Le sobriquet algérien : une pratique langagière et sociale

Insaniyat N°17-18 | 2002 | Langues et Société - Langues et Discours | p. 97-110 | Texte intégral


Algerian nicknames : linguistic and social practices

Abstract : This article is an effort at understanding nick names or more personal pet names, a real sociocultural and universal linguistic phenomenon, particularly dynamic and prolific in all world naming systems, and especially in Algeria.
On the basis of a corpus made up of nicknames created in the Algerian milieu and by Algerian speakers, it tries to clarify the construction and attribution modes of this linguistic code, the motives for its creation and communication function within a group.
It shows that a nickname is a true informer of speakers’ linguistic behavior, it shows group mentality and bears witness to history, humor and creative spontaneity of the group.

Key words : Nick name – pet name – social group – nomination – communication – mentality –


Ourdia YERMECHE :  Chargée de cours ENS Bouzaréah Alger,  Chercheur PNR «Dénominations et Représentations Onomastiques  au  Maghreb»


Le sobriquet ou surnom personnel est une forme linguistique au même titre que les autres catégories onomastiques tels que le prénom ou le nom de famille. Il se présente comme un "nom complémentaire […] (qui) vient s’ajouter au nom propre d’une personne […] et (qui)  peut aller jusqu’à s’(y) substituer"[1] lorsque son emploi est plus récurrent que celui du prénom ou du nom propre.

Présent dans tous les systèmes anthroponymiques du monde, ce fait linguistique constitue un véritable phénomène socio-culturel et linguistique, une pratique sociale dynamique et féconde. Il se présente comme un code linguistique spécifique, une stratégie de communication avec ses règles propres de construction et d’attribution.

Le sobriquet répond à un besoin de singularisation[2], de distinction et de précision  de la personne nommée par la reprise d’un de ses traits caractéristiques (physique, moral ou autre), le plus significatif. Il assure une fonction de dénomination / caractérisation / identification des personnes nommées. Sa présence se justifie par «une surnomination » car, nous précise Lionel Galand, «dans un groupe relativement étendu d’individus et pourtant assez restreint pour que tous se connaissent, il est indispensable qu’ […] on puisse immédiatement savoir de qui l’on parle et à qui l’on a affaire»[3].

Apparaissant comme «un moyen mnémotechnique et comme un véritable langage de groupe»,[4] il est la résultante d’un véritable jeu langagier intelligent et souvent subtil d’une communauté donnée. Il constitue également un moyen d’échange ludique en ce sens qu’il doit souvent son existence à «un jeu de créativité langagière» spontané (dans un groupe, chez les jeunes plus spécialement, c’est à qui excellera dans la création du «meilleur sobriquet» à savoir le plus original, le plus approprié, le plus drôle aussi).

Créé à partir d’un sens aigu de l’observation, le sobriquet témoigne de l’humour caustique, de la spontanéité et de la créativité d’un groupe. Construit sur la base de l’ironie, de la raillerie, du jeu et de la comparaison, il a surtout une valeur expressive. Le conformisme et la grossièreté peuvent donner lieu à des surnoms souvent dévalorisants et difficiles à porter. L’affection, l’admiration sont également à l’origine de certains surnoms mélioratifs qui ne dérangent aucunement leurs porteurs. Le sobriquet qui concrétise le regard incisif et précis du groupe sur l’individu, sa façon de voir et de sentir l’autre à travers le prisme socio-culturel, reflète sans conteste une mentalité et une époque.

Ce travail se propose d’analyser cette catégorie onomastique en situation algérienne et  en synchronie, à partir d’un corpus[5] réel. Il étudie les mécanismes de fonctionnement du sobriquet au sein de la société algérienne, sa réalisation dans la langue et la motivation de sa création. Il essaie également de montrer que le sobriquet est un fait de langue mais également un indicateur très fort des comportements langagiers des locuteurs algériens et des différentes couches de la société. Il essaie d’élaborer également une typologie des sobriquets algériens ?   

A/ Stratégie socio - culturelle et conditions d’attribution des sobriquets en milieu algérien

La formation du sobriquet, en situation algérienne, dépend de plusieurs critères notamment sociologique, psychologique, culturel et historique. Le milieu social, le niveau intellectuel, le sexe, l’âge du nommant et du nommé sont autant de paramètres qui interviennent dans la réalisation de celui-ci[6].

