Analyse des difficultés rencontrées par des élèves Algériens de 1ère A. S. dans l’expression des temps verbaux en français

Insaniyat N° 14-15|2001|Numéro spécial: Premières Recherches|p.189-196|Texte intégral


Abderrezak AMARA


Les élèves algériens apprennent le français comme langue étrangère. L’arabe et le français n’ayant pas la même origine,  ni la même évolution, d’importantes différences marquent ces deux langues, non seulement au niveau phonologique, mais aussi aux niveaux lexical et morpho-syntaxique. Ces différences présentent une grande difficulté aux lycéens algériens de 1ère A.S.

En Algérie, on commence à  prêter une grande attention aux erreurs commises par les élèves dans leur apprentissage (quelques travaux y ont été consacrés). En général,  la fréquence et le nombre  des erreurs à l’écrit et à l’oral  constituent  un critère principal d’évaluation de la performance  des apprenants.  Mais  les erreurs  ne sont pas de  même importance.

Quelles sont les erreurs caractéristiques des apprenants algériens de 1ère A.S.? Quelle attitude devons-nous adopter vis-à-vis de ces erreurs ? Si nous pouvons bien répondre à ces questions, nous pourrons obtenir des résultats encore meilleurs dans l’enseignement des langues étrangères. 

 L’apprentissage d’une langue étrangère diffère de celui de la langue maternelle. L’apprentissage de la langue maternelle commence à partir de lacunes des connaissances de la langue. Le processus en est inconscient. Quant à l’apprentissage d’une langue dite étrangère, il est influencé par les connaissances de la langue maternelle dans les domaines de la linguistique, de la psycholinguistique, de la psychologie du langage, de la sociolinguistique, etc. Lorsque l’apprenant commence à apprendre une langue étrangère, il parle une langue qui n’est ni la langue maternelle ni la langue cible. On attribue à cet état instable le terme de « systèmes approximatifs » (Nemser, 1971) ou «interlangue » (Selinker, 1972). Durant cette période, l’apprenant, n’ayant qu’une compétence transitoire linguistique et communicative, commet inévitablement des erreurs. Comme l’a affirmé C. Perdue : « Si l’apprentissage d’une langue étrangère est une activité cognitive qui consiste à faire et à vérifier des hypothèses sur la structure de la langue cible, l’apprenant fera obligatoirement des erreurs. » [1]

Pour P. Corder (1976), toutes les erreurs ne sont pas d’égale importance, l’erreur de compétence est différente de celle de performance. La première est une  déviation  systématique.  Elle  marque  la compétence transitoire de l’apprenant et fait  l’objet  de la recherche  des linguistes dans  l’analyse des erreurs. La deuxième est une déviation aléatoire, imputable à des lapsus, à la fatigue ou à des causes psychologiques. Elle ne reflète pas les lacunes des connaissances de la langue. « Il nous faut bien distinguer les erreurs qui sont dues au hasard  des circonstances de celles  qui reflètent à un moment donné [sa] compétence transitoire. Le critère principal pour les connaître serait pour le locuteur d’en devenir conscient et d’être capable de les corriger » [2].

S. P. Corder propose d’appeler  désormais «fautes » les erreurs de performance et de réserver le terme «d’erreur » aux erreurs systématiques des apprenants [3].

Selon lui : « les erreurs ont trois significations : pour l’enseignant,  « elles lui indiquent, où en est arrivé l’apprenant par rapport au but  visé, et donc ce qui lui reste à apprendre » ; pour le chercheur, «elles fournissent des indications sur la façon dont une langue s’apprend, s’acquiert, sur les stratégies et les processus utilisés par l’apprenant dans sa découverte progressive  de la langue » . Pour l’apprenant, «elles sont indispensables, c’est une façon de vérifier ses hypothèses sur le fonctionnement de la langue qu’il apprend »3.

