Françoise Navez-Bouchanine nous présente son étude en l'encadrant de façon subtile par des citations puisées dans Les villes invisibles de I.Calvino[1]. Par ce titre dont l'évocation est connotée, elle indique sa position critique sur les méthodes de conception architecturale et urbanistique qui ne prennent pas en considération l'usager dans l'organisation de l'espace. L'ouvrage est préfacé par J. Rémy qui appuie la mise en garde de l'auteur sur toute possibilité d'association terminologique pouvant aboutir à une sorte de guide à la conception architecturale. L'étude explique la relation complexe entre trois composantes de la ville que sont les habitants, l'architecture et l'urbanisme. Leur articulation dans la vie de tous les jours se traduit par l'appropriation de l'espace en tant que processus interactif C'est sur cette base que s'avance l'hypothèse de l'implication réciproque entre l'espace et le social.
De multiples observations sur les pratiques de l'espace vécu et l’espace conçu par les architectes et urbanistes, font constater une discordance de logique qui se traduit par des formes d'adaptation de la part de l'usager. D'une complexité considérable, ces rapports mènent à se questionner sur la vie quotidienne des gens des villes à travers des valeurs et comportements des habitants dans leurs convergences des modèles de recomposition de l'espace et les mécanismes d'appropriation. En réfutant la thèse de la fragmentation des villes marocaines l'auteur se donne plusieurs objectifs
1- Lecture des modèles socio-culturel" à travers les différentes modalités d'appropriation de l'espace privé et public en prenant à «témoin» les pratiques d'habiter. Vivre le socio-culturel à travers l'habitat.
2- Description des pratiques habitantes dans la perspective de l'aide à la décision dans le sens à reconnaître une compétence aux usagers. Lire l'habitat à travers le socio-culturel.
3- Apporter une contribution au vaste débat sur l 'émergence des nouvelles urbanités dans les villes des pays en développement considérant les concepts de "citadinité " et "urbanité" qui posent le problème de statut de l'espace.
Le thème central de l'étude porte sur le concept de l'appropriation de l'espace qui interfère diverses échelles de la vie collective (intérieur, extérieur, public, privé). Elle renvoie aux transformations de l'espace selon les aspirations des usagers (ce qui fait dire à) que l'auteur qualifie comme étant (qu'elle est) l'expression du "patrimoine vivant ". Elle entend par-là convaincre les décideurs à saisir le message des pratiques transformatrices de l'usager et à reconnaître en elles une compétence à intégrer dans la démarche conceptuelle.
Les points développés dans la problématique montrent les rapports particuliers entre espace et société dans un contexte de changement identité culturelle / application de modèles architecturaux et urbanistiques qui s 'attachent à des contenus formels. Ils rejoignent ainsi les critiques qui ont remis en cause les approches de la projection mécanique du social sur le spatial et qui croisent celles de la psychologie de l'environnement ou comportements, expérience de la personne et environnement.. forment un système dynamique. A ce titre la démarche de l'étude met en revue l'évolution de différentes approches sur la ville et souligne sa préoccupation qui consiste à éviter autant le piège des usagers que le piège des formes... et à contrer toute interprétation mécaniste de la réappropriation culturelle ou tout angélisme tendant à glorifier les couches populaires comme seules porteuses de "l'authenticité culturelle ".Elle relève de l'anthropologie de l'espace pour apporter un éclairage aux situations de changements qui caractérisent les modes d'organisation économique et sociale. Le souci d'une vision globale de la réalité vécue a conduit l'enquête à multiplier les types d'habitats et les villes. Elle aboutit ainsi à montrer les différentes expressions de l'appropriation de l'espace et les convergences que l'on retrouve de manière constante dans les grands principes d'organisation.En articulant les modèles d'habiter à différentes échelles de lecture (l'espace privé, limitrophe, urbain) à l'appropriation, l'étude révèle ainsi les tendances de la nucléarisation à travers l'émergence de l'individu et les changements en cours. Sous leur apparent "désordre ". Transparaissent une logique... un ordre, des mécanismes de régulation plus ou moins opérants mais aussi des conflits, des hésitations, des contradictions.
La conclusion rappelle l'impossibilité de modeler les pratiques par des dispositifs spatiaux et met toutefois en lumière la capacité de ces dispositifs "à moduler pratiques et représentations autant que celles à être modulées, en retour, par ces dernière~Notant la particularité des villes anciennement colonisées, des perspectives de travail sont esquissées sur la production des modèles d'habiter dans une analyse de changements sociaux. L'auteur signale notamment que les villes en développement, représentent un champ d 'application particulièrement stimulant pour la recherche.
Notes
[1]- Calvino, Italo.-Les villes invisibles.-Paris, Seuil, 1974.- coll. Points.
Auteur
Amara BEKKOUCHE