Ainsi, avons-nous constaté que les enfants et les adolescents construisent leurs sobriquets sur la base de leur vécu immédiat, de leur imaginaire avec comme référents des personnages de films policiers, de bandes dessinées, de dessins animés et même de contes. 

Chips, Rambo, Zorro, (personnages de films policiers et d’action).

Tom Pouce, Blanche-neige (personnages de contes pour enfants).

Laurel et Hardy (personnages de films muets relativement anciens mais qui ont été largement rediffusés par l’ENTV).

Tabloudja, Utchi (personnages de dessins animés).

Spoke (personnage de film de science-fiction).

Maradjah (films indous diffusés sur l’ENTV).

Les  jeunes adultes, confrontés aux problèmes socio-économiques de la vie quotidienne, créent leurs sobriquets selon leurs normes éducationnelles et par rapport à des phénomènes socio - culturels qui les touchent de près (homosexualité, drogue, dictature, chômage, misère, corruption et passe-droits).

Attika  désigne une personne efféminée.

Ali Zetla, surnom d’un drogué.

Pinochet  nomme une personne autoritaire par la référence au dictateur chilien.

Che Guevara, surnom attribué à une personne qui porte une barbe et un béret en référence à cette figure emblématique  de la révolution cubaine.

Moh tchipa est le surnom d’une personne qui accepte volontiers des pourboires et qui  s’est enrichi grâce à ce procédé.

Beggar désigne un nouveau riche, «un arriviste», manquant totalement de raffinement.

Karim Visa, sobriquet attribué à une personne qui fait le trafic de visas.

Les adultes plus âgés, plus marqués par l’expérience de la vie, leur statut et leur classe sociale, puisent quant à eux, dans leur vécu aussi bien présent que plus ancien. Ils n’hésitent pas, par exemple, à recourir à des références mythiques, légendaires et historiques pour surnommer une personne.

Fetta tislit «Fetta, la mariée» par opposition à Fetta tamghart «Fetta, la belle-mère» (hiérarchisation au sein de la famille kabyle).

Djeha, Dada Hadouk (personnages de légende).

Hitler, Maréchal (personnage historique, référence à la 2ème guerre mondiale).

Amar ou-merkanti « Amar le riche » (référence à la réussite sociale).

B/ Le sobriquet algérien  : un acte de création linguistique 

Le sobriquet algérien est un procédé linguistique prolifique dont la création met en branle différents procédés stylistiques qui donne lieu à une nomenclature très riche. C’est ainsi qu’une typologie du sobriquet algérien, basée sur le critère motivationnel et sémantique, peut être établie à partir du corpus que nous étudions.

I/  La «sobrication»  du prénom ou sobriquets construits sur une déformation du nom ou prénom du nommé

Le sobriquet peut être formé sur la base du nom du surnommé (prénom ou nom de famille) qui se prête au jeu de mots. Ainsi, le nommant va «travailler» sur la matérialité du signe linguistique, c’est-à-dire sur sa forme (non sur son signifié) par le jeu des sonorités et des résonances. Le travail, qui peut rendre le nom méconnaissable, va de la troncation jusqu’à l’altération complète par rajout d’affixe à l’initiale et/ou en finale du nom.

1/  Troncation du nom :

a/ par suppression de la syllabe finale :

Boubekeur…………..Bob

Samir…………………Sam

b/ par transformation d’une forme composée en une forme simple:

Fatma-Zohra…………………Timouche,

Tima Mohand Ameziane……Tavziane

c/ par suppression de la syllabe médiane :

Zoulikha………………………Zoukha / Khoukha

2/ Altération du nom :

 a/ par substitution d’un phonème ou d’une syllabe au phonème ou  syllabe initial, médiane ou final :

Saïd…………………..Tchaïd

Djouhra.......................Djoubit,

Boudjemaa…………..Boudouche

Malha……………….. Mahuche

Belkacem.....................Belkous / Melhous

Rabah.......................... Rabouh / Tarbouh

b/ rajout d’un phonème à l’initiale  et d’un suffixe en finale du nom :

Akli…………………..Bakhliche, Bakhliliche

Ali ...............................Aliwat /  Alilou / Balili

c/ transformation du nom dans l’intention de lui conférer une nuance péjorative :

Leïla…………Loloda

II/ Sobriquets construits sur des propos énoncés par le nommé [7] :

Il arrive qu’un sobriquet soit attribué à une personne durant l’enfance par rapport à une prononciation enfantine d’un mot ou par rapport à des «tics» langagiers. Celui-ci peut durer le temps de l’enfance ou toute la vie, alors même que la caractéristique motivante et les conditions d’énonciation ont disparu. Il est aussi le fait  d’une expression récurrente chez le nommé, remarquée et reprise par l’entourage proche. Le sobriquet est aussi attribué sur la base d’une onomatopée, d’un cri, d’un son particulier ou tout simplement sur une sonorité (répétition du son). Il existe une relation mimétique (métonymique) entre le terme produit pour désigner le nommé et le bruit qu’il produit (et que parfois le nommé produit).

