Mémoires allemandes, (dir.) Etienne FRANÇOIS et Hagen SCHULZE, Paris, Gallimard, 2007

Mémoires allemandes est l’équivalent des Lieux de mémoire, l’œuvre initiée par Pierre Nora. On ne peut que saluer la traduction de l’édition allemande parue en 2001, même si la version française ne recouvre qu’une partie de la totalité des articles (121 articles et 122 auteurs). Ce projet que les historiens croyaient impossible a pu aboutir grâce aux  efforts d’Etienne François et Hagen Schulze. C’est un très bel exemple de coopération scientifique.

Il est évident qu’il ne s’agissait pas de transposer le concept de Lieux de mémoire à un pays comme l’Allemagne, dont l’histoire nationale est partagée entre une pluralité de mémoires, meurtrie par « le poids du   passé » nazi et les ruptures qu’il a entraîné au niveau du territoire, si l’on s’en tient au seul XXe siècle.

Il a fallu organiser d’abord deux colloques tenus à Berlin par le Centre Marc Bloch (1995) et l’Université libre de Berlin (1998) pour dégager les principales orientations qui ont permis la maturation de ce projet dirigé par François Etienne et Hagen Schulze. 

Le premier axe gravite autour du primat de la notion de Kulturnation fondée sur la langue et la civilisation qui relègue au second plan le territoire et l’Etat. L’évolution historique a cependant imprimé des sens nouveaux aux notions de langue et de cultures allemandes. D’où le choix final de retenir dix huit notions telles Reich, Volk, Bildung, Gemüt… etc abordées dans les diverses contributions.

En second lieu, les interrogations ont porté sur la réalité mouvante de l’identité allemande. Les auteurs ont choisi d’en rendre compte de façon pragmatique, en privilégiant les significations du moment, celles que les acteurs leur ont données.

La troisième caractéristique est liée aux difficultés de représenter une mémoire « nationale » d’une Allemagne longtemps divisée et devant assumer la période du nazisme, et « la rupture de civilisation » incarnée par le IIIe Reich.

La quatrième caractéristique tient compte de l’apparition tardive de la nation en Allemagne, en comparaison avec la France par exemple. D’où la place prépondérante accordée aux articles traitant de la construction des lieux de mémoire, durant les XIXe et XXe siècles. 

La cinquième caractéristique fait référence à la situation géographique de ce « pays du milieu » selon l’expression de Nietzsche d’où le contact sinon le partage avec d’autres pays, d’autres peuples, de lieux de mémoires emblématiques. D’où également l’association de vingt cinq auteurs originaires de l’Autriche, des Etats Unis, de France, de Grande Bretagne, d’Israël, de Pologne et de la république Tchèque.

Enfin, il était difficile de faire l’impasse sur la réalité sociale du débat sur la mémoire. Ce débat important est public et mobilise outre les médias, des écrivains et des hommes politiques. L’implication de tant d’acteurs a obligé l’abandon des normes de l’article académique au profit de la forme plus souple de l’essai. Cette ouverture du champ de la réflexion à tous témoigne de la volonté des auteurs de ne pas passer à côté de cette dynamique mémorielle de « l’Allemagne d’en bas ». Dans le même esprit, la conception de Mémoires allemandes a fait appel, à côté des compétences des historiens à toutes les disciplines des sciences sociales.

C’est cette somme de considérations générales qui a été mise à profit pour l’élaboration de Mémoires allemandes. Mais elles n’ont été efficientes que parce qu’elles se sont nourries de la fécondité des débats sur « un passé qui ne passe pas » (la période nazie) et qui est soumis à la rigueur de la critique. Aussi, le rôle de la recherche allemande a-t-il été décisif dans ces questionnements sur la mémoire. On ne peut ne peut pas citer les travaux de toute une pléiade de chercheurs tels Thomas Nipperdey, Rheinhart Kosseleck, d’Aleida Assmann, Petra Bock…etc.

L’évolution récente, marquée par la chute du mur de Berlin, a mis fin à la « question allemande ». Désormais, l’imaginaire national peut s’adosser à une réalité territoriale et politique, rendant possibles les réappropriations mémorielles. 

La traduction française est une version abrégée des trois tomes parus en Allemagne en 2001 et ne comprend que trente trois articles. Leur choix a obéi à deux critères, celui autoriser des comparaisons possibles avec le cas français et « d’offrir aux lecteurs français un certain nombre de points de repère ».

Ainsi Mémoires allemandes se compose de cinq parties dont les thèmes sont regroupés autour de L’Allemagne à la recherche d’elle-même, La puissance et la gloire, La petite patrie et les royaumes intérieurs, Crime et Châtiment et Division et Unité.

D’un texte à l’autre, les temps et les espaces se croisent et font revivre les expériences historiques du passé et les expériences plus contemporaines, livrant au lecteur le cheminement des interrogations et des controverses qui sous tendent l’œuvre de mémoire.

auteur

Ouanassa SIARI-TENGOUR

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