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Une nouvelle technique d’extraction d’huile d’olive dans la Régence de Tunis : l’huilerie à vapeur de la Dabdâba d’Ahmed bey

Insaniyat N° 71 | 2016 | Varia | p. 117-155 | Texte intégral


A new technology of olive oil extraction in the Regency of Tunis: olive oil steam mill of Ahmed Bey Dabdâba

Abstract:This article tackles the study of the techniques used for extracting olive oil at Dabdâba, in the City of Tunis. Accordingly, if our choice ultimately is focused on the study of this subject, it is because a lot of important details related to this question were neglected.

On the other hand, if we consider the industrial experiences which occasioned a failure during Ahmed Bey's reform project, we conclude that the lack of echo and the scarcity of historical references of Dabdâba are not essentially the consequences of the failing experiences of Ahmed Bey, but mainly the result of the indifference which the narrators bear. This carelessness can be explained by two hypotheses: the first is related to the contradictory attitude of Ahmed Bey vis-à-vis the projects of various steam oil mills. (The case of the oil mill of Mahdia). The second is related to the depreciation of this experience, judged mediocre by a population expert in oil extraction, endowed with an ancestral know-how and impartial on this failure. This said, despite the evidence and incontestability of the failure, it must nevertheless be relativized.

Keywords : Experiments - industrial - steam oil mills - Ahmed bey - Dabdâba - Tunis.


Mohamed FRINI: Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax, Tunisie.

 

Introduction

La connaissance des techniques utilisées pour l’extraction d’huile d’olive à travers les âges demeure peu connue. Nous savons peu d’informations sur les différents types et composantes des huileries, sur les ateliers de fabrication, de leurs pièces, de l’extraction de la matière première jusqu’à la fabrication, le transport, le montage et l’installation des machines. Cela constitue un vaste chantier de prospection pour historiens et archéologues. Si notre choix a fini par porter sur l’étude de l’huilerie moderne, c'est-à-dire  à vapeur, c’est d’abord parce que beaucoup de détails importants qui tournent autour de cette question ont été négligés ou omis par les historiens.

En fait, l’établissement de l'huilerie moderne à vapeur, dans la Régence de Tunis, fait partie « des premières unités industrielles » établies par Ahmed bey. Le programme industriel d'Ahmed bey se voulait réaliste. Il se limitait à des industries qui utilisaient des produits agricoles et des matières disponibles dans le pays : blé, olives, laine, cuir et plomb, etc.

Á la deuxième moitié du XIXe siècle, un tel projet était ambitieux ; il était aussi difficile à réaliser même pour un pays oléicole. Toutefois, les répercussions de cette expérience furent tout à fait négatives surtout si nous prenons en considération le niveau technique atteint pour l’extraction de l’huile d’olive.

Un état des lieux documentaire et historiographique

Sources archivistiques

Nous ne prétendons pas, à travers cette recherche, présenter un inventaire exhaustif des sources archivistiques qui, d’une manière ou d’une autre, fournissent des informations sur la question des techniques utilisées pour l’extraction d’huile, au XIXe siècle, car : « tout est technique… la technique a finalement la largeur même de l’histoire et forcément sa lenteur, ses ambiguïtés »[1] . Notre objectif est de mettre à jour l’importance de quelques registres fiscaux et des documents des affaires particulières entre les ingénieurs européens au service du gouvernement tunisien. Certaines sources, ayant déjà été utilisées par des historiens[2], offrent un grand intérêt si on les interroge autrement.

Les documents fiscaux (registres) constituent une source de référence, certainement, l’une des plus riches en données. Même si ces registres nous renseignent essentiellement sur les recettes et budget de l’État, la fiscalité diverse, ils constituaient également un moyen primordial pour apporter un nouvel éclairage sur les travaux publics, à savoir l’édification de l’huilerie à vapeur de la Dabdâba au milieu du XIXe siècle. En effet, les archives nationales de Tunis conservent une série incomplète et de valeur inégale de registres[3]. Toutefois, un nouveau traitement de la documentation disponible notamment la lettre de Edouard Dubois à Mustapha Khaznadar[4] datée du 3 février 1860, expédiée de Marseille, concernant l’installation, l’équipement, les travaux de restauration de l’huilerie à vapeur de la Dabdâba ainsi que les livres de comptes de cette usine (fabrika) , ouvre de larges perspectives sur l’histoire des huileries.

Les archives des pays européens offrent également une série de renseignements précieux sur les ingénieurs européens au service du gouvernement tunisien. Plus précisément, nous retiendrons celles de la chancellerie du consulat général de France à Tunis. Elles sont conservées au Centre des Archives Diplomatiques de Nantes, dépendant de la direction des Archives du Ministère des Affaires Étrangères, citées par Anne-Marie Planel.

Les chroniques

Les chroniques qui concernent le XIXe siècle sont conçues sur le même modèle littéraire[1]. Pour la chronique d’Ahmed Ibn Abi Dhiaf, elle relate l’histoire des princes et de leurs gouvernements en mettant en valeur les faits et les bienfaits du gouvernement du moment. Néanmoins, tout en faisant le panégyrique des princes, notamment d’Ahmed bey et de son programme industriel (volume IV), le chroniqueur n’a guère évoqué l’établissement de l’huilerie moderne à vapeur de la Dabdâba. Une telle absence d’information sur l’une des plus importantes unités industrielles nous intrigue et mérite une réflexion critique avec des interrogations croisées avec les documents d’archives.

En dépit de cette curieuse absence d'informations, la chronique de Mohamed BAYRAM V (volume III), dans sa description des activités industrielles en Tunisie, mettait l’accent sur ce type d’huilerie : « Une minorité d’étrangers participent également dans la collecte des olives et l'extraction d’huile en utilisant l’usine à vapeur pour l’extraire. Le nombre de ces usines reste réduit, on compte uniquement une seule dans la ville de Tunis, et ailleurs il y a peu d’huileries conformes au modèle européen ; la plupart sont de vieux modèles construits par les Andalous et d'autres de types plus anciens que celui-ci et toutes deux ne sont pas efficaces dans l’extraction d’huile d’olive »[2].

En somme, les sources de l’histoire des techniques de l’oléification ne sont ni totalement absentes ni d’un usage facile. Nous ne disposons pas, dans les sources connues jusqu’à présent, des données précises sur les différents types et composantes des huileries, aussi bien la différence entre les appellations désignant les huileries traditionnelles. En effet, le type macsara connu durant l’époque moderne sous l’appellation Sûltânî (huilerie royale évoluée ?), où l’extraction de l’huile repose sur le système de pressage, est souvent confondu avec celui de l'huilerie moderne, à vapeur. Toutefois, il manque aux historiens modernistes une véritable motivation pour étudier l’histoire des techniques utilisées en Tunisie. Les résultats d’une pareille entreprise éclaireraient évidemment d’autres champs de l’histoire économique et sociale.

Pour une histoire des techniques en Tunisie 

Un inventaire succinct des travaux sur l’histoire matérielle de la Régence de Tunis que nous avons établi vient confirmer les remarques précédentes. Ainsi, il est indispensable de rappeler que les historiens, pour la plupart, ont souvent l’habitude de traiter la macro histoire en rapport avec des  évènements : politiques, économiques et sociaux. L’histoire des techniques n’a suscité ni des questionnements ni débats d’envergure, du moins chez les historiens tunisiens, alors qu’elle fut souvent l’un des objets d’études pour d’autres nationalités d’historiens. 

Il faut dire également que toutes les époques confondues (ancienne, médiévale, moderne  et contemporaine) n’ont pas eu les mêmes opportunités quant à la recherche sur les techniques utilisées pour étudier les différentes méthodes de l’oléification en Tunisie, c’est surtout l’époque ancienne qui en a profité le plus[1].

En fait, la légitimité de l'histoire des techniques est relativement récente. Il y a peu d'endroits encore aujourd'hui où elle se voit institutionnalisée, sauf peut-être aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Ses origines directes remonteraient au XIXe siècle[2].

Il n'est pas exagéré d'affirmer que l'histoire des techniques a atteint sa légitimité dans le monde francophone avec les Annales. Depuis que
Lucien Febvre et Marc Bloch ont publié le numéro spécial des Annales d'histoire économique et sociale portant le titre « Les techniques, l'histoire et la vie »[3], les différents aspects de l'histoire des techniques ont fait l'objet de nombreux travaux, mais peut-on dire que celle-ci a nettement défini son objet, ses limites et ses méthodes ? En 1935, Lucien Febvre se posait déjà la question suivante : « Qu'est-ce que faire l'histoire des techniques ? » Febvre en assura la présentation. Il y dénonçait l'ignorance dans laquelle la profession tenait les techniques. Faire l'histoire des techniques, c'était : faire l'« histoire technique des techniques », œuvre de techniciens nécessairement, histoire des procédés de fabrication dans chaque métier et chaque industrie ; rechercher les causes et les conséquences du changement technique, surtout dans leur rapport avec la science ; chercher comment la technique subit l'influence de l'histoire générale[4]. Quant à Marc Bloch, il offrit au lecteur un exemple des possibilités de cette approche ; son article, sur l'histoire du moulin à eau des débuts de l'ère chrétienne à la fin du Moyen Âge, demeure un modèle. En deux phrases lapidaires il résume le type de réponse que donne un praticien de l'histoire sociale : «L'invention était née peut-être d'un éclair de génie individuel. Le progrès effectif, qui fut d'utiliser l'idée, ne s'opéra que sous la pression des forces sociales. »[5].

Charles Singer (1876-1960), historien britannique des sciences et de la médecine, dirigeait un vaste ouvrage de synthèse sur l'histoire des
techniques. Le travail serait collectif, étant donné la quantité importante de connaissances à maîtriser. Les liens entre société et technique devaient être explicités, en particulier avec le monde économique[6]. Presque au même moment en France, Maurice Daumas formait un projet similaire, dans l'ignorance de celui des Britanniques. Ces deux grandes synthèses sont encore aujourd'hui les ouvrages généraux de référence sur le sujet. Cependant, même Daumas admettait qu'il ne s'agissait que d'un point de départ[7].

La seule chaire d'histoire des techniques a été celle dont Maurice Daumas fut le titulaire. Ce que l'on doit précisément à Maurice Daumas, c'est d'avoir fondé et légitimé en France l'histoire technique des techniques. Son Histoire générale des techniques, dont le premier tome a paru en 1962, s'achève comme elle a commencé, avec le strict souci d'être une histoire technique des techniques, remplissant par-là pleinement le premier volet et en partie le second de la bibliographie programme proposée par Lucien Febvre.

