Ethnographie de l’espace public d’un village de Kabylie : Aït Arbi. Paradigme communautaire et citoyenneté en construction*

Insaniyat N°54| 2011 | Tizi-Ouzou et la Kabylie: mutations sociales et culturelles | p.85-108 | Texte intégral 


An ethnography of public space in a Kabyle village : Aït Arbi. A communal paradigm and citizenship in the making

Abstract: Our article first tackles the question of public space in a Kabyle mountain village, Aït Arbi, in the Iferhounene municipality, the county of Tizi-Ouzou. We have tried to identity the new actors, the ways of publicizing conflicts in the village public arena and of seizing the impact of (constestation) dynamics in the “Berber springtime” of 1980, about the “Tajma” institution.
This contestation dynamism has brought a new structuration mode to light for public space, by the setting up of “village committees”, which little by little freed from the F.L.N. influence, and the direct hold of lineages by surpassing the “5 wise men’s” advice, the invasion of youth educated and politicized, abandoning the “amin” function, the introduction of new organization modes and modern functioning, like the progressive recourse to the majority principle to manage conflicts and reinforce the public space secularization process.

Keywords: public space - village assembly - actors - mobilization dynamics - youth.


Abdenour OULD FELLA: Université Abderrahmane Mira,  Bejaia,  Algérie.


Dans leur célèbre œuvre « la Kabylie et les coutumes Kabyles » parue en 1872/1873 Hanoteau et Letourneux écrivirent au sujet du village Kabyle : « l’unité politique et administrative, en pays kabyle, est le village (taddart). C’est un corps qui a sa vie propre, son autonomie : il nomme ses chefs, fait ou modifie ses lois, s’administre lui-même et peut, s’il est assez fort, se passer de ses voisins »[1].

Plus d’un siècle plus tard, qu’on est-il de cette unité politique dans un contexte caractérisé par une rupture brutale induite par la domination coloniale et la construction d’un Etat national avec ce qui en résulte comme processus de destruction-reconstruction des anciennes structures sociales, économiques et culturelles ?

Comment s’organise le village kabyle ? S’appuie-t- il toujours et encore sur cette « institution séculaire » qu’est tajmaet[2] ? Sous quelle forme s’actualise cette institution ? Quels sont les acteurs qui animent l’espace public villageois ? Quelles sont les formes et les modalités de l’action collective qui traduisent ce processus de redynamisation des institutions villageoises observé depuis le « printemps berbère » de 1980 ?

Quels changements cette institution a-t- elle put intégrer et quelles sont aujourd’hui ses prérogatives, ses tâches et ses pouvoirs ? Enfin, quel a été son rapport avec cette dynamique politico-identitaire née de la rupture d’avril 1980?

Autant d’interrogations qui structurent notre approche monographique sur un de ces innombrables villages kabyles, « inconnus » de la « littérature anthropologique » : le village d’Ait Arbi.  

Présentation générale du village 

Le village At eerbi, fait partie des vingt trois villages qui constituent la commune d'Iferhounene et des quarante huit villages de la Daïra d’Iferhounene[3], Wilaya de Tizi-Ouzou.

C’est un petit village de 1300 habitants (septembre 2009)[4], répartis sur quatre grands lignages (iderma). Le lignage d’At Ufella compte 411 personnes (147 habitent au village), At Hemu 346 personnes (166 résident au village), At Belqacem : 265 personnes (199 sont au village), enfin, At Ceqdid avec 244 personnes (138 résident au village).

Le village a accumulé une expérience politique marquée par une participation active dans la résistance et le combat politique[5] puis militaire contre le système colonial[6]. Et c’est en raison de cet engagement très actif dans la lutte de l’indépendance, que la population d’Ait Arbi a connu entre août 1961 et 1962 un déplacement vers un camp de regroupement organisé dans le village d’Iferhounene.

Ce savoir faire politique fut enrichi, renouvelé et modernisé après l’indépendance et plus particulièrement au lendemain du printemps berbère de 1980. En effet, le village a « réactivé » et rénové l’institution de tajmaet, ce qui a permis d’assurer la continuité des activités politiques délibératives de l’assemblée villageoise et sa « modernisation » en 1980 par la création, d’une instance inédite le « comité de village », dans lequel fut de plus en plus ménagé un rôle très actif à un encadrement jeune, disponible et instruit.

Tajmaet : un espace public[7] de gestation de la citoyenneté ?

La rupture introduite par le mouvement identitaire d’avril 1980 a impulsé une nouvelle dynamique politique et sociale, qui s’est traduite au plan local (Ait Arbi) par une percée de la jeunesse dans l’espace public villageois. Cette nouvelle génération de jeunes scolarisés, pétris d’une nouvelle culture politique (communiste, berbériste, laïque et moderniste…), porteuse de nouveaux besoins, se constitua graduellement en une force politique décisive, à même de provoquer une recomposition des rapports de forces politiques et des changements profonds dans l’espace public du village ; changements (et continuités) qu’on se propose de présenter et de décrypter.

1. Le mouvement d’avril 1980 et l’émergence du « comité de village » 

La dénomination de cet organe exécutif de l’aberah (assemblée générale) est : « le comité de village »[10]. Le comité est considéré comme « la seule instance habilitée à parler au nom du village et à le représenter auprès des autorités : APC, Daïra, Wilaya, ou n’importe quelle instance » (Article 7 des statuts de 1980).

Le renouvellement de cette institution, vécu par les acteurs comme un processus de modernisation, s’accompagne ou s’exprime par un calquage des modalités d’organisation et de gestion des associations et des partis politiques modernes. Ainsi, a été institué, de façon volontariste et formelle, dès août 1980 et sous l’influence des éléments politisés (des partis et organisations de masse du FLN telle que l’UNJA etc.), de nouveaux modes de division des tâches en commissions (organisation et information, travaux, finances) et en organes de délibération (assemblée générale) et d’exécution (le comité de village) ; ce qui induit un passage à l’écrit par son usage utilitaire de plus en plus croissant, dans l’élaboration de listes des membres de l’assemblée, des absents aux réunions et la nomenclature des infractions, des qanun, parfois de PV de réunion, des correspondances officielles avec les institutions de l’Etat, et la tenue d’un journal de dépenses et de recettes etc., rédigés en langue arabe ou en langue française selon les compétences linguistiques du chargé de cette tâche de secrétariat. Ce processus de l’usage de l’écrit, qui a été amorcé dans les années 1960 et 1970, a pris de l’ampleur en 1980 en consignant les textes du règlement interne et des qanun du village[11].

Les tâches de comptabilité et de trésorerie sont assurées par un (ou plusieurs) membre(s) du « comité de village », qui sans être spécialement désigné comme trésorier, assure la perception des amendes en cas d’infraction aux édictées promulguées par le comité du village, mais également les tâches de secrétariat. Cette fonction peut être assumée par les autres membres du comité, s’ils disposent des compétences requises. La « caisse » du village est déposée chez une personne de confiance et la clé (de la caisse) chez quelqu’un d’autre.

Les statuts de 1980[12] instituent officiellement le « comité de village », élu par l’assemblée générale, et qui a pour objectif « la résolution des problèmes du village et la défense de ses intérêts et la promotion de l’esprit de fraternité et le bannissement de la haine et du racisme entre ses membres[13] » (Article 8). Le « comité de village organise et gère la fête annuelle de Sidi Amer[14] » (Article 1). La durée d’un mandat est fixée à une année renouvelable. La réunion des hommes de plus de 19 ans dans une assemblée générale a lieu tous les 15 jours. Ce statut crée trois groupes de travail : groupe d’organisation, groupe de finance et groupe des affaires générales. (Article 6). Le statut insiste sur « le travail collégial du comité de village, les décisions sont du seul ressort de l’assemblée générale après un débat démocratique » (Article 5)

Cet important effort de modernisation ne doit pas occulter le fait que le nouvel organigramme du « comité de village », notamment la création des commissions, n’est qu’un habillage légal qui ne correspond pas à la pratique politique réelle de cette institution. La pratique politique villageoise ne s’encombre pas des rigidités bureaucratiques, puisque le comité gère le quotidien sans se soucier du respect des prérogatives et des tâches convenues et consignées dans le nouvel organigramme. De même que la liste des personnes déclarées aux autorités (DRAG, Wilaya) comme membres du « comité du village » en exercice, n’a pas été remise à jour de 1990 jusqu’à mars 2003 et cela malgré le renouvellement presque annuel du « comité de village », et de son côté l’administration n’a jamais vérifié la conformité du fonctionnement du « comité de village » par rapport aux lois en vigueur.

