Quartiers de formation coloniale : processus de réappropriation de l’espace colonial. Le cas du Coudiat-Aty à Constantine

Insaniyat N°14-15 | 2001 | Numéro spécial: Premières recherches | p. 41-56 | Texte intégral


Assia MALKI-ALLOUANI : Maître assistante à l’Université de Constantine, Département architecture. Laboratoire villes et patrimoine, 25 000, Constantine, Algérie


Cet article traite de la réappropriation de l’espace socio-urbain hérité de l’époque coloniale, dans le quartier du Coudiat-Aty à Constantine. Il met l’accent sur les rapports interactifs de l’espace et de la société, vérifiés dans tout problème d’urbanisme. On peut observer ces rapports dans la projection de plusieurs types d’organisation, d’ordre social, économique et même politique imbriqués les uns dans les autres. Tout cela peut être observé à travers la symbolisation spatiale inscrite dans le matériau, qui a sa consistance propre et sa résistance. Cet espace symbolique s’appelle l’espace construit. Il ne s’agit pas de considérer la question à partir du nombre d’habitants, de leurs diverses activités, du récit de leur vie, mais bien de prendre en compte les rues, les places, les cours, les bâtiments et d’appliquer à cette recherche la méthode d’investigation épistémologique.

La méthode d’analyse part du réel, du visible pour tendre à dégager le concept initial, lui invisible et caché, qui a permis la création d’un espace bâti. C’est tout l’art de l’architecture de jouer sur les ressorts invisibles pour faire apparaître dans la réalité concrète d’un espace construit, la forme optimale, susceptible de se transformer, si besoin est. « L’étude de l’architecture s’oriente toujours vers deux pôles : voir les choses dans le but de faire et faire les choses dans le but de voir » (cité par Franz Oswal dans l’ouvrage de Pierre Von Meis : « De la forme au lieu »).

Toute la réflexion de cet article part de l’objet bâti et tente d’en faire l’histoire. Comment cet objet a-t-il pu être construit ? Quelles technologies ont été mises en œuvre ? Au service de quel mode de vie ? Peut-on dégager un sens à cet ensemble bâti ? Cet espace peut-il nous faire sentir et comprendre l’idée du lieu, de l’habitation et, de proche en proche, de la rue, de la cour, du quartier …

Au terme de l’analyse, les médiations symboliques rendent signifiante la lecture morphologique en épuisant pratiquement les problèmes du « comment » sans vraiment aborder les questions du pourquoi.

Le travail formule une réflexion axée autour de deux questions centrales et matérialisée dans l’étude du cas de Coudiat-Aty:

- La première concerne l’analyse de la matérialité physique de l’espace de formation coloniale à travers ses caractères majeurs architecturaux et urbains ;

- La seconde traite des mécanismes et formes de réappropriation de l’espace de formation coloniale.

Le choix de ce quartier de Constantine est justifié par plusieurs raisons : l’autorité coloniale y a très rapidement prévu l’établissement d’une ville Française. Ce site de Constantine vierge jusqu’en 1830 apparaît comme une occasion exceptionnelle pour exprimer le savoir-faire, technologique et architecturale de la puissance coloniale. La position stratégique du Coudiat-Aty en fait un site fort-on l’a même surnommé le deuxième rocher de Constantine. Ce quartier à également son histoire particulière : Constantine n’a été conquise qu’après l’occupation du Coudiat-Aty.

Démarche entreprise dans l’élaboration de la thèse :

L’entité urbaine du Coudiat-Aty a été saisie dans toute sa complexité et analysée à travers son objet architectural, son vécu, les formes et modalités de réappropriation de l’espace. Cette démarche a nécessité un travail de terrain mené sur la base de relevés architecturaux et d’enquêtes, appuyé par l’investigation documentaire qui lui donne l’épaisseur historique indispensable.

