Les sociétés actuelles, dans leurs différences et leurs diversités culturelles, font face à des mutations profondes. Les répercussions de ces dynamiques socioculturelles se font sentir à tous les niveaux, épousant des dimensions multiples, et provoquant des malaises collectifs ou individuels qui varient d'intensité selon les difficultés des uns et des autres.
En plus de la publication des numéros thématiques, qui constitue la ligne éditoriale primordiale de la revue Insaniyat, cette dernière a opté pour la publication de numéros varia, dont ce numéro regroupant plusieurs articles articulés autour de trois thèmes : les mutations socio-économiques, les dynamiques socioculturelles et la santé.
Dans une première étude Ali Rebhi essaie de trouver le lien qui existe entre la bonne gouvernance et la dynamique spatiale périphérique à la ville d'El Kairaouan. L'auteur met en évidence l'apport du bâti illicite dans la régulation sociale, aussi que l'appui qu'il donne aux actions des pouvoirs publics dans la gestion de l'espace urbain. La corrélation existant entre la production de l'espace et les conjonctures politiques, a poussé l'administration à assumer cet état de fait périurbain avec les conséquences qui en découlent. La réflexion a été menée sur les facteurs historiques, sociologiques et sur les stratégies familiales et tribales qui ont permis ce genre de propriété foncière. Les modalités de contrôle et de légitimation politique mises en œuvre par l’Etat et destinées à l’intégration politico-administrative par le biais de l’aménagement et du développement soutenus par les organismes internationaux n’étaient pas en reste.
Dans le même ordre d’idées, mais à partir de la sociologie rurale Tayeb Otmane essaie dans le second article, d’examiner les dynamiques sociales survenues dans le cadre de l’agro-pastoralisme.
L’analyse, sur la base d’enquêtes, de cette nouvelle forme de subsistance économique apparue durant la dernière décennie dans une région de l’Ouest algérien, a conduit l’auteur à constater que le cumul de l’élevage ovin avec le maraîchage est devenu possible grâce à la conjonction de plusieurs facteurs naturels (sécheresse et manque de pâturage) et humains (spéculation sur l’alimentation ovine et régression du taux de natalité chez les descendants des nomades). Ce qui a poussé cette population sédentarisée à moderniser ses modes de vie et la gestion de ses activités économiques par le financement alternatif de l’élevage et de l’agriculture.
Il s’agit pour Mohamed Madoui, dans le troisième article, d’illustrer ces dynamiques sociales, à travers la conduite des affaires, représentées par deux figures (le père et le fils) qui s’affrontent en sourdine. Chacun tente de défendre une vision particulière de la gestion d’une PME implantée en Kabylie : celle de la solidarité et de l’honneur, propre à la structure sociale traditionnelle contre celle de la gestion efficace et moderne de l’entreprise.
Etant jugé sur sa capacité de préserver la cohésion du groupe, l’entrepreneur (le patriarche) est d’abord placé au service de la prospérité familiale et clanique. Tandis que dans l’autre sens, on trouve le fils qui est plus porté sur l’introduction des méthodes de gestion ayant pour finalité la primauté de l’efficacité économique sur les coutumes héréditaires, d’où l’émergence de nouvelles formes de gestion qui admettent la socialisation familiale.
Quant à l’ensemble des questionnements relatifs aux dynamiques socio-culturelles et relevant des représentations symboliques (religion et fiction), quatre études y ont été incluses.
Le premier article examine l’organisation et le fonctionnement des mosquées construites par la population musulmane d’Ouagadougou. Adama Ouedraogo a visité ces lieux de culte, assez nombreux dans cette ville, et s’est entretenu avec les personnes concernées par leur gestion (imams, muezzins) ainsi que les habitués de ces lieux. L’auteur a fait un rappel des différentes appellations de ces institutions en Afrique, en insistant sur les différentes démarches pour leur construction sans oublier les formes architecturales qu’elles peuvent prendre, ainsi que la répartition spatiale interne à chaque lieu de culte, sa fonction et les acteurs qui s’inscrivent dans cet acte fondateur de la vie religieuse en Afrique occidentale.