Le sobriquet ainsi créé, construit en milieu restreint (milieu familial le plus souvent) est souvent adopté, parfois définitivement, par l’entourage plus éloigné du surnommé. L’histoire et le sémantisme de ce type de sobriquets est difficile voire impossible à retrouver, car la «trace» de sa motivation et des conditions de réalisation s’est souvent perdue. Ce type de sobriquet de même que ceux fabriqués sur une déformation du nom ou prénom sont appelés «surnoms viagers» par Billy[8].

1/ Sobriquets construits sur la reprise d’un langage enfantin ou d’une défaillance de prononciation :

Maddou est la prononciation enfantine du mot kabyle amargou  «l’étourneau»

Qarwihi est la prononciation déformée de l’expression kabyle dada ntarwiht  «mon frère adoré».

Vouvou est la reprise du mot du langage enfantin pour désigner des grains, des pois chiches, des fèves…aâqa  en kabyle.

Dizneuf est la forme déformée d’une expression d’enfant qui dit n-dizneuf  au lieu de nouzelef «de maïs grillé»,  ouzelef  signifiant «maïs grillé» en kabyle.

2/ Sobriquet construit sur la reprise d’un mot ou d’une expression récurrente :

Thaghmats «fraternité» en kabyle, mot souvent employé par le nommé.

Bulgari «Bulgare» par utilisation exagérée de ce nom de nationalité.

Ikler «Hitler», référence continue à ce personnage historique.

Madam meusyeu «Madame Monsieur», utilisation continue de «monsieur» pour désigner son époux émigré. Par transfert, l’utilisatrice de cette expression est elle-même appelée «Madame Monsieur».

Movyeu «mon vieux», redondance de cette expression dans les propos du nommé.

Mhandami «M’hand mon fils», expression récurrente chez un père qui parle de son fils. Ce sobriquet surnomme le fils et non le père qui est en fait l’utilisateur de cette expression (désignation par transfert).

Qwatro désigne un joueur invétéré du jeu de cartes espagnol «ronda», qui utilise souvent cette formule. Ce sobriquet est un «surnom hérité»[9] car il désigne la descendance (les enfants : Iqwatrothen, la fille : Thaqwatrots,  le garçon : Qwatro). 

Bourab «nom de dieu», juron fort employé chez le nommé.

Dabour  «d’abord» terme utilisé exagérément dans les propos du nommé.

Moh TNT, sobriquet attribué à une personne qui menace toujours d’utiliser cette poudre explosive.

3/ Sobriquets construits sur la base d’onomatopées :

Hou, sorte d’interjection fréquemment émise par le nommé.

Bazbouz, sobriquet donné à «un ventru ».

Tchourourou, Tihi, Saksak, Kaâkaâ, Kiki, Khizou [10].

III/ Sobriquets créés sur une caractéristique physique ou morale du nommé :

La spécificité du sobriquet dans le système anthroponymique est d’être essentiellement, au moment de sa formation, descriptif. Il sert fréquemment à exprimer une caractéristique physique ou morale, particulière du nommé sur la base de la moquerie, du jeu ou de la comparaison. La motivation du sobriquet se situe aussi bien chez le nommé que chez le nommant.

1/ Description par le procédé de la qualification (antonomase) :[11]

Aâzoug «le sourd», Ouk°rif «l’impotent», Afardas «le chauve», Rouxou «rouquin» (en espagnol), Hirouz «l’intelligent»

Mouhand averkhan «Mohand le noir»,

Saâid ouqris «Said, le maigrichon», littéralement «Saïd dont la taille va se casser en deux» du fait qu’il est trop maigre.

Mohand n’frisi  «Mohand, fils du frisé», dans ce cas, il s’agit d’un sobriquet transmis du père au fils et même à la fille par féminisation, Thafrizits «la frisée».