L’approche repose sur la relation trinitaire entre la ville, l’histoire et l’objet architectural ; elle répond à des préoccupations sociales et épistémologiques et admet deux ascensions, l’une relative à la description de l’objet architectural - ascension horizontale - et l’autre à la conceptualisation et la théorisation - ascension verticale- . Elle organise le travail en trois parties :

  • La première, historique et comparative, est consacrée à l’urbanisme colonial au XIXème siècle.
  • La deuxième porte sur l’analyse spatiale du Coudiat-Aty : analyse de l’espace urbain et architectural selon la méthode d’analyse typo morphologique.
  • La troisième traite des formes et mécanismes de réappropriation de l’espace hérité et constitue une analyse exhaustive des processus de réappropriation de l’espace selon les approches socio urbaines.

Une première partie traite de la genèse et de la formation de la ville coloniale en Algérie.

La ville française au 19ème siècle intègre progressivement les progrès de l’hygiénisme, le développement de la circulation et l’exigence d’un logement satisfaisant. Cette nouvelle conception urbaine est importée et doit, à Constantine se conjuguer avec l’espace public qui inspire à la ville son tracé. La ville coloniale représente : « une rupture avec des pans entiers de notre mémoire collective; avec elle, nous avons perdu l’idée du projet architectural comme narration poétique de notre mémoire», mais la ville coloniale constitue le centre vital des agglomérations les plus importantes.

La deuxième partie analyse le quartier Coudiat-Aty selon la méthode typo-morphologique, la technique de décomposition, recomposition et élaboration typologique appliquée aux différents niveaux de l’espace : tracé urbain, parcellaire, forme urbaine et cadre bâti. Elle s’appuie également sur l’étude de la croissance urbaine (genèse et mécanismes de formation historique de l’entité spatiale).

Présentation du quartier Coudiat-Aty.

Dressé face à la ville, le plateau de Coudiat-Aty possède une position stratégique et contraignante. Il représente un obstacle entre le Rocher et ses extensions. Son espace urbain, symbole de la ville coloniale, a été édifié sur une colline partiellement dérasée. Il offre d’un côté, une grande dénivellation qui lui confère le titre de balcon urbain et, de l’autre, une relation de couture avec le tissu environnant. Il constitue une limite naturelle, du côté sud de la place Benboulaïd, carrefour de toutes les voies et cœur battant de la ville. Par rapport à cette place et au Rocher, le Coudiat peut être assimilé à un bras étalé autour de cette place, le second étant le Rocher lui-même. Par la route de Skikda, le plateau présente une imposante façade, marquée par le front du lycée El Hourya et située à la même hauteur  que le Rocher.

Le site couvre six hectares (carte n°1 et coupes sur terrain) sur lesquels a été réalisée une opération de lotissement planifiée et contrôlée, munie d’un cahier de charges contraignant. Six phases d’occupation caractérisent sa croissance (voir « phases de croissance »). Le tracé est rigoureux, en damier. Les dimensions des voies se rapprochent, la notion de boulevard et de rue n’est différenciée que par la toponymie.

Quant à l’épaisseur du bâti, elle est saisie dans la troisième dimension, à travers l’analyse typologique, qui se rapporte à un objet spatial - la parcelle bâtie- et combine deux niveaux d’échelle - la parcelle et l’îlot.

Une typologie de classement préalable a été établie par un choix de niveau de lecture identifié par un premier niveau : la parcelle bâtie et un deuxième niveau : l’îlot.

Cette analyse s’est basée sur un choix d’échantillon représentatif fondé sur la forme de l’îlot et sa position sur le site.

Pour analyser la parcelle bâtie, nous avons retenu d’abord sa forme, de là son organisation pour recevoir la distribution des bâtiments.Les parcelles s’assemblent entre elles pour devenir des îlots. La cour, la galerie couverte ou les arcades donnent aux rez-de-chaussée des bâtiments leur originalité méditerranéenne. Enfin, notre attention se porte sur la rue et la ligne médiane, caractéristique de l’urbanisme du 19ème siècle.

 

 

L’analyse typologique distingue d’une part, l’îlot centre d’implantation centrale qui est une parcelle unique, alignée à la voie public, et possède une cour centrale occupant le cœur de l’îlot. D’autre part l’îlot de rive, d’implantation périphérique, présente une rangé double composée de trois formes de parcelles : de tête d’îlot, de milieu, et d’extrémité.