La mise en relation du politique et du religieux, a été établie par Abdelkader Abdelali, mais sous l’angle du clivage social comme conséquence des dynamiques politiques de la société métissée d’Israël. Les pratiques religieuses engendrent des oppositions politiques entre les Ashkénazes et les Séfarades, orientent leurs stratégies d’implantation dans les milieux sociaux et déterminent leurs choix électifs : vote des religieux à droite et des laïcs à gauche.
Le champ fictionnel comme expression métaphorique d’un certain nombre d’événements et de faits réels a fait l’objet de deux travaux de recherche. Vu sous l’angle du fonctionnement spatial dans la fiction littéraire, « Le séisme », roman de Tahar Ouettar a retenu l’attention de Tahar Rouaïnia. Pour ce chercheur, l’influence du contexte socio-idéologique des années 1970 a été déterminant pour Abdelmadjid Boularouah, Personnage central, évoluant à Constantine, un jour d’été. Marqué par son attachement obsessionnel au passé, le personnage subit une forte tension psychologique. Construit en harmonie avec la topographie urbaine de la ville, le texte prend en charge également la dimension temporelle. Et c’est par l’esprit de la temporalité en tant qu’élément du changement futur que Leïla Dounia Mimouni nous introduit dans l’univers romanesque d’Amine Maalouf, en portant son choix sur un de ses textes : « Le premier siècle après Béatrice ». Pour l’auteur de l’article, la dénatalité féminine entraînée par la consommation d’un produit pharmaceutique par les sociétés du 21ème siècle, serait une redoutable arme instrumentalisée dans les conflits politiques, d’où la nécessité de préserver le genre féminin des conséquences désastreuses d’une scène sans éthique. En questionnant le lien existant entre le roman et la science fiction, la réflexion menée porte sur les caractéristiques de ce genre littéraire, dont l’élément spéculatif et la consistance du monde représenté déterminent la logique du récit, surtout dans ses modalités d’expression. De toute façon, le message littéraire ne pourra trouver ses échos qu’après l’acte de lecture, qui est en lui-même une construction.
Enfin c’est autour de la maladie, dans un dernier article que Ridha Abdmouleh tente une construction sociologique vis-à-vis de cette altération biologique qui entraîne des effets négatifs sur la psychologie de l’individu et perturbe ses liaisons sociales. A ce propos, il est à signaler que c’est la société qui s’évertue à fixer les normes de la maladie et de la santé, ainsi que nos représentations et croyances à cet égard. Ceci dit, le poids de la médecine moderne demeure prépondérant et exerce un monopole sur le marché des soins, d’où la question du statut des médecines dans la construction sociologique et des différentes approches théoriques qui l’étudient. L’auteur de l’article conclut que c’est bien grâce à ces dernières qui sont, tout à la fois critiques et ouvertes à l’ensemble des apports et des courants scientifiques et cultuels, que ce thème à constitué son champ théorique propre et a renforcé sa crédibilité tout en permettant à la discipline qui le prend en charge de revendiquer un espace pertinent et autonome.
Les questionnements introduits dans ce numéro nous amènent à supposer que les champs de réflexion sur les dynamiques socio-culturelles que connaissent les communautés humaines en général et celles du Maghreb en particulier exigent des approfondissements, d’où la nécessité pour les chercheurs d’établir des lois de fonctionnements de ces dynamiques socio-culturelles, d’en tirer les enseignements à caractère interdisciplinaire aspects symboliques, fictionnels et dans ses mutations socio-politiques afin de s’approprier le passé, le présent et le futur des sociétés dans lesquelles, ils évoluent.
On peut considérer que les contributions retenues pour ce numéro répondent, d’une manière où d’une autre à ces exigences scientifiques.
Mohamed DAOUD