Atarourou,  Bahloul , personne pas très futée

Mauvais caractère, personne qui a un mauvais caractère

Dort debout, personne très calme, placide, à la limite amorphe

Achnaf, personne toujours renfrognée

Aqmamas, quelqu’un qui a la bougeotte, personne aux gestes rapides, fébriles

Hinouz, personne boulimique, qui mange avec excès et mal , de Hinuz qui signifie «bouchée»

2/ Description d’un trait physique ou moral avec reprise  de ce trait  par le procédé métaphorique (synecdoque) :

Lalit  «le ventru», Vouqarou «la grosse tête»

Mhand vou qamoum «M’hand à la grosse bouche» (en vérité  Aqamoum renvoie à la gueule d’un animal.

Vou sin «le cornu», (ce nommé a deux bosses sur le front).

Ouchène «le chacal», en référence à la ruse et à la malignité de l’animal.

Awtoul «le lapin» pour désigner quelqu’un qui est toujours à l’affût des bêtes qui paissent dans ses champs.

Panthère, en référence à l’agilité de cet animal.

3/  Description par la comparaison avec une race :

Da chaâ a-mou roumi «Da Saïd, beau comme un français » sobriquet construit sur le procédé de l’ironie et de l’antiphrase, c’est une personne particulièrement vilaine.

Ferhat nigrou   «Ferhat, le nègre»  désignation de la couleur de la peau par la référence à une race (procédé métonymique).

Chinwi «le chinois» ou Japonais, en référence aux yeux bridés du nommé ou pour désigner un bourreau de travail.

4/ Description par la comparaison avec un animal, un oiseau ou un insecte par le procédé métaphorique :

Rourab «le corbeau»  ou Corbeau pour désigner une personne à la peau noire (glissement de sens  habituellement ce charognard évoque le malheur).

Inisi  «le hérisson» par référence à la petite tête de cet animal.

Afounas «le vache», c’est une construction néologique sur la base de la «masculinisation» du nom commun féminin thafounast «la vache», désigne une personne grosse, de même pour Halouf «le cochon, le porc».

Sekour «le perdrix», même construction néologique que le sobriquet précédent, pour désigner un homme d’une beauté féminine. La perdrix Thassekourt dans la symbolique kabyle représente la beauté.

Douda «l’asticot», Thitchirth «petit oiseau», Moustique, Crevette (dans la culture française, se dit d’une personne timide rougissant souvent, par référence à la couleur de ce poisson), désignent des personnes petites de taille et frêle de corpulence.

5/ Description par la comparaison avec un personnage réel ou fictif (de film ou de conte), une notion métaphysique, par le procédé de la reprise du nom propre désignant ce personnage ou cette notion (métonymie) 

Bleau, personne ressemblant à un colon dont le nom de famille est Bleau.

Perroche, nom propre de personne de sexe masculin, devenu nom de chien, puis sobriquet d’une femme, ainsi surnommée car son mari n’osait pas l’appeler par son prénom en famille (le sens péjoratif de ce sobriquet n’existe que par sa référence au chien qui le portait auparavant).

Laurel et Hardy désigne un couple mal assorti selon les normes culturelles : mari petit et gros, épouse grande de taille et mince. Avec le temps, cette expression n’a désigné que le mari.

Tom pouce, personnage de conte, désigne une personne petite de taille.

Alihoum renvoie à une personne dont le nez est difforme, en référence à une personne  ayant cette caractéristique et nommée Alihoum

Spoke, nom d’un personnage de film de science-fiction affublé de grandes oreilles et donné à une personne qui avait la même caractéristique.

Dada Hadouq, nom d’un personnage de conte, et qui sert à surnommer une personne  crédule voire idiote.

Poil de carotte, surnom donné à un personnage de fiction dont les cheveux sont roux (référent culturel étranger).

Awarzene, «l’ogre» pour désigner quelqu’un qui travaille beaucoup (l’ogre désigne habituellement quelqu’un de méchant qui mange les petits enfants).

Aâzrayene «ange de la mort» pour désigner une personne dure en affaire et autoritaire.

Chitane «diable», nom donné à une personne diabolique, méchante.

Charlot en référence à Charlot, personnage de films muets, comique par son accoutrement. Sert à désigner une personne toujours mal habillée.