En dernier lieu l’analyse typologique aboutit à une typologie synthétique élaborée par la combinaison des caractères retenus des deux niveaux de lecture (Cf. schéma ci dessous).

Quant au paysage, le Coudiat est monumental par son architecture. Tracé sur une grille orthogonale, les rues sont bordées de constructions majestueuses dominées par deux couleurs : la couleur terre et la couleur blanche, toutes deux intégrées dans le paysage urbain. L’aspect massif des matériaux et la régularité des façades dominent cette image de constructions imposantes. Pour l’architecte qui visualise le paysage, on peut parler, à juste titre, de caractère moderne.

Le quartier symbolise fidèlement le caractère urbain de l’architecture coloniale. Les constructions sont, d’une manière générale, des bâtiments de forme cubique avec un toit terrasse. Le rapport au ciel est couronné par des toits terrasses ; comme une corniche, ils tracent la limite supérieure du plateau.

Le paysage construit est marqué par la présence de la pierre de taille  et le moellon. Les constructions sont regroupées en îlots à caractère massif, à l’image de l’organisation des îlots établis dans les villes coloniales. Les fenêtres, de dimensions importantes, sont garnies de balcons au garde fou en fer forgé, avec un dessin harmonieux et équilibré.

Coudiat-Aty constitue un paysage particulier. On y retrouve les forces archaïques de la terre et l’ordre cosmique et abstrait du ciel. Ces significations se manifestent dans un lieu exceptionnellement riche. Comme le précise Schultz[1] : « …le lieu est tel qu’il permet à la nature d’en révéler l’ordre caché, il ne reste à l’homme qu’à le rendre manifeste par la construction ».

Dix points définissent les caractères spatiaux, urbains et architecturaux de l’espace de formation coloniale. Le cas du Coudiat confirme les enseignements relatifs à l’établissement de la ville de formation coloniale.

Le système en damier et le lotissement rectangulaire sont les traits dominants de l’urbanisation de ce quartier. Ils traduisent la volonté de l’autorité centrale qui planifie son action. Ils disent le choix d’une solution de facilité : rationalité du système viaire exportable et réalisable aisément. Ils font apparaître le modèle de croissance avec évidence et présentent également des limites.

La régularité utilisée pour concevoir les différents plans ne se réduit pas au choix d’une trame orthogonale comme système planificateur. La régularité prend un autre sens du fait de la gestion concrète du tracé.

Le projet admet l’exceptionnalité de chaque cas selon le terrain ; ce n’est pas le modèle qui opère mais plutôt la règle. L’urbanisme colonial présente des plans achevés. Il ne laisse rien à l’initiative de l’habitant, ce qui lui donne un caractère déterminant. Le tracé en damier tellement présent dans l’esprit du moment, on n’hésitait pas à le calquer ou le projeter sur un terrain accidenté. Au Coudiat, aucune hésitation n’est manifestée pour régler les problèmes de la topographie avec différents artifices (escaliers de plus de cent marches, rampes et murs de soutènement de plus de quatre mètres de hauteur). La relation à la troisième dimension gère le pittoresque par le traitement particulier du bâtiment d’angle, de la place, des bâtiments qui ouvrent des perspectives intéressantes de paysage naturel ou artificiel. Cette relation assure l’équilibre de la géométrie adoptée dans les trois dimensions de l’espace extérieur. L’ordre et le traitement des façades révèlent une continuité et une homogénéité urbaine malgré la variété des éléments architecturaux adoptée dans les trois dimensions de l’espace extérieur. Le maintien de la façade est prononcé. L’opposition caché / vu, sale / propre définit l’espace de formation coloniale. Cette opposition explique l’ordre des façades :

  • façades simplement ordonnées sur cour intérieure ou fond de boulevard ;
  • façades extrêmement élaborées sur nœud du premier degré, angle d’ouverture d’une perspective ou sur un boulevard.

L’analyse décèle une grande cohérence de niveau et d’échelle.

L’approche spatiale a permis de définir les caractères fondamentaux de l’espace physique Coudiat qui rendent possible l’identification du quartier en tant que cadre bâti, inscrit dans un contexte historique particulier.