La fréquence d’erreurs est très importante dans l’analyse, car elle nous permet de classer les erreurs en catégories et de les interpréter. Toutefois, il ne faut pas négliger  les limites de cette fréquence : la relativité des erreurs, la subjectivité de l’enseignant dans la correction et la stratégie de communication  de l’apprenant. Pour que l’analyse des erreurs soit plus objective, le recours à d’autres moyens est nécessaire à la recherche.

Nous avons entrepris une recherche auprès de 300 élèves de 1ère année  secondaire. Trois cents copies constituant le corps d’analyse ont été recueillies successivement à la fin de chaque trimestre.

Du fait que ces apprenants étaient à leur septième année d’apprentissage  du français,  ce corpus  ne  pouvait  que refléter leur  niveau  réel concernant l’emploi de cette langue. Basé sur cet acquis, nous avons relevé 458 erreurs  et les avons classées en six  catégories:

Catégorie d’erreur

 

d’erreur Fréquence

%

1- Sur l’emploi des temps verbaux

86

18,8 %

2- Sur la terminaison des verbes

80

17,7 %

3- Sur l’emploi des auxiliaires

76

16,6 %

4- Sur l’emploi de l’infinitif

66

14,4 %

5- Sur les verbes pronominaux

49

10,7 %

6- Sur l’accord du participe passé

36

07,8 %

7- D’autres erreurs éventuelles

65

14  %

Le tableau montre la fréquence absolue et le pourcentage de chaque catégorie d’erreurs dans l’apprentissage du français. Les erreurs sur l’emploi des  temps verbaux occupent la première place.

Explication des erreurs

En vue de connaître les causes de ces erreurs et des les expliquer, on les distingue en général en deux groupes: les erreurs interlinguales (erreurs d’interférence) et les erreurs intralinguales (erreurs développementales).

Au cours de l’apprentissage d’une langue étrangère, les habitudes de  la langue maternelle exercent une influence sur l’acquisition de nouvelles règles et de nouvelles façons d’exprimer de la langue cible, l’apprenant commet alors des erreurs dites « erreurs d’interférence ».

A côté des erreurs d’interférence, existe un autre type d’erreurs, dites « erreurs intralinguales », qui sont des phénomènes dérivatifs de la langue cible propre et qui n’ont pas de relation avec la langue maternelle.

Les erreurs les plus fréquentes commises par nos apprenants nous ont permis d’effectuer un traitement quantitatif du corpus. Nous allons analyser, à présent, la première catégorie d’erreur, cela dont la fréquence a dépassé le taux moyen.

Erreurs  de  temps

Selon R. Porquier : « Pour le français quelle que soit la L1, les erreurs  les plus  fréquentes  concernent  généralement les déterminants, les formes verbales, l’expression des temps… »[4]. Il en est de même pour les apprenants algériens de 1ère A.S. Le tableau montre que la fréquence d’erreurs sur les temps occupe la première place par rapport aux  autres types .On peut constater que l’expression des temps verbaux en français constitue une des plus grandes difficultés pour les élèves algériens  dans l’apprentissage de cette langue.

La cause la plus importante réside dans le fait que c’est dans le système verbal du français qu’on observe le plus grand nombre de variations.

Les formes des verbes changent selon les modes, les aspects ou les temps et ces variations ont rapport avec le nombre, le genre et la personne. Un verbe conjugué indique à la fois l’aspect, le mode et le temps. Le système verbal de l’arabe est très différent de celui du français.

Influencés par la langue maternelle, nos apprenants commettent beaucoup d’erreurs de temps verbaux : tantôt ils confondent  le  présent avec le passé, l’imparfait avec le passé composé ; tantôt ils utilisent l’infinitif au lieu de conjuguer le verbe. Les erreurs de conjugaison  ne manquent pas dans leur production. 

En voici quelques exemples sur les erreurs de temps commises par ces élèves :

a) Emploi du présent à la place d’un temps du passé

Présent employé à la place de l’imparfait

Ex :

(L.57) « Après, nous sommes allés à la mer. Nous sommes content ».

