, stratificazione mobilità sociale nelle popolazioni italiane (dal sec.XIV agli inizi del seolo XX), Bologne.