Partenariats Université - Industrie en Algérie : enjeux et exigences

N°22 | 2003  | Pratiques maghrébines de la ville | p. 159-171 | Texte intégral


Sultana DAOUD :  Faculté de génie électrique, Institut d’électronique, Université des sciences et de la technologie, Mohamed Boudiaf, Oran.


Introduction

La formation permanente demeure l'une des principales caractéristiques de notre époque. Les relations qu'engage la formation, particulièrement celle relevant du rapport Université- Industrie, devraient entraîner d'importantes mutations sur le plan économique et social. Comment rapprocher l'établissement d'un tel changement ?

Il s’agit d’intervenir non pas uniquement à travers une revue substantielle de la littérature spécialisée dans ce domaine, mais surtout sur le plan de l’action, c'est-à-dire à travers les différentes institutions existantes ou à créer dans l’Algérie du futur. Donc notre objectif est d'identifier les obstacles et de déterminer les options possibles dans la gestion des partenariats Université - Industrie dans un pays en transition où les deux partenaires, Université et Entreprise, sont en crise, car ils sont restés liés aux schémas du passé qui ont largement prouvé leurs insuffisances.

Aujourd'hui, les relations Université – Industrie, quels que soient leurs niveaux de développement et leurs formes institutionnelles, s'inscrivent dans le contexte de la mondialisation, de l'interdépendance économique et de la pression grandissante de l'approche libérale. Ceci fait que ces partenariats sont censés rendre l'enseignement et la recherche universitaires plus judicieux et d’un niveau plus opératoire.

Dans ce contexte économique et social où le capital-savoir est devenu essentiel, les gouvernements des pays industrialisés ainsi que ceux des pays en voie de développement se rendent de plus en plus compte du rôle que jouent les établissements de l'enseignement supérieur en tant que producteurs de nouveaux savoirs et en tant qu'agents stratégiques dans le développement économique tant sur le plan national que local. Ils sont susceptibles de développer les compétences et les connaissances de la main d'œuvre quel que soit le niveau de sa qualification, et de participer à la production et la gestion de l'innovation par le biais du transfert technologique.

Par ailleurs, les nouveaux savoirs suscitent de nouvelles demandes. Ainsi, l'impact des universités sur leur milieu socio-économique se manifeste non pas uniquement en termes de débouchés, mais aussi à travers de nouveaux risques. D’où la question qui peut être posée sur le devenir de l'impact des transformations de l'environnement sur les activités d'enseignement et de recherche ; ainsi que sur la traduction de ces rapports de force sur le marché.

Pour donner plus de concrétisation à ces questionnements, les établissements d'enseignement et de recherche, dans la plupart des pays, ont pris conscience de ces difficultés et ont tenté de s'adapter à leur environnement en élaborant des nouvelles politiques éducatives.

1. Les premières tentatives de partenariats Université - Industrie

L'interface Université - Industrie

Au plan international, les partenariats université - industrie ont pris diverses formes institutionnelles, tout en développant leurs domaines d'intervention. Les tentatives sont anciennes et ont pris des formes différentes selon les pays.

- Au Etats Unis, la caractéristique essentielle de la relation université - industrie est d'être, depuis longtemps, extrêmement institutionnelle. Cet aspect est dû à la forte domination de l'entreprise privée sur le tissu industriel américain et à l'existence d'une législation fiscale qui constitue un instrument de promotion de cette collaboration.

- Le Canada a adopté le modèle américain dans son intégralité.

- En France, cette coopération s'est manifestée le 2 juillet 1947 par la création d'une association des amis de l'université de Grenoble. D'autres associations ont vu le jour à travers le territoire français.

- L'Allemagne et la Grande Bretagne ont imité le modèle français.

- En Belgique, le patronat belge a pris l'initiative en 1950 d'institutionnaliser cette relation en la rattachant à l'université.

D'autres expériences montrent que cette coopération s'est concrétisée à travers la création d'association par le bais des chambres de commerce et d'industrie. Même, si au début ces tentatives étaient désordonnées et fragmentées, elles se sont consolidées à travers le temps.

Selon certains travaux empiriques réalisés dans les pays industrialisés, les partenariats université - industrie se manifestent la plupart du temps dans le secteur de la recherche. En revanche, dans les pays en voie de développement, il est fait appel aux services des consultants, à l'insertion professionnelle des étudiants et la formation continue.