Omar gatlatou, par référence au personnage du film télévisé algérien dont le machisme est très prononcé.

6/ Description par la comparaison avec un fruit ou un objet par le procédé métonymique

Postio « nom d’une boisson alcoolisée» pour désigner une personne qui abuse de cette boisson. Là encore, ce sobriquet a fait l’objet d’un transfert sur une personne qui a hérité de la carrure du premier sus-nommé mais non de ses actions.

Quat’zyeux  pour désigner une personne qui porte des lunettes, donc à la vue défaillante.

Thirmarth «le coin, l’encoignure» désigne une personne oisive, constamment adossée à un mur, dans un coin.

Hand avexsis «Hand la figue», Bermil «tonneau», Aqrouche «la citrouille», pour nommer des personnes petites de taille et trapues. Souvent, les descendants, hommes et femmes, héritent de ces sobriquets (Taqroucht pour la fille, Iqrache pour l’ensemble des descendants par exemple).

7/ Description par analogie avec un bruit (métonymie)

Moutavtouv, sobriquet donné à une personne sourde, construit sur le bruit émis par un objet creux, un seau par exemple, lorsqu’on tape dessus.

Tchitchiya construit sur la base d’une prononciation «t» en «tch» caractéristique de  l’accent algérois. (ce sobriquet a connu des extensions de sens).

Hou, sorte d’interjection émise par le nommé.

8/ Désignation par l’effet

Raâi «berger», employé au sens figuré pour désigner une personne un peu dérangée qui passe son temps à errer dans les prés.

L’anarchiste désigne une personne au comportement anarchiste, réfractaire à l’ordre établi.

Mouh nana désigne une personne gâtée, «un fils à maman» (nana en kabyle signifie dans certaines régions «maman»).

 Mouh l’angoisse désigne une personne nerveuse, stressée.

Tasardzant «la sergent (e), personne autoritaire» en référence au caractère autoritaire de cette femme par analogie avec un corps d’armée en l’occurrence le sergent et construit par féminisation de ce nom (serdzan ---- taserdzant )

Chataha / Tachtaht,  au sens propre «la danseuse» qui est employé péjorativement pour désigner une personne à la démarche, au débit et aux gestes rapides (la pratique de ce métier est péjorative dans le subconscient collectif).

IV/ Sobriquets construits sur un élément extérieur au nommé

Certains types de sobriquets ne sont pas construits sur des caractéristiques physiques ou morales, mais plutôt sur un élément extérieur  au nommant lui-même ; celui-ci lui étant lié cependant par une relation d’association. Cet élément peut être :

1/ Un détail vestimentaire :

Un détail vestimentaire, la manière avec laquelle est porté ce vêtement suffisent parfois à susciter la création d’un sobriquet : le chèche porté autour de la tête à la manière des Indous donne lieu au sobriquet  Maradjah (référence à une autre culture).

Une personne à la tenue négligée sera surnommée Tcharwaq «les haillons». Une autre qui porte d’une manière permanente un vêtement ou un objet quelconque sera identifié à cet objet comme l’atteste ce sobriquet, Ali  vou   chapou «Ali au chapeau». Ce sont des formes métonymiques.

2/ L’activité, le métier, la fonction ou l’occupation qu’exerce ou qu’a exercée le nommé ou un de ses ascendants :

Ministre désigne une personne qui n’a jamais été ministre mais qui se donne des allures de personne importante (antiphrase).

Ferhat lmir «Ferhat le maire», cette personne a été adjoint au maire.

Mouh wilaya,  personne  élue de l’APW (assemblée populaire de wilaya) .

Mouh Tarzut «Moh au pré», l’occupation préférée de cette personne est de se trouver dans son pré.

Fatma n - marchal «Fatma, fille du maréchal (ferrant)».

Chambit «le garde-champêtre»

3/ Le statut social ou un phénomène qui touche la société :

Amar a - merkanti «Amar le riche», ce sobriquet est attribué à une personne dont la réussite sociale et financière est reconnue par tous.

Beggar littéralement «le maquignon» mais Beggar désigne au sens figuré «le nouveau riche», (un beggar, même s’il acquiert beaucoup d’argent n’en reste pas pour autant un paysan dans le subconscient des gens), une personne qui en a plein les poches (dont l’argent n’est pas toujours honnêtement gagné) et qui par ailleurs, manque de raffinement. Ce sobriquet est naît dans la dernière décennie suite à un phénomène social qui s’est rapidement propagé à savoir l’apparition de fortunes qui donnent naissance à une nouvelle bourgeoisie.

