James McDougall (2017). A History of Algeria,Cambridge :Cambridge UniversityPress, 448 p


Insaniyat|N°82 | 2018 |Texte romanesque : espace et identité|p. 113-116 | Texte intégral



A History of Algeria de l’historien britannique James McDougall est un ouvrage original à tous points de vue. Il a le mérite de jeter un regard nouveau sur l’histoire de l’Algérie contemporaine, en essayant de rompre avec la chronologie classique, inévitable au demeurant, et en plaçant les Algériens au cœur de cette histoire. Mariant style, rigueur scientifique, lecture critique et mise en perspective, l’ouvrage en question est le fruit d’un effort se donnant pour objectif de retracer, sans prétendre à un traitement exhaustif, l’histoire de l’Algérie et des Algériens sur une période de cinq siècles (1516-2012) en mettant l’accent sur ses continuités, ses moments de force et de faiblesse.

A History of Algeria s’amorce par une approche esthétique de l’espace interrogé, un espace producteur de sens tous azimuts. La longue marche de cette histoire commence à Béni Saf, une ville portière situé dans l’ouest algérien pour sillonner l’Algérie de l’ouest à l’est et du nord au sud en mettant en évidence la beauté de ses paysages, sites, montagnes, plaines, vallées, regs et ergs arpentés interminablement par l’auteur,et les dynamiques pluridimensionnelles de ses populations, souvent oubliées, voire négligées par les travaux d’histoire antérieurs qui attachent une importance plus grande aux aspects événementiels de cette histoire. Le traitement hyper-savant de cette longue histoire s’articulant, entre autres, autour des « bouleversements, ruptures, violence et trauma », des faits indéniablement avérés, cède la place à un traitement nuancé de cette dernière en donnant la parole aux Algériens, les premiers concernés, pour dire comment ils perçoivent, vivent et disent cette histoire qui est la leur.

Sans vouloir idéaliser tel ou tel aspect de cette longue marche, l’auteur présente l’Algérie pas seulement comme un lieu d’histoire, mais comme un lieu d’existence où les Algériens ne font pas office d’« acteurs abstraits d’un conte tragique », mais de réels acteurs d’une histoire à raconter autrement.

L’ouvrage se donne pour tâche de regarder « honnêtement en face » et l’histoire de l’Algérie et celle des Algériens. Pour ce faire, l’auteur choisit d’articuler son propos autour de deux thèmes principaux. L’un se rapporte à la dimension politique de cette longue histoire de l’Algérie qui a vu naitre les structures de souveraineté de l’ère ottomane à nos jours, et leurs répercussions sur la vie sociale des Algériens, mettant les États successifs, dans leur formation, leur force,leur fragilité et leurs limites, face à la société algérienne et ses complexités continuelles. L’autre se rapporte à l’histoire sociale des Algériens.

L’ouvrage de James McDougall bat en brèches les stéréotypes relatifs à l’Algérie à l’ère ottomane et à ceux de l’ère coloniale faisant de la société algérienne une société dominée en permanence, incapable de générer des liens sociaux ou de se doter d’institutions pour s’autogouverner. Une société animée par une violence innée contre la mission « civilisatrice » de l’occupation étrangère. Une société qualifiée de « poussière d’hommes » (dust of men), selon l’expression hautement stéréotypée du Gouverneur général Jules Cambon, prononcée en 1894 et reprise par le Général Charles de Gaulle en 1959. Cet ouvrage sonne comme une antinomie à ces clichés d’anéantissement qui constituent le fondement de toute forme de colonisation. Il bat aussi en brèches de nombreuses analyses faisant de la société algérienne un synonyme de fragmentation et de rupture, excluant son extraordinaire robustesse, ses formes de persistance et de résilience, sa solidarité, ses stratégies de survie et la manière avec laquelle elle perçoit sa propre histoire « par le bas ».Cet ouvrage redonne la parole à ces Algériens en interrogeant en profondeur la continuité de leur structure sociale, bien antérieure aux occupations étrangères, dans ses réactions et stratégies,sans pour autant célébrer les constances de la rhétorique officielle.