Pour l'entreprise, la recherche développement (R&D) recouvre une signification large. Elle concerne l'ensemble des activités innovantes dont elle a besoin pour augmenter sa productivité et sa compétitivité. D'une manière générale, on note différentes sortes de collaboration entre l'université et l'industrie dans le champ de l'enseignement et de la recherche telles que :

- L'intégration professionnelle des étudiants,

- Le regroupement de recherche et développement,

- Les échanges de personnel, services de consultants,

- Formation continue par la mise en place d'une licence professionnelle ou bien des formations qualifiantes et non diplômantes (un groupe de techniciens sur un dispositif spécifique),

- Développement des petites entreprises,

- Contribution à l'installation d'entreprises dans une région précise. En général, les entreprises qui ont un projet d'installation sont attentives à l'environnement scientifique existant ; elles sont à la recherche d'interlocuteurs proches de leurs problématiques.

- Création de junior entreprise [1] pour l'écoulement des produits issus de la recherche.

Ces différentes collaborations se concrétisent sous des formules de partenariat distinctes :

- Une étude courte, l'élaboration d'un devis fixant le tarif de la prestation (essai mécanique, chimique) sur la base d'une expérimentation (journée d'expérimentation..).

- Un contrat de recherche (6 mois à 3 ans) qui fixera les objectifs, les modalités de participation de chaque partie, les échéances, les clauses de confidentialité.

- Le cofinancement de la thèse d'un doctorat par le biais d'une convention industrielle de formation par la recherche ou bien, une convention recherche pour les techniciens supérieurs

Ces relations témoignent de fortes hybridations (production conjointes) ou de fortes imbrications (mobilisation de ressources scientifiques universitaires à des fins industriels) entre les universités et les entreprises.

Dans l'objectif d'intensifier les rapports université - industrie, les gouvernements ont élaboré des mesures incitatives telles que :

- Le cofinancement ;

- Les subventions du capital initial ;

- Les exonérations fiscales.

L'allocation de ces fonds se fait de façon plus sélective suivant des objectifs déterminés par l’exigence de résultats.

Cette coopération recouvre un ensemble de réalités très différenciées, que se soit dans l'enseignement ou dans la recherche. Les expériences à travers le monde, ont montré que les établissements d'enseignement supérieur peuvent collaborer plusieurs années avec des grandes multinationales pour la réalisation d'un projet en R&D. D'autre part, une petite université régionale peut offrir ses services à une entreprise localisée dans la même région en lui proposant des programmes de valorisation des ressources humaines ou bien, une assistance technique pour développer les méthodes de management et les techniques de base.

Les facteurs dynamisant le partenariat Université - Industrie

Plusieurs facteurs concourent à l'épanouissement des rapports université – industrie : premièrement, la capacité de recherche et de formation dans l'enseignement supérieur et l'industrie ; un tissu industriel bénéficiant d'activité de R&D favorise la valorisation de son potentiel humain. Deuxièmement, l'existence d'une culture d'entreprise dans les établissements d'enseignement et de recherche. Enfin, l'attitude des enseignants vis-à-vis du monde industriel (comportement, degré d'ouverture etc.)

2. La nécessité d'une université algérienne coopérative

L'université demeure le terrain le plus propice au partenariat avec l'entreprise et avec d'autres agents économiques.

Dans le contexte algérien actuel, la relation université - entreprise est en crise, car les deux partenaires sont restés attachés aux schémas antérieurs dépassés par la nouvelle restructuration de l'espace économique au niveau mondial. Cette collaboration nécessite d'être réorganisée ; ce qui exige des efforts considérables car rapprocher les deux milieux (industriel et universitaire) n'est pas chose aisée. Une telle action bute sur les différences de culture existantes chez les deux partenaires.

Cette contrainte nous pousse de prime à bord à différencier les actions à entreprendre par chaque acteur et à chaque niveau de façon isolée.