Tchitchiya, construit sur la base d’un spécificité de prononciation des vrais Algérois (qui prononce «tch» au lieu de «t». Cette construction Tchitchi(ya) désignait à l’origine toute personne qui, suite à un phénomène social post-indépendance qui a vu un exode massif de la campagne vers la ville, veut se donner des airs de citadine mais qui n’y arrive pas. Par extension, Tchitchiya est le surnom donné à une personne qui veut paraître autre qu’elle n’est. Ce sobriquet a été construit dans le même esprit que Beggar.

Arezki  Tchipa, «Arezki aux pourboires», la tchipa  est en langage populaire «le pourboire», le surnom d’Arezki tchipa illustre bien un phénomène social algérien d’après indépendance, étroitement lié à la corruption et au passe-droits.

Miss Toyota, représentation de la personne par un bien matériel en l’occurrence une voiture, c’est ce que Billy appelle «un surnom transféré»[12].

Miss Algérie, surnom attribué sur la base d’un titre, à une jeune femme belle mais hautaine (idée dans la tête du nommant qu’une personne belle ne peut être qu’inaccessible).

4/ Un fait ou un comportement

Blanche neige, les jeunes (à peine sortis de l’enfance) ont donné ce sobriquet de Blanche-neige (personnage de conte français) à une femme dont « le balcon est caché par des plantes » et suite à une altercation entre ces jeunes et l’époux de celle-ci, qui leur enjoignait de ne pas s’amuser sous son balcon. C’est un sobriquet construit sur le procédé de l’antiphrase car en fait dans la tête du ou des nommants, il(s) voulait (ent) signifier au mari que sa femme n’était pas quelqu’un d’exceptionnellement beau au point de vouloir la cacher aux yeux des autres. Etrangement, en réponse à un acte culturel arabo-musulman (le fait de vouloir cacher la femme, le sens de la «horma»), les nommants ont répondu par une référence à une culture étrangère. Nous assistons là, à ce qu’on pourrait appeler, «un choc interculturel».

Toztozi construit sur une sonorité toz, bruit des pets ; par association, Toztuzi est le sobriquet donné à une personne qui émet des pets.

Postio, nom d’une boisson alcoolisée, donné à une personne qui abusait de celle-ci au point de devenir ivrogne. Actuellement, le porteur de ce surnom ne boit pas du tout mais il a hérité de celui-ci à cause d’une ressemblance physique (petit et trapu) avec le premier Postio. La motivation de transfert du surnom peut donc changer.

Mouh adou «Moh, coup de vent», sobriquet donné par rapport à un comportement, à une personne qui est partout à la fois et qui n’est jamais là où on l’attend.

Omar radjela,  est le surnom d’un homme dont le sens du machisme (la radjela) est exacerbé.

L’APS, appellatif péjoratif désignant une personne commère, toujours informée des faits et gestes de ses voisins.

5/ Le lieu de naissance ou d’habitation :

- Boudjemaa  n - Boufarik, «Boudjemaa de Boufarik», surnom attribué dans le village d’origine à une personne d’origine kabyle, née en dehors de la Kabylie en l’occurrence à Boufarik.

H’sen  bouhriq, «H’sen du champ», appelé ainsi car cette personne est partie habiter à la périphérie du village, dans un de ses champs.

6/ Une notion abstraite :

- Tera signifie en kabyle «malheur», attribué à une personne qui  porte malheur, qui porte la poisse. Procédé métonymique par lequel l’individu est désigné par une de ses «facultés».

7/ Un titre de films de science-fiction:

- Vendredi treize, attribué à une  personne «qui porte malheur». Par le procédé de la qualification métonymique, on a construit un sobriquet sur la base d’un titre de feuilleton télévisé de science-fiction. Dans ce cas, contrairement au cas précédent, il est difficile, pour une personne qui n’a pas participé à la création du sobriquet, de faire le lien entre le nommé         et son surnom.

8/ Un objet dont le nommé est possesseur :

- Miss Toyota, sobriquet construit selon un procédé métonymique (l’objet possédé nomme le possesseur) et attribué à une personne par rapport à la marque de voiture qu’elle possède.