En fait, l’histoire technique des techniques a souffert de la technicité, et souvent de la nationalité de ses auteurs. Chaque sujet, pris en lui-même, est rarement rattaché aux autres domaines techniques dont il était dépendant et à l'époque dans laquelle il s'est développé. « Chaque époque a sa technique, et cette technique a le style de l'époque » . Cette phrase primordiale de Lucien Febvre reste ignorée généralement des techniciens qui se veulent historiens.

Ce constat nous permet d’évaluer l’apport de l’historiographie tunisienne dans le domaine de l’histoire des techniques. En effet, en dépit de l’enrichissement de l’historiographie et la diversité des thèmes abordés depuis une vingtaine d’années par les historiens de la Tunisie. La question de l’histoire des techniques est demeurée marginale.  

Les techniques de l’oléification en Tunisie à travers les époques

L’extraction de l’huile d’olives peut se faire très simplement. En écrasant une poignée d’olives dans la main, on peut voir s’échapper quelques gouttes d’huile. Dès l’Antiquité, les hommes ont donc extrait l’huile des olives : au départ, en utilisant des moyens rudimentaires puis en améliorant les techniques pour améliorer les rendements.
Les différentes techniques ont coexisté sur des périodes plus ou moins longues et certaines sont toujours utilisées dans le monde. La séparation de l’huile et de l’eau se faisait jusqu’à une époque récente par simple décantation : le liquide était placé dans de grands bacs en pierre ou en terre cuite et on recueillait à la main, à l’aide d’une feuille en métal, d’une casserole… l’huile qui remontait à la surface. Aujourd’hui, on utilise généralement une centrifugeuse.

En effet, afin de comprendre l’évolution des techniques de l’oléification, il est nécessaire de présenter un aperçu historique des huileries en Tunisie : véritables monuments du patrimoine, les Macsra (La macsara dhar mâ’) témoignent de l'âge premier des huileries berbères et romaines. La macsara est constituée en fait d’une salle circulaire pour broyage des olives à l'aide de l'énergie animale parfois humaine, pressoir en bois, dans une cuve de décantation en poterie afin de produire une huile appelée vierge.

Hérité de l’époque romaine, ce type a évolué et a connu durant l’époque moderne un véritable essor sous l’appellation Sûltânî, où l’extraction de l’huile repose sur le système de pressage. En effet, tout au long du XVIIIe et jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, les macsara existaient presque dans toutes les villes et villages. Le bey et le beylik en possédaient bon nombre surtout au Sahel, au Cap Bon, à Tunis et au Nord-Est. 

Ces huileries, d’invention romaine et dont les techniques, parfois simplifiées pour une meilleure adaptation aux matériaux existant, ont été conservées jusqu’à une date tardive, et même qu’elles perdurent encore dans certaines régions de de la Tunisie, le Sud, en particulier où elles peuvent être aménagées au-dessous du niveau du sol. C’est dans cette perspective que notre question essentielle sera : À quel moment peut-on situer l’apparition et la diffusion des huileries modernes en Tunisie ?

La Régence de Tunis était réellement installée dans le « cycle de l’huile »[8] depuis la fin du XVIIe siècle[9], pourtant elle n’a point connu d’innovation technique en matière de fabrication d’huile. Même l’immigration morisque à partir de 1609, qui a marqué le paysage rural du Nord-Est et du Cap Bon, par son intense activité dans l’oléiculture, n’a point apporté de nouveautés en matière d’oléifaction : la balma n’est que l’huilerie traditionnelle locale[10].

La Mâkina, huilerie moderne de type classique existait déjà en Tunisie vers les années 1840, bien avant la colonisation. Une des premières makîna fut la makîna –al –Dabdâba, près de la kasbah de Tunis, introduite sous le règne d’Ahmed Bey, vers 1854. Cette huilerie demeurait fonctionnelle même après la colonisation française[11] jusqu’à la prise de décision de la vente du matériel de l'huilerie domaniale de la Dabdâba par les autorités françaises le lundi 10 janvier 1898, à neuf heures du matin[12].

Par ailleurs, l'huilerie Mahjoub de Tebourba « héritière » de l'huilerie Fleury Du Sert fondée en 1892, garde encore, les traces de cette première génération des Makîna, malgré la modernisation de ses techniques vers les années 1930. Son vieux moteur, ses anciennes presses et contrepoids sont toujours là comme témoins de l'avancée technique et de la postérité d'une époque[13].

En dépit de la stagnation des techniques d’oléifaction durant le XVIIe et XVIIIe siècles, la deuxième moitié du XIXe siècle a constitué un tournant décisif dans l’évolution des techniques de l’extraction de l’huile d’olive et de l’économie oléicole, marquées par l’apparition et la diffusion des huileries modernes à vapeurs en Tunisie, liée à l’expansion des oliveraies. Ces nouvelles unités, apparues à l’époque précoloniale faisant ainsi parties des premières entreprises industrielles ; leur diffusion jusqu’à l’établissement du Protectorat était, cependant,  restée limitée.

Par ailleurs, les innovations techniques et expansion de l’industrie oléicole, constituaient le fait majeur qui avait marqué l’économie oléicole au temps de la colonisation au XXe siècle. La Makîna s’est répandue dans les grandes régions oléicoles : le Sahel, Sfax et Tunis. Puissantes installations industrielles, ces nouvelles usines se caractérisaient par une double pressée en deux temps. Ces installations étaient équipées de moteur à mazout ou électrique, occupant moins de place, plus puissants et plus faciles à actionner et à entretenir en comparaison avec les anciennes huileries à vapeur, première génération de la Makîna.

Ce constat nous permet de comprendre que la première mutation technique enregistrée depuis l’époque romaine, fut celle de l’huilerie moderne mécanique dont l’avènement s’inscrivait dans le contexte des nouvelles mutations techniques engendrées par la révolution industrielle en Europe et introduites dans le pays à la faveur de la ruée du capital mercantile vers la Régence.

Une telle mutation technique, ambitieuse et difficile à réaliser à la deuxième moitié du XIXe siècle, méritait qu’un travail d’éclaircissement soit effectué sur l’ensemble de ces problèmes, en faisant en particulier usage des Archives nationales de Tunisie à peine effleurées jusqu’à  présent.

L'huilerie moderne, à vapeur, de la Dabdâba : un exemple modèle de la première génération des « makîna »

Un contexte favorable pour la modernisation des techniques d’oléifaction en Tunisie au XIXe siècle. Souci et Source d’inspiration de développement général du pays chez Ahmed bey

En montant sur le trône, Ahmed bey était déjà imprégné de l’esprit de la réforme que son père Mustafa bey avait commencé à appliquer pour répondre à une exigence de la capitale impériale. Mais Ahmed bey alla au-delà car il ne se contenta pas de répondre aux injonctions d’Istanbul : il fut totalement impliqué dans l’esprit de la réforme, jusque dans son espace privé.

Ahmed bey croit encore pouvoir assurer la compétitivité de l’établissement beylical. Face aux mutations que connaît le capitalisme dans le milieu du XIXe siècle, il émet l’opinion que le maintien d’une gestion directe par l’État ne doit pas exclure l’introduction des matériaux étrangers. Toutefois, les études sur la Régence de Tunis au XIXe siècle se sont élaborées essentiellement autour de la question des réformes initiées par l’État beylical tendant à moderniser les institutions politiques et militaires de ce pays, dans la mouvance des Tanzimât (1839)[1]. Ces mesures draconiennes qui suscitèrent, dans l’Empire Ottoman, de grandes résistances, furent prises pour faire face à la menace, de plus en plus probante, d’une Europe dynamique et expansionniste.

Ainsi, il est tout à fait probable que les tentatives faites pour créer à Tunis des industries d’État, largement liées à la modernisation militaire, sont surtout redevables (mais sur une échelle plus modeste) aux efforts d’industrialisation déjà lancés en Égypte, dans une perspective assez comparable[2]. Dans ce domaine, les efforts des Égyptiens avaient pris forme dès 1815 (poudrerie et usines textiles) et ils avaient été poursuivis avec activité au moment où Pascal Coste[3] était venu en Égypte travailler pour le pacha. Ils étaient évidemment suivis de près par les responsables tunisiens qui s’en inspirèrent certainement.

A l’instar de l’expérience du vice-roi d’Égypte Muhammâd ‘Ali, l’option industrielle inaugurée par ce jeune prince et son ministre Mustafâ Khaznadar (1837-1873) est commandée par une logique de défense d’intérêts patrimoniaux.

Une initiative productiviste, d’inspiration saint-simonienne[4], a constitué, en effet, l’acte fondateur de la politique d’Ahmed bey, dès son avènement en 1837. Nous retiendrons ici le rapport évident qui existe entre la pensée réformiste tunisienne, à cette époque, et les théories des saint-simoniens. Cela éclairerait peut-être l’orientation particulière de la pensée économique et sociale d’Ahmed Bey[5].

Le règne de ce souverain hussaynite (1837-1855) s’inscrit dans la politique d’occidentalisation que connurent les provinces de l’Empire ottoman depuis les années 1770 et durant la première moitié du XIXe siècle. A l’instar des réformes militaires et économiques entreprises par Muhammâd ‘Ali (1805-1848) en Égypte ou par le sultan ottoman Mahmûd, Ahmed Bey modernisa ses armées. Dans ce cadre, il inaugura une politique de mise en valeur des richesses productives de la Tunisie (minoteries, moulins à vapeur, fabriques et fonderies, exploration minière, réforme monétaire) en s’inspirant des normes et des techniques des pays d’Europe en voie d’industrialisation. Il fut le premier prince de sa dynastie à effectuer une visite d’État en France, en 1846, alors qu’il venait d’abolir l’esclavage dans ses États[6].

En fait, l’opinion réformatrice des années 1850-1860 s’inscrivait dans le cadre de souci de régulariser et de normaliser les pratiques productives selon A.M. Planel. Le bey de Tunis, comme le roi de France sous l’Ancien Régime, souhaite s’informer et disposer des moyens de contrôle qui lui permettront d’organiser une meilleure exploitation des richesses du territoire qu’il veut dominer. Le bey de Tunis tente d’importer, dans la régence ottomane, un nouveau savoir technique fondé sur la mécanisation et l’utilisation de machines à vapeur. En France, également, dans la phase de la première industrialisation, il avait fait appel à des experts anglais.

Par ailleurs, le gouvernement réformateur d’Ahmed bey mise sur les ingénieurs pour tenter de moderniser l’économie par l’industrie, dans une période de prospérité agricole et commerciale. Ses ambitions, à la fois mercantiles et industrielles, appellent à des prises de décision concertées, propres à un État moderne : elles aboutissent à faire émerger un véritable projet administratif qui transcende les règnes des souverains, ainsi qu’une nouvelle fonction technico-politique[7].

En somme, c’est au cours de ce processus historique de transition de la Tunisie vers l’économie de type colonial, alors que le pouvoir d’État beylical perdait les fondements de sa base économique et de son autonomie, que nous allons assister à la première tentative d’implantation de fabriques industrielles modernes. Cette expérience, jugée limitée, sera réalisée vers le milieu du XIXe siècle par Ahmed Bey, elle constitue historiquement le premier noyau industriel de type européen. Ainsi, le gouvernement ottoman de Tunis prend donc conscience que la consolidation du pouvoir dynastique auquel son sort est lié, passe non seulement par le contrôle de l’exportation des ressources agricoles locales, mais aussi par la rationalisation de leur mise en valeur et de la modernisation des structures économiques, conçue selon les normes de la mécanisation à vapeur[8].

Augmentation de la demande européenne de l’huile d’olives et extension des oliveraies

Si la politique d’Ahmed bey illustre l’importance accordée par l’État réformateur aux compétences techniques étrangères, la naissance de la grande industrie tunisienne n’en demeure pas moins liée à une dynamique commerciale.

L’instance centrale ne tend pas seulement à légitimer, par la science, le contrôle de ses réalisations à intérêts économiques, elle cherche aussi à optimiser les ressources des régions du pays[9].

Un constat sur la valeur de l’huile d’olive, à l’époque moderne, nous paraît indispensable pour aborder la question de la demande européenne de cette huile. En effet, elle représentait, à la fin du XVIIe siècle, l’un des articles majeurs du négoce de Tunis. De ce fait, il intéresse surtout les « autorités » désargentées : toute sortie d’huile doit obtenir un billet ou autorisation (teskerès) ; le Bey devient alors un grand marchand d’huile comme il l’avait été pour les céréales ; il considère ce produit comme un moyen de payement, en cas de nécessité. D’après les teskerès d’exportation, le savon était un article important de l’exportation tunisienne : 4.107 quintaux et 4.16/ des teskerès en l’an 1229 de l’Hégire (décembre 1813-décembre1814). Trois navires espagnols exportèrent du savon tunisien vers Mahon au cours du premier trimestre 1814. Au cours du trimestre suivant, deux charges de savon furent expédiées vers Mahon et vers Marseille.[10]

Le bey, de son côté, exige que la première huile qui sort des pressoirs lui soit réservée, en remboursement des avances qu’il avait consenties lors de la crise de 1828. Pendant plusieurs années, il se servira en priorité, dès l’ouverture des pressoirs, sans que les négociants étrangers aient un moyen de contrôler si le bey était enfin remboursé. Par ailleurs, pour tourner le traité de 1830 qui le privait du monopole, il réclame des livraisons forcées, à des prix imposés et, bien entendu, défavorables aux paysans.

Dans un premier temps, le bey tire profit de ces échanges par la vente de teskerès , droits de sortie. Puis, il tente de monopoliser ce commerce et, supprimant les droits de sortie, il commence largement cette perte en vendant l’huile deux fois plus chère qu’il ne l’achète. Mais ce faisant, il s’installe déjà dans la sujétion à l’égard des négociants européens : lorsque la demande marseillaise baisse, notamment en 1826, le marché tunisien est encombré et le bey privé de ressources. Surtout, pressé par la détresse de ses finances, il en vient à vendre l’huile par anticipation, à bas prix, pour recevoir de l’argent frais.

Cette valorisation commerciale de l’huile permet d’expliquer, en partie, le phénomène d’extension des oliveraies sahéliennes et l’augmentation, à cette époque, du prix du pied d’olivier. Divers facteurs ont joué conjointement pour provoquer cette vitalité économique : la demande des manufactures européennes en huile grasse, mais également certaines habitudes alimentaires, les besoins locaux, et les sollicitations levantines. Le cycle de l’huile signalé par Lucette Valensi, au début du XVIIIe siècle, a donc commencé durant le dernier quart du XVIIe siècle.

La Régence de Tunis n’avait jamais interrompu ses relations commerciales avec l’Europe. Même au XVIIe siècle, en pleine époque de la course, Tunis entretenait des liens commerciaux importants et réguliers avec les principaux ports de l’Europe chrétienne, Marseille, Malte et Livourne. Ce qui est donc nouveau, c’est le développement spectaculaire de ce commerce dès la fin du XVIIIe siècle avec, comme conséquence inéluctable, l’institution de nouveaux rapports entre l’Europe et la Régence[1].

Pendant la première moitié du siècle suivant, l’huile se substitue aux grains : deux navires sur trois en sont chargés. Á Livourne, sans devenir l’objet principal des échanges avec la Tunisie, l’huile gagne en importance.

Ce commerce, produit du développement de l’industrie marseillaise des savonneries, déplace le centre de gravité de l’activité économique en Tunisie. Tandis que la capitale continue d’absorber les marchandises importées, elle est supplantée aux exportations à partir de la Révolution française par le couple des ports sahéliens : Sousse et Monastir. Ils n’assurent pourtant pas tous les envois : le trafic avance toujours plus au sud, gagnant Mahdia, Sfax, et parfois Djerba. Plus que jamais, c’est le cycle de l’huile qui s’installe. Les besoins des savonneries de Marseille, plus que les récoltes, déterminent les quantités à exporter. L’huile devenait, bel et bien, le principal article d’exportation : 61,9% de la valeur moyenne des exportations tunisiennes de 1832 à 1835[2]

Si nous voyons les entrées du port de Marseille en l’an 1815, treize navires sur vingt-trois étaient chargés partiellement d’huile. Ils ont exporté de Tunis près de 31.377 métars. Deux navires étaient partiellement chargés de blé (41 couffins soit 55 quintaux environ). L’huile avait nettement devancé les céréales dans le trafic avec Marseille. Elle fut, sans conteste, le principal article d’exportation vers la France.

Tous les capitaux européens, nous disent les contemporains, s’investissent dans le commerce de l’huile. À travers les comptabilités conservées, quelques noms reviennent plus souvent que d’autres : ceux de Paolo Gnecco, d’origine génoise, dont on sait qu’il est le plus riche négociant de Tunis au milieu du XIXe siècle : Traverso, né en Ligurie, marié à Tunis ; parmi les Français, Arnaud, Vangaver, Hippolyte Rey, Pierre Gay. Ils ne sont pas seuls, car les caïds et agents du bey participent aussi aux exportations, directement ou sous des prête-noms : Farhat, Mohammed et Bakkar Djellouli, Mohammed Ben Ayed. Des juifs, enfin, indigènes ou non, se font une place dans ce commerce[3].

Le chantier de l'huilerie à vapeur de la Dabdâba: édification, dépenses, Instruments et matériaux

La date d'édification de cette huilerie n’est pas connue avec exactitude. La rareté extrême des sources et des études sur la question n’autorise pas de réponse précise. C’est par recoupement d’informations éparses qu’on peut, toutefois, appréhender quelques aspects de l’étape pionnière de l’industrialisation de l’huile d’olive avec la première apparition génération des maqîna. 

Les huileries à vapeur auraient fait leur apparition avant 1850, au cours du règne d’Ahmed Bey (1837-1855). C’est dans le cadre de son action de modernisation de l’économie du pays, que ce bey avait commandé la rénovation du complexe d'industries alimentaires de l'intendance militaire qui n'aurait été entreprise qu'en juin 1854, au début de la guerre d'Orient. Khalifa Chater, mentionne que les dépenses du chantier ont été imputées sur le budget de l'État de 1854 à 1858. Au total, l'opération aurait coûté 359091 piastres. Après expertise, Benoit refuse la commande de machines passée en France par le négociant Van Gaver, leur capacité égalant à peine les presses déjà possédées[4].

L'exemple démontre que, grâce aux conseils de son ingénieur, le gouvernement beylical se rend apte à juger des spécificités techniques des achats, et non l'inverse. Par ailleurs, vers la fin de son règne (1854), le bey ordonna l’implantation près de la Kasbah à la Dabdâba d’un complexe industriel comprenant une minoterie, une boulangerie et une huilerie moderne, appelée par les sources tantôt maqina tantôt fabriqathât al-dûlâb (à moteur) ; notons qu’à la Dabdâba, le beylik possédait aussi des pressoirs traditionnels de type sultânî , huileries à traction animale[5].

La mort du souverain Ahmed bey avait entraîné l'abandon de son palais, situé à la Muhammadiyya, voué à la démolition, celle aussi des souks, des ateliers et des casernes qui l'entouraient. Tous les établissements industriels qui y étaient concentrés devaient être réimplantés à Tunis. A l'appui de l’hypothèse de A.M. Planel, ce n'est qu'après l'achèvement des travaux d'adduction d'eau courante que la machine à vapeur actionnant l'usine de l'intendance militaire peut être mise en route ; pourtant, le nouveau bâtiment de la Dabdâba construit à la Kasbah, a été équipé dès 1860, Dubois ayant procédé aux achats et au montage des machines[6].

La minoterie de la Dabdâba[7] à Tunis, œuvre d’un général français, comprenait d’après M. Gondolfe (1922), cité par Khalifa Chater[8], en 1861, la minoterie (cinq meules, deux pétrisseurs et cinq fours) produit 8000 pains par jour; l'huilerie (équipée de 3 paires de meules et de 8 presses hydrauliques) produit 1100 litres d'huile par jour.) Cette usine de la Dabdâba utilisait donc les produits du terroir (blé, olive) et assurait le ravitaillement de la troupe, forte à l’époque de 35000 hommes (cf. carte, figure1).

Carte : Localisation géographique de la Dabdâba[1] 

Source : http://www.antiquaprintgallery.com/africa-tunisiatunisie-tunis-old-city-map-plan-1911-125336-p.asp

 

                                                                        Fig1 :  Rue de la Dabdâba

 

 

En effet, l’huilerie, al-maqîna al jadîda , n’avait été achevée et équipée que sous le règne de Mohammed Sadok Bey, sous le contrôle de l’ingénieur M. Dubois, entré en service du bey en 1854. Ce dernier fut envoyé, en France, en février 1860 pour acheter les presses à huile et les moulins à blé[1]. Achevée et équipée par Mohammed Sadok Bey, l'usine devait entrer en fonctionnement vers 1861[2]. Les travaux ont dû coûter une somme remarquable : mis à part le coût du matériel mécanique, les archives enregistrent les différentes pièces, ainsi que certains produits nécessaires pour la construction et les dépenses engagées pour les travaux d’installation de la machine[3]. Malgré les difficultés de la documentation, un inventaire sur les dépenses, ainsi que les différents types et composantes des huileries, sur les ateliers de fabrication de leurs pièces, de l’extraction de la matière première jusqu’à la fabrication, le transport, le montage et l’installation, nous paraît nécessaire pour mettre en valeur cette expérience industrielle.

Pour réaliser son programme « industriel », le Bey devait donc engager des capitaux considérables. Les ressources du beylik (8-10 millions de piastres, soit 6 à 7 millions de francs) pouvaient difficilement suffire à toutes les dépenses militaires englobant les réalisations industrielles[4].

Jean Ganiage, de son côté , estime que les dépenses militaires finirent par absorber les 2/3 des ressources beylicales, et il a fallu, pour soutenir cet effort militaire et industriel, créer toute une série d'impôts, de monopoles et de fermages…l'argent ne tarda pas à manquer et on dut licencier dans l'armée et fermer les manufactures les unes après les autres[5].

Enfin, pour ces réalisations industrielles, les capitaux disponibles se sont avérés insuffisants, du fait non seulement de l’importance des investissements effectués, mais aussi parce qu'une part importante des ressources du beylik furent englouties dans des constructions somptueuses, dans une consommation de luxe propre à cette classe dirigeante parasitaire.

La décision qui est présentée par différents historiens comme une preuve de désengagement, s'inscrit en fait dans une politique plus large de contraction budgétaire, après la participation de la Régence à la guerre d'Orient.

L’ouverture du chantier nécessite, toutefois, des capitaux considérables que l’État ne peut mobiliser directement, dans une conjoncture d’après-guerre caractérisée par de lourdes restrictions financières. Il fallut donc trouver les ressources financières nécessaires par une fiscalité outrancièrement répressive.

Les dépenses enregistrées pour la construction d’une usine fabrika qui se compose d’une huilerie de graine d’olives et un moulin à moudre les grains de blé à la Dabdâba, au voisinage de kasbah, sous la direction de Mustapha Khaznadar et la supervision de Hasouna ben Ramdhan chargé de cette affaire. Depuis Shawwal 1270 jusqu’à 1275H/ Juin 1845 –Décembre 1858. 

Les dépenses du chantier de la Dabdâba de shawwal 1270 (2 juin1854) à 1275(1858-1859)[6]

La somme des dépenses en piastres

 date

12.810

1270/1853-1854

38.081

1271/1854-1855

84.466

1272/1855-1856

43.936

1273/1856-1857

152.320

1274/1857-1858

27.478

1275/1858-1859

359.091

Total

Ainsi, il nous paraît intéressant de dresser une liste sélective pour savoir les différents types et composantes des huileries, sur les ateliers de fabrication de leurs pièces, de l’extraction de la matière première jusqu’à la fabrication, le transport, le montage et l’installation.

Liste sélective des métiers, des instruments et des matériaux destinés à la construction de l’huilerie de la Dabdâba en décembre 1858

(d’après le livre de compte du chantier de la Dabdâba)[1]

 

Dans le livre de comptes[registres numéro 2106], on trouve également la somme dépensée dans le chantier des travaux de l’installation de la nouvelle machine dans l'huilerie de la Dabdâba en 1276-1278H/1859-1862 : « Louange à Allah, …59015 rial[piastres] et 3 nasri [aspres]la somme dépensée par Mahmoud Aziz chargé des travaux de l’installation de la nouvelle machine dans l'huilerie de la Dabdâba sous la direction de l’ingénieur Dubois, le jeudi, 11 Muharram 1278H »[1]. Ainsi un dépouillement du livre de comptes [registres numéro 2016] nous permet d’apporter un nouvel éclairage sur les artisans, et les matériaux nécessaires pour les travaux de l’installation de la nouvelle machine   dans l’huilerie de la Dabdâba.

 Liste sélective des artisans, et des matériaux nécessaires pour les travaux de l’installation de la nouvelle machine dans l’huilerie de la Dabdâba en 1276-1278H/1859-1862 [2]

Les dépenses en piastres

Artisans, et matériaux nécessaires pour les travaux

Les années (hégire)

9

Salaire de deux maîtres maçons
« mucallim al binâ' » pour la construction du support des scourtins.

Mercredi 17 Chawwal 1276H/1859-1860.

5

Salaire des maîtres maçons
« mucallim al binâ' » pour revêtement du support des scourtinsen plâtre.

Samedi Safer 1277H/1860-1861

10

Salaire des maîtres maçons
« mucallim al binâ' » pour l’installation des pompes.

Jeudi Rabic II 1277H/1860-1861

34

mtarou métal d’huile pour le huilage de la machine « maqina »

Samedi Dhulhijah 1277H/1860-1861

-

Le prix de la charge de 4 charrettes de chaux destinées pour les huileries Sultânî à la Dabdâba.

Mardi 9 Jumada I 1278H/1861-1862

32

Le prix de deux barques chargées du transport des pièces détachées de la machine « maqina » de la Goulette jusqu’au lac de Tunis

Lundi 15 Jumada I 1278H/1861-1862

 L'huilerie à vapeur : un projet sans écho ? La relativité de l’échec du projet 

Alors que le pouvoir d’État beylical perdait les fondements de sa base économique et de son autonomie, et que l’on assistait à la transition de la Tunisie vers l’économie de type colonial, une première tentative d’implantation de fabriques industrielles modernes vit le jour. Cette expérience, du reste limitée, sera réalisée vers le milieu du XIXe siècle par Ahmed Bey, elle constitue historiquement le premier noyau industriel de type européen. Le mouvement de modernisation qui avait été la grande affaire du règne d’Ahmed bey (1837-1855) avait largement échoué bien avant la fin de règne de ce souverain.

Pour expliquer l'échec de cette première expérience en Tunisie, divers arguments ont été mis en avant par les études antérieures. En fait, l’huilerie à vapeur est jugée comme une petite ou moyenne entreprise légère, construite généralement par des ingénieurs français dotée de machines à vapeur et liée à l'existence de matière première agricole locale : l’huile d’olive. C'étaient donc les premières industries modernes de transformation, elles ne constituaient évidemment que des enclaves dans une économie en voie de colonisation directe[3].

C'est au cours de ce processus de la précolonisation, alors qu'il perdait les fondements de sa base économique et de son autonomie, que le pouvoir beylical tenta d'implanter quelques fabriques industrielles modernes. Cet essai fort limité « d'industrialisation » aboutit à un échec et à une soumission encore plus forte de la Tunisie aux capitalismes européens. Dans ce processus conduisant à la colonisation, le capital de commerce, d'usure et de prêt dominant et exploitant tour à tour l'économie tunisienne, ont été les facteurs les plus énergiques d'une accumulation de richesses et de moyens productifs au profit de l'Europe.

Désindustrialisation et désaccumulation caractérisent, à grands traits, ce processus historique qui a abouti à la soumission coloniale[4].

En focalisant leurs investigations sur l’échec des expériences de la grande industrie ottomane, très tôt donnée en affermage, les historiens du Moyen-Orient (et du Maghreb) auraient ainsi manqué d’observer la vitalité des établissements industriels, de plus petite taille, qui ont su créer un réseau de relations avec les zones rurales de l'Empire ottoman. Dans le cas de la Régence de Tunis, d’autres usines, notamment les huileries à vapeur (publiques ou privées), ont été installées, tout au long du XIXe siècle.

Ainsi, ces mêmes études concluent à l’échec du mouvement de réformes dans la mesure où, ni sur le plan local ni au niveau impérial, les prétentions des grandes puissances européennes (France, Russie) ne purent être repoussées : tout à tour, les anciennes provinces (eyâlat) perdirent leur autonomie, se transformèrent en colonies, protectorats ou, pour quelques-unes, en mandats, après la disparition de l’empire dans la tourmente de l’après première guerre mondiale.

Cette analyse superficielle faite sur le mode de l'échec a été construite par les historiens qui, bénéficiant d'un recul nécessaire, ont pu observer l'avortement de mesures qui n'ont donné lieu ni à un régime éclairé ni à une dynamique économique. Les réformes ou plus exactement leurs effets furent jugés négativement[5], après coup et au vu de ce qu'il devait advenir du pays: le demi-siècle qui s'étend de 1830 à 1881 a même été appelé « période de crise » qui a mené inéluctablement à l'occupation étrangère.

Une telle explication ne nous renseigne que d’une manière incomplète et superficielle sur les causes réelles de l’échec du projet d’Ahmed bey. Nous éviterons donc de céder à ce genre « d’histoire globale basée sur la généralisation ». Ainsi, il faut remettre en cause la vision euro-centrée et écrire une histoire de la Tunisie au XIXe siècle libérée des préjugés hérités de la période coloniale. Ce constat nous conduit à chercher une explication rationnelle et relative des motifs de l’échec du projet de L'huilerie à vapeur de la Dabdâba.

Les suspensions du projet

Après expertise, Benoît refuse la commande de machines passée en France par le négociant Van Gaver, leur capacité égalant à peine les presses déjà possédées[6]. Cependant, dès 1844, Benoit avait projeté d'acheter de nouvelles presses pour les ateliers alors situés à La Muhammadiyya. Le projet reste en suspens suite à son décès ; mais aussi parce que la future minoterie n’est mise en fonction qu’en 1861, après la restauration de l’aqueduc de Zaghouan[7].

Le maître d'œuvre gagne l'estime du bey : Benoit est promu ingénieur Bach-muhendiz du gouvernement. En 1852, il contrôle les machines à vapeur achetées à Malte pour moudre le blé et presser l'huile, destinées au nouvel entrepôt tunisois de l'intendance militaire (Dabdâba). Mais cette carrière de dix-sept ans passés au service de la modernisation de structures économiques est interrompue par son assassinat, alors que le souverain venait de lui confier l'étude de l'approvisionnement en eau du domaine de La Muhammadiyya.

Un projet manutentionné par Ahmed Bey, délaissé par le contre- réformisme de Muhammad bey, achevé et équipé par Mohammed Sadok Bey.

En dépit de l’enrichissement de l’historiographie et la diversité des sujets abordés par les historiens sur le règne d’Ahmed bey (1837-1855), le règne de son successeur (1855-1859) est demeuré marginal. Notons, cependant, qu’une étude collective récente intitulée « Réformes de l’État et réformisme au Maghreb (XIXe-XXe siècle) » est venue compléter en creux, les travaux sur les réformes[8]. Ainsi, c’est le cas du règne de Muhammad bey, étudié par Leila Temime Blili dans l’un des articles de l’ouvrage cité ci-dessus, qui est assez significatif et auquel on recourt afin de trouver des réponses à nos questionnements.

En effet, durant la période de bouillonnement réformiste, alors que de grands chantiers avaient été mis en route, Muhammad bey qui résidait dans un palais à la Marsa, village littoral au nord de Tunis, vivait presque en marge de la vie politique. Ses préoccupations semblaient se situer en dehors de toute affaire d'ordre public. Certes, en montant sur le trône en mai 1855, il allait camper son nouveau personnage de souverain, en prenant des décisions politiques telles que les nominations et les destitutions des ministres, l'envoi de cadeaux à Istanbul ou l'allègement de certains impôts. Mais, en même temps, il instaura une rupture avec le règne précédent, revint sur l'essentiel des réformes prises par son prédécesseur par la dissolution des troupes régulières, la fermeture de l'école militaire ; il eût même la tentation de revenir sur l'abolition de l'esclavage. De ce point de vue, il peut effectivement être considéré comme un contre-réformiste. Cependant, en portant la réflexion en dehors du seul cadre institutionnel, il semble possible de corriger ce portrait, de découvrir qu'il a assumé d'autres effets induits des réformes, plus durables, parmi lesquels un auto-discours sur la vie privée.

Seulement, le domaine de la Muhammadia ne tint pas ses promesses et, à la mort d’Ahmed bey le 30 mai 1855, il s'écroula comme un château de cartes. Muhammad bey ordonna également d'enlever tout ce qui pouvait être transporté, (meubles, tentures, portes et fenêtres, faïences, etc.), faisant de ce palais une véritable ruine et réutilisant les matériaux dans le palais qu'il était en train de faire édifier à la Marsa[9]. Personne ne regretta sa disparition, pas même les proches du souverain défunt qui ne cachèrent pas leur contentement de quitter La Muhammadia : l'opinion que Ibn Abi Dhiâf exprime dans sa correspondance privée, libre de toute contrainte, n'est pas causée par l'arrêt des réformes dont il demeurait un fervent défenseur, mais bien par le rejet d'une conception de l'État rompant avec une tradition urbaine et de proximité.

En effet, l’intérêt porté par Muhammad bey à des projets privés s'accompagne d'une renonciation à une grande partie des réalisations issues de la réforme, parmi les plus coûteuses : les régiments de l'armée régulière furent dissous après la guerre d’Orient ; la manufacture textile du Batan mise en place en 1844, bien que maintenue en activité, elle ne fit plus l'objet d'une administration direct[10]. Ces renonciations successives aux divers projets de modernisation technologique, dans une période où se reformule la révolution industrielle en Europe, doivent-elles être imputées à la seule volonté du prince et à son incompréhension de choix économiques dont il ne saisit pas l'enjeu? Dans son fonctionnement, ce prince demeure assez impulsif car, faut-il le rappeler, il est totalement analphabète et juge les faits selon sa propre appréciation, souvent étriquée, contrairement à Ahmed bey, curieux, féru d'histoire et de lectures. Néanmoins, son inculture était compensée par une observation de l'état de la société qui l'entourait, en particulier d'une conjoncture financière difficile, aggravée par la participation militaire de la régence de Tunis dans le camp des Ottomans contre la Russie, et par la fuite du fermier général du royaume (juin1852)[11].

Malgré la multiplication des problèmes, dus à l’arnaque du négociant Van Gaver, à l’encontre du bey Ahmed, [12] ainsi que la politique contre-réformiste de Muhammad bey, l’huilerie à vapeur de la Dabdâba demeure un projet fonctionnel et retentissant. La permanence du projet malgré les difficultés démontrerait, s’il en est besoin, l’intérêt politique porté à l’établissement.

L'huilerie à vapeur de la Dabdâba : un projet qui demeure fonctionnel et retentissant malgré les problèmes budgétaires du XIXe siècle et de transfert technologique

Sans prétendre apporter, ici, des éléments de réponses au débat sur la réforme, une nouvelle recherche archivistique sur la monographie de l’entreprise, nous a conduits à mettre en question le dysfonctionnement et l’échec du projet de l'huilerie à vapeur de la Dabdâba. L'exemple de cette modernisation technique autorisé à reconsidérer les modalités prises par une politique réformatrice, et pas seulement ses limites. D. Quataert[13] montre que les industries de l'Empire ottoman n'auraient pas toutes connu un déclin : les historiens auraient manqué d'observer la vitalité des petits établissements qui surent créer un réseau de relations avec les zones rurales. La création d'un appareil de production de type industriel, dans un pays précapitaliste, peut paraître, aujourd'hui, illusoire. On ne peut, pour autant, occulter les options dirigistes de l'État beylical, comme l'ont fait certaines recherches qui, en se fondant sur l'idée d'un développement national autarcique[14], ont privilégié l'analyse du processus de mise en « dépendance précoloniale »[15]. En dehors du facteur déterminant que représente la concurrence européenne, les causes de l'échec final de l'entreprise d'État sont aussi à rechercher dans la structure politique du pays, comme dans ses modalités d'administration des projets industriels.

Malgré, la gestion beylicale fondée sur une confusion entre les attributs publics et privés de la puissance, détournant une partie des bénéfices industriels dans la rente d'État et qui n'a pas permis de réinvestir les éventuels profits dans le renouvellement nécessaire de l'équipement[16], la réforme économique, imposée par le prince Ahmed bey, en 1838, a été préservée par les élites dirigeantes, jusqu'à la faillite de l'État dynastique et la domination militaire du pays par la République française (1881-1883). En effet, si l’huilerie à vapeur de la Dabdâba dans la ville de Tunis n'a pas été en mesure d'entrer en concurrence avec celles des pays européens, elle demeure un projet fonctionnel et retentissant.

Une investigation dans les registres fiscaux constitue une source de référence, elle nous offre une série de renseignements précieux sur l’état de l’huilerie à vapeur de la Dabdâba après l’édification, sur les chantiers des travaux de restauration, les dépenses pour l’entretien de l’usine, l’impact de l’installation de l’huilerie à vapeur sur le niveau technique de l’industrie de l’huile, etc.

 Les travaux de maintenance 

D’après le livre de comptes [registres numéro 2103] du chantier des travaux de restauration des huileries dans la Dabdâba en 1275H/1858-1859, le beylik engage des intendants et ses gérants (wûkala) tels que le cas de Abî’Abbes Hmida Aziz pour la réparation des huileries de la Dabdâba et l’achèvement de la construction des dépôts d’olives (ahrya ) selon une convention bien déterminée. Le beylik a donné l’ordre également de peindre les huileries : « 11,1/2 piastres, salaire de 2peintres (bayâda) et 2 apprentis (snâc) le mardi 18 Rabic II 12787H/1861-1862 »[17]. Ainsi, pour avoir des huiles de bonne qualité, le beylik a pris en considération le nettoyage des olives : « 12,1/4 piastres, salaire de 7 ouvriers chargés du triage des olives le samedi 20 Jumada I 1278H/1861-1862 »[18] .

Un tel comportement reflète évidemment le souci de Beylik à avoir une huile de bonne qualité qui obéisse aux exigences de la demande européenne. Ainsi, cette demande européenne exigeante et croissante consolidée par une bonne récolte de l’année 1278H/ 1861-1862, peut expliquer l’initiative de beylik à pousser les ouvriers des huileries à travailler jour et nuit:« 28 piastres, salaire de 8 ouvriers pour l’extraction d’huile jour et nuit et ce, le dimanche 21 Jumada I 1278H/1861-1862 »[19]

Le livre de comptes [registre numéro 2246] concerne également les dépenses pour l’entretien de l’usine « fabrîka » et de deux huileries à Dabdâba 1280-1281H/1863-1865après l’édification. Dans l’une des feuilles de ce registre, sont mentionnés les comptes de Mahmud Aziz sur les recettes et les dépenses de l’usine et de deux huileries déjà citées.

 

Liste des comptes de l’usine « fabrika » et deux huileries à la Dabdâba durant deux ans : 1280-1281H/1863-1865[1]

Un projet qui demeure productif en dépit de la crise des années soixante du XIXe siècle

D’autres registres fiscaux et documents administratifs fournissaient des renseignements de première main sur le fonctionnement de l’huilerie à vapeur de la Dabdâba et mettaient en controverse la question de dysfonctionnement de ce projet. En effet, le livre de comptes [registres numéro 2104] mentionne les dépenses concernant l’usine « fabrika » de la Dabdâba pour le broyage des olives et l'extraction de l'huile d'olive à partir du jeudi 2 Jumada I 1275H/1858-1859[1]. Ainsi, nous déduisons, à partir du livre de compte [registres numéro 2016] concernant les dépenses consacrées à l’usine de la Dabdâba pour le broyage d’olives et l’extraction de l’huile d’olives, l’attention portée par le Beylik à la propreté de l’huilerie :« 8,3/4 piastres , salaire de 5ouvriers chargés du nettoyage des huileries sultânî, le 17 Jumada I 1278H/11861-1862 et12,1/4 piastres, salaire de 7 ouvriers chargés du nettoyage des dépôts « khwâsir » et les citernes « jwâbi » le mardi 23 Jumada I 1278H/1861-1862 »[2].

Nous trouvons également dans le livre de comptes [registrenuméro 2246] page 55 une réclamation des dépenses au temps de l’insurrection de 1864, estimées à 1477,1/2 piastres (rial) et 3 aspres (nasri) pour l’extraction d’huile avec la machine à vapeur « babour » de Dhuqacdah 1280H/1863-1864jusqu’à Muharram de l’an 1281H/1864-1865»[3]. Par ailleurs, une main-d'œuvre spécialisée est chargée de la gestion et de l’exécution des travaux nécessaires pour l’extraction d’huile :

 Liste sélective de la main-d'œuvre de l’huilerie à vapeur « babour »[4]

 la main-d'œuvre (artisans et  ouvriers )

Les années (hégire)

Raïs

Vendredi 3 Dhulqacdah 1280H/1863-1864

Les meuniers

Les ouvriers chargés du tri « au lancé » « nafadha ».

Les artisans des couffins

Les ouvriers chargés de l’extraction d’huile avec huilerie à vapeur babour » »

Dimanche 7 Muharram 1281H/1864-1865

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette équipe d’ouvriers et artisans est supervisée par le Raïs dont la fonction permanente consiste à surveiller, par des contrôles, la marche des établissements industriels.

Le recrutement d’une main-d’œuvre spécialisée attestée dans la documentation archivistique reflète, d’une part, la persistance des activités productives de l'huilerie à vapeur de la Dabdâba au temps de la crise des années soixante et d’autre part, la conviction du pouvoir central de la nécessité de perfectionner des ouvriers d’industrie afin de développer, à la fois, le secteur manufacturier et les rouages institutionnels. Enoncée dans les écrits de khayr ad-Dîn dès 1862, l’idée d’un enseignement professionnel est indispensable[1].

L'importance des huileries à piston dans la deuxième moitié du XIXe siècle : signe d'un progrès sensible dû à l’impact de l’installation de l’huilerie à vapeur

Un Recensement des huileries du Sahel élaboré par les élèves de l’Ecole polytechnique du Bardo offre également une série de renseignements sur le niveau technique de l’extraction de l’huile d’olive dans les années soixante du XIXe siècle.  

 

[1] Kheireddine Pacha, parfois appelé Kheireddine Ettounsi, né en 1822 ou1823 et décédé le 30 janvier 1890 à Istanbul, est un homme politique d'origine circassienne qui devient grand vizir de la Régence de Tunis puis de l'Empire Ottoman. Il assume un rôle de réformateur dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

Recensement des huileries du Sahelpar les élèves de l’Ecole polytechnique du Bardo. Bibliothèque Nationale. Don de H.H Abdel Wahab .N° 18669, (L’exemple de quelques localités des caïdats de Sousse et de Monastir)[1]

Le document ci-dessus, concernant la répartition des huileries dans les localités des Caïdats de Sousse et de Monastir est incomplet si on tient compte du fait que le caïdat de Monastir regroupait environ 29 localités réparties entre des villes et des villages, un peu moins pour le caïdat de Sousse.

L'importance des huileries à piston est révélatrice d'un progrès sensible de cette industrie dans le Sahel. Nous ne trouvons ici que la ville de Sousse qui comptait 7 huileries à eau, soit le double en huilerie sultânî, 9 fois plus dans la ville de Msaken, 3,5 fois dans la ville de Monastir et une absence provoquante de huileries à eau à Mahdia [1] suite à une domination remarquable de 28 huileries sultânî. Cette augmentation de nombre des huileries sultânî est attestée également dans plusieurs villages où les techniques artisanales étaient prédominantes. Ainsi, le caïdat de Monastir comptait 311 huileries dont 202 de type sultânî et 109 huileries à eau. Les principales familles liées à l'industrie de l'huile étant les familles MALOULI, CHOUCHANE, CHELLI…[2] dans le Caïdat de Sousse NOUIRA, BOUZGARROU, GHANDRI…[3] dans le caïdat de Monastir. L'importance des huileries à piston est significative d'un progrès sensible de cette industrie dans la ville, contrairement à plusieurs villages où les techniques artisanales étaient prédominantes.

La connaissance de ces données statistiques des huileries aux Sahel nous conduit à évoquer l’hypothèse de la confusion commise entre l’huilerie à vapeur et l’huilerie sultânî dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Cette confusion s’explique par le fait qu’à la Dabdâba , le beylik possédait aussi des pressoirs traditionnels de type « sultânî », huileries à traction animale[4]. Ainsi, la « macsara » peinte par Charles Lallemand au XIXe siècle[5], (cf. figure 2) reflète la confusion faite entre une huilerie moderne, appelée par les sources tantôt « maqina » tantôt «fabriqathât al-dûlâb » (à moteur) et des pressoirs traditionnels de type « sultânî », huileries à traction animale.[6] Toutefois, la pénétration de l’huilerie moderne semble rester, jusqu’au lendemain du Protectorat, à la fois lente et inégale selon les régions. Cette lenteur s’explique par le fait que « toute invention qui frappe à la porte doit attendre des années ou mêmes des siècles pour être introduite dans la vie réelle »[7].

Fig. 2 : Huilerie à vapeur

             Source : LALLEMAND (Charles) (1892), la Tunisie, pays de protectorat français ; texte et dessin, Paris Libraire Imprimerie. Réunies, 253.p ; aquarelles.

 L'huilerie moderne de la Dabdâba : un projet typiquement beylical qui n’a pas subi le même sort que les autres exemples de l'huilerie privée à vapeur dans la Régence

Cette entreprise beylicale était-elle la seule ou la première implantée dans la  régence ? Il est difficile de l’admettre ! Toutefois, la propriété de fabrique moderne était l’objet d’enjeux importants et même de monopole ou de concessions très particulières. Ainsi, le cas de Félicien Jonquier[1], cité par Anne-Marie Planel[2], est assez significatif. Ayant voulu créer une huilerie privée à Mahdia, Jonquier décide en 1852, à 32 ans, de promouvoir une usine de traitement des marcs d'olive, à usage commercial. Son initiative semble soutenue politiquement, car il est nommé, en même temps, agent consulaire à Mahdia, puis, en 1853, à Monastir. Il acquiert des olives et des marcs, achète chevaux et mulets pour les transporter. Il recrute parallèlement un contremaître de France, et, de Tunis, trois techniciens. Enfin, pour installer sa fabrique, il importe de France des machines, mais il ne sollicite pas d'autorisation gouvernementale. Selon lui, « il n'y a de prohibé dans le pays que les industries nominalement défendues » et, en vertu des traités, « toutes les opérations commerciales sont permises aux français établis dans la régence de Tunis ». Dans un premier temps, le débarquement provisoire des machines est autorisé, mais leur montage est frappé d'une prohibition officielle, sans qu'une enquête ait permis de prendre connaissance de la puissance de son moulin à vapeur. Les démarches de Jonquier demeurées sans résultat, il s'adresse directement au bey, en janvier 1855. Il a dû licencier les personnels, leur payer salaire et leur verser une indemnité pour frais de retour et résiliation de contrat. Il a aussi revendu les animaux de traits. S'il abandonne des engins et des olives, pour une valeur de 100 000 francs, en compensation de ses pertes, il réclame néanmoins 1000 francs d'indemnité par jour de retard apporté à l'ouverture de l'usine.

L'affaire se complique quand le bey défend aux habitants de Mahdia de travailler dans le bâtiment que l'entrepreneur continue d'élever. L'ordre intervient alors qu'il « est occupé de sa toiture ». En réaction à cette mesure coercitive, ce dernier propose de remettre les clefs de l’usine au Khalifa, l'autorité gouvernementale locale ; puis il fait acte d'abandon de ses constructions comme il l'avait fait de ses machines, abandonnées sur la plage où l'eau de la mer et le sable « ne peuvent tarder de les mettre entièrement hors de service ». En dédommagement, Jonquier réclame à nouveau 30000 francs pour les constructions et 50000  francs pour les machines, sans préjudice des autres dommages : faute de local pour les remiser, ses olives sont déposées en mars 1855 sur la plage de Mahdia.

L'entreprise de Félicien Jonquier est exemplaire en raison même de son insuccès. Son choix d'implanter une industrie alimentaire dans une ville du Sahel oléicole paraît approprié. Ses plaidoiries insistent sur le fait que cette usine, « loin d'être montée sur des bases colossales capables d'apporter de la perturbation dans l'exploitation de celles du pays » est     « montée sur des bases très modestes, telles que tout commerçant peut en établir ». Mais, selon ses dires, il existerait, déjà en 1854, vingt-quatre moulins à huile dont quatre sont possédés par des Européens : l'anglais Cesana, le toscan Costa, le tunisien David Lumbroso, tous trois, beaux-frères du docteur Lumbroso, ainsi que le napolitain Violante. Jonquier est entré en concurrence avec le clan familial du Premier Médecin du Bey. Or, leurs moulins ne seraient pas, plus que le sien, fabriqués avec des produits du pays, les presses venant de Trieste, les chaudières de Gênes et les meules de Tripoli ou d'Alexandrie. Autre argument avancé pour sa défense, et s'apparentant aux idées physiocrates, il aurait cherché à investir dans une activité nouvelle jusqu'alors délaissée. Au lieu d'introduire de la concurrence, le négociant pense donc faire une opération licite qui « est avantageuse aux habitants et au trésor du Bey ». En revanche, la défense de travailler « chez lui » lui paraît être « la plus grave des mesures qu'il soit possible de prendre »: elle « le met en interdit et le condamne à une espèce de mort civile » : « il n'y a, dit-il, aucune loi écrite dans le pays qui n'est régie que par la volonté de ceux qui commandent et c'est à cause de cela que les traités veulent impérieusement qu'aucune mesure ne soit prise contre un français sans l'intervention de l'autorité consulaire »[3].

Deux ans avant l'adoption du Pacte fondamental, cette double revendication de codification des règles économiques et de reconnaissance juridique des étrangers serait une aspiration plus importante que la protection en tant que telle. Elle fait écho à d'autres protestations d'entrepreneurs indépendants dont l'activité se heurte, de façon plus conjoncturelle, à des difficultés administratives amplifiées, soit par les mesures plus contraignantes d'une nouvelle bureaucratie centralisatrice, soit par les pratiques arbitraires de groupes d'intérêts rivaux agissant au sein du makhzen. Il paraît également qu’une affaire similaire s’est reproduit e en mai-juin 1859[4], lorsque deux associés, un français et un sicilien, s’étaient vu interdire de créer une huilerie à vapeur après avoir achevé le bâtiment, importé six meules de Sicile et commandé les machines à la Cie Forges et Chantiers de Marseille.

Une telle attitude beylicale vis-à-vis des projets industriels privés sur les lieux même de la production de l’huile, nous incite à réfléchir sur les raisons concrètes qui expliquent le refus de Ahmed bey (1837-1855) ainsi que ses successeurs d’un tel projet alors qu’ils tiennent, à savoir Ahmed bey et de Mohammed Sadok bey : 1859-1882 au projet beylical de la Dabdâba. Or, pourquoi Ahmed bey (1837-1855) ainsi que ses successeurs étaient-ils contre l’installation des huileries privées par des étrangers au sahel ?

Mise à part les plaidoiries de Félicien Jonquier et ses dires qui insistent sur le fait que cette usine « est avantageuse aux habitants et au trésor du Bey », le refus du beylik des projets de l’édification des huileries privées par des étrangers s’explique par plusieurs hypothèses : la première est liée à la politique monopolistique du bey de certains produits notamment l’huile d’olive. La deuxième hypothèse est liée à l’échec de l’expérience d’Ahmed bey ainsi que la tentative de tromperie qu’il a vécue. La troisième hypothèse est liée à la faiblesse de rentabilité de ces huileries à vapeur, par rapport aux huileries déjà existantes, depuis des siècles, en Tunisie, ainsi que la réticence des habitants de la Régence vis-à-vis des nouvelles huileries à vapeur importées de l’Occident chrétien et leur attachement aux héritages techniques et au savoir-faire ancestral.

Conclusion  

Si l’on prend en considération les expériences industrielles parachevées par un échec au cours du projet réformateur d’Ahmed Bey, on en conclut que le manque d’écho et la rareté des références historiques à propos de la Dabdâba n’est pas essentiellement le fruit de l’échec de l’expérience d’Ahmed Bey mais surtout le résultat du manque d’intérêt que lui portent les narrateurs. Cette négligence  peut s’expliquer par deux hypothèses, la première est liée à l’attitude contradictoire de Ahmed bey vis-à-vis-des projets des différentes huileries à vapeur, la deuxième est en rapport avec la sous-estimation de cette expérience jugée médiocre face à une population experte dans l’extraction de l’huile, dotée d’un savoir-faire ancestral et désintéressée par cet échec.

Ceci dit, malgré l’évidence et l’incontestabilité de cet échec, il s’avère impératif de mettre en relief les véritables causes, longuement sujet, d’une polémique par les historiens. Ainsi, d’une part, cet échec s’explique par une divergence profonde entre deux types de capitalisme, l’un fondé sur un idéal productiviste et corporatiste et l’autre sur une mentalité spéculative privilégiant l’intérêt financier et d’autre part, par l’incapacité financière de l’État à remplacer les machines, suivi par l’insurrection de 1864 et la crise politique contre le pouvoir des caïds qui exigent une réduction de l'impôt de capitation, la suppression des taxes sur les transactions et la refonte du système douanier, notamment l'abolition du monopole à l'exportation des produits agricoles et manufacturés.

L’insurrection générale du pays a provoqué l’échec du projet. Ainsi, la répression militaire de l’insurrection, le caractère encore plus autoritaire du prélèvement fiscal, l’accumulation de calamités naturelles, les dysfonctionnements internes du commerce et la multiplication des fraudes et de la corruption ont accentué la crise du secteur oléicole et la déstructuration économique et sociale du pays[5].

Glossaire

Amîn : Chef d’une corporation.

Bacha (ou Pacha) : Gouverneur de la province, représentant le Sultan, nommé théoriquement pour trois ans. Pendant les premiers temps de la présence ottomane, cette charge détient la primauté sur toutes les autres instances. À partir de1591, après des révoltes au sein du corps des janissaires, elle est déclassée au profit du dey. Après 1659, le Bacha est à nouveau déclassé au rang de troisième
« puissance» dans la régence de Tunis.

Bardo : Résidence des beys aux environs de Tunis.

Bey : Depuis le début du XVIIe siècle, le bey est le commandant du camp militaire chargé de la collecte des impôts. Cette charge/institution prend de l’importance avec Moratto Corso Bey entre 1612 et 1631, puis avec son fils Hammouda entre1631 et 1659. De 1631 à 1659, l’institution déclasse toutes les autres et le bey devint le premier personnage de la régence.

Beylik : Domaine du pouvoir et de la souveraineté du bey.

Caïd : Chef de communauté, administrateur ; on parle de hiérarchie caïdale.

Dey : Au début de l’époque ottomane en Tunisie, le dey est un sous-officier puis un officier du corps des janissaires. Depuis 1591, suite à une rébellion contre les grands officiers de ce corps, les deys prennent le pouvoir collectivement avant de s’effacer devant l’un d’entre eux qui devint le Dey de Tunis et chef de la milice ottomane. En tant que première « puissance » du pays, le dey devait incarner pendant près d’un demi-siècle la première institution devant celle du pacha. Cette primauté deylicale a été supplantée par la promotion des beys entre 1631 et 1659.Mais l’institution deylicale a existé jusqu’au XIXe siècle.

 Hussaynites (Hussaynya) : Partisans de Hussayn Ben Ali durant la guerre de1728/1740 contre Ali Pacha. Par la suite, le terme désigne les partisans de la dynastie hussaynite. Les premiers beys hussaynites sont : le fondateur Hussayn Ben Ali (1705-1735/1740) ; Ali Bacha, neveu de Hussayn (1735/1740-1756) ; Mohammed Bey Errachid (1756-1759), fils de Hussayn; Ali Bey Bacha, fils de Hussayn (1759-1782); Hammouda Pacha (1782-1814).

Idala : Unité de mesure de poids, l’équivalent de trente scourtins remplis  d’olive.

Khwâsir : Dépôts des olives dans les huileries.

Kzadriya : Potier d'étain est le nom de l'ancien métier de ceux qui façonnaient des contenants et des instruments de cuisine avec de l'étain.

Makhzen : Territoire (ou réseau) sur lequel s’exerce la souveraineté directe du pouvoir. L’origine du terme suggère le sens de réserve, magasin, compris comme la base des ressources, humaines et matérielles, du pouvoir.

Nâsî : Petite monnaie en argent (1 piastre équivaut 52 nâsrî-s).

Raïs ou Reis est un mot arabe (en arabe : raʾīs, رئيس) signifiant « chef ».

Régence (Wilaya ou iyala) : province ottomane.

Waqf : Bien de main-morte, se dit aussi habous.


Notes

[1] Arrivé en Tunisie de Marseille à l’âge de 24 ans, Félicien Jonquier, (fils de Louis Jonquier), prolonge son séjour durant une trentaine d'années au moins. Il avait immigré pour des raisons familiales. Voir (A.M Planel, 2000 p. 353 note 41)

[2] Cette synthèse s’appuie sur la thèse de doctorat de A.M. Planel intitulée : De la nation à la colonie : la communauté française de Tunisie au XIXe siècle d’après les archives civiles et notariées du consulat général de France à Tunis (1814-1883), Paris, EHESS, 773 pages. Soutenue en novembre 2000,3 vol. dactylographiés, sous la direction de Lucette Valensi.

[3] MIN, Tunis, 30 janvier 1855. Le 4 mars 1855, une quatrième requête de Louis Jonquier nous informe que la signification à Bey de sa protestation a été différée par le gérant du consulat de France, mais que les requêtes ont été portées à la connaissance du Bey. Cité par Anne-Marie, Planel, De la nation à la colonie, op.cit., p. 355.

[4] L'autorisation d'établir un moulin à vapeur est refusée à deux associés, un Sicilien et un Français. Ils ont fait venir de Sicile, pour 1200 piastres, six pierres à moulin et ont presque achevé le local ; ils ont, en outre, commandé les machines auprès de la Cie Forges et Chantiers, à Marseille (MIN 775, 29 mai et 11 juin 1859), Anne-Marie, Planel, De la nation à la colonie, op.cit., p. 353, note de bas de page 44.

[5] Planel, A.-M., De la nation à la colonie, op.cit., p. 184.

[1] A.N.T., Dossier 425, Doc.221, art. 36 La division de la circonscription caïdale de Monastir en deux Caïdats avec l’émergence de Mahdia comme chef-lieu du troisième Caïdat du sahel en 1863.

[2] A.N.T, registre n° 1653.

[3] A.N.T, Registre n° n° 2441.

[4] A.N.T, registre n° 2104. 

[5] Huilerie à vapeur, aquarelles de CH. Lallemand, Tunisie, 1892, p.28.Voir Charles, Lallemand, (1892), La Tunisie pays de protectorat français, textes et dessins d’après natures, Paris, Libraires Imprimeries Réunies, 1892, p. 253, aquarelles.

[6] A.N.T, registre n° 2104.  

[7] Braudel, F. (1979), Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVème-XVIIIème siècles, Armand Colin, Paris, tome1, p. 378.

[1] Huileries Sultânî (à piston) Il s’agit de l’huilerie où on employait un pressoir d’huile à piston. Ce sont les huileries connues sous le nom de Ma’açaraçari.

[2] Huileries Dharbmâ’ (à eau) Ce sont les huileries qui utilisaient les procédés archaïques : on ajoutait de l’eau aux olives broyées pour faire flotter l’huile. 

[1] Recensement des huileries du Sahel par les élèves de l’École polytechnique du Bardo. Bibliothèque Nationale. Don de H.H Abdel Wahab .N° 18669. Cité par Dalenda, Bouzgarrou-Larguech, Watan al-Monastir : fiscalité et société (1676-1856), Pub. de la faculté des lettres de la Manouba, 1993, p. 28-29. Khélifa Chater, Insurrection et répression dans la Tunisie du XIXème siècle : La Mehalla de Zarrouk au Sahel (1864), Pub. de Univ. de Tunis, 1978, p. 20.

[1] A.N.T, Registre n° 2104.

[2] A.N.T, Registre n° 2016.

[3] A.N.T, Registre n° 2246, p. 55.

[4] A.N.T, Registre n° 2246, p. 54-55.

[1].« Louange à Allah, les comptes de Prince Brigade Mahmûd Aziz sur les recettes de l’usine "fabrika" et de deux huileries sultânî "macsrasultânî" situées à la Dabdâba, destinées pour la trituration des olives, et les dépenses pour accomplir cette tâche durant  les deux années précédentes jusqu’au 22 rabicII 1282H/1865-1866… le total de ces recettes citées ci-dessus est de 64423,1/2 piastres et ces dépenses réclamées en second lieux sont de 457638,1/2 piastres et 9,1/2aspres. Des détails de comptes qu’on retrouve  dans un autre registre. La soustraction des dépenses de la totalité des recettes atteint un reste de : 18684,3/4 piastres et 3,1/2 aspres ». Ces sommes ont été payées et remboursées au ministre Mustapha le Grand à cette date 1282H/1864-1865 ».extrait du registre n° 2246 (A.N.T).

[1] A.N.T, registre n° 2106.

[2] A.N.T, Registre n° 2016.

[3] Mahjoub, A., Industrie et accumulation, op.cit., p. 113.

[4] Ibidem, p. 93-116.

[5] Temime Blili, L. (2009), « Réformes politiques et vie privée à la cour beylicale de Tunis au XIXe siècle (1830-1881) » in Réforme de l'État et réformismes au Maghreb (XIXe-XXe siècles), sous la direction de Odile Moreau, L’Harmattan-Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), Tunis, p. 93.

[6] Chater, K., Dépendance et mutation précoloniales, op.cit., p. 533.

[7] Planel, A.- M., De la nation à la colonie, op.cit., p. 187-188.

[8] Moreau, O. (2009), (dir.), Réforme de l'État et réformismes au Maghreb (XIXe-XXe siècles), L’Harmattan-Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), Tunis.

[9] Ibn Abidhiaf, A., Ithaf, op.cit., t. IV, p. 218.

[10] Planel, A.-M., art. op.cit., p. 101-114.

[11] Cette synthèse s’appuie sur l’article de Temime Blili, L., art. op.cit., p. 91-115.

[12] Chater, K. (1984), Dépendance et mutation précoloniales, op.cit., p. 533.

[13] Les travaux de Donald Quataert sont bien connus de quiconque s’intéresse à l’histoire ottomane du XIXe siècle, plus particulièrement dans sa dimension socio-économique. Voir Donald Quataert, Miners and the state in the Ottoman Empire: The Zonguldak coalfield, 1822-1920, New York/Oxford, Berghahn Books, 2006.http://books.google.tn/books.

[14] Sur la notion de l'indépendance économique, tirées de « Aqwam », Hayr ad-Dîn invoque en effet la nécessité de pratiquer le protectionnisme pour favoriser la naissance
et le développement d'une industrie locale. Voir Béchir Tlili, Études d’Histoire sociale,
op.cit., p.217.

[15] Planel, A.-M., art., op.cit., p. 185.

[16] Ibidem.

[17] A.N.T, Registre n° 2016.

[18] Ibidem.

[19] Ibidem.

[1] La rue de la Dabdâba se trouve près de la kasbah de Tunis, qui donne directement sur le boulevard Bab -bnet presque devant le mausolée de Farhaet Hached. Pour l’appellation, nous dégageons deux hypothèses, la première est due au dénivellement de la rue par rapport au boulevard Bab- bnet, ce qu’on appelle en dialecte tunisien une zourziha ou sûrsîba, dont le passage (الدَّبيب) des habitants et des bêtes de sommes créaient un son fort de marche d’où l’origine de l’appellation. La deuxième hypothèse est probablement une allusion liée aux vacarmes des activités industrielles déjà installées bel et bien avant le XIXe siècle et le règne d’Ahmed bey.

[1] Ibidem.

[1] A.N.T, Série historique, dossier 571, carton 239, document n° 29 : Lettre de Dubois à Mustapha Khaznadar, Marseille datée le 3 février 1860.

[2] A.N.T, registre n° 2106.

[3] D’après A.N.T, registre n° 2104 : les dépenses étaient de 68361 piastres et quelques nasri.
Le salaire mensuel de l’ingénieur étaient de 640 piastres.

[4] Mahjoub, A., Industrie et accumulation, op.cit., p. 97-99.

[5] Ganiage, J. (1959), Les origine du protectorat français en Tunisie, Paris, PUF.

[6] A.N.T, Registre n°500.

[1] Boubaker, S., La Régence de Tunis au XVIIe siècle, op.cit., p. 117.

[2] Chater, K., Dépendance et mutations, op.cit., p. 482.

[3] Valensi, L., Fellahs tunisiens, op.cit., p. 344.

[4] Chater, K., Dépendance et mutations précoloniales, op.cit., note de bas de page n° 45 - 46
p. 533.

[5] A.N.T, registre n° 2104.

[6] Planel ,A-M , De la nation à la colonie, op.cit.,p. 207.

[7] Un acte du habous dressé au milieu de muharram de l’année 1189/20 mars 1776, nous révèle des détails sur l’opération effectuée à al-Dabdâba et à Dâr al Jild. Le document nous apprend que la fondation s’est substituée à une taverne désaffectée et en ruines, connue sous le nom de Dabdâba, sise près de la Kasbah à l’intérieur de la médina de la ville de Tunis. Elle est délimitée au Sud, par le cimetière d’al-Silsila ; à l’est, par une rue ; au nord par le four d’Ibn c Ashûr, un entrepôt de Bakkâr et une rue ; à l’ouest, par le four d’Ibn Ashûr, une ruine et le cimetière d’al-Silsila (le terrain est acquis par titre de prépotence). Voir Saadaoui(Ahmed), Tunis ville ottomane, trois siècles d'urbanisme et d’architecture, 2001, p. 213, 369.

[8] Chater, K. (1984), Dépendance et mutation précoloniales, op.cit., p. 533-534.

[1] Mot turc qui désigne l'ensemble des réformes découlant du hatti-chérif donné en 1839 par le sultan Abdul Medjid pour réorganiser l'administration.

[2] Brown, L.-C. (1974), The Tunisia of Ahmed Bey, 1837-1855, Princeton University Press,
p. 296-299.

[3] Xavier Pascal Coste est un architecte français né le 26 novembre 1787 et décédé
le 8 février 1879 à Marseille. À Paris, il fait la connaissance du géographe Jomard qui le met en relation avec le vice-roi d'Égypte, Muhammâd ‘Ali. En 1817, il est engagé comme architecte par le potentat oriental.

[4] Le saint-simonisme est une doctrine socio-économique et politique dont l'influence fut déterminante au XIXe siècle. Elle peut être considérée comme la pensée fondatrice de la société industrielle française.

Dans les « Opinions Littéraires, Philosophiques et Industrielles » (1825), où Saint-Simon indique « les moyens pratiques permettant de réaliser un régime industriel défini » (…) Saint-Simon, se déclare partisan des « progrès de travaux pacifiques, c’est-à-dire de l’exploitation du globe par l’industrie ».

[5] Tlili, B. (1974), Études d’Histoire sociale Tunisienne du XIXe siècle, p. 244-246.

[6] Voir Brown, L.-C. (1974), The Tunisia of Ahmed Bey, 1837-1855, Princeton : Princeton University Press.

[7] Planel, A-M. (2000), De la nation à la colonie: la communauté française de Tunisie au XIXe siècle d’après les archives civiles et notariées du consulat général de France à Tunis (1814-1883), Paris, EHESS, 773 pages. Thèse en histoire, Soutenue en novembre, vol. 3. dactylographiée, sous la dir. de Lucette Valensi, p.172-189-203.

[8] Planel, A-M , art. op.cit, p.102-103.

[9] Planel, A.-M., De la nation à la colonieop.cit., p.172. Planel, A.-M. (2000), De la nation à la colonie: la communauté française de Tunisie au XIXe siècle d’après les archives civiles et notariées du consulat général de France à Tunis (1814-1883), Paris, EHESS, 773 pages. Thèse en histoire, Soutenue en novembre, vol., 3. dactylographiée, sous la direction de Lucette Valensi, p. 172-189-203. Planel, A.-M., art. op.cit.,
p. 102-103.-189-203.

[10] Chater, K. (1984), Dépendance et mutations précoloniales, la régence de Tunis de 1815 à 1857, Tunis, Université de Tunis, p. 202.

[1] Acte du colloque organisé à Sousse du 6 au 10 février 2007, « L'olivier en Méditerranée entre histoire et patrimoine », 2011, 2 vol., Centre de Publication Universitaire, Samira Sehili, 2009, Huileries antiques de jebel Semmama, Centre de Publications Universitaires et Laboratoire Régions et Ressources Patrimoniales de Tunisie (Université de Manouba) p. 490.

[2] Tremblay, Y. (1991), « L'histoire des techniques comme champ historiographique », Département d'histoire Université Laval. www.erudit.org/livre/CEFAN/1991-2/000336co.pdf‎

[3] Annales ď Histoire Économique et Société, (1935), n° 36, 30 novembre.

[4] Febvre, L. (1935), « Réflexion sur l'histoire des techniques », Annales d'Histoire Économique et Sociale, n° 36, 30 novembre, p. 531-535.

[5] Bloch, M. (1963), « Avènement et conquête du moulin à eau », Mélanges historiques, tome 2, Paris, Sevpen, p. 808.

[6] Singer, C., Holmyard, E.-J., Hall, A.-R. (1954-1958), A History of Technology, Oxford, Clarendon Press, vol., 5.

[7] Daumas, M. (1962-1979), Histoire générale des techniques, Paris, PUF, vol., 5.

[8] Valensi, L. (1977), Fellahs tunisiens. L’économie des campagnes aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, La Haye, Mouton, p. 329-347.

[9] Boubaker, S. (1987), La Régence de Tunis au XVIIe siècle : ses relations commerciales avec les ports de l’Europe méditerranéenne, Marseille et Livourne, Zaghouan (Tunisie), Centre d’Études et de Recherches Ottomanes et Morisco-Andalouses, p. 116-118.

[10] Actes du colloque organisé à Sousse, op.cit., p. 316.

[11] Bibliothèque nationale de France, La Dépêche tunisienne Identifiant : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32756164v/date. Relation : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32756164v

[12] À compter du 13octobre 1896, des nouvelles dispositions ont été prises concernant la dîme sur les huiles (Les articles 2, 18 et article additionnel) : La perception des grignons, dans les localités où ils appartiennent à l'État, ceux à provenir d'usine de la Dabdâba, au cas où elle serait mise en activité, est comprise dans l'adjudication, qui sera faite en six lots, comprenant: Premier lot : la forêt de Tunis; Deuxième lot : la forêt du Cap-Bon; Troisième lot : la forêt de Zaghouan ; Quatrième lot : la forêt de Tebourba ; Cinquième lot : la forêt de Bizerte et de Porto-Farina; Sixième lot: la forêt de Djerba.

Service des Domaines : Vente du matériel de l'huilerie domaniale de la Dabdâba

Le lundi 10 janvier 1898, à neuf heures du matin, dans l'huilerie de la Dabdâba, boulevard Bab-bnet, 63, il sera procédé à la vente aux enchères du matériel ci-après : Une Machine horizontale d'environ 35 chevaux, une Chaudière horizontale, une Chaudière à bouilleurs, huit Presses avec leurs pompes, trois meules, Systèmes de transmission, Bascules, Forge, Outils divers, Ferraille, Tuyaux de plomb, etc.

S'adresser, pour tous renseignements, au bureau des Domaines, boulevard de Paris, 26, au fond de l'impasse.

[13] Les huileries de Mahjoub (Tébourba) organisent un rendez-vous biennal à l’occasion
de la fête de l’olivier. En plus, des dimensions culturelles et économiques de l’évènement, cette fête de l’olivier a pris un air différent mais très noble. Il s’agit d’une manifestation culturelle organisée tous les deux ans par les huileries Mahjoub à Tébourba. (Adresse : 13, av. Habib Bourguiba 1130, Tebourba, MANOUBA).

Tébourba, appelée Tuburbum Minus au temps des Romains, abritait notamment un établissement agricole, une huilerie située au sommet de la petite éminence de
Bordj-el-Ddjerbi, soit au cœur de l’actuelle oliveraie de la famille Mahjoub. Tant de siècles, autant d’histoire ancrée jusque dans les racines de la terre, nous placent immanquablement face à une responsabilité : respecter le fruit du fruit de ces arbres. Ainsi, chaque étape de l’élaboration de l’huile « Les huileries Mahjoub » est indissociablement attachée au geste. En accordant le dernier mot à la main de l’homme, sur le champ comme dans l’huilerie, nous voulons conserver le caractère unique d’une huile d’olive
extra-vierge, véritable première pression à froid, décantée à la main.

[1] Pour le XIXe siècle ; nous citerons deux chroniques qui ont été éditées, et qui semblent les plus utiles à notre propos : Ahmed Ibn abi dhiaf, Ithafahl al-zamân biakhbârTûniswa ‘Ahdal-amân, Tunis, Ministère des Affaires Culturelles, 1999, 5 vol., t.IV, Mohamed Bayram, safwat al ic tibar bi mustawdc alamsâr wal ʾaktâr, 2 vol., t. III, Beyrouth, 1884.

[2] Bayram, M., Safwat al, op.cit., t.III, p. 127.

[1] Braudel, F. (1979), Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVème-XVIIIème siècle, Paris, Armand Colin, t.I, p. 377.

[2] Chater, Kh. (1984), Dépendance et mutations précoloniales, la régence de Tunis de 1815 à 1857, Tunis, Université de Tunis.

[3] Archives Nationales de Tunisie, Registre n° 500,2103, 2104, 2106, 2246.

[4] A.N.T, Série historique, dossier 571, carton 239, document n° 29.

 

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