Au niveau national

Le gouvernement a un rôle de catalyseur à jouer dans le renforcement de la relation université - entreprise:

Cette relation doit s'inscrire en cohérence avec les priorités du développement économique et sociale de l'Algérie qui doivent se concrétiser par des actes suivants :

- Stipuler une loi d'orientation qui existe dans la plupart des pays. Cette loi consiste à définir la participation des représentants de l'industrie, à titre obligatoire ou facultatif dans les différents conseils des établissements universitaires. Ceci peut susciter un décloisonnement qui permettra d'identifier les besoins prioritaires de l'industrie.

- Mettre en œuvre des politiques institutionnelles relatives à la mise en place d'un cadre législatif approprié [2] pour consolider le partenariat université - entreprise. Le gouvernement peut créer des mesures incitatives vis-à-vis des entreprises, à savoir, l'adoption d'une disposition fiscale facilitant la prise de conscience par les entreprises de la nécessité et même de l'urgence d'allouer des fonds aux activités R&D.

- L'effort du gouvernement doit s'orienter vers les petites et moyennes entreprises (P.M.E.) (constituant la totalité du secteur privé); créer des mécanismes d'incitation appropriés pour faire émerger une collaboration université -. P.M.E. Contrairement aux grandes entreprises (constituant l'intégralité du secteur public) qui sont capables de créer en interne des structures pour la gestion des activités R&D, les P.M.E. par manque de potentialités humaines et matérielles se trouvent dans l'incapacité.

Au niveau de l'entreprise

L'entreprise algérienne doit être plus entreprenante pour pouvoir survivre dans ce contexte de mondialisation, de régionalisation et de globalisation.

- Elle doit développer une politique de recherche ;

- Initier des compétences de recherche pour favoriser le dialogue avec les universitaires ;

- S'associer aux financements de la recherche puisqu'elle est le principal gagnant des externalités positives relatives aux activités R&D,

- Elle peut prendre l'initiative de se rapprocher de l'université afin de faire connaître ses préoccupations scientifiques et techniques.

Au niveau de l'université

Les actions

De son côté l'université est bien placée pour entreprendre plusieurs actions pour amener à maturité les connaissances de recherche académiques afin que ces savoir-faire soient transférables à l'industrie:

- Intégrer la collaboration université - industrie dans la stratégie de l'université. L'université doit être un instrument de promotion du savoir au service de la société. De ce fait, la priorité dans ses programmes de formation et de recherche doit être donnée à l'innovation et à l'ancrage d'esprit d'entrepreneuriat.

- Afin de développer ce partenariat, le rôle de l'université est de faire évoluer les initiatives fragmentées et anarchiques vers une composante stratégique de mobilisation des potentialités universitaires en R&D en vue d'une politique d'innovation au service de l'entreprise.

- Le principal point de départ, sera la création au sein de l'université d'une cellule de liaison université- entreprise, pour rapprocher les laboratoires universitaires au milieu industriel. Sa mission se concrétisera à long terme. Elle constituera une plate forme de dialogue entre les deux milieux, ainsi elle doit avoir une logique d'écoute vis-à-vis des entreprises. C'est l'interface entre l'université et les entreprises (tout statut juridique confondu).

Parmi les actions que doit entreprendre cette structure :

En premier, faire connaître les potentialités de R&D. Elle doit capitaliser son capital savoir dans la recherche fondamentale par le recensement des thèmes de recherche qui peuvent faire l'objet d'un produit pouvant être commercer dans l'industrie (après approbation du conseil scientifique).

Deuxièmement, établir une banque de données englobant les équipements disponibles au niveau de l'établissement et les expertises existantes.

Troisièmement, élaborer une étude préliminaire des besoins prioritaires des entreprises.

Enfin, se constituer en équipe pluridisciplinaire, car la transdisciplinarité de la connaissance est un facteur prioritaire de l'innovation.

La mise en place d'un dispositif autour de l'esprit d'entreprise, se basant sur la formation à la gestion et à la création d'entreprises, dans lequel l’orientation "soyez entreprenant" devra être un des points fort de la pédagogie de l'université. D'ailleurs, il est utile de souligner que dans les établissements d'enseignement des sciences et de la technologie, les enseignements relatifs au management d'entreprise et à l'entrepreneuriat sont presque minimes.

Partenariat Université- Industrie: cas de l'électronique

Le marché mondial de l'électronique est un marché oligopolistique, dominé par un nombre restreint de multinationales. Ceci n'empêche pas certains pays en voie de développement de commercialiser leurs produits d'électronique sur ce même marché.