2. La disparition de la fonction de l’amin du village

La constitution de l’institution du « comité de village », en août 1980, a induit la suppression de la fonction de l’amin n taddart, qui était la pierre angulaire de l’organisation sociale kabyle telle qu’elle a été décrite par l’ethnologie de la période coloniale notamment par Hanoteau et Letourneux.

Le village d’Ait Arbi a été dirigé au moment de la guerre d’indépendance et durant les années 1960 et 1970 par un « groupe de sages » appelé « xemsa n taddart » les cinq du village ; composé de quatre temman, chefs de familles importantes doués de sagesse, de l’art de l’éloquence et surtout de tamusni[15] qui représentaient les quatre iderma du village, et conduit par un amin n taddart, chef temporaire du village, désigné à tour de rôle au sein de ces quatre lignages[16].

Il faut noter que cette structure a fait l’objet d’influence et de contrôle de la part du parti FLN dès le déclenchement de la guerre d’indépendance. En effet, cette forme d’organisation « cinq du village » a été installée par le FLN-ALN, à partir de 1955, et placée sous le « contrôle » du « chef de front »[17].

Ce « comité de sages » était surveillé par le parti unique du FLN, qui d’ailleurs tentait de contrôler son fonctionnement et limiter de son indépendance par rapport à l’Etat Algérien indépendant. Le témoignage d’A.H. M. est significatif :

« Après l’indépendance, je me souviens que les vieux ont réintroduit le « comité de village ». Chaque famille est représentée par quelqu’un, pour former ce qu’on appelait « les cinq du village » (xemsa n taddart). […] Je reconnais que ces personnes ont tout de même fait beaucoup de choses au village ; d’ailleurs, ils ont organisé timecret (sacrifice de bœufs…) juste après l’indépendance, en 1963. Le problème à l’époque du parti unique, c’est que ce comité de sages était dénommé « les comités de vigilance »[18] qui étaient alignés à la Kasma (du parti FLN), donc ils étaient chargés par le FLN de surveiller le village, c’est-à-dire de savoir tout ce qui se passe à l’intérieur du village. » (AH M. Sept 2006).

Un des notables du FLN à Iferhounene et instituteur au village, fut de 1967 à 1980 un des membres du « comité des cinq» qui assurait la gestion financière, et plusieurs moudjahid membres du parti constituaient l’ossature de « l’équipe dirigeante » du village[19]. Ce « comité des cinq sages » a été animé par les représentants des quatre lignages qui devaient assurer alternativement la charge d’amin du village[20].

L’avènement du « comité de village » en 1980 a donc succédé la disparition de ce « comité de cinq sages » et affranchi le comité de village du contrôle direct ou de l’influence du parti-État FLN. L’implication de certaines jeunes militants berbéristes et communistes, a contrarié et limité cette influence[21].

La gestion des affaires du village incombe à tous les membres du « comite de village ». Ceci dit, en dépit de l’absence de cette fonction institutionnelle (i.e. amin n taddart), la pratique politique actuelle au sein du village se compose parfois, en fonction de la qualité du personnel dirigeant, quelques individualités qui occupent officieusement cette « position d’autorité » (Favret : 1968), ils sont reconnus comme de véritables leaders d’opinions.

L’équipe de départ du comité de village se rétrécit au fil de l’engagement dans la réalisation des travaux et différentes tâches parfois ingrates. Souvent, seules quelques personnalités du comité (2 à 4 par 10) s’investissent totalement et bénévolement, dans l’activité publique et résistent au découragement, aux critiques et au désistement.

Par ailleurs, la durée effective du mandat des membres du comité de village est en moyen entre une à deux voire trois années au maximum[22]. Ceci montre à l’évidence que les membres du comité ne réussissent pas à réunir ou à maintenir un consensus autour d’eux, ou sont sensibles aux aléas de l’exercice de la responsabilité, de pression, d’attaques personnelles et le délaissement de leur vie privée pour se consacrer entièrement aux affaires de la cité. Cet épuisement physique et moral impose aux membres du comité de prendre congé des affaires publiques pour se régénérer, se ressourcer et se tenir, le cas échéant, prêt pour reprendre du service.

3. Autonomisation de la délégation politique par rapport aux lignages

La fonction de tamen, comme agent de la représentation des lignages au sein du « comite de village », est assurée gratuitement ; elle a subi, elle aussi, un changement « radical » dans son statut, ce qui modifie considérablement les modalités de fonctionnement et de la prise des décisions au sein de Tajmaet.

En effet, à partir du milieu des années 80 et afin de mieux contrôler l’irruption des jeunes dans l’espace public villageois[23], l’assemblée villageoise avait convenu d’instaurer un système de double représentativité : chaque lignage, se voit ainsi contraint de déléguer un jeune tamen (représentant des jeunes) secondé (contrôle et initiation) par un tamen/damen homme mûr, garant de son adrum. Il faut préciser que c’est dans les années quatre-vingt que commence à arriver sur l’espace public villageois la première génération née après l’indépendance. Cette donnée démographique va créer une nouvelle situation, et face aux difficultés d’assurer le renouvellement annuel du comité de village et la demande de certains jeunes d’abandonner le mode de désignation des tamen en référence à la répartition lignagère, l’assemblée villageoise se résigna à accepter l’intronisation des jeunes comme membres du comité, encadrés et surveillés par quelques anciens, garants de l’ordre villageois.

Ces jeunes imprégnés d’une nouvelle culture politique moderne introduisent des amendements dans les modalités de fonctionnement de Tajmaet, et s’investissent ainsi dans l’organisation des premières représentations théâtrales et musicales sur la place publique en présence des deux sexes ; l’initiative qui n’a pas manqué de susciter une certaine réserve de la part de certains vieux et même d’adultes, offusqués par cette irruption « indécente ». Cette dynamique a donné naissance à une association culturelle[24], agrée le 10/07/1991, qui fonctionnait comme une pépinière au service de l’assemblée villageoise ; puisqu’elle permettait d’assurer l’initiation des jeunes à la gestion des affaires publiques et qui finissent quelques années plus tard par rejoindre le comité de village comme membre actif.

Ainsi, l’intégration des jeunes dans le comité de village a modifié dans la pratique la fonction de la représentation ; les réseaux d’amitiés et de camaraderies qui se créent entre les jeunes dans l’école, sur les terrains de foot, les cafés, les lieux de travail, l’association culturelle ont induit une distanciation par rapport à l’identification aux lignages[25]. Un nouveau lien extra-lignager se construit lors de l’organisation des activités culturelles et sportives autour des célébrations annuelles quasi rituelles (de 1990 à 2000) de la date du 20 avril 1980.

De ce fait, le tamen n’est plus le garant de son lignage et son champ d’intervention dépasse les limites de son adrum, il n’était plus tenu depuis le milieu des années 1980 de dénoncer seulement les infractions commises à l’encontre des lois du village par les membres de son propre lignage mais de tous les villageois[26].

4. L’exercice de la citoyenneté : Du consensus au principe de la majorité

L’impact du « mouvement berbère », la «marée juvénile » sur tajmaet et « l’agitation politico-idéologique » post-1980 et 1988[27] au sein du village avaient si profondément contribué à modifier certains mécanismes de fonctionnement de tajmaet, qu’il n’est plus possible de la reconnaître par rapport au modèle décrit par Hanoteau ; selon lequel « Les décisions de la djemaa ne sont pas rendues à la majorité des voix […] Dans les affaires importantes, l’unanimité est nécessaire » [28].

Cette institution a amorcé, tout au long de la colonisation française[29] et d’une façon visiblement accélérée au début des années 1980, un long processus de modernisation de sa pratique politique, par l’initiation à certains postulats de la « gestion démocratique » du conflit social, reconnaissant le droit à l’existence des minorités d’opinion en transgressant la sacro sainte règle de l’unanimité par le recours, non encore systématisé ou codifié dans une procédure, au vote à la majorité des voix. L’illustration la plus symbolique de cette « rupture » est cette gestion inédite, par le recours au vote, au début de la décennie 90 de «l’antécédent historique » de la sanction infligée par le « comité du village » à l’imam marabout, en raison de l’infraction commise à l’encontre des lois du village qui interdisent l’arrosage des jardins pendant l’été[30]. L’affaire suscita des débats houleux, des sentiments de revanche de la part des jeunes, et d’indignation des vieux qui craignaient le déshonneur (ou la malédiction) qui pourrait toucher le village. D’ailleurs, l’amende fut acquittée par un vieux, pratiquant très attaché aux valeurs kabyles, ancien moudjahid et membre du FLN, qui a été plusieurs fois membre du fameux « comité de vigilance » dans les années 60 et 70 et du comité de village après 1980[31].