La troisième et dernière partie de cette recherche traite des pratiques sociales et des modalités de réappropriation du Coudiat, par une approche sociale fondée essentiellement sur des concepts liés à l’espace en tant qu’objet culturel, notamment. La réappropriation, le relativisme culturel, l’acculturation, les pratiques sociales, la pratique de l’espace, le lieu reposent sur des fondements philosophiques attachés à la manière d’être et d’exister de l’homme (notions mûries dans les travaux de M. Heidegger, E. Hall, C. N. Schultz)[2].

L’étude des formes et mécanismes de réappropriation est saisie à travers le marquage, les manifestations concrètes par lesquelles elle s’affirme et dépose ses traces significatives. Elle l’est également dans la parole de l’habitant, qui révèle les différentes pratiques symboliques selon lesquelles les lieux sont vécus, ainsi que dans l’observation des gestes et comportements sociaux dans et à l’égard de l’espace, la familiarisation avec les lieux et le contact direct avec la population.

L’analyse du mode d’appropriation s’est basée sur l’observation, la familiarisation avec les lieux, le relevé d’état des lieux, et le contact direct avec la population habitante. Les entretiens étaient structurés selon un questionnaire[3] composé d’un premier axe sur les caractéristiques générales de la famille.

Un autre sur les pratiques soci-spatiales : leur analyse consiste à saisir comment les gens vivent leur espace ; où et comment se déroulent les fonctions sociales dans l’espace intérieur et comment se fait la gestion collective de l’espace extérieur. Et ce, afin de pouvoir tracer les schémas d’organisation (femme/homme, adulte/enfant ; etc…).

Un troisième sur les attitudes : nous permettent de connaître la position que les gens se fixent à l’égard de leur quartier, à travers des questions directes et des observations. Le but est de dégager des échelles de valeurs et de connaître le degré de satisfaction.

Et un quatrième sur les rapports : Il s’agit des rapports de voisinage, relations entre voisins, contenu de ces relations leurs formes et leurs fréquences (organisation d’association….). Le but serait de connaître le degré d’intégration.

Dans sa majorité la population renseignée se compose d’une famille d’un seul ménage à 67%, d’un taux d’occupation du logement égal à six - inférieur à la moyenne nationale qui est de 7 - et d’un taux d’occupation par pièce de deux personnes. Cette population est d’origine rurale à 75%. Par contre, sa résidence précédant le Coudiat est plutôt urbaine, en effet, 71% de cette population avait habité soit d’autres quartiers de la ville de Constantine ou d’autres wilayas. Par ailleurs, 85% de ces familles se sont installées au Coudiat dans la première décennie de l’indépendance - entre 1962 et 1972- , 73% de ces familles sont propriétaires de leur logement. Les chefs de familles exercent dans deux catégories socio-professionnelles dominantes : le commerce tertiaire - le petit commerce -35%, et les fonctions de l’état 35%. En troisième position viendraient se classer les retraités d’administration de l’état à17%.

Le type de logement dominant est le F4 avec une surface moyenne de 99,26 m².

Ces logements répondent aux lois sanitaires françaises qui depuis 1904 exige des sanitaires individuels par logement, et l’agrandissement de la surface moyenne des pièces.

Dans notre cas d’étude, l’espace du logement est conforme à l’intérieur de la maison occidentale. Chaque espace est spécialisé pour accueillir une fonction. Cette conception du logement est pratiquée largement en Europe d’une façon générale et en France en particulier depuis le XIXème Siècle[4]. Dans cette organisation fixe de l’espace du logement, on trouve des pièces particulières correspondant à des fonctions particulières

L’espace du logement de formation coloniale connaît une certaine stabilisation dans la morphologie du logement. Les pièces sont disposées de façon à ouvrir sur un couloir ou un hall comme des maison sur une rue. Cette configuration spatiale se manifeste aussi bien dans le logement à 5 pièces que celui de 4 ou 3 ou même 1 pièce.

Par ailleurs, l’espace de la pratique du logement de formation coloniale est orienté, il répond à l’opposition devant et derrière; il s’articule à l’espace urbain extérieur qui supporte une différentiation symbolique de la cour à la rue, à la place publique …etc. Dans un même bâtiment, une façade sur cour n’est pas traitée de la même manière qu’une façade sur la rue présentée au monde.

