L’ubiquité du déracinement et son apport dans la rémanence de la littérature algérienne dans Merwas au château de Soleil de Abdellah Hamane

Insaniyat N° 10 | Violence : contributions au débat | p.149-153 | Texte intégral


Fatma HAMANE  : Magisrante, Université d’Oran, Faculté des Langues, des Lettres et des Arts, 31 000, Oran, Algérie


Avant de situer la problématique, nous devons faire un détour par la présentation du corpus.

Nous avons choisi comme corpus d’analyse un texte encore inédit de Abdellah Hamane intitulé : Merwas di lberg n Yitij, ce qui se traduit Merwas au château de soleil.

L’histoire

Cette œuvre raconte l’histoire d’un personnage nommé Merwas qui entreprend de libérer ses semblables du joug de son frère, le roi Bides. Ayant été prévenu par ses espions, Bides lancera ses gardes à la poursuite de Merwas et réussira à le mettre en prison mais non pour une longue période car celui-ci réussira à s’échapper, libéré par un complice. Au bout de quelques jours Merwas se réfugie dans une grotte et, à sa grande surprise, au moment même où les gardes s’apprêtaient à l’arrêter, un énorme génie lui apparut et se présenta à lui comme un fidèle esclave pour exaucer toutes ses requêtes. Merwas lui demanda un château aussi beau que ceux des rois et une femme dont la beauté est inégalable. Sitôt dit, sitôt exaucé. Merwas vivra dans le château de Soleil avec sa femme, Yelli-s n Yitij, quelques années de bonheur et ils se verront bénis par la naissance de Hmed n Yitij.

Toutefois, la situation ne tardera pas à revenir à son point de départ car ayant été trahi par un imposteur envoyé par son frère, Merwas se retrouvera dépouillé de tout et sera dans l’obligation de revenir jusque chez Bides pour lui abandonner son fils et entreprendre la fuite. Quelques années plus tard, Regama, l’une des concubines de Bides sapera la paix entre le roi et son fils adoptif. Ceci obligera également Hmed à fuir et à errer de ville en ville et de cité en cité avant d’arriver à Baghay, une ville dont les habitants avaient été engloutis par une hydre à l’exception de Gouraya qui deviendra plus tard son épouse.

Néanmoins deux faux amis de Hmed, Kertous et Bu T’hila comploteront contre lui pour usurper sa position de force et pour prendre sa femme. Ils réussiront, par ruse, à le précipiter au fond d’un puits mais ils se livreront à une lutte pour déterminer à qui reviendra, en définitive, Gouraya. Kertous réduira Cheikh Amara en esclave et traînera ses deux prisonniers tout le long du désert. Prévenu, Batlimous, le roi de la cité d’Arsous viendra à leur secours et exécutera le malfaiteur. S’étant crue veuve, Gouraya acceptera la demande en mariage du ministre mais Hmed arrivera juste à temps pour empêcher cela et demander de nouvelles agapes au roi. De nouveau rassemblé, le couple vivra pendant quelques jours encore dans la cité d’Arsous jusqu’au moment où Hmed fera la rencontre de son père Merwas et décidera de retrouver la terre natale pour y finir leurs jours.

Lecture critique 

Premières questions

Il s’agit donc d’un manuscrit écrit en langue kabyle et que nous avons entrepris de traduire au français. Les questions qui viennent donc à l’esprit de tout un chacun sont les suivantes : Pourquoi avoir choisi de travailler sur un manuscrit inédit alors qu’il y a des millions d’oeuvres qui n’attendent que d’être exploitées ? Et pourquoi l’avoir traduit ? La réponse à ces deux questions permettra de préciser la problématique.

Pourquoi décider de travailler sur un manuscrit ? La réponse est indéniablement les questionnements qu’a suscités en nous la lecture du manuscrit.

Le texte s’ouvrait ainsi : “La pièce théâtrale commence par la mort d’un roi...”. Nous avons été dérangé par le fait que l’auteur ait subsumé son texte sous un genre précis alors qu’au fur et à mesure que nous progressions dans la lecture, nous nous sommes trouvés confronté à ce problème du genre que manifeste l’œuvre dans la mesure où il s’agissait d’un amalgame de théâtre, de roman et de poésie (c’est cela même qui nous a conduit à parler d’un genre hybride).

Nous en avons déduit, dès le départ, que le texte était déraciné quant au genre qu’il manifestait ; mais ce n’était tout de même pas suffisant pour entreprendre un mémoire de magister.

Par la suite, nous avons noté que cette notion de déracinement n’était pas restreinte au genre seulement mais qu’elle était également investie dans le récit lui-même. Nous avons, en effet, relevé un déracinement dont ont été victimes pratiquement tous les personnages du récit. Nous assistons à un déracinement tellurique dans le cas de Merwas et de Hmed, son fils qui ont été tous deux obligés de quitter leur terre ancestrale et d’errer de cité en cité. Nous assistons d’autre part à un déracinement familial dont souffriront les deux personnages que nous venons de citer ainsi que d’autres protagonistes tels que Gouraya et Merjana. Un autre déracinement d’ordre verbal cette fois est patent dans le cas de Yelli-s n Yitij et de Gouraya où la première est spoliée de la faculté de la parole (cette faculté lui est rendue à quelques moments de sa vie seulement) alors que la seconde est invitée sévèrement à se taire ; mais d’une manière ou d’une autre, la frustration se ressent en rapport avec la spoliation d’un droit fondamental, le droit de s’exprimer.