Ceci dit, l’importance du poids démographique des jeunes au sein de cette assemblée faisait toujours basculer le vote, à main levée, en leur faveur. Lors de cette affaire, (à laquelle j’ai assisté et participé) au moment où les débats devenaient houleux en raison de l’opposition des vieux à cette sanction, les jeunes s’empressaient à réclamer la nécessité de procéder au vote pour trancher la question en sachant pertinemment l’issue du vote du fait du déséquilibre démographique à leur avantage. Ce qui fit naître chez cette catégorie la prise de conscience de son poids politique au sein du village, et par ricochet, tajmaet renforce sa légitimité auprès des jeunes et assure sa continuité.

Ces observations semblent contredire, en partie, une conclusion de Mahé sur le système politique kabyle traditionnel. L’auteur affirme : « nous ne saurions le qualifier de démocratique. Il nous semble que ce n’est pas principalement l’extension du corps des citoyens qui caractérise un système démocratique. Ce n’est pas non plus l’éviction des femmes de la vie publique qui empêche de qualifier le système politique kabyle traditionnel de démocratique : la polis d’Athènes excluait bien d’autres catégories de la population que les femmes : ainsi des esclaves, des métèques, etc. Un système démocratique nous paraît devoir satisfaire à deux conditions plus essentielles que les conditions d’accession à la citoyenneté ou que les modalités de l’action politique. D’abord le fait de ménager une place et une expression à une minorité et de prendre les décisions suivant la règle de la majorité- ce qui traduit, notamment, la capacité de gérer le conflit social. Ensuite, le fait que le corps des citoyens assume la paternité des principes et des lois qu’il promulgue à défaut de quoi nous aurions à faire à une théocratie ou à une sorte d’« oraclocratie ». Alors que l’organisation politique traditionnelle kabyle ne satisfait pas au premier critère, elle remplit, comme nous l’avons montré, le second » [32].

Ainsi, même s’il n’avait pas pris un caractère procédural et systématique, le recours au vote est intégré graduellement dans les pratiques de l’assemblée. En revanche, la question de ménager une place à la minorité est très complexe, puisque aucun texte ne vient à consacrer juridiquement cette règle. Par ailleurs, dans les situations de crise où la pression communautaire est trop forte, la minorité d’opinion est réduite au silence ou à sa très simple expression au risque de se voir mis au band de la communauté[33]. Cependant, il nous semble que la construction d’un espace de parole pour la minorité est un processus qui a été engagé au moins depuis deux décennies.

5.  Le comité de village et l’association religieuse : le conflit comme mode de sécularisation de l’espace public

L’un des indices de ces mutations structurelles qui traversent le village est « l’absence » de l’ukil de la mosquée, ou précisément sa « substitution » par la création du comité religieux autonome, parfois « concurrent » et souvent en conflit avec le « comité du village ».

L’association religieuse fut créée en 1980. Après un début « timide », le « comité religieux de la mosquée de Sidi Amer» fut redynamisé par le projet de construction d’une nouvelle mosquée en 1982-85, qu’elle a d’ailleurs réalisé en collaboration avec le « comité du village ».

Le projet de construction d’une nouvelle mosquée a suscité des débats et des prises de positions contradictoires au sein de l’assemblée villageoise. Certains jeunes, notamment les militants communistes et berbéristes, remettaient en question l’opportunité de ce projet puisque le village dispose déjà d’un lieu de culte. Un compromis fut trouvé entre les deux parties. En échange de l’acceptation du projet, la vieille mosquée sera cédée aux jeunes comme bibliothèque et espace de rencontre. En juin 2010, elle est détruite pour laisser place à la construction d’une maison de jeunes, inaugurée le 1er novembre 2011[34].

L’existence de ce « comité religieux » permettait au comité village, qui n’était pas encore légal, de posséder un compte bancaire au nom du « comité religieux » reconnu, et de pouvoir ainsi contrôler les donations en espèce collectées par les villageois dans différents villages de Kabylie et d’Algérie, et de gérer la construction de la nouvelle mosquée et du siège de l’assemblée. Le président du comité religieux suivait et gérait les finances des travaux et soldait les rémunérations des ouvriers qui étaient choisis à tour de rôle (une semaine) parmi les villageois. La mosquée et tajmaet furent inaugurées le 17 mai 1985 et le projet a coûté près de 50 millions de centimes. (O.F.H., mars 2008)

Le comité religieux fut constitué aussi bien par des fidèles pratiquant ou non. Certains parmi eux avaient une double appartenance ; un pied au comité religieux et un autre au comité de village (Ahmed F), de sorte que le « comité de village » ait un œil sur le « comité religieux » et la réalisation du projet. Cette collaboration et de synergie entre le comité de village et le comité religieux tisse un compromis temporaire pour l’édification d’un lieu de culte et d’un espace politique, tajmaet, où seront traitées, débattues et tranchées les questions de la cité.

Le comité religieux fut aussi, l’œil du FLN et de l’État au sein du village. Il fut dirigé par un ancien moudjahid, H, notable du parti FLN, instituteur et directeur de l’école primaire du village, actuellement en retraite. Il fut à plusieurs reprises l’imam « de réserve », remplaçant un imam en fin de mission ou renvoyé par le comité de village, sort qu’il a dû lui-même connaître en 1997.

Ainsi, durant la décennie 1990 les membres du comité de village ont renvoyé deux imams fonctionnaires de l’État et évincé un troisième qui travaillait bénévolement. Les motifs de cette rupture de contrat touchent au statut de l’imam au village, à ses prérogatives et à son rapport avec la culture du terroir. Leur refus de participer ou leur opposition à la célébration du rituel de l’asensi n sidi amer, la lutte pour le monopole de la mosquée et l’activisme politique conservateur de l’un des imams qualifiés d’intégriste constituent des atteintes au consensus communautaire. Ce divorce indique une forte tension entre des pratiques religieuses et politiques opposées et concurrentes. Ces tiraillements est comme une résonnance ou réplique du séisme politique qui a bouleversé toute l’Algérie submergée par la vague verte. Ce tsunami politique a provoqué des remises en cause même au sujet de la célébration d’un rituel des plus consensuels au village, l’asensi n’Sidi Amer. Ces tensions traduisent un processus de sécularisation de l’espace public villageois.

6. L’assemblée villageoise : rétrécissement de l’espace politique et reconversion vers l’entreprenariat sociale et économique. Entre mutation structurelle et repositionnement conjoncturel ?

Depuis trois décennies, la configuration urbanistique du village a connu des mutations importantes qui ont modifié l’unité spatiale du village. Profitant de la manne en devises de l’immigration, plusieurs villageois ont construit de nouvelles maisons en dehors du village, ce qui a fait émerger de nouvelles zones d’habitats éparpillées.

De son côté, le centre-ville de la commune d’Iferhounene, a lui aussi connu une forte croissance en équipements collectifs et en lieux de consommation, se hissant à un centre urbain. La proximité géographique du village d’Ait Arbi de ce chef lieu de la commune (3 kms) conjuguée avec le développement des réseaux et des moyens de transport (aménagement des routes et croissance de l’activité de transport privé par taxi et surtout en fourgons), le village est devenu une sorte de banlieue de la nouvelle ville d’Iferhounene. La majorité des hommes se rendent à cet espace préurbaine pour satisfaire leurs besoins premiers et chercher à se détendre et à échapper au contrôle social du village. Ce nouveau rapport a conduit les villageois à déserter les places publiques, notamment Tajmaet qui n’est plus fréquentée que par quelques vieux ou enfants, perdant ainsi une de ses fonctions d’espace de rencontre et de convivialité[35].

L’assemblée villageoise vit depuis une décennie une séquence charnière durant laquelle elle se redéfinit et délimite les contours de l’espace public villageois. Le tsunami des événements de 2001 induit des effets qui commencent à se faire sentir.

Ces mutations se traduisent par l’érosion de l’autorité du comité de village qui perd une de ces prérogatives fondamentales relatives au droit de sanction de toute personne commettant une infraction à l’encontre des « lois » du village. D’ailleurs le nombre des personnes sanctionnées par des amendes est en diminution très sensible. A titre d’illustration, pendant l’année 2006, à l’exception des amendes sanctionnant les absences aux assemblées (en moyenne trente absents pour chaque assemblée générale sur une liste de près de 200 personnes), seuls deux cas d’infraction au qanun du village ont été sanctionnés par une amende de 1000 DA contre deux personnes pour motif de « bagarre » (assemblée générale du 3 mars 2006).