En ce qui concerne l'Algérie, des investissements considérables ont été consacrés à cette branche au cours de tous les plans de développement. En ce qui concerne la formation, c'est l'une des disciplines qui a connu un fort taux de formation à l'étranger.

De point de vue des résultats (voir les histogrammes) ; c'est une branche qui est totalement dépendante de l'extérieur, voir le fort taux d'importation pour tous les produits de l'électronique, et le faible taux d'intégration pour les produits fabriqués localement car il s'agit plus d'une opération de montage que d'une opération de production.

Tous ces efforts n'ont pas donné les résultats escomptés. Mais, les compétences existantes peuvent valoriser la formation et la recherche en essayant d'être plus entreprenant et d'instaurer une des équipes pluridisciplinaires afin de valoriser la recherche. Les statistiques (voir les histogrammes) sont un indicateur révélateur des possibilités d'un partenariat dans l'appareillage biomédical, fort taux d'importation en ce qui concerne ce type d'équipement, en plus Oran est l'une des régions du pays où se localise un grand nombre de cliniques privées.

Conclusion

L'université des sciences et de la technologie d'Oran (l'USTO) est parmi les premiers établissements de l'enseignement supérieur du pays qui remplit toutes les conditions pour se constituer en pôle d'excellence [3]. En plus, elle possède des atouts qui l'aideraient à mieux accomplir cette tâche, tels que:

- Son implantation dans la deuxième région industrielle du pays. Sa proximité à l'un des plus grands pôles industriels du pays, le pôle d'Arzew. Il est important de souligner que dans le domaine des hydrocarbures, l'Algérie bénéficie d'un avantage comparatif par rapport aux autres pays du bassin Méditerranéen.

- Sa localisation dans une région abritant un nombre considérable de P.M.E. peut favoriser la diversification de la recherche et surtout les études de courte durée [4] (essai, expérimentation, etc.). Somme toute, l'USTO présente l'avantage d'être en mesure de dresser des stratégies spécifiques autour des projets scientifiques répondant à des spécificités de la région.

Bibliographie

Havellin, Paul : L'entreprise dans la compétition internationale.- CRC, cahiers n°12, 1969.

El Djaafari, Samir : Valorisation de la recherche universitaire et transfert des savoirs au Maroc : enjeux et exigences.- Cahiers d'études et de la recherche francophones, agriculture, juillet août 2000.- Volume 9, n° 4.

Lettre d'information de L'IIPE, partenariats université- industrie: évolution du contexte, institut international de planification de l'éducation, juillet septembre 2000.- Volume XVIII, n° 3.

CNRS info : les relations entre science et industrie, l'économiste face à de nouveaux défis, un champ de recherche en mutation, mai 2002.- n° 403.

Congrès de Locarno, 30 avril- 2 mai 1997, annexe au document de synthèse CIRET-UNESCO.

Berret, Pierre : Mobilité des chercheurs des entreprises et mutations de la R&D.- Problèmes économiques, 25 septembre 2002.- n° 2777.

Annexes

Evolution du commerce extérieur de l’Algérie 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1. Evolution des importations par groupe d’utilisation

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2. Evolution des exportations par groupe d’utilisation

3. Evolution des importations des produits électroniques 

 

 

 4. Place de l’électronique dans les importations 


NOTES

[1] - Entreprise créée par les personnels universitaires ou bien par les étudiants diplômés.

[2] - La gestion des fonds extrabudgétaires, le développement structurel, les droits de propriété intellectuelle etc..

[3] - Les critères d'un pôle d'excellence: avoir une équipe de chercheurs nationaux confirmés qui peut être consolidée par des chercheurs étrangers. Disposer d'infrastructures, d'équipements et moyens de communication. Se situer dans un environnement socio-économique adéquat. Poursuivre des projets de recherche communs. Etre en mesure d'accueillir des chercheurs et des stagiaires.

[4] - Des travaux empiriques sur d'autres pays montrent que les P.M.E. sont souvent intéressées par des projets à court terme alors que, les laboratoires de recherche préfèrent travailler sur des thématiques à moyen et long terme.

Appels à contribution

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