(L.34) « Il faisait beau, il y a beaucoup de gens ».

(L.19) « Hier, il ; était au mariage,  il y a beaucoup de voitures».

(L.48) « L’année dernière, je connais un voisin ».

Présent au lieu de passé simple

Dans la même phrase, certains élèves, sans raison apparente, changent de temps : pour eux, présent et passé ont même valeur :

Ex :

(L.62 ) « Elle se retourna vers son père et lui raconte son aventure ».

(L.34 ) « Je me lève tôt et je partis en courant ».

Présent au lieu de passé composé

(L.36) « Nous sommes très heureux car nous avons une promenade au bord de la mer ».

(L.59) « Soudain, les pêcheurs quittent les rochers ».

(L.92) « Heureusement, il n’est pas blessé ».

b) L’imparfait

Nous constatons que c’est l’imparfait qui est le plus employé, parfois abusivement.

Imparfait au lieu de passé simple

Ex :

(L.32) « S’il allait vite, il arrivait à temps ».

(L.55) « Si j’avais de l’argent, je partais au Maroc ».

Imparfait au lieu de plus que parfait 

(L.48) « Son port feuille restait par terre ».

Mauvaise construction de l’imparfait

Ex :

(L.26) « Il était voyagé ».

(L.92) « Il était nagé ».

(L.17) « J’était partir ».

(L.33) « J’étais faire ».

Le passé composé

La substitution et l’omission sont les seules catégories d’erreurs relevées au niveau de ce temps.

D’après notre corpus les élèves de 1ère A.S. n’arrivent pas toujours à utiliser, les auxiliaires « être » et « avoir » correctement dans la formation des temps composés.  

Ex :

L.11- Le garçon est couri (pour «  a couru »).

L.19 - Quand  j’ai arrivé à la gare (pour « suis arrivé »).

L.39 – « Il a retourné chez lui »(pour « est retourné »).

L.26 – Il a resté avec son frère «  (pour « est reste »).

L.26 – « J’ai allé à la mer » (pour « suis allé »).

L.33 – « Je suis assisté à un mariage » (pour « ai assisté »).

L.29 – « Il est nagé » (pour « a nagé »).

L.23 – « J’ai parti chez mon grand-père » (pour « suis parti »).

L.44 – « J’ai retourné chez moi le ; soir » (pour « suis retourné).

L.49 – «  Il a sorti le matin » (pour « est sorti »).

Imparfait à la place du passé composé

L.38 – Il nageait pendant trois heures.

Nous nous parlions dans un heure.

L.43 – Alors, nous promenions un peu.

Après longtemps, mes cousins m’invitaient.

Nous sommes allés au mariage. Ici, nous prenons beaucoup de repas.

L.55 – Soudain je sentais le plus heureux du monde.

Passé composé à la place de l’imparfait

L.43 – En été, pendant que je suis allé à la mer j’ai vu un

Accident sur la route.

L.69 – Pendant les vacances, pendant que nous sommes restés à

La campagne, mon frère est parti à Oran

Confusion d’une action qui survient au milieu d’une autre action

En cours

L.89 – Le soir pendant que je promenais dans la forêt tout à coup Je voyais un homme qui courait vite.

Conclusion

L’analyse des erreurs de temps du corpus que nous avons établi à partir  des productions écrites d’apprenants algériens de 1ère  A.S., nous a permis de classer les erreurs de temps en deux grands types :

- Erreurs de type intralingual (certains emplois erronés à l’imparfait à la place du passé composé et vice-versa).

- Erreurs de type interlingual (emploi du présent à la place de l’un des temps du passé ).

En ce qui concerne les causes d’erreurs, il nous semble possible de distinguer deux facteurs principaux :

  1. Facteur linguistique

- Concernant les erreurs de type interlingual, il s’agit d’un problème d’interférence arabe/français dans la mesure où en arabe seuls trois temps prédominent et sont de ce fait transposés selon le schéma de la structure morphosyntaxique de l’arabe dans le français.