Cette nouvelle situation fragilise l’autorité du « comité du village » et le maintien dans une zone de turbulence, ce qui se traduit par un problème de l’absentéisme aux assemblées, le refus de certaines personnes de s’acquitter de leurs amendes et cotisations[36] et à la difficulté épineuse de renouveler le « comité de village » à la fin du mois d’août. De ce fait, on peut considérer qu’on est en train d’assister, nous semble-t-il, à la recomposition du lien social et vers l’abandon progressif mais irréversible du comité de village de cette prérogative judiciaire[37] pour s’orienter vers l’affirmation d’une posture assumée d’entrepreneur collectif (au sens économique et social), afin de consacrer les efforts et les compétences des membres du comité de village pour capter la rente distribuée par l’État et pouvoir ainsi réaliser des projets d’intérêt collectif[38]. Il joue un rôle d’intermédiaire et de garant, au risque de se dépouiller, graduellement, de sa dimension politique comme espace de débat, de concertation et de délibération collective des hommes du village[39].

De leur côté, les femmes commencent à émerger sur l’espace public villageois, comme acteurs. Le mode d’accès des femmes à l’espace public passe par la culture et l’action associative. Fait inédit, le siège de l’assemblée villageoise, lieu d’hommes par excellence, est le théâtre d’activités célébrées par les femmes. Depuis le milieu des années 1980, les jeunes qui étaient euphoriques suite à la victoire de l’équipe de foot dans un tournoi inter-villageois se lancent dans l’organisation des activités culturelles, de galas et de représentations théâtrales, à l’occasion de la commémoration du 20 avril 1980 et de l’animation des soirées du ramadhan, dans lesquelles les femmes assistaient comme de simples spectatrices, non sans susciter des résistances. Or, depuis 2010 quelques femmes, profitent des rituels de célébration du nouvel an berbère et de la fête des femmes du 8 mars organisent des défilés de modes, des concours de cuisine au sein de l’assemblée et à la plate-forme du village, ainsi que des compétitions de course sur le parcours de la « piste agricole » entourant le village. Quelques jeunes filles pour la plus part d’entre elles des étudiantes s’associent avec leurs camarades étudiants pour lancer une revue du village, baptisée Taddart-iw (mon village) et se réunissent ensemble au siège de l’assemblée pour coordonner les activités[40]. Cette brèche ouverte dans l’espace public villageois conduira-t-elle les femmes à remodeler la configuration des positions des acteurs sur l’espace public, au point d’envisager une option de leur intégration graduelle et sous des modalités diverses au sein même de l’assemblée ou du comité de village ? De simples résidentes au village, elles pourront, un jour, accéder et acquérir le statut de citoyennes.

La dynamique de mobilisation citoyenne de 1980 a fait émerger de nouveaux acteurs et de nouvelles formes de mobilisation et de structuration sur l’espace public villageois. La jeunesse scolarisée et porteuse d’une nouvelle culture politique, berbériste, communiste et laïque réussit à extirper l’assemblée villageoise de l’influence et du contrôle du FLN et de l’Etat. Institue le comité de village, qui petit à petit s’affranchi de l’emprise directe des lignages à travers le dépassement du conseil des « cinq sages », l’abandon de la fonction de l’amin, l’introduction de nouveaux modes d’organisation et de fonctionnement  modernes et le renforcement du processus de sécularisation de l’espace public.

Ainsi l’institution du comité de village, née de la dynamique politique post-1980, « convoitée » par l’Etat, les partis politiques et d’autres acteurs du « mouvement citoyen », reste tributaire des soubresauts et convulsions de l’espace public local et national. Le comité de village tente de s’adapter aux nouvelles contraintes politiques pour se consacrer exclusivement à l’entreprenariat et la gestion des projets de développement financés par l’État[41], mais au péril de faire perdre à tajmaet, « son âme » comme espace de contradiction, de concertation et de délibération collective.

Ces profondes mutations fragilisent cette institution et diminue de son autorité et de sa capacité à faire face aux turbulences de la scène politique locale et nationale. Elle tente de négocier cette séquence de crise de mutation par l’abandon de sa prérogative judiciaire, de sa fonction politique d’espace de concertation et de délibération collective. Elle essaie de s’extirper des tensions politiques internes liés à la séquence de la forte mobilisation citoyenne de 2001 en adoptant une attitude de retrait, peut-être tactique et temporaire, vis-à-vis des questions politiques partisanes et en se consacrant exclusivement à la réalisation des projets d’intérêts publics. Et l’organisation des célébrations annuelles de l’asensi constitue à la fois, un moment d’expression des conflits et de communion collective, de répit et d’intense mobilisation et enfin, de motif de la continuité de l’assemblée villageoise. Peut être, l’émergence progressive des femmes sur l’arène villageoise va constituer un motif de publicisation de nouvelles thématiques qui vont structurer et polariser l’opinion publique locale.

Bibliographie

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Salhi, M. B., Société et religion en Kabylie : 1850-2000, 2 tomes, thèse d’État Lettres et Sciences Humaines soutenue le 11 juin 2004, Sorbonne nouvelle, Paris III, sous la dir. du Pr Daniel Rivet, 2004.


Notes

*Une première version de ce texte a été lue par Mme D. Abrous, et M. M. A. Kenzi et A. Mahé, à qui nous adressons nos sincères remerciements.

[1] Hanoteau, A. et Letourneux, A., la Kabylie et les coutumes Kabyles, Paris, édition Bouchène,  2003, t2, p.9.

[2] « Djemâa (gmaea): mot emprunté à l’arabe (racine : G.M.E = réunir, rassembler) ; ce mot désigne l’assemblée des hommes et le lieu où elle se tient. Tajmaet, variante la plus utilisée en Kabylie, en est la forme berbérisée. Le Maroc central et l’air touarègue ont, quant à eux, conservé les termes berbères : imzurfa en tamazight (Masqueray, 1983, p.38 et Taïfi, 1991, 1991, p. 14) et amni, en touareg […] ces trois termes (Tajmaet, imzurfa, amni) désignent une institution pan-berbère. » D. Abrous, Encyclopédie berbère, 1995, pp. 2436-2437.

[3] La région d’Iferhounene est le territoire de deux tribus : At Yettura et Illilten qui étaient regroupées par l’administration coloniale au sein de la tribu des Beni Ittourar lors de sa création par l’arrêté du 14 avril 1893. Hanoteau et Letourneux, divisent la tribu des Ait Itsourar en deux fractions : Imesdourar (les montagnards : 2790 habitants) et Imessouhal (gens du bas pays : 2007habitants en 1866) (2003, tome 1, p. 256).

La tribu des At Yettura, faisait partie du Douar Itourar entre 1880-1958 et de la commune mixte du Djurdjura (voir Mahé, 2001, p. 227, p. 399 et p. 591). Les deux fractions qui la composent furent érigées, en 1958, en deux communes. Les Imesdourar avec 2493 habitants en 1954 regroupent quatorze villages (dont fait partie le village d’Ait Arbi), et la commune d’Imessouhal, 2065 habitants répartis sur dix villages. La tribu des Illilten, quant à elle, fut divisée en deux communes : Tifilkout, avec 2281 habitants partagés sur sept villages, et la commune de Tirourda, composée de 1500 habitants éparpillés dans cinq villages. Le décret n° 36.189 du 16 mai 1963 portant réorganisation territoriale des communes inclut dans l’arrondissement de Fort-National, sept communes dont la commune d’Iferhounene. Cette commune est formée de la réunion de trois anciennes communes : Imesdourar devenue Iferhounene, et Imessouhal qui a gardé le même nom (toutes les deux communes faisaient partie du douar Itourar de la commune mixte du Djurdjura), enfin la troisième commune est Illilten. Le dernier découpage de 1984 (décret n° 84-365 du 1décembre 1984), divise la commune d’Iferhounene en trois nouvelles communes : Iferhounene, Imessouhal et Illilten.

[4] En 1866, le village d’Ait Arbi comptait 209 habitants (Hanoteau & Letourneux, t1, p. 256). En 1963, lors de la première célébration du rituel de l’asensi dans l’Algérie indépendante, OF. H (72 ans) avait recensé 300 personnes. En 1988, le nombre atteint 752 habitants, et 620 habitants en 1998 (statistiques GRPH). Par ailleurs, la commune d’Iferhounene comptait 13714 habitants en 1998 et 16583, en 2008.