Monochromie/Spécialisation des espaces et  polychronie /Polyvalence des espaces :

La monochronie et la polychronie représentent deux modes d’appréhension du temps[5]. La monochronie caractérise les peuples à contact distant. Ils divisent le temps en fonction des tâches à accomplir. Ils se retrouvent désorientés s’ils doivent exécuter trop de tâches simultanées, cas des Français, Américains, Anglais… leur monochronie est à des degrés différents. Les polychrones sont caractérisés par l’intimité des contacts qu’ils entretiennent entre eux. Ils ont tendance à mener plusieurs opérations à la fois, cas des peuples arabes d’une façon générale.

De ce fait, les monochrones trouvent plus facile de séparer leurs activités dans l’espace, et les polychrones de les concentrer dans un seul lieu. D’où nous déduisons la spécialisation des espaces intérieurs du logement de formation colonial, plan d’origine occidental, et la polyfonctionnalité des espaces dans le logement, maison « arabe » d’une façon générale.

Nous nous retrouvons devant deux enclaves culturelles contradictoires. Ces deux enclaves se sont superposées dans l’usage de l’espace qui a subi les transformations nécessaires à la polyfonctionnalité.

Ainsi l’appropriation de cet espace par une nouvelle population intervient avec de nouvelles pratiques. L’usage de la maison est partagé par une opposition permanente homme/femme, extérieur/intérieur, espace urbain/espace habitation. L’espace de la pratique comprend des valeurs qui se fixent un temps et se recomposent à d’autres moments avec d’autres sujets. L’espace de la pratique ne connaît pas de valeurs absolue, fixe, il reste polyvalent. Néanmoins si nous devions calculer un schéma d’organisation de l’habitation, la zone collective occuperait la place la plus importante de la maison à 48%. C’est une zone mixte ouverte à l’adulte et à l’enfant ensuite, se classerait la zone de services avec 22% de l’espace de l’habitation : zone consacrée à la femme où l’enfant peut accéder. La zone privée occuperait 18% de l’habitation, est réservée aux adultes, et enfin la zone de circulation occuperait amplement les 12% de la maison qui reste. Cependant, dans la pratique, l’habitation est dominée par la présence féminine.

Cette façon d’investir l’espace se révèle à travers trois types de transformations : physiques d’usages, et symboliques.

Les transformations physiques concerne 18% de la population, elles se repèrent dans les changements de l’état de lieu :

Agrandissement de l’espace de cuisine, la division de l’espace, salon, pour y aménager une chambre supplémentaire. Réaménagement des sanitaires, travaux d’entretien, et aménagement des espaces de rangement.

Les transformations d’usage : concernent 50 % de la population, se résument dans le changement d’affectation des lieux, et se convertissent dans :

Le prolongement de l’espace de la cuisine par la substitution de l’espace du séchoir.

La pratique du balcon étant inexistante dans notre culture urbaine, les balcons se réservent la fonction de séchoir et de source de lumière et de ventilation.

Structurée ainsi, la pratique du balcon exprime un décalage franc entre sa morphologie et sa pratique.

La polyvalence de fonctions des espaces chambres à l’exception de celle des parents qui garde son caractère d’intimité.

L’apparition ou l’aménagement de « Bit El Gaad ».

La terrasse considérée comme prolongement de l’appartement  a longtemps  été le point de rencontre féminine. Elle perd de plus en plus cette fonction réservée plutôt à ceux qui habitent les derniers étages.

La cour intérieure - puits de lumière - devient un dépotoir d’ordure. Cette dégradation de l’espace est due à la disparition de la fonction du concierge.

Le logement du concierge, souvent un F2 est un studio aménagé au rez-de-chaussée de l’immeuble. Conçu ainsi, il était le seul à avoir accès à la cour, puits de lumière. A partir de son logement, il avait pour tâche l’entretien de la cour.

Les transformations symboliques concernent 32 % de la population ; elles sont plus délicates à préserver. Il faudrait user de son observation pour deviner les activités occasionnelles et surtout tenir compte des aménagements et agencements des meubles.