Pour retracer cette continuité fondatrice de la société algérienne, l’auteur se propose de l’explorer suivant trois périodes. La première période, objet du premier chapitre densément documenté de l’ouvrage, interroge la vie socio-culturelle et les rapports des Algériens avec le Beylik à l’ère de l’occupation ottomane. Cette période de trois siècles d’occupation ottomane a souvent été alimentée par des anachronismes générés par les préoccupations du 21ème siècle en considérant à titre d’illustration, la régence d’Alger comme la fondation de l’État-nation algérien, alors que des formes d’organisation sociales sans bel et bien antérieures à cette période. Les nombreux royaumes berbères et les structures sociales locales dans l’ensemble de l’Afrique du nord depuis l’antiquité, en sont une parfaite illustration. L’auteur le rappelle à juste titre en se penchant sur les permanences de ces formes étatiques qui se matérialisent surtout par le « contrôle du territoire et de la population » et sur les diversités socio-culturelles, linguistiques, confessionnelles, politiques et économiques des populations vivant dans cette espace qui deviendra plus tard l’Algérie. Ce chapitre se veut une vitrine de toute la complexité que donne à voir l’histoire de l’Algérie

La deuxième période, objet du deuxième, troisième et quatrième chapitre, examine la colonisation française en Algérie, ses effets sur la société algérienne, qu’elle voulait - sans réussir - réduire à de la poussière,et les diverses réactions de celle-ci à celle-là jusqu’à la veille de première guerre mondiale. Le chapitre 3 revient en détails sur le centenaire de l’ « Algérie française » et le chapitre 4 prend le relais du chapitre 2 en explorant les changements et les revendications de la société algérienne face à l’État colonial français, de 1912 à 1942. L’histoire algérienne et française de l’Algérie est appréhendée ici dans un va-et-vient continuel. Le chapitre 5 revient sur les origines, les divers sens et les multiples voies de la Guerre de libération nationale de la genèse du mouvement national à 1962. La troisième et dernière période, objet du sixième et septième chapitre, donne une place à la chronologie politique post indépendance en mettant comme toile de fond la vie socio-économique des Algériens. Cette période charnière met en mots l’effervescence révolutionnaire des années 1960-1970, la montée de la crise du système dans les années 1980, les événements dramatiques de la décennie noire, et la première décennie du 21ème siècle.

L’ouvrage de James McDougall s’adresse en premier lieu à un public anglophone qui souvent prend connaissance, de manière confuse et biaisée, de l’histoire de l’Algérie à partir d’Europe et plus particulièrement de France ou se familiarise avec cette histoire à partir des lectures médiatiques qui s’y penchent. Les schémas les plus dominants dans ces lectures mettent en avant et abondamment,les items de terrorisme, migration illégale, le plus grand pays (en termes de superficie) d’Afrique, le premier fournisseur de l’Europe en gaz et pétrole, un acteur important dans les relations internationales surtout dans la zone méditerranéenne, colonialisme et anti-colonialisme, tiers-mondisme, islam, Orient, etc. Si ces éléments ont une importance certaine dans l’histoire de ce pays, ils ne devraient pas éclipser la société algérienne et ses expériences historiques, c’est ce à quoi cet ouvrage s’est attelé à clarifier et rectifier intelligemment.

Si cette vue d’ensemble sur le long temps, interrogé par l’auteur, fait l’originalité de l’ouvrage présenté ici, elle a néanmoins généré quelques insuffisances concernant le traitement de certains épisodes historiques qui ont marqué les annales de l’Algérie contemporaine. L’espace imparti à cette étude historique ne permet certainement pas de fournir tous les détails inhérents à cette histoire, et l’auteur prend le soin de le souligner à chaque fois que l’occasion le lui permet, en rappelant à juste titre la complexité du terrain, la diversité d’une société au passé tumultueux et les contraintes de la recherche historique. 

C’est une évidence maintenant que de dire que cet ouvrage ouvre une nouvelle perspective dans le champ scientifique portant sur l’histoire de l’Algérie. Les insuffisances et oublis qui ont émaillé l’argumentation de l’auteur ne peuvent être qu’une occasion pour d’autres chercheurs d’approfondir le traitement analytique de cette longue histoire.

OURAS Karim

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