Il convient de souligner la difficulté d’utiliser les résultats des recensements officiels qui ne nous offrent pas des données exactes et fiables. Le recensement de 1998, auquel nous avions pris part, qui donnait au village 620 habitants n’a pas inclus les habitants des deux hameaux At belqacem et At hemu qui sont par ailleurs intégrés dans les villages limitrophes ; Laazib et Soumeur.

Même situation pour le recensement de (avril) 2008 qui ne dispose pas de données précises sur le nombre d’habitants du village d’Ait Arbi, puisque les habitants du hameau d’At Hemu (Agni eli) ont été comptabilisés au profit du village voisin Soumeur, et ceux qui habitent les lieux dits Le ewenser, de Souk el fellah et de la C.A.P.S. (proche du chef-lieu de la commune d’Iferhounene) sont intégrés au village d’Iferhounene. Ainsi, l’unité statistique de base du recensement est l’ilot, formé de plusieurs habitats et qui ne tient pas compte des liens politiques qui peuvent unir ou non ces agglomérations. De ce fait, ce procédé ignore la dimension politique du village kabyle et des morphologies des entités urbanistiques.

Ainsi, nous étions dans l’obligation de procéder à un recensement détaillé de la population pour pouvoir disposer de chiffres qui tiennent compte des réalités politiques signalées. Après étude des statistiques du recensement de 2008 et sur la base des renseignements pris auprès du chargé de l’opération de recensement de 2008 au niveau de la commune d’Iferhounene et suite à la comparaison et recoupement avec la liste établie par le comité de village en aout 2006, dans le cadre de l’organisation de timecret, et qui comportait environ 900 personnes, et sur la base d’un recensement détaillé de la population que nous avons effectué en septembre 2009, (enquête auprès d’un membre ou proche de chaque famille à l’aide d’une fiche signalétique que nous avons élaboré) nous pouvons avancer le chiffre de 1300 personnes. Les résidents permanents au village sont de l’ordre de 650 personnes (50%), et 650 personnes habitent en dehors du village (50%), parmi eux 421 personnes résident en dehors du village dans les différentes villes de Kabylie et d’Algérie, et 229 en dehors de l’Algérie, soit 17.61% (212 en France et 17 au Canada).

[5] Dès les années quarante, Lhadj Azwaw militant (messaliste) du P.P.A., lettré en langue arabe, fréquentait les cadres du parti et les militants de la région (Ait Ahmed, Amar At Cheikh etc.), avait constitué au village un groupe de scouts (en 1952 selon Hadj Hamou). Il apprenait aux enfants des chants nationalistes (en arabe et en kabyle). Emprisonné entre 1955 et 1960, il mena par la suite un combat politique. Il meurt en 1967 à l’âge de 59 ans. (Achour, ancien moudjahid mars 2008). Par ailleurs, le village compte environ 48 Moudjahid, 18 moudjahidates et près de 50 « chahid », recensés auprès du responsable de l’ONM d’Iferhounene.

[6] En 1946, les autorités coloniales ont dépêché, dans les villages d’Iferhounene et d’Ait Arbi…, « une formation militaire d’infanterie portée et d’un escadron d’automitrailleuses commandées par le capitaine Révérond » afin de rassurer « tous les éléments restés fidèles à la France ». Dans une lettre datée du 16 décembre 1946 adressée au Sous-préfet de Tizi-Ouzou, l’administrateur de la commune mixte du Djurjura présente un compte rendu de cette mission : « J’ai l’honneur de vous rendre compte du passage dans ma commune d’une formation militaire d’infanterie portée et d’un escadron d’automitrailleuses commandées par le capitaine Révérond. Cette troupe a visité Iferhounene, Ait Arbi le 11 décembre (1946) puis s’est rendue à Tassaft et à Souk-El-Arba le 11 décembre 1946. Le passage de ces militaires dans des régions qui n’avaient pas vu depuis longtemps a produit le meilleur effet. (…) Tous les éléments restés fidèles à la France ont repris confiance, cependant que les autres n’ont pas manqué de tirer des spectacles les renseignements utiles. Il est à souhaiter que ces manifestations puissent être organisées au moins deux fois par ans » Archives d’Outre-mer (Aix-en-Provence), Fonds du G.G.A. (Gouverneur Général de l’Algérie), carton 8 CAB/89. Cette note m’a été remise par ma collègue Abrous D., à qui j’exprime ici mes remerciements. J’ai pu consulter ce document à Aix-en-Provence, en juillet 2006.

[7] Il n’est pas de notre intention de rentrer dans un débat théorique sur ce concept d’espace public. Il s’agit seulement de partir à contre courant de certaines analyses de cette problématique de l’espace public consacrées uniquement aux espaces urbains « comme si cette problématique n’était même pas pertinente au sujet d’un espace rural » (Mahé 2001, p120). Partir de l’espace public comme « un domaine d’exercice de la citoyenneté » (Cottereau. A., 2005) et de réfléchir sur la pertinence du choix de ce cadre conceptuel pour envisager la compréhension de la réalité kabyle ; c’est-à-dire de savoir de quelle manière l’assemblée villageoise constitue-t-elle un espace public ? Espace commun ou espace public ? comment se déroule ce passage du commun au public ?(Etienne Tassin, HERMES 10, 1991) ou bien c’est un espace public dans le sens de l’approche de J. Habermas (1978) séparation entre le public et le privé, et la publicisation des affaires (l’opinion publique comme catégorie historique) et de celle soutenue par H. Arendt (1972) comme espace d’une mise en visibilité et de mise en scène (scénarité), « comme domaine de visibilité des initiatives publiques, de leur appréciation et de la mise à l’épreuve du pouvoir vivre et agir ensemble, entre citoyens » (Cottereau, 2005), ou une arène publique dans le sens de D. Cefaï qui défend une conception pragmatiste ; c’est « un lieu de combats et d’une scène de performances devant un public ». ? CEFAÏ, D., « Qu’est-ce qu’une arène publique? Quelques pistes pour une approche pragmatiste », in L’Héritage du pragmatisme, D. Cefaï, I. Joseph (dir.), Éditions de l’Aube, 2002. (pp. 51-81)

[8] Voici le témoignage de l’acteur de cette dynamique : « au sujet des comités de village, l’idée était que suite à l’évacuation de l’université de Tizi-Ouzou par la police et l’arrestation des militants (mars et avril 1980) on s’est rendu compte que les villages qui étaient organisé, comme Tizit et Ait Ali Ouyahia (Iferhounene), aucun jeune n’a été arrêté, par contre dans notre village qui était géré par les vieux alignés sur le FLN, j’ai été arrêté ici dans ma maison sans soulever aucune protestation [en plus de M, Mr. AF Boukhalfa, qui a été aussi arrêté ]. A partir de là, l’idée a germé au séminaire de Yakouren auquel j’ai participé au mois d’août 1980. Donc parmi les résolutions (non écrites) une recommandait l’occupation et l’investissement des comités de villages, il faut dire que c’était une sorte de coup d’Etat et de révolution contre les vieux. Je pense que le premier village qui a appliqué cette résolution c’était le notre».

Sur les conditions de la mise en place de ce nouveau comité, AH.M raconte : «  je me souviens à l’époque, au mois d’août au moment du renouvellement du comité, je suis revenu de France après un séjour d’un mois où j’ai ramené du Whisky, le matin j’ai pris quelques verres puis je suis allé assister à l’assemblée du village à 8 H du matin à l’époque. C’était la crise au sein de l’assemblée puisque il n’y avait pas de volontaires pour devenir tamen. Parce que l’ancien comité a crée un problème avec certaines personnes engagées par le comité pour réaliser un travail au profil du village mais ils n’étaient pas payé comme convenu, ce qui a crée une situation de crise […] Je me souviens à l’époque je leur avais dis que ce comité de vieux était dépassé, et qu’on va le renouveler, travailler et supprimer le clanisme. Pour moi, ça m’est égale que mon représentant soit (de la famille de) At U… ou At B… l’essentiel qu’il nous apporte quelque chose de bien et il faut tisser des liens de fraternité. Juste après avoir fini de parler, les présents étaient étonnés qu’un jeune puisse prendre la parole ; les vieux qui étaient sincères, Da Ahmed, Da Amrane At O, m’ont remercié atik saha et m’ont dit : « voilà la solution », ainsi immédiatement plusieurs jeunes ont rejoint le comité. On était 12 personnes. 10 étaient des jeunes, il y avait quelqu’un qui à pris la parole, parce que militant du FLN il savait de quoi il s’agissait et a dit : « attention il faut leur ajouter deux personnes, deux vieux à côté de ces jeunes ». Ainsi nous les avions choisis, xali Younes (ch), Lounes A.M.» (A.H M., septembre 2006).