Elles se résument dans :

« Bit El Gaad espace » centré dans la maison : L’aménagement de la chambre en Bit El Gaad, séjour familial, est souvent la chambre des filles en même temps ; ou encore lieu de travail pour les enfants scolarisés. Elle sert à la réunion familiale quotidienne, à la réception d’invités proches et d’amis, elle se transforme aussi en pièce de travail occasionnel (ex. rouler le couscous…). Elle est très fréquentée et fort investie par la famille et les amis pendant toute l’année, elle représente un espace centré dans la maison.

L’agencement : facteur favorisant la polyfonctionnalité symbole de la polyvalence.  L’agencement traduit un désir d’investissement affectif dans le chez-soi. Il consiste principalement à mettre en valeur les instruments d’une certaine pratique (ex. : les meubles), et les signes correspondant au statut de l’espace qu’on voudrait marquer par exemple public ou privé…

L’aménagement des pièces n’est pas spécialisé. En dehors de la chambre des parents, qui comprend le mobilier classique de la chambre à coucher, il est rare de retrouver par exemple une chambre d’enfant aménagée avec un mobilier spécialisé. Souvent, quand elle existe, elle est aménagée en banquettes, ce qui la rend accessible à toute la famille, et lui donne la possibilité de se transformer facilement pour d’autres usages.

Quand l’espace du logement ne suffit pas pour aménager les deux espaces distincts : chambre d’enfant et séjour familial, sans hésitation aucune, le séjour familial se substitue à la chambre d’enfant et jamais l’inverse. Et, dans tout les cas l’espace du salon reste fermé aux activités quotidiennes quelque soient le standing ou l’éthique.

La transition vers l’extérieur, le palier : le palier de repos, lieu de rencontre féminine en dehors des heures de pointe, où il est surtout investi par la présence masculine.  D’une façon générale, on ne fait que transiter par le palier, on ne s’y attarde pas. Il est aussi aire de jeux d’enfants très jeunes. l’espace, palier de repos, est structuré physiquement de différentes manières. Il peut prendre les formes : I, L, Y, et même U. Il distribue de deux à quatre logements et même à six logements.

L’état d’entretien des espaces de prolongement du logement (palier, cours, cage d’escalier, entrée de l’immeuble) nous révèle deux situations distinctes : lorsque les habitants d’un immeuble sont tous anciens (même date d’installation, affinité des rapports…) les espaces de prolongement du logement sont bien entretenus et pris en charge par les habitants qui s’organisent en associations et représentations syndicales. En revanche, quand il y a une hétérogénéité dans la composante des habitants d’un même immeuble, les prolongements de logements sont dégradés et ne sont pas pris en charge par les habitants.

La pratique de la terrasse : Avec la présence de l’eau, la terrasse connaît un grand investissement de la présence féminine. Elle est le prolongement du logement ; lieu de certaines pratiques  - lavage de tapis, séchage du couscous, lavage de la vaisselle et du gros linge occasionnel -. Elle est bien alimentée en eau, les réservoirs et les bassins d’eau y sont installés. Elle est donc le lieu féminin, par excellence, d’autant que ces
travaux se font en groupe.

Elle est aussi fréquentée quotidiennement par les femmes, les jeunes filles surtout en été. En revanche, le non fonctionnement des ascenseurs, l’installation des éléments de la paraboles à son niveau, ont freiné ces pratiques.

Elles est réservée de plus en plus à ceux qui habitent les derniers niveaux des immeubles, son usage est contrôlé.

La définition d’un axe spatio-symbolique :

A travers le marquage et l’investissement de l’espace, un axe spatio-symbolique se définit hiérarchisant l’espace de l’extérieur du logement vers l’intérieur de celui ci. En effet, l’entrée de l’immeuble se présente sous des formes étudiées et constitue un premier filtre vers le logement, elle est de dimensions appréciables (16 m² à  24 m²) souvent hiérarchisée par une différence de niveau de quelques marches, le second filtre est l’escalier et le palier de repos.