- Quant aux erreurs de type intralingual, elles sont dues aux caractéristiques des langues en présence (Arabe / Français). En effet, l’existence, en français, de plusieurs temps du passé dont l’imparfait et le passé composé (et le passé simple) avec des valeurs et des emplois différents constituent un facteur de perplexité pour les apprenants algériens. Ceci explique leur tendance, soit à généraliser, soit à simplifier l’utilisation de ces temps.

  1. Facteur didactique

Les manuels scolaires des classes de 1ère A.S. montrent que l’articulation entre la valeur temporelle des temps verbaux et celle des indicateurs chronologiques explicites reste souvent implicite. Ceci provoque une confusion chez nos élèves quant à l’emploi de certains indicateurs. C’est là une des causes principales d’erreurs d’emploi des temps du passé.

Bien plus, le rôle et le sémantisme des indicateurs temporels qui jouent un rôle important dans le choix des temps ne sont pas pris en compte ; ce qui explique la confusion dans le choix des temps par les élèves.

L’opposition imparfait/passé composé ne fait pas l’objet d’une explication satisfaisante; ce qui provoque aussi des malentendus pour ces apprenants. La fréquence et le nombre d’erreurs que notre analyse a révélé pourraient nous servir de repère dans l’élaboration du programme d’enseignement et des manuels.

C’est en nous basant sur les résultats de cette analyse que nous avons formulé des propositions didactiques. Elles ont le modeste objectif d’apporter une complémentarité à certains points qu’il faudrait prendre en considération.

Quant à l’enseignement des temps du passé aux élèves algériens de 1ère A.S.

Au niveau de la phrase, nous nous sommes proposé de mettre l’accent sur l’articulation entre les formes verbales des temps du passé et la présence d’un indicateur explicite en établissant quelques règles élémentaires concernant cette articulation.

Nous avons également proposé, à titre d’exemple, certains types d’exercices susceptibles de rendre compte de l’emploi des temps mentionnés afin que les apprenants puissent les utiliser correctement dans le cadre d’une expression plus élaborée.

Cependant, ces propositions ne s’arrêtent qu’au niveau de l’expression écrite en mettant de côté l’aspect oral, étant donné que notre analyse d’erreurs, pour des raisons de temps et de choix d’objectifs, repose sur une production écrite d’élèves. C’est un des points que nous devrons étudier et approfondir dans un travail à venir.

Abderrezak AMARA

 

Bibliographie

Corder, S.P. : Le rôle de l’analyse systématique des erreurs en linguistique appliquée.- CILA,14, 1971.- p.p.6-15.

1980. Que signifient les erreurs des apprenants ?.- In Revue Langage N°57.- p.p.9 -15.

Nemser, W. : Approximative systems of foreign language learners.- IRAL , 9 , 1971.- p.p. 115-123.

Perdue, C. : l’analyse des erreurs : un bilan pratique.- Revue Langages N° 57 , 1980. - p.p. 87-94.

Porquier, R.: L’analyse des erreurs, problèmes et perspectives.- Revue E .L. A  n° 25,  1977.-  p.p. 23-43.

Rojas, C. : L’analyse des fautes.- Revue F. D. M n°81, 1971.- p.p. 58-63.

Selinker, L .: Interlanguage.- IRAL , 10 (3), 1972.- p.p. 31-50.


Notes

[1]- Perdue, C. : L’ analyse des erreurs : un bilan pratique.- Revue  Langages n°57, 1980.- p. 94.

[2]- Rojas, C . : L’analyse des fautes.- Le F. D. M. n° 81, 1971.- p.63.

[3]- Corder S. P. : Que signifient les erreurs des apprenants ?.- Revue Langages n°57, 1980.-  p. 13 . 

[4]- Porquier , R . : L’ analyse des erreurs : problèmes et perspectives.- Revue E . L. A n° 25, 1977.- p. 27.

 

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