[9] Dans les cinq villages où Mahé avait enquêté l’âge de ces membres était au alentour de la quarantaine. Par ailleurs, l’auteur nous signale que c’est vers 1983-1986 que ces villages ont installé les comités de villages, dans lesquels siégeaient plusieurs jeunes. Mahé, 2001, p480.

[10] Le terme « comité de village » a été introduit pour la première fois en août 1980, dans le premier texte qui consignait le règlement et le qanun du village. (En langue arabe : lejna لجنة القرية l’équivalent du « lcomité» qui est le terme utilisé couramment). Ce terme comité, était à la mode depuis les années 1960-1970 dans les milieux militants de gauche, des syndicalistes et des étudiants. Certainement, le profil de militant communiste et berbériste du rédacteur de ce texte (A.H.M.) est déterminant dans le choix de cette terminologie.

[11] Le récit de cette mutation de l’usage de l’écrit est fait par A.H.M., enseignant de langue arabe et militant berbériste et communiste : « On a confectionné une loi fondamentale du village. Je portais avec moi un petit carnet sur lequel j’ai rédigé un projet de loi, et expliqué c’est quoi un comité de village, son rôle et sa nécessité etc. j’ai indiqué qu’on fait partie de la République algérienne et qu’on doit suivre les lois.

Je me souviens que les douze personnes membres du comité se réunissaient ici à l’école primaire pour étudier ces lois que j’ai élaborées sur la base de mes propres connaissances sans consulter de livres particuliers, je me suis référé aussi à l’histoire de la Kabylie.

Comme je suis un arabisant, je les ai rédigés en langue arabe puis on les a lues et soumis à l’assemblée générale. Tout le monde était content, c’était une sorte de révolution. Le fait que les jeunes prennent la parole le niveau des débats est devenu très élevé, ce qui a fait que les vieux se sont retrouvés un peu marginalisés, parce que leur discours ne correspondait plus. On a élaboré un programme de travail, et crée des commissions mais les gens ne savaient pas travailler en commissions ce qui a fait que le travail en commissions était un échec ». (septembre 2006).

Nous disposons de ces textes en langue arabe que nous avons (Ould fella et Lekadir Yazid) joint en annexe dans notre mémoire de fin de licence en sociologie, en 1988 : « La femme, entre le droit coutumier et le code de la famille, étude de terrain en Kabylie : village kabyle d’Ait Arbi et un village maraboutique des Ouadias  », réalisé à l'université d'Alger, sous la direction de Mme. Claudine Chaulet.

[12] Ces textes - documents (statut et qanun) ont été écrits en langue arabe en 1980 et réélaborés en 1990 au moment de la constitution du dossier administratif en vue de l’obtention d’un agreement suite à l’ouverture du champ politique. En octobre 1999, un autre « comité de village » composé de membres ayant un niveau scolaire moyen (enseignement moyen et secondaire) a entrepris la réélaboration de ces mêmes textes transcris en langue arabe. Et à la faveur de l’arrivée de plusieurs étudiants sympathisants ou militants du « mouvement des arouch » de 2001 comme membre du comité de village en janvier-mars 2002, de nouveaux statuts et règlements intérieurs furent élaborés et rédigés en langue française. Enfin, en novembre 2005 un nouveau comité de vingt personnes fut installé qui, à son tour, a élaboré un nouveau statut écrit en langue arabe.

[13] Le terme racisme ne recoupe pas la même réalité que celle habituellement désignée pour qualifier un sentiment ou acte d’hostilité à l’égard d’une autre culture, race ou religion, etc. Ici, il s’agit de nommer par cette catégorie les anciennes divisions entre clans, ssef (tissefiyin) qui paralysaient le village et le scindait en deux camps. A première vue, ce militant communiste, rédacteur du document, imprégné d’une idéologie humaniste s’approprie et requalifie une thématique politique moderne pour combattre des divisions politiques anciennes.

[14] Le village d’Ait Arbi organise sous l’autorité du comité de village, «une veillée» appelée «asensi n Sidi Amer ». Ce rite est célébré, tous les ans à la deuxième moitié du mois d’Août, en hommage à un saint marabout protecteur : Sidi Amer. Ce saint était illettré sans trace d’une tradition scripturaire ni enseignante et n’avait aucune attache confrérique (Salhi : 2004, 613). En se référant à certains éléments de la légende il semblerait que ce saint serait le contemporain du saint Sidi ben Abderhmane, fondateur de la Rahmania au XVIIIe siècles, ou de Sidi Abderhmane des Illoulen Oumalou du XVIIe siècles considéré comme le protecteur des At Yettura, et son mausolée -Sidi Amer- aurait été édifié dans les années 1930.

Selon Salhi (2004, p. 613), ce rituel était célébré, à la fin du XXe siècle, en rapport avec le calendrier religieux ; c'est-à-dire pendant la « fête » de taeacurt. Actuellement, cette dimension religieuse est très peu présente, et cette fête n’a aucun lien avec le calendrier religieux, puisque elle est fêtée au milieu du mois Août. Un diner de couscous est offert aux villageois et autres invités des villages avoisinant qui ne manqueront pas d’offrir leurs dons (en espèce) au groupe de sages appelé agraw.

Les célébrations ne laissent guère de place à l’évocation de la mémoire du saint, ni par des chants religieux ni par d’autres pratiques ; de ce fait le rituel s’apparente beaucoup plus à une fête laïque. D’ailleurs la composante du « comité organisateur » et de l’ « agraw » qui béni les donateurs est dominée par des éléments laïcs, a-religieux, et pour certains d’entre eux anti- religieux, à l’exception du cheikh, et de quelques vieux pratiquants très imprègnes par la tradition culturelle et religieuse kabyles. Le village fait appel, ces dernières années, aux services d’un cheikh (L) enraciné dans le paradigme culturel kabyle et possédant des compétences de communication et de mobilisation reconnues, afin d’attirer et de stimuler la charité des visiteurs (usage de la sono), créant ainsi une ambiance festive. Ce rituel a fait l’objet d’une communication dans le cadre d’un colloque sur les : « Sociétés berbères: Nouvelles approches à l’espace, au temps et aux processus sociaux » organisé par L’AIMS (Institut Américain d’Études Maghrébines) à Rabat au Maroc, du 28 juin au 2 juillet 2012.

[15] Pour la compréhension de ce terme de tamusni voir les travaux de Mammeri dans l’introduction aux Poèmes kabyles anciens (1980) et l’entretien avec Mammeri réalisé par Bourdieu, dialogue sur la poésie orale en Kabylie, in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 23, Sept 1978. Pour une approche critique de tamusni voir le travail de Mahé, « laïcisme et sacralité dans les qanûns kabyles », Le Caire, Annales Islamologiques, n° 27, 1993, pp.137-156.

[16] Témoignages de certains moudjahidin (O.F. Hamou et C. Achour, O.F. Mamar), et d’autres (anciens) membres du comité de village : A.H. M., O.F. O. etc.

[17] Selon les témoignages de quelques moudjahidin (Dda Achour et O.F. Hamou, ce dernier nous a remis un manuscrit intitulé « histoire de ma vie » rédigé en arabe, en 1996, dans lequel il retrace notamment la chronologie de la guerre d’indépendance dans la région d’Iferhounene), ce système de gestion collégiale du village par un comité des cinq « xemsa n taddart » était investi et contrôlé par les moujahidin du village lors de la guerre d’indépendance. A ce titre, à partir de 1955 le FLN par le biais de Ouahcene At Oufella, du village d’Ahfir (Commune d’Iferhounene) désignait ces cinq membres après accord des villageois acquis à la cause (qui se réunissaient dans axxam n ccix, la résidence de l’imam, propriété du village). À côté de ce comité des cinq, une autre personne est désignée comme « chef de front » qui avait pour tâche de collecter les cotisations et de les distribuer au profit des familles des moudjahidin, d’assurer la surveillance et le renseignement. Il était aussi le chef du village. Parmi les personnes qui avaient occupé cette fonction on citera Latamen Ait Fella, Ould fella Ouremdane et Belkai Saïd.