Cependant, la relation à la rue se fait sans transition, la rue s’annonce dès qu’on a le pas hors du bâtiment, les galeries couvertes - quand elles existent surtout au centre du quartier - servent uniquement de couverture à l’espace du trottoir.

Conclusion

L’habitation coloniale, originellement monochrone est investie par la pratique des habitants qui lui confèrent finalement un caractère polychrone. Diverses oppositions : Homme/Femme, extérieur/intérieur, espace urbain/habitation créent un axe spatio-symbolique original.

Cependant, la pratique de l’espace ne connaît pas une rigidité absolue mais s’ouvrira aux transformations utiles au bien-vivre. Agrandir la cuisine, tandis que la salle de séjour, « Bit El Gaad » est l’espace centré de la maison, dont le rôle est polyvalent. Le balcon et la cour intérieure ont des destinées contrastées : le balcon se révèle un séchoir idéal tandis que la cour intérieure disparaît sous les ordures. Les façades conservées telles quelles mettent au jour la malléabilité des espaces intérieurs. Le bâtiment peut devenir une unité sociale qui permet une vie communautaire et collective, intense et harmonieuse. L’espace extérieur :

Le mode d’appropriation de l’espace extérieur joue sur l’alternance de l’utilisation pour compenser le déficit des espaces de convivialité. Successivement, l’espace extérieur devient terrain de jeu, de rencontre, de convivialité jusque tard dans la nuit et pendant les week-end, quand le quartier n’est plus occupé par les utilisateurs du jour et rendu aux habitants.

 

A l’échelle urbaine, des équipements drainent les flux massifs, créent des stratégies d’accès (services parking). Le quartier vit un véritable dédoublement de statut, de rôle, de fonctionnement selon les distinctions jour/nuit, jour ouvrable/fin de semaine, statut local et urbain, équipements centraux et locaux. Le quartier a une double vie.

L’appropriation des espaces se concrétise moins dans les transformations physiques que dans la souplesse et la variété des modalités d’usage (l’espace intérieur par la polyvalence, l’espace extérieur par l’usage alterné).

Cela est à mettre en relation avec les caractéristiques spatiales et architecturales que révèle l’analyse spatiale : la rigidité de la structure ; la définition des espaces ; la cohérence de hiérarchie, la cohérence des échelles (parcelle, îlot urbain).

Par conséquent, ce phénomène fait valoir plus d’intervention dans l’usage que dans l’espace.

Cette recherche peut ouvrir d’autres pistes dans les domaines anthropologiques de la gestion du patrimoine et d’urbanisme contemporains.

- PISTES  DE  RECHERCHE -

 Hypothèse (D)

 1- L’échec de l’urbanisme contemporain résiderait dans l’imitation formelle du  « modèle » ne tenant compte, dans sa démarche, que de la matérialité physique de l’objet architecturale.

architecturales et urbaines de conceptualisation Dans le but d’acquérir des références

2- La gestion du legs colonial et la recherche d’un statut d’intégration approprié.

3- La notion de patrimoine soulève un intérêt de recherche d’actualité.

4- Du point de vue anthropologique, approfondir la recherche sur l’articulation de modèles culturels superposés dans la symbolique de l’habitat.

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Notes

[1]- Schultz, C. N. :  Genius Locci.- Bruxelles, Ed. Mardaga, 1979, (chap.7 : Le lieu)

[2]- Heidegger, M. : Essais et conférences.- Paris, Ed. Gallimard, 1958.

  Hall, E. :  La dimension cachée.- Paris, Ed. Le Seuil, 1966 .

  Schultz, C. N. : Genius Locci.- Bruxelles, Ed. Mardaga, 1979.

[3]- L’enquête sur terrain a été précédée d’une pré-enquête à l’aide d’un pré-questionnaire.

[4]- Philippe, Aries :  L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime jusqu’au XVIIIème siècle, d’après  Hall : La dimension cachée.-  Ed. Seuil, 1971, Chap. 11,  Proximie comparée des cultures allemande, anglaise, française.- page 163.

[5]- Hall :  La dimension cachée.-  Chap. 13,  Villes et cultures.- Ed. du Seuil, 1971.- page 212.

 

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