Une autre fois encore, nous avons noté que cette même notion de déracinement fonctionnait dans un autre paramètre : elle intervenait dans la dimension de l’espace-temps : l’espace dans lequel et le temps pendant lequel l’œuvre a vu le jour.

Nous avons remarqué qu’en rapport avec l’espace, le plus important endroit qui représente le point de départ du récit n’était pas désigné par un toponyme ; en revanche le récit était jalonné par une nomenclature d’endroits aussi éclectiques que des forêts, des oasis, des fleuves, des déserts, des collines...(c’est ce qui nous a conduit à parler du même coup de pléthore spatiale). A priori, lorsqu’il s’est agi du temps, non seulement nous avons constaté l’absence évidente de toute date précise mais en plus, pour peu que nous relevions un déclic temporel, il était à chaque fois corrélatif d’une ‘confusion’ (ex : environ, dans moins de trois jours au plus...).

A ce stade des remarques, nous nous sommes dit voilà un prétexte pour analyser ce texte. Dans la mesure où nous avons remarqué le fonctionnement de la notion de déracinement dans le genre, dans le thème et dans le hors-texte (le contexte social), nous l’avons désigné par le thème-forme du déracinement, empruntant l’expression à Gérard Genette ; nous lui avons par ailleurs reconnu le don de l’ubiquité, terme que nous retrouvons dans le premier fragment du titre, dans l’expression : ‘L’ubiquité du déracinement’.

Deuxièmes questions

Pourquoi avoir traduit Merwas di lberg n Yitij de A. Hamane et… en français ?

La réponse la plus patente que nous pouvons donner est que le texte que nous avons choisi n’est ni connu ni publié, il fallait donc le traduire et l’inclure dans notre travail de mémoire et en français, car cette langue est notre outil de travail.

La traduction se révèle donc être dans notre cas à la fois une discipline de travail - mais, nous n’innovons pas dans la mesure où cette démarche est le lot de toute opération traductionnelle - et un moyen d’apporter à la scène de la littérature mondiale un texte qui est jusqu’ici oral, méconnu, voire même inconnu.

Conférant donc le droit de cité à des textes qui, jusqu’ici, relevaient de la tradition orale, la traduction se révèle être par extension un moyen qui confère également le statut scriptural à un texte d’obédience orale. C’est là que réside, croyons- nous, l’apport de notre travail.

C’est là surtout que nous voyons intervenir la notion de rémanence. Il est vrai que nous avons emprunté cette notion à la physique. Dans cette discipline, l’état de rémanence est reconnu aux phénomènes qui persistent après la disparition de leur stimulus, or qui dit disparition dit évanescence.

Nous empruntons donc ce concept et l’appliquons à notre sujet dans ce rapport dichotomique évanescence / rémanence en parallèle avec oraliture / littérature en vertu d’une lecture en filigrane du proverbe : «Les paroles s’en vont et les écrits restent».

En effet, la tradition orale, l’oraliture, les paroles risquent de s’évanouir, de se perdre si l’initiative de les colliger n’est pas entreprise au plus vite dans le cadre de l’écriture qui en fera une littérature rémanente car la traduction a cette particularité pertinente qui consiste dans le fait qu’elle est écrite, or nous connaissons tous le pouvoir de pérennité que confère l’écriture aux textes. C’est cela même qui a généré le deuxième fragment du titre et qui réside dans l’expression : ‘la rémanence de la littérature algérienne’.

Là encore, nous voudrions ouvrir une parenthèse et signaler que notre mémoire de magister se voudrait un travail heuristique dans la mesure où nous pensons qu’il ne se referme pas sur lui-même et qu’il ouvre, croyons-nous, la perspective pour d’autres travaux de traduction et de faire de l’oraliture algérienne susceptible de se perdre une littérature rémanente.

A présent, il est sage de signaler que, dans le titre, nous voyons bien qu’il y a une relation entre le thème-forme du déracinement et la notion de rémanence de la littérature algérienne rendue manifeste par l’expression l’apport de la première vis-à-vis de la seconde.

Ici, nous voudrions apporter une précision et une illustration à partir du corpus

Quelques précisions

Le déracinement était toujours accompagné d’un enracinement et, partant, d’un attachement à un repère fixe. Le déracinement de la parole de son oralité est suivi de son enracinement dans les repères fixes de l’écriture (c’est la démarche même de l’auteur dans son entreprise d’écrire ; gardons présent à l’esprit la pérennité), ce qui justifie le sous-titre que nous rencontrons au chapitre I : La parole transcrite / l’écriture verbalisée ; de plus, le déracinement spatio-temporel (chapitre III) justifie le désir de s’ancrer dans les temps immémoriaux, dans l’histoire, la discipline la mieux conservatrice et qui confère donc le statut de rémanence à la littérature.

L’illustration maintenant, nous la puiserons dans le chapitre II puisqu’elle doit être d’ordre thématique : cette dichotomie de déracinement / rémanence se voit concrétisée dans la démarche du personnage Yelli-s n Yitij, privée de la faculté de parler, qui va se réfugier dans le repère rémanent par excellence, celui de l’écriture. En effet, quand elle se voit frustrée quant à la parole, elle confisquera celle de son mari en se substituant à lui et en écrivant une lettre à Bides, son beau frère à elle.

Ainsi, nous venons de justifier la longueur du titre, les raisons et du choix du corpus et de la traduction, raisons qui nous ont permis d’enclencher sur notre problématique et sur la manière avec laquelle elle a été menée et qui nous ont permis aussi de montrer l’apport et l’ouverture que voudrait proposer notre travail qui se veut heuristique.

 

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