À partir de 1959, avec l’absence des hommes ayant rejoint le maquis, emprisonnés ou fuit vers les villes d’Algérie ou de France, (près d’une dizaine de vieux furent égorgés le 8 août 1959 en représailles à la mort d’un officier français) certaines femmes (Amrouche Zahia et Ouiza At Aoudiaa…) avaient parvenu à s’acquitter de cette tâche. Elles avaient même réussi à duper la vigilance des militaires français qui les investissaient comme chef du village (témoignage d’une moudjahidate O.F.H., 69 ans).

Une dernière structure, appelée le « refuge » sert de soutien logistique aux moudjahidin. Elle avait pour mission notamment de préparer la restauration, d’organiser le planning des corvées à cet effet. Une personne est désignée pour diriger cette structure (exemple Achour Ait chegdid etc) composée de plusieurs femmes (O.F. Houria, Djazia et tamedurt, A.H. Zahoua, M. Fatima, B. Ouiza, B. Feroudja, etc).

Au moment de la guerre, seul le chef du « front » pouvait rendre la justice et prononcer des sanctions. Un moujahid (Dda Achour) reconnait qu’ils avaient recouru à la torture et à l’exécution contre des personnes qui étaient dénoncées par un des membres de ces structures. D’ailleurs, une personne fut tuée pour avoir présenté une doléance aux autorités françaises suite à une altercation avec un parent.

Enfin, le village faisait partie de la zone trois de la Wilaya 3 qui regroupait : Tizi-Ouzou, Azazga, Yakouren, Azefoun, Aïn El Hammam, Larba Nat Iraten, Mekla, Illoulen, Illilten, Ait Djennad (voir M. Bouaziz et A. Mahé, 2004, p.243).

Une enquête plus poussée est nécessaire pour rendre compte des liens –juxtaposition ou fusion- entre tajmaet et les structures militaires et politiques (chef de front, imseblen et le refuge) installées ou investis par le FLN-ALN dans le village, et déterminer le poids des alliances anciennes (lesfuf et iderma) et modernes (partis) au sein de ces structures. Et de savoir d’une part, comment ont été investi ces nouvelles structures « révolutionnaires » par les logiques « traditionnelles » de la société kabyle (luttes entre lignages et ligues), et d’autre part de mesurer la manière dont cette conjoncture historique particulière a permis de dépasser (ou non) les contraintes de ses dispositifs sociaux anciens ?

[18] L’usage de ce terme « comité de vigilance » n’a pas été confirmé par un notable du FLN (O.F.H.) qui était membre du « comité de village » à l’époque.

[19] O.F.H., moudjahid et militant du FLN, précise que lorsqu’il avait intégré le « comité » en 1967 (jusqu’à 1980) il s’est consacré seulement à la tâche de gestion de la trésorerie et avait refusé d’assumer toutes les prérogatives du tamen notamment la dénonciation de personnes qui porteraient atteintes aux qanun du village, en arguant que son statut d’instituteur ne correspondait pas avec cette mission du tamen, et que son travail à l’école, située en dehors du village, l’éloignait durant toute la journée et ne lui permettait pas d’assurer cette tâche de tamen. (Entretien mars 2008). Cet instituteur et directeur de l’école primaire était, à ce moment-là, le seul à avoir des compétences pour assurer des tâches de secrétariat (Il fut élève à l’école coranique et la zaouia de Sidi Abderhmane des Illulen Umalu et à Iflissen, dans les années cinquante). Il était considéré par beaucoup de villageois, comme l’œil du FLN au village, d’ailleurs au plus fort de la crise du printemps 1980, il avait organisé une assemblée générale peu suivie, pour expliquer la position du FLN au sujet des événements. (Observations personnelles) et il n’a jamais figuré dans aucun comité de village après 1980. Hadj, il occupera pendant plusieurs années et en intermittence la charge d’imam pour remplacer l’imam partant ou renvoyé par le comité de village.

[20] Parmi les personnes qui avaient assumés cette tâche on notera les noms de : A.M. Akli, F. Ahmed, H. Batcha, A.H. Amokrane etc. À la fin des années 1970, pour surmonter les difficultés qui entravaient la désignation de l’amin entre les quatre représentants, l’assemblée villageoise a procédé au tirage au sort (tisear, genre de pile ou face). Mohamed, qui avait environ 27 ans, a été chargé de l’organisation de cette opération. Il reconnait qu’il avait joué un tour (triche) pour forcer la main à Bacha pour se représenter pour un autre mandat. (Entretien, mars 2008).

[21] Le parcours politique de A.H. M. est significatif de la complexité de cette question. En 1977, il s’engage dans « la Quatrième Internationale trotskyste » et noue des contacts avec Mahmoud l’argentin et un Espagnol à Alger. Son militantisme au sein de l’UNJA dévoile ses convictions politiques aux yeux des militants du FLN. Il sera contraint par le chef de la Kasma du FLN d’adhérer au parti ou de démissionner de l’UNJA. Sur conseil des militants trotskystes d’Alger il intègre le FLN, en 1978. Ainsi au moment de l’institution du comité de village, son initiateur était officiellement aussi membre du FLN, avec des convictions politiques trotskystes.

L’apparition de quelques problèmes au sein de l’organisation trotskyste en 1980 le conduit à connaitre une période d’errance politique qui l’amènera à rejoindre le PAGS en 1986, sans démissionner du FLN de crainte de faire l’objet d’une surveillance. Les émeutes d’octobre1988 lui offre l’opportunité de démissionner du parti unique et se consacrer à l’activité syndicale dans l’enseignement et participer à la création du SATEF au début des années 1990. Par la suite, il participe dans les assises de création du MDS en 1997. En 2001, ce militant berbériste était considéré, par les activistes et sympathisants des arouch du village, comme un opposant au mouvement de contestation et particulièrement aux modalités « archaïques » de sa structuration. (Entretien septembre 2006). Depuis quelques années il s’est retiré de l’activité militante et en 2010, il prend sa retraite après une carrière d’enseignant et de directeur d’école primaire de plus de trente ans.

[22] Cette moyenne est calculée après avoir procédé à la reconstitution des listes des différents comités de villages qui se sont succédé depuis août 1980 jusqu’à octobre 2009. Au village de Zoubga, commune d’Illilten, le chef du comité de village est en fonction depuis plus d’une décennie.

[23] Cette forte présence des jeunes au sein du comité a été renforcée grâce au champ libre laissé par le retrait de plusieurs vieux, suite à la décision de l’assemblée villageoise prise au milieu des années 1990, d’exempter les personnes âgées de plus de soixante ans de l’obligation de présence aux réunions de l’assemblée villageoise, sous prétexte de les soulager des interminables et épuisantes réunions.  

[24] Le football a joué un rôle déterminant de catalyseur de cette dynamique d’investissement des jeunes dans l’espace public. La victoire de l’équipe de foot du village de la coupe inter villages de la commune d’Iferhounene, sur leur rival d’Iferhounene, en 1985, souleva un sentiment de fierté unanime et renforça l’appartenance à cette communauté villageoise. Cette euphorie atténua et refoula toute opposition ou forme de réserve à l’égard des jeunes activistes, qui auréolés de cette distinction se lancèrent dans l’organisation des activités culturelles sur la scène villageoise (représentations théâtrales, galas artistiques, témoignages des anciens moudjahid, bibliothèque etc.)  

[25] À titre d’exemple, un groupe d’enseignants du primaire qui sont unis par des liens professionnels, amicaux et politiques (RCD, MDS) fréquente un café situé à Iferhounene pour jouer, à la fin de la journée de travail, des parties de cartes ou de dominos en compagnie d’autres amis. Cette équipe se retrouve, souvent ensemble en compagnie d’autres éléments, à la tète du comité de village. Selon les listes des membres des différents comités de village depuis 1980 à 2009, que j’ai pu reconstituer, ces personnes étaient ensembles en 1989-1990-1991, de 1995à1996 et de 1996 à1998 et en 2008-2009. C’est dans ce sens qu’on pourrait parler d’un réseau dont les membres sont liés par des affinités et des similitudes. Le réseau est une « structure formée par des contacts, des échanges ou des relations entre des personnes ou des institutions […]». Par ailleurs on distingue quatre grands types d’interactions à partir desquelles on définit quatre types de formes sociales : la complémentarité, la domination, l’identification et les similitudes. Alain Degenne, Analyse des réseaux, in M. Borlandi (dir.), Dictionnaire de la pensée sociologique, PUF, 2005, p. 620.