- Darty: là encore le sobriquet est créé par rapport à un objet possédé, ici une Renault Express, laquelle a servi de support à la publicité  Darty (la vue de la Renault express  a fait immédiatement penser à la publicité d’Antenne 2 pour les magasins Darty). Dans la tête du nommant s’est opéré un phénomène de substitution inconscient qui consiste à désigner la voiture et son propriétaire par la publicité qu’elle montre. Il y a ici un double transfert (Renault express-----Darty----possesseur du véhicule).

En guise de conclusion :

De cette analyse, certes non exhaustive, il ressort que l e sobriquet algérien répond à des catégories de constructions universelles et qu’il est un acte langagier très prolifique.

Le sobriquet algérien est le reflet de phénomènes socioculturels et historiques (ponctuels ou plus durables) du terroir. En effet, l'algérien construit le plus souvent son sobriquet sur des référents culturels algériens mais il lui arrive de  recourir à des référents étrangers.

Il en est de même au niveau linguistique; le nommant, s’il exploite toutes les ressources linguistiques de son environnement immédiat (berbère, arabe), puise également dans d’autres systèmes linguistiques (emprunts de noms propres, de noms communs et mêmes de notions ou expressions étrangères, françaises, et espagnoles notamment ).

Au niveau syntaxique, on remarque que les nommants prennent certaines libertés, notamment lorsqu’ils  construisent des sobriquets sur la base de néologismes.

Il ressort également que, au moment de sa création, le sobriquet algérien est sémantiquement motivé, c’est-à-dire que, la plupart du temps, il existe une raison objective à son attribution même s’il arrive que parfois il soit le fruit de la fantaisie du nommant. Tous les types de motivation apparaissent dans le corpus étudié. Les plus fréquents sont la manipulation du langage dans un sens figuré, par une relation métonymique, une intention humoristique ou une relation métaphorique (par comparaison analogique).

Au niveau de la transmissibilité du sobriquet, il faut signaler un fait récurrent à savoir son caractère héréditaire (les descendants - filles ou garçons -  héritent souvent du sobriquet des parents). Fréquemment aussi,  il se transmet par glissement à l’épouse qui adopte le surnom de son conjoint (la seule motivation dans ce cas étant le lien matrimonial existant entre les deux époux). Plus rarement, il peut passer, par le procédé de l’emprunt, à une personne avec laquelle il n’existe aucun lien de parenté mais avec laquelle il a une  ressemblance quelconque. Dans ce cas, la   motivation qui relie le sobriquet au deuxième nommé  n’est pas forcément la même que celle qui existait entre le  sobriquet et le premier nommé. 


Notes

[1]- Billy, P. H. : Typologie du surnom personnel.- Lyon, France, Nouvelle revue d’onomastique, n° 23/24,  1994.- p. 13.

[2]- Zonabend : Op. cité.- Par Billy,  P. H, 1978.- p. 13.

[3]- Galand, L. : Afrique du nord et Sahara.- Revue internationale d’onomastique, n°12, 1960.- p.p. 85-88.

[4]- Zonabend : Cité par Billy,  P. H, op. cité.- 1978.- p. 13, 68.

[5] Notre corpus se compose essentiellement de sobriquets d’Alger et de la région d’Azazga (wilaya de Tizi-Ouzou).

[6] «Il est du domaine de la subjectivité» nous dit Galand, L. : op. cit.- p.306.

[7]- Billy : Op. cité.- p. 29 : Le sobriquet ou surnom personnel peut être créé à partir “des termes (bien ou mal prononcés) ou des phrases du nommé récurrents ou au contraire originaux remarqués par les proches: jurons, onomatopées, appellations familières, expressions récurrentes, mots-clefs d’une histoire racontée par ou sur le nommé ou vécue par celui-ci, voire mots patois (prononcés par ou sur le nommé) réputés disparus dans la communauté”. 

[8]- Billy: Op. cité.- p. 29.

[9]- Billy : Op. cité.- p. 28 : le surnom est hérité du père. Le fils reçoit le nom à l’identique ou déterminé.

[10]- Il nous a été impossible de retrouver le sens et la motivation de ces sobriquets onomatopéiques.

[11]- L’antonomase est la figure qui consiste à remplacer un nom par l’énoncé d’une qualité propre à l’objet ou à l’être qu’il désigne.

[12]- Billy,  P. H. : Op. cité.- p. 28: Le transfert du surnom peut se faire non par l’homme mais par la possession d’un bien.

Appels à contribution

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche