Cette note de lecture présente une brève synthèse de quelques travaux et écrits que nous avons lus et qui ont été menés sur les personnes âgés. Il s’agit pour nous dans ce travail de consacrer une attention particulière à cette catégorie d’âge qui semble être marginalisée par l’opinion publique, en raison de son faible taux démographique. L’intérêt et les études relatives aux personnes âgés dans notre pays s’avèrent moins importantes en comparaison avec les études et recherches menées sur d’autres classes d’âges telles que la jeunesse, l’enfance ou l’adolescence.
Pour ce faire nous allons nous appuyer sur : un projet de recherche sur « la population âgée en Algérie : dynamique et tendance » (dans le cadre du programme national de recherche n° 31 « Population et société »), réalisé sous la direction de Chérif Assia avec la participation des professeurs Ouadah Rebrab Saliha, Bedrouni Mohamed et Boulfakhar Nacer. Ce travail a été édité par le centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC en 2014). Le travail de Badra Moutassem-Mimouni sur « Les personnes âgées en Algérie et au Maghreb : enjeux de leur prise en charge », paru dans la revue Insaniyat n° 59, janvier- mars 2013 et enfin le travail de Nacer-Eddine Hamouda du centre de recherche en économie appliqué pour le développement (CREAD) réalisé en 2011 sur « l’impact du système de retraite sur le niveau de vie des personnes âgés au Maghreb ».
Ces trois publications font un état des lieux de la situation des personnes âgées en Algérie ; nous avons actualisé certains chiffres :
Situation de la personne âgée en Algérie
Selon Chérif Assia le pourcentage de la population âgée de 60 ans et plus était de 7,4% en 2008 contre 6,7% en 1966 (RGHPH 2008), ce taux a atteint 8,5% en 2015 soit près de 3,5 millions (Démographie Algérienne n°740). L’espérance de vie estimée à 68 ans en 1998 et serait de 75 ans en 2020[1], cette estimation est dépassée, compte tenu du fait qu’elle a déjà atteint les 76,6% pour les hommes et 77,8% pour les femmes en 2015 (ONS, 2015).
Ainsi comparativement aux pays occidentaux où le vieillissement de la population est très important, les indices relatifs au vieillissement confirment qu’en Algérie la population est extrêmement jeune (Assia Cherif, 2014, p. 10).
Concernant les caractéristiques sociodémographiques de cette classe d’âge et de sa santé ainsi que sa place dans les ménages, les résultats du RGPH de 2008, indiquent que les personnes âgées se concentrent dans les zones urbaines avec une proportion de 67% (66,3% pour les hommes et 68,0% pour les femmes). Leur situation vis-à-vis de l’état matrimonial est en nette amélioration (93,3% de mariés, dont la plupart sont des femmes de moins 75 ans. On a enregistré une baisse de célibataires, de divorcés et de veufs des femmes de moins de 75 ans.
La majorité de cette population vit entourée des membres de sa famille. La solitude de cette tranche d’âge est la résultante d’une histoire de perte (décès, divorce) surtout du conjoint. Le quotidien de ces personnes âgées, toujours selon l’étude d’A. Cherif, est fait d’une somme de difficultés dues généralement aux conflits d’ordre individuel et familial, de besoins insatisfaits, d’ennuis, le sentiment d’insécurité due à d’autres facteurs tels : la chute des revenus, la crise du logement, l’effritement de la cohésion familiale et de la solidarité sociale. La nucléarisation de la famille, les changements sociaux, les transformations économiques, l’urbanisation galopante, ont entrainé de nouveaux objectifs et de nouveaux besoins sociaux chez les enfants autant que chez les personnes âgées, ce qui risque de fragiliser cette classe d’âge. L’exclusion et placement dans les centres et foyers pour personnes âgées guettent les plus démunis (B. Moutassem-Mimouni, 2013).
Parallèlement aux questions purement démographiques et sociales, cette classe d’âge se trouve confrontée à la modification de son image qui était jadis synonyme de « baraka », jouissant d’un statut exceptionnel, possédant un pouvoir de transmission des traditions et coutumes, de l’héritage culturel, du savoir et du savoir-faire. Alors qu’elles bénéficiaient du respect et très souvent de l’amour de leur entourage, certaines personnes âgées semblent être de plus en plus vulnérables. Une petite minorité se trouve seule ou sans domicile et parfois sans ressources ou vivant avec des moyens très limités.
La prise en charge des personnes âgées
L’augmentation de la catégorie d’âge de plus de 60 ans et 79 ans qui atteindra en 2030, 14%,[2] ainsi que ses caractéristiques et multiples besoins, tout ceci justifie la nécessité d’une politique de protection sociale efficace, d’où l’intérêt de la loi du 29 décembre 2010 qui a mis en place des dispositifs de protection des personnes âgées en Algérie. Les établissements et foyers pour personnes âgées, au nombre de 40 localisés dans différentes wilaya du pays, les services hospitaliers, mais aussi les associations de personnes âgées pallient la baisse de solidarité traditionnelle en accueillant les personnes dans des situations précaires. Chaque 27 avril l’Algérie célèbre officiellement la journée du sujet âgé ; une initiative qui exprime concrètement la volonté de l’État de procurer un certain confort à cette classe d’âge. Cependant la réalité de ces établissements dans leur état actuel de sous encadrement, de vétusté et de manque de moyens financiers et humains fait obstacle au bon fonctionnement de ces institutions et entrave le travail de la prise en charge (B. Moutassem-Mimouni, 2013).
Concernant les ressources de cette catégorie, la retraite ne constitue pas la seule et principale ressource, En l’absence ou en complément d’une couverture retraite, les ressources des personnes âgées viennent d’une activité professionnelle, de la possession d’un patrimoine et/ou de transferts intergénérationnels directs des descendants, (Hamouda, 2011). En Algérie contrairement au Maroc et à la Tunisie, les retraites sont considérés comme le revenu numéro un tandis que l’aide des enfants et de la famille occupe la seconde place mais reste cependant importante. Ce système de retraite reste sans impact sur le revenu des personnes âgées par rapport au système de protection informelle qu’est la famille. Mais cela n’empêche pas l’insuffisance du revenu des sujets âgés. La pension minimale versée par la CNR ne concerne que les seules pensions dénommées « d’âge légal » (retraites liquidées après 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes) soit environ 30% des retraités de 60 ans et plus. Elle est fixée à 75% du Salaire National Minimum Garanti » Ainsi, la CNR avec son dispositif de pension minimale permet au retraité d’âge légal (retraité vivant seul ou en couple) d’avoir un revenu par tête supérieur au seuil de pauvreté. (Hamouda, janvier 2011, p. 219)
Quelles conclusions tirer de ces lectures ? Cette population est encore peu importante, mais augmente (8,7%) de plus en plus. Malgré les efforts déployés par l’Etat pour assurer un niveau de vie décent à cette population, c’est la famille qui supporte le gros des besoins de cette catégorie en terme de prise en charge, en particulier quand la personne est dépendance.
La question du niveau de vie, de la pauvreté et la maladie, le handicap, l’abandon, voir la déchéance des personnes âgées, l’impact des régimes de retraites reste à étudier.
Sur un plan pratique, la protection juridique de ces sujets âgés nécessite un enrichissement de l’arsenal juridique existant et un renforcement ainsi qu’une actualisation car il est en décalage avec les mutations sociales qui s’opèrent dans la société.
La nucléarisation de la famille, les conflits familiaux, l’effritement du lien social posent la question de la sensibilisation des générations futures au rôle important de cette tranche d’âge qui constitue la mémoire vive de la société et le symbole de la sagesse et de la baraka.
Une connaissance approfondie de la population âgée est nécessaire pour une meilleure prise en charge de cette dernière et pour l’élaboration d’une politique nationale de protection sociale adaptée et soutenue. Une telle connaissance permet une action coordonnée entre les différents acteurs sociaux de prise en charge et une mise en place d’un système d’information pour sensibiliser les citoyens sur les risques d’abandon et de marginalisation des personnes âgées.
Enfin le vieillissement étant inéluctable, il est urgent de créer un véritable programme de soutien et d’accompagnement permettant le réel accès de cette tranche d’âge à une prise en charge de « qualité ».
Khedidja MOKEDDEM
Notes
[1] Rapport du Conseil National Economique et Social sur les personnes âgées, 17ème Session Plénière, 1998.
[2] La prise en charge des personnes âgées un défi pour l’Algérie, in Mélisse, Le portail du Monde Musulman, 28mai 2015.