[26]En dépit de ce changement, le comité de village recours parfois au tamen de l’adrum afin de recouvrir les cotisations auprès des hommes de son lignage. A titre d’exemple, en 2001 le comité de village a procédé à la collecte d’une « taxe annuelle », à raison de 120 DA par membre de la famille (résidant au village ou installé ailleurs), pour financer la réalisation d’une canalisation d’eau potable, ou pour réactiver le rituel de timecret en 2006, après vingt ans de la dernière célébration.

[27] Lors des «événements » de 1980 tajmaet était un espace, non seulement d’échange d’informations sur l’évolution de la situation, mais aussi de sensibilisation des villageois sur la question identitaire. Certains moudjahidin militants du FLN avaient tenté de contrecarrer l’activisme des militants berbéristes en essayant, en vain, de rassembler les villageois au sein de tajmaet pour leur expliquer la vision du parti du FLN sur la crise. De même que lors des « événements d’octobre 1988 », ces mêmes militants du FLN récidivent en appelant à une assemblée générale des villageois pour le vendredi 07 octobre pour transmettre le message du parti. La réunion n’a pas drainé une forte influence. (Notes prises le jour de la réunion)

[28] Hanoteau et Letourneux, p. 21, t. 2.

[29] Nous tenons à souligner les changements sociaux et politiques consécutifs à la colonisation française ; l’imposition de la justice pénale, la scolarisation, la prolétarisation, la diffusion de la langue française qui ont affecté de multiples manières et à des degrés différents le fonctionnement de Tajmaet en Kabylie. Toutefois, il faut nuancer cet impact selon les différentes régions de Kabylie. Selon notre connaissance de la daïra d’Iferhounene, cette région n’a pas été soumise à la même « politique scolaire » que les At Yenni ; les rares écoles ouvertes à Illilten (02) ont été construites tardivement, probablement dans les années 1940-1950. Plus que cela, Salhi signale que «  dans les années cinquante, les Itouragh possèdent dans cette région du Djurdjura le plus grand pourcentage de nombre de personnes sachant lire et écrire en arabe (4%) et le plus faible taux en français (0,7%) » Salhi, 2004. p. 636.

Par ailleurs, elle n’a subi aucun impact de l’expérience des centres municipaux, puisque « seuls deux douars de la commune [mixte du Djurdjura 1880-1958] ne reçurent aucun centre municipal : Illilten et Itourar » (Mahé, 2001, 398). En revanche la région est connue pour être le bastion d’une forte immigration. Illilten avec 960 immigrés pour une population de 6443 soit 59.6% de la population active masculine en 1950, le nombre d’école était de 2, et aucun centre municipal. Les Ittourar, le nombre de population était de 10772, nombre d’immigrés : 1300, soit 48,2 %, aucune école, et aucun centre municipal dans cette tribu. Ce douar comporte le taux le plus fort de population maraboutique : 40%. (Mahé. 2001, pp. 398/399).

[30] Le statut et quanun de 1989/1990 : chapitre biens publics, article 6 : acquittement d’une amende de 250 DA pour toute personne qui arrose son jardin ou lave son véhicule entre le 01 juin et le 30 septembre.

[31] Un autre exemple de cette gestion des affaires villageoises par le recours au vote à main levée concerne la décision, prise au sein d’un aberrah (assemblée) du 5/11/1999, au sujet de l’engagement des travaux d’un projet de réaménagement de la fontaine publique du village afin de pouvoir dégager un espace large pouvant servir au stationnement des voitures et de lieu d’organisation des fêtes et des galas, lieu qui sera dénommé plateforme. Extrait du registre des délibérations de l’A.G du 5/11/1999, résolution n°3.

[32] Mahé, 2001, p.568.

[33] La tragédie provoquée par la crise de 2001 a fait émerger sur l’espace public villageois des opinions contradictoires sur l’identification de la nature de la crise et du cadre de la mobilisation mis en place, le mouvement des arouch, et des modes d’actions mobilisés par les acteurs de la contestation. La polarisation des positions a fait craindre le risque de division du village et d’affrontement, réel ou fantasmé, entre les différents protagonistes. Cette question n’a pas été abordée dans ce texte. En raison de l’importance des modifications profondes que ce « mouvement citoyen des arouch » a provoquées sur l’espace public villageois, notamment sur le fonctionnement de l’assemblée villageoise, nous envisageons de lui consacrer une publication à part. Nous sommes sur le point de finaliser un travail de thèse de doctorat sur cette question : le mouvement social de 2001 et les institutions villageoises en Kabylie.

[34] Lors de la démolition de l’ancienne mosquée qui était en ruine, Hadj H. s’est opposé à l’opération en envoyant un rapport à la Direction des Affaires religieuses de la wilaya. Son neveu, chef du comité de village défend le projet et évoque l’argument que c’est au tour des fidèles d’accepter de détruire ce « patrimoine religieux » après avoir démolit en1983 un « patrimoine ancestral », le siège de tajmaet, pour bâtir la nouvelle mosquée et le lieu de l’assemblée.

[35]Le réaménagement du siège de l’assemblée au début des années 1980, par la construction d’un seul bâtiment abritant l’assemblée villageoise et la mosquée et la création d’une place publique servant comme parc automobile et lieu de spectacle et de fêtes familiales et villageoises (chants, danses, théâtre, etc.) dénommé par les villageois par le terme « la plate forme », a modifié le rapport des villageois à tajmaet. C’est-à-dire, la suppression de la partie extérieure de l’ancienne tajmaet a privé les villageois de lieu de rencontres et a déplacé le centre de gravité du village vers deux autres lieux. Un magasin de commerce d’un villageois situé à l’entrée du village qui donne accès directement à la route communale et wilayale d’un côté, et de l’autre vers le chef lieu de la commune, notamment les cafés et les espaces publics au alentour, qui sont devenus selon l’expression des villageois eux-mêmes, le lieu de tajmaet n at erbi, l’assemblée des villageois d’Ait Arbi.

[36] Le comité de village constitué en novembre 2005 et dans un souci de repartir sur de bonnes et nouvelles bases a décidé de décréter une « amnistie fiscale » en épongeant les dettes léguées par les anciens comités depuis plus de 10 ans.    

[37] Lors du renouvellement du comité en janvier 2008, M. O.F. 58 ans plusieurs fois membre du comité, a exigé pour accepter d’être membre de la nouvelle équipe de renoncer à la prérogative judiciaire et de ne plus appliquer les sanctions consignées dans les qanun-s, ainsi pour lui cette tâche (recouvrir les impôts) est le premier obstacle qui entrave le travail du comité et mine son action.

[38] Parmi ces projets déjà réalisés on citera : réfection du réseau de distribution d’eau, revêtement des accès et des ruelles du village, d’un château d’eau, réaménagement des sources d’eaux en 2001, installation d’une clôture pour le cimetière, aménagement d’une plate-forme bétonnée au milieu du village (2000), réaménagement du hangar lieu de restauration de l’asensi en 2009, construction d’une salle de soin (2009), construction d’une crèche et d’une bibliothèque (juin-novembre 2010-novembre 2011) etc.

[39] Selon le chef du comité de village, en une année d’exercice (octobre 2009-novembre 2010), il y avait seulement trois assemblées générales. Chaque réunion rassemblait à peine une quinzaine de personnes. De ce fait, il considère que le plus important est de lancer des projets d’intérêt général et de veiller à leur réalisation (novembre 2010).

Par ailleurs, la difficulté de réunir et de mobiliser les villageois a conduit les membres du comité à restreindre la participation aux assemblées uniquement à un membre par famille.

[40] Cette présence publique des femmes est aussi visible sur le net. Depuis 2011, quelques jeunes lancent un compte facebook communautaire réservé uniquement aux villageois résidants au village ou à l’extérieur. Ce groupe est composé de 145 membres, dont plus d’une vingtaine de femmes, constituées de jeunes étudiantes ou celles qui se sont installées en France ou au Canada (Avril 2012). Ce taux est relativement important du fait de la diffusion quasi inexistante du réseau d’internet dans les villages de Kabylie. Fin 2011, le taux de pénétration de l’internet en Algérie était de 13.4%, et plus de trois millions de comptes facebook.

[41] Cette forme de flexibilité et d’adaptabilité s’est traduite par un pragmatisme politique de l’assemblée villageoise qui a désigné, en janvier 2008, un nouveau président du comité de village proche du RCD ; le parti vainqueur des élections locales du 29 novembre 2007, à la place de l’ancien président (novembre 2005-janvier 2008) démissionnaire après sa défaite électorale sur la liste de l’ex-maire du FLN. Par ailleurs, un autre comité est installé en octobre 2009, pour pallier à la défaillance de l’équipe précédente.

 

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